CEDH, Cour (quatrième section), AFFAIRE FERNANDES PEDROSO c. PORTUGAL, 12 juin 2018, 59133/11

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Chronologie de l’affaire

Commentaires6

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Me Rémy Schmitt · consultation.avocat.fr · 26 février 2021

Par plusieurs arrêts récents (27 janvier 2021, n° 20-85990 ; 9 février 2021, n° 20-86339 ; 24 février 2021, n° 20-86537), la chambre criminelle de la Cour de cassation a précisé la manière dont doit s'exercer le contrôle de la chambre de l'instruction sur les soupçons qui justifieraient le placement ou le maintien en détention provisoire d'un mis en examen, en vertu de l'article 5, paragraphe 1, c), de la Convention européenne des droits de l'homme, depuis son arrêt du 14 octobre 2020 (n° 20-82961). Selon ce dernier, « la chambre de l'instruction, à chacun des stades de la procédure, doit …

 

www.dbfbruxelles.eu · 25 juin 2018

La détention provisoire, l'impossibilité d'accéder à certaines pièces de son dossier et le non-octroi d'une réparation à un député violent son droit à la liberté et à la sûreté (12 juin) Arrêt Fernandes Pedroso contre Portugal, requête n°59133/11 La Cour EDH considère qu'au moment où le juge d'instruction a rendu son ordonnance provisoire, il n'existait pas de soupçons plausibles d'abus sexuels sur mineurs à l'encontre du requérant. Les motifs invoqués pour justifier la privation de liberté n'étaient ni pertinents ni suffisants et les juridictions internes n'ont pas cherché à mettre en …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Quatrième Section), 12 juin 2018, n° 59133/11
Numéro(s) : 59133/11
Type de document : Arrêt
Organisation mentionnée :
  • Comité des Ministres
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusions : Violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-1 - Arrestation ou détention régulières) ; Violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-4 - Garanties procédurales du contrôle) ; Violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-5 - Réparation)
Identifiant HUDOC : 001-183541
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2018:0612JUD005913311
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Sur les parties

Texte intégral

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE FERNANDES PEDROSO c. PORTUGAL

(Requête no 59133/11)

ARRÊT

STRASBOURG

12 juin 2018

DÉFINITIF

12/09/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Fernandes Pedroso c. Portugal,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Ganna Yudkivska, présidente,
Vincent A. De Gaetano,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Faris Vehabović,
Egidijus Kūris,
Iulia Motoc,
Péter Paczolay, juges,
et de Marialena Tsirli, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 avril 2018,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 59133/11) dirigée contre la République portugaise et dont un ressortissant de cet État, M. Paulo José Fernandes Pedroso (« le requérant »), a saisi la Cour le 15 septembre 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant a été représenté par Me Celso Cruzeiro, avocat à Aveiro. Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme M. F. da Graça Carvalho, procureure générale adjointe.

3.  Le requérant se plaint que sa détention provisoire ait emporté violation à son égard des droits garantis par l’article 5 de la Convention.

4.  Le 11 décembre 2015, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5.  Le requérant est né en 1965 et réside à Lisbonne.

A.  La procédure pénale (procédure interne no 1718/02.9JDLSB)

6.  Au moment des faits, le requérant siégeait en tant que député au Parlement (Assembleia da República) pour le Parti socialiste, après avoir occupé entre le 10 mars 2001 et le 6 avril 2002 le poste de ministre du Travail et de la Solidarité dans le gouvernement précédent.

1.  L’origine de l’enquête pénale

7.  Dans son édition du 23 novembre 2002, l’hebdomadaire national « Expresso » publia un article révélant l’existence d’abus sexuels commis sur des mineurs, enfants et adolescents, bénéficiaires de l’institution Casa Pia de Lisbonne (« l’institution Casa Pia »)[1]. Dénonçant une omerta des autorités, cet article évoquait l’existence d’un réseau pédophile sans précédent au Portugal. Le soir même, l’information fut reprise par les journaux télévisés. Issus notamment du monde politique ou de celui de la télévision, les abuseurs présumés firent très vite l’objet des unes des journaux.

8.  À la suite des informations publiées par la presse, le 25 novembre 2002, le Département central d’investigation et d’action pénale (« le DIAP ») ouvrit une enquête contre dix individus des chefs d’abus sexuels sur mineurs (procédure interne no 1718/02.9JDLSB). Il était reproché aux intéressés de faire partie d’un réseau pédophile informel et d’avoir entretenu, par l’intermédiaire d’un chauffeur de l’institution Casa Pia (C. S., le principal accusé), des rapports sexuels, seuls ou en groupe, avec des enfants et des adolescents bénéficiaires de l’institution, essentiellement de sexe masculin. Selon les éléments de l’enquête, les crimes avaient eu lieu entre 1997 et 2000, à Lisbonne et à Elvas.

2.  La distribution (distribuição) du dossier au sein du tribunal d’instruction criminelle de Lisbonne

9.  Le 30 novembre 2002, alors qu’il était de permanence, le juge d’instruction[2] de la première chambre du tribunal d’instruction criminelle (« le TIC ») de Lisbonne se prononça sur une demande urgente de perquisition au domicile de l’un des suspects, qui avait été formulée par le procureur de la République de la deuxième section du DIAP.

10.  À une date non précisée, le dossier de l’enquête fut distribué au juge de la cinquième chambre A (5o juízo A) du TIC de Lisbonne.

11.  Par une ordonnance du 7 janvier 2003, ce magistrat renvoya le dossier de la procédure devant le juge de la première chambre du même tribunal au motif que celui-ci avait déjà été amené à intervenir dans le cadre de l’enquête en qualité de juge d’instruction.

3.  L’arrestation et la mise en examen du requérant

12.  Le 12 mai 2003, le requérant adressa une demande au Procureur général de la République (Procurador geral da República), dans laquelle il indiquait avoir appris que son nom était mentionné dans le cadre de l’enquête. Il demandait à connaître le nom des personnes à l’origine des accusations portées contre lui, afin de pouvoir engager contre elles des poursuites pour diffamation. Il précisait être disposé à se déplacer immédiatement pour être entendu sur les faits sur lesquels les autorités souhaiteraient le questionner, et ce afin de contribuer à la découverte de la vérité.

13.  Le même jour, le président du groupe parlementaire du Parti socialiste adressa une demande similaire au Procureur général de la République, précisant que le requérant était prêt à « suspendre » son mandat afin d’éviter une situation dans laquelle le Parlement refuserait de lever son immunité parlementaire.

14.  Le 21 mai 2003, le juge d’instruction de la première chambre du TIC de Lisbonne adressa une demande au président du Parlement. Il sollicitait, aux fins d’exécution d’un mandat d’arrêt émis à l’encontre du requérant à la demande du parquet, la levée de l’immunité parlementaire de l’intéressé afin que celui-ci pût être mis en examen dans le cadre de l’enquête, entendu en la qualité de personne mise en examen et soumis à une mesure de contrainte. Cette demande était accompagnée d’une ordonnance du même juge datée de la veille, c’est-à-dire du 20 mai 2003, exposant les faits qui étaient reprochés au requérant, avec les descriptions de sévices rapportées par deux victimes (non identifiées), l’identification des endroits où ceux-ci avaient eu lieu et les examens médicaux auxquelles les victimes avaient été soumises. Des extraits d’écoutes téléphoniques impliquant le requérant y étaient également annexés.

15.  Le même jour, le Parlement approuva à l’unanimité la levée de l’immunité parlementaire du requérant. Dans l’après-midi, celui-ci se présenta au TIC de Lisbonne. À 20 h 12, il fut arrêté, mis en examen et entendu par le juge de la première chambre de ce tribunal. S’agissant des faits qui lui étaient imputés, le procès-verbal de l’interrogatoire judiciaire (auto de interrogatório judicial) indiquait ce qui suit :

« (...)

[1] En ce qui concerne les faits qui lui sont imputés, notamment avoir eu des rapports sexuels, dans la période allant de 1998 à la présente date, avec des enfants de moins de seize ans, élèves ou ex-élèves de la Casa Pia de Lisbonne, [l’accusé] a affirmé qu’il n’avait jamais eu de rapports sexuels avec quiconque de moins de seize ou dix-huit ans dans la période en question.

[2] À la question portant sur des déplacements à Elvas pendant la période en cause, il a répondu que les seules fois où il s’y était rendu [s’inscrivaient] dans le cadre de fonctions gouvernementales ou [étaient en rapport avec] son parti. En l’occurrence, il a précisé n’avoir jamais été dans une résidence privée dans la ville d’Elvas.

[3] Étant donné qu’il a pris connaissance de la demande visant la levée de son immunité parlementaire et de l’ordonnance jointe à celle-ci, il lui a été demandé s’il savait qui pouvait être à l’origine des informations qui y étaient indiquées. Il a répondu qu’il ne pouvait imaginer qui avait pu inventer de tels faits. À la question portant sur le moment où il avait appris que son nom allait être associé aux faits faisant l’objet de l’enquête, il a répondu qu’on lui avait dit il y a quelque temps que son nom allait être mentionné dans le cadre de l’enquête. Cette indication lui avait été donnée il y a deux mois par l’épouse de M. R. [homme politique portugais]. (...) il n’y avait alors pas donné d’importance et n’avait rien fait par rapport à la question (...)

[4] Cependant, le 9 mai, M. A., juge près le tribunal criminel de Lisbonne (Tribunal da Boa-Hora), l’a informé qu’il avait entendu dire que M., juge de la cour d’appel (...), rapportait dans les couloirs de la cour d’appel que « c’était mal parti pour Paulo Pedroso » (...). C’est à ce moment qu’il a décidé de demander au Procureur général de la République de lui fournir les pièces du dossier pertinentes, si elles existaient, afin de poursuivre en diffamation les éventuels auteurs de telles informations calomnieuses. À cette occasion, il a manifesté sa disponibilité totale pour présenter toute clarification jugée nécessaire. Cette demande a été introduite le 12 [mai] dernier et, le week-end précédent, M. R. a pris contact avec le président de la République et écrit une lettre au Procureur général de la République. L’accusé n’ayant pas connaissance de l’existence d’ennemis personnels, les prises de contact et demandes de pièces ont généré en lui la conviction qu’il s’agissait d’une attaque contre le Parti socialiste, en tant qu’institution, et qu’il fallait clarifier cette situation le plus vite possible. (...) il a ajouté que son honneur et sa réputation [étaient] en cause et que de telles calomnies port[ai]ent atteinte à sa vie et sa famille, ce qui [était] la raison principale pour laquelle il a[vait] cherché à avoir accès à de telles pièces [du dossier].

(...) »

16.  Au cours de l’interrogatoire judiciaire, le juge demanda également au requérant de s’expliquer quant à un certain nombre de conversations qu’il avait eues avec différentes personnes, qui avaient été enregistrées à la suite des écoutes téléphoniques ordonnées dans le cadre de l’enquête, ce que l’intéressé fit.

17.  L’interrogatoire se termina le 22 mai 2003, à 5 h 59.

4.  Le placement du requérant en détention provisoire

18.  Au terme de l’interrogatoire, le procureur chargé de l’enquête requit la détention provisoire (prisão preventiva) du requérant aux motifs qu’il existait :

-  de forts indices (fortes indícios) que ce dernier avait commis cinq crimes d’agressions sexuelles et dix crimes de viols sur mineurs. Le procureur se référait notamment aux dépositions, confirmées par des examens médicaux, faites par des victimes qui avaient reconnu le requérant à partir d’une photographie qui figurait dans le dossier de l’enquête ;

-  un risque de perturbation de l’enquête, au sens de l’article 204 b) du code de procédure pénale (CPP), étayé par des informations obtenues à partir d’écoutes téléphoniques. Le procureur observait notamment qu’il était apparu au cours de l’interrogatoire que le requérant avait connaissance, de par des sources politiques et judiciaires, de l’objet de l’enquête, qu’il suivait son avancement, et que des informations avaient été demandées, en son nom, au Procureur général de la République. Le procureur estimait que le risque en cause concernait en particulier la collecte des preuves ;

-  un risque de trouble à l’ordre et à la tranquillité publics, au sens de l’article 204 c) du CPP, étant donné l’émoi suscité par les crimes d’abus sexuels sur mineurs dans la société.

19.  Le requérant contesta les arguments du parquet, soulignant avoir donné des explications claires sur les conversations téléphoniques en cause. Il demanda que lui fût appliquée une mesure moins contraignante que la détention préventive.

20.  À 8 h 17, le juge d’instruction décida d’appliquer la mesure de détention provisoire, relevant ce qui suit :

« [1] (...) L’accusé a affirmé d’emblée connaître le contenu de la demande qui avait été adressée au Parlement visant la levée de son immunité parlementaire, ainsi que de la copie de l’ordonnance qui l’accompagnait. Cette demande incluait l’exposé d’un ensemble de faits et des dépositions où avait seulement été omis le nom des personnes n’ayant rien à voir avec l’accusé ou son comportement allégué. L’accusé connaît donc le type et la nature des actes en cause. L’accusé nie avoir commis ces actes, et, interrogé sur qui pourrait être derrière [de telles accusations], il a affirmé qu’il pouvait seulement envisager qu’une personne extérieure aux institutions judiciaires les avait montées et [avait déclenché les plaintes] au niveau judiciaire pour que l’on ne fît pas totalement la lumière sur la vérité.

[2] En supposant même, par moment, que cela soit vrai, nous serions ici face (...) à un individu ou un ensemble d’individus qui :

a) ont maltraité des enfants, abusant sexuellement d’eux ;

b) ont convaincu ces enfants de mentir ;

c) [ont persuadé ceux-ci d’attribuer] à l’accusé les faits dont ils ont été victimes ;

d) dans l’objectif de dénigrer l’image publique de l’accusé ou l’image du Parti socialiste et/ou de son secrétaire général.

(...) Cela étant (...), la version de l’accusé ne tient pas.

[3] D’un autre côté, voyons la version qui a été présentée par le ministère public. Les magistrats qui dirigent l’enquête affirment que des enfants ont été abusés sexuellement et que le requérant a pratiqué des actes sexuels significatifs (actos sexuais de relevo) et eu des rapports sexuels avec pénétration anale ou orale. Le ministère public présente, comme preuves, les dépositions des victimes et les corrobore par des examens médicaux qui démontrent sans équivoque [que des abus ont été commis] et que, probablement, les victimes ne mentent pas. Le ministère public a également pu obtenir des victimes la description de maisons et d’endroits, certains éloignés de la zone où se trouvaient les enfants (il faut aussi rappeler que nous sommes en train de parler de victimes qui, étant des élèves de la Casa Pia, n’avaient pas les moyens de se déplacer). Grâce à ces descriptions, les lieux ont fait l’objet d’opérations de reconnaissance et de perquisitions dans le cadre desquelles l’aménagement intérieur des maisons a été établi. Tout a coïncidé.

[4] On pourrait en effet dire que certaines des victimes ont reconnu l’accusé, d’abord, à partir de la photographie no 8 de l’annexe A.J. [du dossier]. Celle-ci n’est peut-être pas la meilleure des photographies, on pourrait même peut-être envisager la possibilité de faire une séance d’identification (reconhecimento). Toutefois, il est certain que les victimes n’ont pas toutes reconnu l’accusé à partir de cette photographie, et l’une d’elles [l’a reconnu en indiquant] d’emblée qu’il s’agissait d’un homme politique.

[5] Quant à nous, nous ne pouvons pas nier l’existence, du moins dans cette phase de la procédure, de forts indices à l’encontre du requérant concernant les crimes ayant mené à la levée de son immunité parlementaire et sa détention subséquente [aux fins de sa comparution pour audition] dans le cadre du premier interrogatoire judiciaire, comme nous pouvons le déduire des pages 307 à 327 [déposition de F.G.], 564 à 571 [déposition de L.M.], 1112 à 1113 [déposition de L.M.], 2383 à 2385 [dépositions de L.M.], 3490 à 3494 [déposition de L.M.], 3999, 4000 à 4013, 1499 à 1501, 1117, 1466, 1508, 1515, 2533, 4439 et 4543 à 4550 [examen de l’appareil génital et autres de L.M.] [du dossier]. Nous devons aussi tenir compte du contenu des examens médicaux, en particulier les pages 3200 et suivantes [examen de l’appareil génital et autres de F.G.] et 4543 et suivantes [du dossier].

[6] Cela dit, il convient de rappeler que la simple existence de forts indices [de la commission] d’un crime puni d’une peine d’emprisonnement supérieure à trois ans n’est pas, à elle seule, suffisante pour mener à l’application d’une mesure de contrainte autre que le contrôle judiciaire. Il est en outre nécessaire que l’un des risques indiqués à l’article 204 du CPP soit vérifié, seul ou de façon cumulative.

(...)

[7] Voyons maintenant si le risque indiqué à l’alinéa b) de l’article 204 du CPP est vérifié. Tout en respectant les points de vue ayant été présentés, il nous semble que ni la défense ni le ministère public n’ont tout à fait raison. En effet, nous donnons raison à la défense lorsqu’elle dit que l’accusé a fourni une explication au minimum plausible concernant les [transcriptions d’écoutes téléphoniques] figurant, à cette date, à l’annexe AZ-T [du dossier].

[8] Cela étant, ce que la défense oublie, mais non le ministère public, c’est que, outre ces écoutes, d’autres [écoutes] ont été validées et présentées à l’accusé, notamment celles de la cible (alvo) 21379, et que ce sont ces écoutes qui, d’après nous, impliquent non pas le risque mais la perturbation sérieuse de l’enquête. On pourrait dire que l’accusé n’est intervenu dans aucun des appels, à l’exception de [l’un d’entre eux]. Mais en vérité, c’est l’accusé même qui reconnaît une relation d’amitié profonde avec F.R., et il semble qu’il en soit de même avec S.A. L’accusé reconnaît encore, et cela est compréhensible, que c’est cette amitié qui motive F.R. et d’autres dirigeants du PS. Il est certain que ce lien est sans équivoque et que les autres œuvrent en faveur de l’accusé. Or, avant d’avoir comparu devant ce tribunal d’instruction criminelle, l’accusé a aussi essayé par lui-même de perturber l’enquête. Il a notamment pris contact, personnellement ou par l’intermédiaire de quelqu’un d’autre, avec le président de la République [ou], personnellement ou par l’intermédiaire de quelqu’un d’autre, avec le président du Parlement. Dans ce dernier cas, il a essayé de faire en sorte que le Parlement ne rende pas une décision sur la levée de son immunité parlementaire de façon rapide, en prétextant vouloir suspendre son mandat.

[9] On pourra dire que la détention provisoire n’empêche pas que d’autres, notamment ceux qui sont indiqués ci-dessus, poursuivent leurs manœuvres dans le but de perturber les investigations, en allant « donner des claques » [« à porrada para cima deles »] ou en faisant en sorte que d’autres fassent pression sur les magistrats, ou encore qu’ils soulèvent des doutes, notamment au sein de la population, générant ainsi un sentiment d’insécurité ou d’inquiétude publique (intranquilidade pública), notamment par rapport aux institutions de la Justice. Toutefois, ce qui est certain et indéniable, c’est que l’accusé a été et est de connivence par rapport à tout cela et qu’il y a participé, alors qu’il était en liberté ; (...) au final, quelle intention avait l’accusé si ce n’est de perturber l’enquête, [dès lors que], dans la transcription no 78 de la cible 21379, A.C. affirme avoir parlé avec le Procureur général de la République, à la demande de l’accusé Paulo Pedroso, pour que l’on intervienne auprès du procureur en charge de cette enquête afin que la demande de levée de l’immunité ne soit pas introduite devant le Parlement ?

[10] À notre avis, cette perturbation de l’enquête, comme nous l’avons déjà dit, présente des conséquences non seulement au niveau intraprocédural mais encore au niveau extraprocédural étant donné que, en se prévalant d’une position sociale, l’accusé, personnellement ou par l’intermédiaire d’autres personnes ou institutions, a généré la confusion et le discrédit sur les institutions de l’État et en leur sein.

[11] D’après nous, les risques figurant aux alinéas b) et c) de l’article 204 du CPP existent et la mesure proposée par la défense ne prévient pas de tels risques vu que les contacts se poursuivent, sachant que nombre d’entre eux se font par voie téléphonique. En allant plus loin, nous pourrions même dire que ces risques ne sont pas totalement évités avec la détention provisoire, étant donné que cette mesure ne peut être cumulée avec une autre, à l’exception du contrôle judiciaire ; le tribunal ne peut ainsi empêcher les contacts tels que définis par les règlements des prisons.

(...)

[12] Au vu de ce qui a été exposé, ce tribunal estime que seule la détention provisoire de l’accusé est adéquate, suffisante et proportionnée aux besoins du dossier d’enquête en termes de précaution (necessidades cautelares) et à la peine prévue. Je décide donc qu’elle soit appliquée (...)

(...) »

5.  La demande d’accès à des pièces du dossier d’enquête et le recours contre le placement en détention provisoire.

21.  Le 26 mai 2003, le requérant demanda au juge d’instruction une copie des preuves à sa charge figurant dans le dossier, notamment des documents suivants :

-  la photographie qui avait permis son identification par les victimes ;

-  différentes pages spécifiques du dossier de l’enquête comprenant les dépositions et les éléments qui avaient permis d’étayer les soupçons considérés comme plausibles formulés à son encontre ;

-  les rapports relatifs aux examens médicaux ;

-  la demande qu’il avait adressée au Procureur général de la République le 12 mai 2003 dans laquelle il indiquait avoir appris que son nom figurait dans le dossier d’enquête, souhaiter connaître le nom de ses accusateurs afin de pouvoir engager contre eux des poursuites pour diffamation, et se montrer disposé à être entendu ;

-  les transcriptions des conversations téléphoniques qui avaient fondé l’ordonnance de placement en détention provisoire ;

-  son agenda de l’année 2003, saisi au moment de son arrestation.

22.  Le même jour, le juge d’instruction fit partiellement droit à la demande du requérant, autorisant que fussent remises à ce dernier une copie des pièces que lui-même considérait comme indispensables à sa défense, à savoir la photographie ayant permis son identification par les victimes, la demande adressée au Procureur général de la République le 12 mai 2003 et les transcriptions de certaines des conversations téléphoniques ayant fondé l’ordonnance de détention provisoire.

23.  En revanche il rejeta la demande du requérant quant aux autres éléments pour les motifs suivants :

-  s’agissant de l’agenda, parce que cet élément n’avait pas fondé le placement en détention provisoire ;

-  en ce qui concernait les rapports relatifs aux examens médicaux, parce qu’ils comportaient des informations confidentielles et que les victimes étaient particulièrement vulnérables ;

-  pour ce qui était des pages du dossier réclamées, parce qu’elles étaient couvertes par le segredo de justiça[3] et que leur communication amènerait à révéler des moyens de preuve, alors que l’intéressé avait nié tous les faits au moment de son audition.

24.  Le 29 mai 2003, le Parlement approuva à l’unanimité la suspension du mandat du requérant.

25.  Le 12 juin 2003, le requérant attaqua la décision ordonnant sa mise en détention provisoire devant la cour d’appel de Lisbonne. Invoquant, entre autres, l’article 5 §§ 2 et 4 de la Convention, il alléguait ne pas connaître les raisons de son placement en détention au motif qu’il n’avait pas eu accès aux éléments de preuve retenus contre lui. Il contestait en outre l’existence d’indices solides, relevée à son encontre, de crimes d’abus sexuels sur mineurs : à cet égard, il remettait en question les deux dépositions à charge qui figuraient dans l’ordonnance annexée à la demande visant la levée de son immunité parlementaire (paragraphe 14 ci-dessus), et il dénonçait notamment son identification en ce qu’elle aurait été faite à partir d’une photographie en l’absence d’une parade d’identification. Par ailleurs, il soutenait qu’il avait démontré vouloir collaborer avec les autorités judiciaires aux fins d’un traitement rapide de l’affaire, précisant qu’il avait notamment demandé la suspension de son mandat de député, et que, par conséquent, il n’y avait pas non plus de risque de perturbation de l’enquête ou de la tranquillité publique. En conclusion, il estimait que la mesure de détention provisoire était disproportionnée.

26.  Également le 12 juin 2003, le requérant interjeta aussi appel, devant la cour d’appel de Lisbonne, contre l’ordonnance par laquelle il s’était vu refuser l’accès à certaines pièces du dossier.

Par une ordonnance du même jour, le juge d’instruction joignit cet appel à celui introduit contre la mise en détention provisoire et transmit les deux recours à la cour d’appel de Lisbonne.

6.  Le maintien en détention provisoire

27.  À une date non précisée, le TIC de Lisbonne demanda au requérant de s’exprimer sur son maintien en détention provisoire, ce que l’intéressé fit en présentant des arguments en faveur de la levée de cette mesure.

28.  Par une ordonnance du 15 juillet 2003, le juge d’instruction décida de maintenir la mesure de détention provisoire. Il estimait que les arguments présentés par le requérant n’étaient plus pertinents étant donné qu’ils concernaient des éléments de fait connus à la date de l’application de la détention provisoire et qu’ils avaient déjà été avancés dans le cadre du recours devant la cour d’appel de Lisbonne. Le juge soulignait ensuite que les éléments recueillis ultérieurement renforçaient les éléments de fait et de droit qui avaient déterminé l’application de la mesure en question, à savoir le risque de perturbation de l’enquête et les soupçons existant à l’encontre du requérant. Le juge se référait à plusieurs pièces du dossier, notamment des procès-verbaux des auditions d’hommes politiques et de victimes réalisées dans le cadre de l’enquête entre le 18 juin 2003 et le 3 juillet 2003, ainsi que des extraits de nouvelles écoutes téléphoniques.

Dans sa décision, le juge d’instruction ordonnait que celle-ci fût communiquée à la cour d’appel de Lisbonne, devant laquelle le recours contre le placement en détention provisoire était pendant.

29.  Par une décision du 17 juillet 2003, la cour d’appel de Lisbonne prononça un non-lieu à statuer (extinção da instância por inutilidade superviniente da lide) s’agissant du recours introduit par le requérant le 12 juin 2003 contre son placement en détention provisoire. Elle estimait que, eu égard à l’ordonnance du 15 juillet 2003 portant maintien de l’intéressé en détention provisoire, les raisons ayant motivé ledit placement avaient changé.

30.  À la suite d’un recours formé par le requérant, le Tribunal constitutionnel annula cette décision par un arrêt du 24 septembre 2003, et l’examen du recours contre le placement en détention préventive fut repris par la cour d’appel.

31.  Le 18 juillet 2003, le requérant demanda une copie des éléments qui avaient fondé le maintien de la détention provisoire, à savoir notamment les pages du dossier contenant les dépositions des victimes, les rapports des examens médicaux et les transcriptions de différentes écoutes téléphoniques, dont toutes celles dont la communication lui avait été refusée par le juge d’instruction dans son ordonnance du 26 mai 2003.

32.  Par une ordonnance du 21 juillet 2003, le juge d’instruction rejeta la demande du requérant en ce qu’elle concernait les dépositions des victimes et les rapports des examens médicaux pour les mêmes raisons que celles exposées dans son ordonnance précédente à ce sujet, au motif qu’aucun fait postérieur ne pouvait justifier une décision différente. En revanche, il fit droit à cette demande en ce qu’elle concernait une partie des transcriptions des nouvelles écoutes téléphoniques.

33.  Le 1er août 2003, le requérant attaqua l’ordonnance du juge d’instruction ayant décidé son maintien en détention provisoire devant la cour d’appel de Lisbonne. Entre autres, il contestait :

-  le refus du juge de lui donner accès à certains éléments du dossier, estimant que celui-ci portait atteinte à son droit de se défendre ;

-  l’existence d’un risque de perturbation de l’enquête et de récidive ;

-  le caractère adéquat et proportionné de son maintien en détention provisoire. Le requérant réclamait par conséquent l’application d’une mesure de contrainte moins grave.

7.  La remise en liberté du requérant

34.  Le 8 octobre 2003, par deux voix contre une, la cour d’appel de Lisbonne rendit sa décision relativement au recours exercé le 1er août 2003 par le requérant contre son maintien en détention provisoire.

35.  Tout d’abord, la cour d’appel procéda à une analyse critique des dépositions faites par six victimes et/ou témoins qui avaient été entendus jusque-là dans le cadre de l’enquête. À cet égard, elle considéra notamment, sans remettre en question les abus sexuels subis par les victimes, que les dépositions de celles-ci et des témoins n’apparaissaient pas comme cohérentes et, pour certaines, présentaient des contradictions, concluant par rapport à chaque témoin comme suit :

« (...)

Dépositions du premier témoin (né en 1985) : (...) nous ne pouvons que considérer que ces déclarations, en ce qui concerne l’accusé, n’ont aucune valeur.

(...)

Dépositions du deuxième témoin (né en 1986) : (...) la façon dont ont été faites les identifications, ce que nous verrons plus loin, le fait qu’il ait uniquement indiqué une des photographies (la plus petite et la moins claire) et les contradictions que nous avons signalées fragilisent la valeur de ces déclarations (...).

Dépositions du troisième témoin (né en 1984) : (...) ce que [le témoin] raconte à propos du requérant (...) reste, au niveau des indices, très fragile.

(...)

Dépositions du cinquième témoin (né en 1981) : (...) son caractère invraisemblable, para rapport à l’accusé (...) est tellement évident qu’il ne mérite pas d’être retenu.

(...) »

36.  La cour d’appel jugea qu’à supposer même que les témoignages fussent crédibles, il n’était pas possible de déduire des éléments de preuve figurant dans le dossier que le requérant avait commis les cinq crimes d’agressions sexuelles et les dix crimes de viols sur mineurs qui lui étaient reprochés. Elle releva également qu’aucune des victimes n’avait porté plainte pour les crimes en cause, et le ministère public n’avait pas présenté une copie d’une quelconque ordonnance décidant de l’ouverture de l’enquête dans l’intérêt des victimes sur le fondement de l’article 178 § 4 du CP.

37.  S’agissant de la méthode de reconnaissance (reconhecimento), la cour d’appel de Lisbonne s’exprima comme suit :

« (...) il s’agit de toute évidence d’un moyen de preuve très délicat. C’est pourquoi le législateur portugais l’a entourée d’autant de précautions (articles 147 à 149 [du CPP]), le paragraphe 4 de l’article 147 disposant que "l’identification qui ne respecte pas ce qui est prévu dans le présent article n’a pas de valeur comme moyen de preuve".

Ceci ne veut pas dire, néanmoins, que les méthodes de reconnaissances à partir de photographies soient d’après nous illicites (...).

Au contraire, nous estimons qu’il s’agit d’une mesure policière d’enquête valide pour identifier le possible auteur d’un crime, même si elle présente une nature subsidiaire, avec des résultats encore plus douteux. Pour valoir comme moyen de preuve, [une telle méthode] doit toutefois être suivie par une reconnaissance personnelle, effectuée conformément à [la procédure] prévue dans le Code de procédure pénale.

Partant, les indications [ayant été données] par les témoins, à elles seules, ne peuvent avoir "valeur comme moyen de preuve".

Cependant, même si aucune de ces objections ne se posait, une telle valeur serait fragilisée par la manière dont ont été faites les reconnaissances à partir d’un seul "album" où les photos avaient le même numéro (cet album contient 84 photos, de tailles et de formes différentes, le requérant et une autre personne étant les seuls qui apparaissent dans différentes photos), sachant que l’accusé a toujours été reconnu à partir de la photo la plus petite et la moins claire ([la photo] no 8). Si un des témoins a dit que [son agresseur] était un homme politique, il aurait fallu au minimum placer la photographie de l’accusé à côté d’autres photographies, de même dimension et format, de personnalités publiques avec un autre type d’activité.

(...) »

38.  À propos des indices qui existaient à l’encontre du requérant, la cour d’appel s’exprima comme suit :

« Il ressort de ce qui a été dit qu’il est clairement évident que les indices ayant été recueillis sont clairement insuffisants pour imputer à l’accuser la commission d’un quelconque crime concret. Ceci suffirait pour annuler la détention provisoire lui ayant été appliquée et ordonner sa libération immédiate (article 27 § 3 alinéa b) de la Constitution et articles 202 § 1 alinéa a) et 212 § 1 alinéa a) du code de procédure pénale).

(...) »

39.  De plus, la cour d’appel souligna qu’aucun élément du dossier ne permettait d’étayer la thèse du risque de perturbation de l’enquête, au sens de l’article 204 b) du CPP. Sur ce point, elle s’exprima comme suit :

« (...) ([un tel] risque se rapporte clairement et uniquement à la preuve, la mesure [de contrainte] appliquée visant ainsi éviter la manipulation des moyens de preuve disponibles (...)

Pour pouvoir fonder l’application d’une mesure de contrainte (...) il faut pouvoir indiquer de façon précise les circonstances, objectives et subjectives qui rendent particulièrement probable "une intervention visant influencer les sources de la preuve".

Il ne s’agit pas d’empêcher l’exercice légitime du droit à la preuve du côté de la défense, autrement dit, de rechercher des moyens de preuve pour attaquer la prétention punitive de l’État (...)

Par conséquent, nous ne parvenons pas à déceler en l’espèce un risque d’une telle nature, lorsque l’accusé, bénéficiaire d’une immunité, a lui-même immédiatement marqué son accord à la levée de son immunité parlementaire et s’était même montré prêt à « suspendre » son mandat de député pour pouvoir répondre [devant les autorités judiciaires] sans avoir à passer par la levée de son immunité parlementaire. Le fait pour le requérant d’avoir cherché à limiter les répercussions négatives de l’enquête, au niveau de l’opinion publique, notamment pour son parti dont il était le porte-parole, était parfaitement compréhensible d’un point de vue politique. Ceci n’a aucun rapport avec les finalités des mesures de contraintes.

(...) »

40.  Pour ce qui est des écoutes téléphoniques, la Cour d’appel releva ce qui suit :

« (...)

Nous ne parvenons pas non plus à déceler un quelconque danger à partir des conversations entretenues par des tiers, notamment celles ayant été transcrites dans l’ordonnance qui demandait la levée de l’immunité parlementaire et celle indiquée dans la décision ici attaquée (transcription no 1892 de la cible 21379 (...)) ou une autre quelconque, toutes inoffensives.

Nous ne voyons pas non plus comment les dépositions faites par A.C. (pages 6076 à 6081 du dossier), M.F. (pages 6082 à 6088 du dossier) et S.A. (pages 6303 à 6306 du dossier) démontrent une quelconque perturbation de l’enquête.

À supposer même que des tiers, avec la connivence du requérant, eussent cherché à perturber l’enquête, à lui seul, ce risque ne justifiait pas l’application de la détention provisoire. Une telle mesure de contrainte doit être conforme aux exigences préventives que l’affaire requiert (article 193 § 1 [du CPP]). Or, l’application de la détention provisoire n’empêcherait pas les tiers de poursuivre leur comportement.

(...) »

41.  Quant au risque de trouble à l’ordre et à la tranquillité publics, la cour d’appel estima qu’il se rapportait nécessairement à un comportement futur de l’accusé, et non pas à un comportement passé et à la réaction de la communauté à cet égard. En l’espèce, elle considéra qu’aucun élément du dossier ne démontrait que le comportement futur du requérant pouvait remettre en cause la paix publique.

42.  Par conséquent, annulant l’ordonnance du TIC de Lisbonne du 15 juillet 2003, la cour d’appel ordonna la mise en liberté immédiate du requérant et le placement sous contrôle judiciaire (termo de identidade e residência) de ce dernier.

43.  Par une ordonnance du 22 novembre 2003, tenant compte de l’arrêt adopté relativement au maintien en détention provisoire du requérant, qui avait donné lieu à la libération de ce dernier, la cour d’appel de Lisbonne prononça un non-lieu à statuer s’agissant du recours formé par l’intéressé contre son placement initial en détention provisoire.

8.  Les développements postérieurs à la procédure pénale

a)  Le classement sans suite de l’affaire prononcé à l’égard du requérant

44.  Par une ordonnance du 29 décembre 2003, le parquet présenta ses réquisitions à l’encontre du requérant et de neuf autres personnes poursuivies pour abus sexuels sur mineurs, inculpant le requérant de vingt‑trois crimes d’abus sexuels sur mineurs commis sur les personnes de N.C., I.M., L.M. et L.N.

45.  Le requérant fit appel de cette ordonnance devant le TIC de Lisbonne, demandant l’ouverture de l’instruction (contrôle judiciaire de l’enquête) sur le fondement de l’article 286 du CPP. Il dénonçait son identification par les victimes des abus en ce qu’il aurait été reconnu à partir de la photocopie d’une photographie de très mauvaise qualité, et il mettait en cause les témoignages de celles-ci à son égard au motif de l’existence de plusieurs incohérences.

46.  Par une ordonnance du 31 mai 2004, le TIC de Lisbonne annula la décision du parquet pour autant qu’elle concernait l’accusation formulée à l’encontre du requérant, prononçant ainsi un non-renvoi en jugement (despacho de não pronúncia) en faveur de l’intéressé. Dans sa décision, le tribunal estimait que la question qui se posait n’était pas de savoir si les victimes avaient ou non subi des agressions et abus à caractère sexuel – cela ayant clairement été prouvé par les expertises médicales réalisées –, mais plutôt de déterminer si elles ne s’étaient pas trompées dans l’identification de leurs agresseurs. Il considérait que la méthode d’identification (reconhecimento) du requérant, qui avait été faite au moyen d’une photographie en noir et blanc de petit format, était contestable. En outre, il observait qu’elle n’était pas étayée par les témoignages à charge, précisant que ceux-ci présentaient des incohérences. De plus, il trouvait curieux qu’aucune des victimes n’eût signalé certaines caractéristiques physiques du requérant, notamment une hypertrophie de la poitrine ou le port d’un appareil dentaire, au moment des faits. Il en déduisait que l’identification du requérant soulevait des doutes fondés et sérieux et, par conséquent, que les victimes en cause s’étaient trompées sur ce point.

47.  Le parquet et les assistentes[4] attaquèrent cette ordonnance devant la cour d’appel de Lisbonne, critiquant l’appréciation des preuves qui avait été faite par le TIC, ainsi que l’absence de référence aux enregistrements téléphoniques qui figuraient dans le dossier et étayaient l’accusation.

48.  Par un arrêt du 9 novembre 2005, la cour d’appel rejeta le recours, confirmant le non-renvoi du requérant en jugement. Elle relevait que les enregistrements téléphoniques figurant dans le dossier ne contenaient aucun élément utile s’agissant des faits qui étaient imputés au requérant. Elle considérait ensuite que les indices existants révélaient des ambiguïtés, des inconsistances et des incohérences, et qu’ils n’étaient pas suffisants pour décider le renvoi du requérant en jugement, voire même pour justifier que le parquet eût ouvert une enquête à l’encontre de l’intéressé. Sur ce point, elle se référait en particulier aux témoignages à charge de L.M., L.N., N.C. et d’autres témoins. Considérant les doutes soulevés dans l’ordonnance du TIC comme valables, la cour d’appel confirmait qu’une condamnation du requérant au terme d’un procès était, dès lors, peu probable et qu’il n’y avait donc pas lieu de renvoyer celui-ci en jugement.

b)  Le recours en annulation pour violation des règles de distribution des dossiers

49.  À une date non précisée, un des accusés dans le cadre de la procédure saisit la cour d’appel de Lisbonne d’un recours en annulation contre l’ordonnance du 7 janvier 2003 du juge de la cinquième chambre A du TIC de Lisbonne, qui avait renvoyé le dossier au juge de la première chambre du même tribunal. Il arguait que l’ordonnance en cause avait non seulement enfreint l’article 209-A § 1 du code de procédure civile, mais aussi le « principe du juge naturel et du juge légal », inscrit dans l’article 32 § 9 de la Constitution, et que, par conséquent, tous les actes ayant été réalisés au cours de l’enquête par le juge d’instruction de la première chambre du TIC devaient être déclarés nuls.

50.  La cour d’appel de Lisbonne rendit son arrêt le 17 mars 2004. Elle considéra tout d’abord qu’il n’y avait pas eu violation du « principe du juge naturel ou légalement compétent » étant donné que les actes en cause avaient bien été décidés par un juge d’instruction, et ce conformément aux articles 17 et 269 du CPP. Elle rappela aussi que les règles de distribution n’étaient pas absolues en matière pénale, le CPP prévoyant des exceptions, par exemple dans le cas des actes urgents. Cela étant, elle reconnut que l’ordonnance litigieuse avait méconnu l’article 72 § 1 de la loi no 3/99 sur l’organisation judiciaire puisque la réaffectation des dossiers revenait au juge de permanence (juiz de turno), ce qui emportait aussi une incompétence « de type fonctionnel ». La cour d’appel s’exprima ainsi :

« (...) L’affaire lui ayant été en l’occurrence distribuée, s’il avait des doutes ou n’était pas d’accord, le juge de la cinquième chambre A du tribunal d’instruction criminelle aurait dû en discuter avec ce juge [le juge de permanence], qui était légalement compétent pour [trancher la question], et non pas « réaffecter » l’affaire, comme il l’a fait.

(...)

Outre la nullité découlant de la « réaffectation » faite par le juge de la cinquième chambre A du tribunal d’instruction criminelle de Lisbonne (...), nous nous trouvons, comme nous l’avons aussi dit, devant une incompétence, de type fonctionnel, provoquée par le juge en cause en la matière.

(...) »

La cour d’appel déclara l’ordonnance attaquée nulle, et, par conséquent, elle ordonna le renvoi de la question de l’application des articles 33 et 122 §§ 2 et 3 du CPP au tribunal compétent. Étant donné que le procès était en cours devant le tribunal de Lisbonne en ce qui concernait les accusés qui avaient été renvoyés en jugement, la question échut à cette juridiction.

51.  Par une ordonnance du 13 décembre 2004, la huitième chambre du tribunal de Lisbonne jugea qu’il n’y avait pas lieu d’annuler les actes judiciaires qui avaient été décidés par le juge d’instruction de la première chambre du TIC de Lisbonne dans le cadre de l’enquête. Invoquant le principe de l’économie de la procédure, il justifiait sa décision en exposant qu’une grande partie de ces actes, notamment les décisions ordonnant l’application des mesures de contrainte, avaient été attaqués devant la cour d’appel et que, un deuxième contrôle sur la validité de ces actes ayant ainsi eu lieu, comme l’exigeait l’article 33 § 3 du CPP, ceux-ci devaient ainsi être tenus pour validés. Quant aux autres actes, il indiquait qu’ils devaient être considérés comme valables étant donné qu’ils n’avaient pas été attaqués par les accusés.

52.  Saisie en appel par les accusés, la cour d’appel de Lisbonne confirma la décision du tribunal de Lisbonne par un arrêt du 23 février 2012.

53.  Par ailleurs, certains des accusés saisirent le Tribunal constitutionnel d’une exception d’inconstitutionnalité de l’interprétation qui avait été faite des articles 17, 33, 268 et 269 du CPP pour reconnaître la compétence de la juridiction de jugement pour se prononcer quant à la validité des décisions rendues par le juge d’instruction au cours de l’enquête pénale.

54.  Par un arrêt du 7 février 2013, le Tribunal constitutionnel rejeta ce recours, estimant, quant à la question de la validation des actes du juge d’instruction déclaré incompétent d’un point de vue fonctionnel, ce qui suit :

« (...)

La juridiction de jugement (Tribunal de julgamento) ne prononce aucune décision et ne réalise aucun acte d’enquête ou d’instruction ; elle ne se prononce pas non plus sur la validité substantielle des décisions prises dans ces phases de procédure. Elle se limite (...) à dire quels sont les effets à retirer de la déclaration d’incompétence du juge d’instruction, quant à la validité ou l’invalidité des actes décidés par [celui-ci] au cours de l’enquête, afin d’évaluer leur compatibilité formelle avec les attributions du juge compétent, sans entrer dans l’appréciation des questions sur le fond sous‑jacentes à ces actes.

(...)

Les droits de la défense de l’accusé n’exigent pas que le tribunal, procédant à l’évaluation des actes déclarés nuls, fasse une réappréciation de ces derniers en termes substantiels, offrant ainsi à l’accusé une nouvelle occasion de faire appel sur le fond de la question, étant donné qu’une telle occasion lui a déjà été donnée lorsque les actes en cause ont été décidés.

(...)

Les accusés (...) ont eu l’occasion de réagir (comme ils l’ont fait d’ailleurs) par rapport aux décisions rendues par le juge d’instruction (...) quant aux mesures de contrainte appliquées consécutivement à la détention. La Constitution n’exige pas que l’on procède à une analyse substantielle des décisions qui les ont appliquées, les mesures de contrainte ayant en l’occurrence cessé et l’affaire étant en cours de jugement. »

B.  La procédure en indemnisation pour détention illégale (procédure interne no 5715/04.1TVLSB)

55.  Le 6 octobre 2004, le requérant forma une action en responsabilité civile contre l’État devant le tribunal de Lisbonne pour détention illégale sur le fondement de l’article 225 §§ 1 et 2 du CPP. Il réclamait 500 000 euros (EUR) et 98 474, 90 EUR, respectivement au titre du préjudice moral et du préjudice matériel qu’il disait avoir subis en raison de sa détention pendant une période de cent trente-sept jours dans le cadre de l’enquête pénale ouverte à son encontre.

À l’appui de ses dires, il soulevait, entre autres, les moyens suivants, d’ordre procédural :

-  une incompétence du juge d’instruction ayant appliqué la mesure de détention provisoire. Il se référait à cet égard à l’arrêt de la cour d’appel de Lisbonne du 17 mars 2004 (paragraphe 50 ci-dessus), précisant que celle‑ci avait reconnu l’existence d’une violation de la règle de la distribution « aléatoire » des dossiers au sein du TIC de Lisbonne ;

-  une irrégularité de l’enquête ouverte contre lui au motif que les poursuites pour abus sexuels sur mineurs dépendaient de la formulation d’une plainte par les victimes et qu’en l’occurrence celles-ci n’avaient pas présenté pareille plainte ;

-  une absence de communication sur les faits ayant fondé l’application de la mesure de détention provisoire au motif que les autorités avaient refusé de lui transmettre une copie des éléments de preuve figurant dans le dossier, laquelle copie lui aurait notamment permis de préparer son recours contre sa détention provisoire.

Le requérant soulevait également les moyens suivants, d’ordre substantiel :

-  une inexistence de faits à même de convaincre un observateur objectif qu’il avait commis les crimes pour lesquels il était poursuivi ;

-  une absence d’éléments démontrant un risque de perturbation de l’enquête ou un risque de trouble à l’ordre et à la tranquillité publics, au sens de l’article 204 b) et c) du CPP.

1.  Le jugement du tribunal de Lisbonne

56.  Par un jugement du 22 août 2008, le tribunal de Lisbonne fit partiellement droit à l’action du requérant, estimant que les décisions du TIC de Lisbonne ordonnant et confirmant le maintien en détention provisoire litigieux étaient fondées sur une erreur grossière (erro grosseiro) dans l’appréciation des éléments de fait, notamment s’agissant des témoignages des victimes, comme la cour d’appel de Lisbonne l’avait reconnu dans son arrêt du 8 octobre 2003. En plus de relever une absence d’indices solides à l’encontre du requérant, il considérait que rien n’indiquait qu’il existait un risque de perturbation de l’enquête, ou de l’ordre ou de la tranquillité publics. Le tribunal condamna ainsi l’État à verser au requérant, au titre des dommages subis par ce dernier en raison de sa privation de liberté, 100 000 EUR pour le préjudice moral et 31 133,26 EUR pour le préjudice matériel.

57.  Le requérant et l’État interjetèrent appel du jugement devant la cour d’appel de Lisbonne.

2.  L’arrêt de la cour d’appel de Lisbonne

58.  Par un arrêt du 17 juin 2010, la cour d’appel de Lisbonne fit droit au recours de l’État, annulant le jugement du tribunal de Lisbonne.

59.  Dans sa décision, la cour d’appel observait que, aux fins de l’article 225 § 1 du CPP, pour donner droit à une indemnisation, il ne suffisait pas que la détention provisoire fût illégale : il fallait que l’illégalité fût manifeste, ne laissant aucun doute, au vu de son caractère évident et clair. La cour d’appel relevait que, en l’espèce, à supposer même que le ministère public n’eût pas qualité pour agir, étant donné l’absence de plainte par les victimes, cet élément ne pouvait aboutir à qualifier la détention provisoire de manifestement illégale.

60.  La cour d’appel estimait par ailleurs que, même s’il avait annulé la mesure de détention provisoire appliquée en raison de l’insuffisance des indices existant contre le requérant ou de l’absence de risques de perturbation de l’enquête et de trouble à l’ordre et à la tranquillité publics, l’arrêt du 8 octobre 2003 n’avait pas la force de chose jugée « matérielle », l’appréciation du caractère grossier de l’erreur aux fins de l’article 225 § 2 du CPP devant être réalisée en tenant compte des faits, éléments et circonstances au moment de l’application de la détention provisoire.

En outre, elle considérait que les éléments du dossier indiquaient bien, d’une part, qu’il existait des indices solides que le requérant avait commis les crimes pour lesquels il était poursuivi et, d’autre part, qu’il y avait un risque de perturbation de l’enquête et de l’ordre public, eu égard notamment à l’impact provoqué généralement sur le public par les crimes d’abus sexuels sur mineurs. Sur ces derniers points, elle s’exprimait comme suit :

« (...) il ressort du dossier, notamment de l’ordonnance ayant déterminé la détention provisoire, que des personnes tierces, à la demande de A. [l’accusé], ont mené des démarches auprès d’institutions (judiciaires et policières) ou de personnes socialement bien placées, pouvant mettre en danger l’enquête et générer un sentiment d’insécurité et d’inquiétude publiques, avec des conséquences au niveau de la preuve.

En réalité, ce sentiment d’insécurité et d’inquiétude aurait tendance à se refléter en particulier sur les témoins ayant été victimes des abus sexuels faisant l’objet de l’enquête. Ceux-ci auraient pu perdre confiance, se rétracter ou même arrêter de collaborer à l’administration de la justice, ce qui pourrait causer une perte irréparable [en termes] de preuve [et porter] préjudice à la découverte de la vérité – article 204 b) du CPP. En outre, on ne peut ignorer, ceci ressort du dossier, notamment des dépositions et des examens médicolégaux, que ces témoins sont traumatisés, perturbés et méfiants.

Par ailleurs, il est connu que les crimes d’abus sexuels sur mineurs provoquent toujours un fort sentiment de répulsion et de réprobation au sein de la société, ce qui est aggravé lorsque les victimes sont particulièrement vulnérables.

(...) »

La cour d’appel concluait que la détention provisoire du requérant n’était pas manifestement illégale et qu’elle ne reposait pas non plus sur une erreur grossière, au sens de l’article 225 §§ 1 et 2 CPP.

61.  À une date non précisée, le requérant se pourvut en cassation devant la Cour suprême, alléguant une violation de l’article 5 §§ 1, 2 et 5 de la Convention.

3.  L’arrêt de la Cour suprême

62.  Par un arrêt du 22 mars 2011, la Cour suprême rejeta le pourvoi du requérant.

D’un point de vue général, elle considérait ce qui suit :

-  aux fins de l’article 225 § 1 du CPP, il ne suffisait pas que la détention fût illégale ; il fallait qu’elle le fût de façon manifeste, c’est-à-dire que l’illégalité devait être évidente d’un point de vue objectif. Autrement dit, il fallait pouvoir constater de façon claire que, dans la situation donnée, concrètement, il ne serait pas possible d’appliquer la mesure de détention provisoire étant donné qu’une telle mesure de contrainte ne serait jamais appliquée par rapport au crime en cause ; la loi opérait donc une distinction entre détention provisoire illégale et détention provisoire manifestement illégale, la première fondant le droit à un recours ou à une demande en habeas corpus et la deuxième justifiant une demande d’indemnisation ;

-  les juges disposaient d’un pouvoir discrétionnaire dans leur choix d’appliquer ou non une mesure de détention provisoire ; cette liberté avait néanmoins des limites, lesquelles se reflétaient dans la notion d’illégalité manifeste ou notoire ;

-  l’article 225 § 2 du CPP s’appliquait si la détention provisoire était fondée sur une erreur grossière, notoire, c’est-à-dire impardonnable. Ce type d’erreur ne pouvait concerner que les faits puisque cette disposition ne s’appliquait qu’aux situations d’emprisonnement régulières. En suivant cette analyse, l’acquittement ou le non-renvoi en jugement ne pouvaient être considérés comme pertinents ;

-  la conformité de l’article 225 §§ 1 et 2 du CPP à la Constitution, prise notamment en ses articles 22 et 27, avait été réaffirmée à plusieurs reprises par le Tribunal constitutionnel (notamment par les arrêts no 160/95 du 15 mars 1995, no 12/2005 du 12 janvier 2005, no 13/2005 du 13 janvier 2005, et no 185/2010 du 12 mai 2010). Celui-ci avait également jugé que l’article 5 § 5 de la Convention n’ajoutait rien par rapport à ce qui était prévu par l’article 27 de la Constitution.

63.  Dans l’analyse de l’espèce, la Cour suprême relevait ce qui suit :

-  la détention provisoire en cause avait été appliquée par un juge au motif qu’il existait des indices forts quant à la commission d’abus sexuels sur mineurs, ce crime étant puni d’une peine maximale d’emprisonnement supérieure à trois ans ;

-  l’arrêt de la cour d’appel de Lisbonne du 17 mars 2004 avait déclaré la nullité de l’ordonnance du juge de la cinquième chambre A du TIC de Lisbonne au motif qu’il y avait eu violation des règles de distribution des dossiers de procédures pénales ; le juge de la première chambre du TIC n’était donc pas compétent pour décider les actes d’instruction dans le cadre de l’enquête. Il aurait pu être exigé que l’application de la mesure de détention provisoire fût confirmée ou infirmée par un autre juge. Cela étant, cette considération était sans conséquence dans le cas du requérant étant donné que celui-ci avait été libéré le 8 octobre 2013. Cette situation particulière sortait donc du champ de l’article 225 § 1 du CPP et ne permettait pas de revenir sur les effets de la détention provisoire appliquée ;

-  au moment de son audition par le juge d’instruction du TIC de Lisbonne, le requérant avait connaissance du contenu de l’ordonnance du 20 mai 2003 dans son intégralité (paragraphe 14 ci-dessus) ; il était possible que la non-communication au requérant des faits concrets relatifs à la reconnaissance des lieux par les victimes et aux examens médicaux (notamment examens de l’appareil génital et autres de celles-ci) ayant été réalisés eût pu porter atteinte aux droits de la défense et au respect du contradictoire. Ce type d’illégalité n’était néanmoins pas évident, notoire ou manifeste comme l’exige l’article 225 § 1 du CPP ;

-  conformément aux articles 113 § 6 et 178 § 4 du code pénal, le parquet avait bien qualité pour engager des poursuites pénales, étant donné l’intérêt des victimes concernées, âgées de moins de seize ans au moment des faits. En l’occurrence, par une ordonnance du 23 décembre 2003, le parquet avait expressément reconnu sa qualité à agir eu égard à l’intérêt des victimes. Il n’y avait donc pas à ce sujet d’illégalité manifeste au sens de l’article 225 § 1 du CPP aux fins d’une réparation.

64.  La Cour suprême poursuivait son analyse afin de déterminer si une erreur grossière avait été commise au sens de l’article 225 § 2 du CPP. À ce titre, elle soulignait d’abord l’importance qu’il convenait d’accorder aux témoignages apportés par les victimes des crimes d’abus sexuels sur mineurs, ces infractions étant généralement commises « dans le silence et dans l’ombre ». Elle relevait ensuite, s’agissant de l’espèce, ce qui suit :

-  au moment du placement du requérant en détention provisoire, il existait des indices solides que celui-ci avait commis des crimes d’abus sexuels sur mineurs, eu égard aux déclarations faites par trois victimes, à savoir L.M., L.N. et P.L., qui avaient donné une description détaillée des événements et des lieux où les sévices avaient été infligés, et qui, pour certaines, avaient reconnu le requérant à partir de la photographie qui figurait dans le dossier. Par conséquent, il n’y avait donc pas eu une erreur imprudente dans l’appréciation des éléments de fait par le juge d’instruction au moment du placement ou du maintien de l’intéressé en détention provisoire ;

-  des tiers étaient intervenus auprès d’institutions (judiciaires ou politiques), à la demande du requérant, ce qui pouvait constituer un risque de perturbation de l’enquête pouvant avoir des conséquences sur les victimes ;

-  les crimes d’abus sexuels sur mineurs provoquaient toujours un vif émoi dans la société ; il existait donc bien un risque de trouble à l’ordre et à la tranquillité publics. Il n’y avait donc pas eu non plus d’erreurs grossières sur ces deux points ;

-  il avait été considéré comme établi que le requérant avait reçu des lettres anonymes comportant des menaces, ce qui lui avait fait craindre de perdre la vie.

65.  La Cour suprême concluait que la détention provisoire du requérant était la seule mesure de contrainte à même d’éloigner le risque de perturbation de l’enquête, par l’intermédiaire ou avec la connivence de l’intéressé, et qu’elle était proportionnée à la gravité des faits et aux peines encourues.

II.  LE DROIT EUROPÉEN PERTINENT

66.  Dans sa Recommandation no R (91) 11 sur l’exploitation sexuelle, la pornographie, la prostitution ainsi que sur le trafic d’enfants et de jeunes adultes (adoptée le 9 septembre 1991), le Comité des Ministres a recommandé aux gouvernements des États membres, entre autres, en matière de procédure pénale, de :

« (...)

13.  assurer tout au long des procédures judiciaires et administratives le caractère confidentiel des dossiers et le droit au respect de la vie privée des enfants et des jeunes adultes victimes d’exploitation sexuelle en évitant, notamment, la divulgation de toute information pouvant conduire à leur identification ;

(...) »

67.  Dans sa Recommandation Rec (2001) 16 sur la protection des enfants contre l’exploitation sexuelle (adoptée le 31 octobre 2001), le Comité des Ministres a recommandé, parmi d’autres mesures, aux gouvernements des États membres de :

« 32.  Veiller à ce que, tout au long des procédures judiciaires, de médiation et administratives, soient garantis la confidentialité des dossiers et le droit au respect de la vie privée des enfants qui ont été victimes d’exploitation sexuelle. »

68.  La Convention sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels (dite Convention de Lanzarote), adoptée par le Comité des Ministres le 12 juillet 2007 et entrée en vigueur le 1er juillet 2010, a été ratifiée par le Portugal le 23 août 2012. En ce qui concerne les enquêtes, les poursuites et le droit procédural, l’article 31 de cette convention dispose ce qui suit :

« 1.  Chaque Partie prend les mesures législatives ou autres nécessaires pour protéger les droits et les intérêts des victimes, notamment en tant que témoins, à tous les stades des enquêtes et procédures pénales, en particulier :

(...)

e,  en protégeant leur vie privée, leur identité et leur image et en prenant des mesures conformes au droit interne pour prévenir la diffusion publique de toute information pouvant conduire à leur identification ;

(...) »

III.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  La Constitution

69.  Les dispositions pertinentes en l’espèce de la Constitution portugaise se lisent comme suit :

Article 22
La responsabilité des entités publiques

« L’État et les autres entités publiques sont civilement responsables, conjointement avec les membres de leurs organes et leurs fonctionnaires ou agents, de toutes les actions ou omissions commises par ceux-ci dans l’exercice ou à cause de l’exercice de leurs fonctions et dont il résulte des violations des droits, libertés et garanties ou un préjudice pour autrui. »

Article 27
Le droit à la liberté et à la sécurité

« 1.  Toute personne a droit à la liberté et à la sécurité.

2.  Nul ne peut être totalement ou partiellement privé de liberté, si ce n’est en conséquence d’une condamnation pour la commission d’un acte puni par la loi d’une peine d’emprisonnement ou de l’application d’une mesure de sûreté.

3.  La privation de liberté, pour la durée et dans les conditions prévues par la loi, fait exception à ce principe, dans les cas suivants :

(...)

b) arrestation ou détention préventive en raison de graves présomptions de la commission d’un crime avec dol puni d’une peine d’emprisonnement supérieure à trois ans ;

(...)

4.  Toute personne privée de la liberté est immédiatement informée, de façon compréhensible, non seulement des raisons de son incarcération ou de son arrestation, mais aussi de ses droits.

5.  Toute privation de liberté contraire à la loi ou à la Constitution oblige l’État à une réparation envers celui qui a subi le préjudice, dans les conditions prévues par la loi. »

Article 32
Les garanties attachées à la procédure pénale

« (...)

9.  Aucune cause ne peut être retirée au tribunal compétent en vertu d’une loi antérieure.

(...) »

B.  Le code de procédure pénale

70.  Au moment des faits, les dispositions pertinentes en l’espèce du CPP (décret-loi no 78/87 du 17 février 1987 dans sa rédaction issue du décret-loi no 320 C/2000 du 15 décembre 2000) se lisaient comme suit :

Article 17
Compétence du juge d’instruction

« Il est de la compétence du juge d’instruction de procéder à l’instruction, de décider le renvoi en jugement (pronúncia) et d’exercer toutes les fonctions juridictionnelles jusqu’à ce que l’affaire soit transmise aux fins de jugement, conformément à ce qui est prescrit dans ce code. »

Article 33
Effet de la déclaration d’incompétence

« 1.  Une fois l’incompétence du tribunal déclarée, l’affaire est renvoyée devant [le tribunal] qui est compétent afin qu’il annule tous les actes qui n’auraient pas été décidés si la procédure s’était déroulée devant lui. [Celui-ci] ordonne aussi la répétition de tous les actes nécessaires à la connaissance de la cause.

(...)

3.  Les mesures de contrainte (...) ordonnées par le tribunal déclaré incompétent maintiennent leurs effets même après la déclaration d’incompétence, mais elles doivent, dans le plus bref délai, être confirmées ou infirmées par le tribunal compétent.

(...) »

Article 86
Publicité de la procédure et segredo de justiça

« 1.  La procédure pénale est, sous peine de nullité, publique à partir de la décision relative à l’instruction (decisão instrutória) ou, si celle-ci n’a pas lieu, à partir du moment où elle ne peut plus être demandée (...).

2.  La publicité de la procédure implique (...) le droit de :

(...)

c)  consulter le dossier et obtenir des copies, des extraits et des copies certifiées conformes de toute partie de celui-ci.

3.  La publicité n’inclut pas les données relatives à la vie privée qui ne constituent pas des moyens de preuve. (...)

(...)

5.  L’autorité judiciaire qui dirige la phase procédurale en cause peut [autoriser] ou ordonner que des personnes déterminées prennent connaissance du contenu d’un acte ou d’un document couvert par le segredo de justiça, si cela est jugé nécessaire à l’éclaircissement de la vérité.

(...)

7.  L’autorité judiciaire peut autoriser que soit délivrée une copie certifiée conforme [d’un acte ou d’un document couvert par le segredo de justiça par laquelle il est donné] connaissance [de son] contenu, si cela est jugé nécessaire dans le cadre d’une procédure de nature pénale ou à l’instruction d’une procédure disciplinaire publique, ou à une demande d’indemnisation civile.

(...) »

Article 89
Consultation du dossier et obtention de copies conformes par
des intervenants dans le cadre de la procédure (sujeitos processuais)

« 1.  Outre l’entité qui dirige l’enquête, le ministère public et ceux qui interviennent en qualité d’auxiliaires, l’accusé et les parties civiles peuvent accéder au dossier, pour consultation (...), et obtenir des copies, des extraits et des copies certifiées conformes avec une autorisation donnée par une ordonnance ou [en l’absence de pareille ordonnance], afin de préparer l’accusation et la défense dans les délais établis par la loi.

2.  Si, toutefois, le ministère public n’a toujours pas présenté ses réquisitions, l’accusé, l’assistente, si la procédure pénale ne dépend pas d’une accusation privée, et les parties civiles peuvent uniquement avoir accès au dossier relativement à leurs déclarations, requêtes et mémoires, ainsi qu’à des démarches visant l’obtention de preuves auxquelles ils pouvaient participer ou à des questions incidentes dans le cadre desquelles ils pouvaient intervenir, sans préjuger de ce qui est prévu à l’article 86 § 5. (...)

(...) »

Article 122
Effets de la déclaration de nullité

« 1.  Les nullités rendent invalides l’acte dans lequel elles sont vérifiées, ainsi que [les actes] qui dépendent de celui-ci et qu’elles peuvent toucher.

2.  La déclaration de nullité détermine quels actes deviennent invalides et ordonne, si cela est nécessaire et possible, qu’ils soient répétés (...).

3.  Lorsqu’il déclare la nullité, le juge conserve tous les actes pouvant encore être préservés de l’effet de la nullité. »

Article 147
Identification des personnes

« 1.  Lorsqu’il se révèle nécessaire d’identifier un individu, quiconque devant procéder à son identification est prié de le décrire en indiquant tous les détails dont il se souvient. Ensuite, il convient de demander à la personne qui procède à l’identification si elle a vu l’individu à identifier auparavant et [, si oui,] dans quel contexte. Enfin, il convient d’interroger [la personne qui procède à l’identification] sur toutes les circonstances susceptibles de nuire à sa crédibilité.

2.  Si l’identification n’aboutit pas, la personne qui doit procéder à celle-ci est [provisoirement] écartée et deux personnes présentant des ressemblances physiques avec l’individu à identifier, y compris par leur tenue, sont convoquées. L’individu à identifier est placé aux côtés de [celles-ci] et il doit se présenter de la façon dont il aurait été vu par la personne qui doit procéder à l’identification. Celle-ci est alors convoquée et il lui est demandé si elle reconnaît l’un des individus présents et, dans l’affirmative, lequel.

3.  S’il existe des raisons de craindre que la personne appelée à procéder à l’identification subisse des pressions ou soit perturbée par la réalisation de celle-ci, la parade d’identification devra si possible être effectuée, lorsqu’elle n’a pas lieu au cours de l’audience, sans que cette personne soit vue par le suspect.

4.  L’identification qui ne respecte pas ce qui est prévu dans le présent article n’a pas de valeur comme moyen de preuve. »

Article 200
Interdiction et imposition de conduites

« 1.  S’il existe de forts indices d’un crime commis avec dol puni par une peine pouvant aller jusqu’à trois ans, le juge peut imposer à l’accuser, de façon cumulative ou séparée, les obligations suivantes :

(...)

d) Ne pas prendre contact, par un quelconque moyen, avec certaines personnes ou ne pas fréquenter certains lieux (...) ;

(...) »

Article 202
Détention provisoire (prisão preventiva)

« 1.  (...) le juge peut imposer à l’accusé (arguido) la détention provisoire lorsque :

a)  il existe des indices solides de la commission d’un crime avec dol puni d’une peine d’emprisonnement supérieure à trois ans ;

(...) »

Article 204
Conditions générales [d’application de la détention provisoire]

« 1.  Aucune mesure de contrainte (medida de coacção) (...) ne peut être appliquée si les conditions suivantes ne sont pas concrètement vérifiées :

(...)

b) risque de perturbation de l’enquête ou de l’instruction de la procédure et, notamment, risque pour la collecte, la conservation et la véracité de la preuve ; ou

c) risque, en raison de la nature et des circonstances du crime ou de la personnalité de l’accusé, de trouble à l’ordre et à la tranquillité publics (...). »

Article 219
Recours

« Sans préjudice de ce qui indiqué aux articles suivants, la décision qui applique ou maintient les mesures [de contrainte] (...) peut être attaquée par la voie d’un recours, [lequel doit être tranché] dans un délai maximum de trente jours, à partir du moment où le dossier de procédure est reçu. »

Article 225
Modalités

« 1.  Quiconque a subi une arrestation ou une détention provisoire manifestement illégales peut demander, devant le tribunal compétent, une indemnisation pour les dommages subis en raison de la privation de liberté.

2.  Ce qui est prévu à l’alinéa précédent s’applique à quiconque a subi une détention provisoire qui n’est pas illégale mais qui se révèle être injustifiée en raison d’une erreur grossière (erro grosseiro) dans l’appréciation des éléments de fait desquels elle dépendait. (...) »

Article 268
Actes de la compétence du juge d’instruction

« 1.  Au cours de l’enquête, il est de la compétence exclusive du juge d’instruction de :

a) procéder au premier interrogatoire judiciaire d’un accusé détenu ;

b) procéder à l’application d’une mesure de contrainte ou de garantie patrimoniale (...) ;

(...)

2.  Le juge accomplit les actes indiqués au paragraphe précédent, à la demande du ministère public, de l’autorité de police criminelle en cas d’urgence ou risque de retard, de l’accusé ou de l’assistente.

(...) »

Article 269
Actes devant être ordonnés ou autorisés par le juge d’instruction

« 1.  Au cours de l’enquête, il est de la compétence exclusive du juge d’instruction d’ordonner ou d’autoriser :

a) la réalisation d’expertises (...) ;

b) la réalisation d’examens (...) ;

c) les perquisitions à domicile conformément à l’article 177 et dans les limites [de cet article] ;

d) la saisie de la correspondance, conformément à l’article 179 § 1 ;

e) l’interception, l’enregistrement ou la transcription de conversations ou de communications, conformément aux articles 187 et 189 ;

f) la réalisation de tout acte dont la loi prévoit qu’il dépend de l’ordre ou de l’autorisation du juge d’instruction.

(...) »

Article 286
Finalité et champ de l’instruction

« 1.  L’instruction vise le contrôle judiciaire de la décision d’inculper (acusar) ou de classer une enquête sans suite (arquivar) dans le but de renvoyer ou non la cause en jugement.

2.  L’instruction est facultative.

(...) »

C.  Le code pénal

71.  Au moment des faits, les dispositions pertinentes en l’espèce du code pénal (décret-loi no 48/95 du 15 mars 1995 dans sa rédaction issue de la loi no 99/2001 du 25 août 2001) se lisaient comme suit :

Article 113 § 6
Titulaires du droit de porter plainte

« Quand la procédure pénale dépend de la présentation d’une plainte, le parquet (Ministério Público) peut, dans les cas prévus par la loi, ouvrir une procédure si l’intérêt de la victime l’exige. »

Article 172
Abus sexuels sur mineurs

« 1.  Quiconque pratique un acte sexuel significatif (acto sexual de relevo) avec ou sur un mineur âgé de moins de quatorze ans, ou amène celui-ci à en pratiquer un avec lui ou autrui, est puni d’une peine d’emprisonnement allant de un à huit ans.

2.  En cas de pénétration vaginale, anale ou orale sur un mineur âgé de moins de quatorze ans, son auteur (agente) est puni d’une peine d’emprisonnement allant de trois à dix ans. »

Article 178 § 4
Plainte

« (...) quand les crimes prévus au paragraphe 1 ont été commis sur un mineur âgé de moins de seize ans, le ministère public peut ouvrir une procédure si l’intérêt de la victime l’impose. »

D.  Sur la distribution des affaires

72.  Au moment des faits, l’article 209-A § 1 du code de procédure civile (décret-loi 329-A/95 du 12 décembre 1995 dans sa rédaction issue du décret-loi 180/96 du 25 septembre 1996) se lisait ainsi :

« Si le tribunal dispose d’un système informatique, les opérations de distribution et d’enregistrement (...) sont traitées de façon automatique, ce qui garantira le même degré de hasard (aleatoriedade) dans le résultat et d’égalité dans la distribution au sein du service. »

73.  Au moment des faits, l’organisation des tribunaux judiciaires était régie par la loi no 3/99 du 13 janvier 1999, dont l’article 72 se lisait ainsi :

« 1.  Au sein des tribunaux composés de plus d’une chambre (juízo), un juge de permanence préside à la distribution et décide de toute question y afférente.

2.  (...) les permanences sont bimensuelles et démarrent le 1er ou le 16 de chaque mois, en suivant dans l’ordre les numéros attribués aux chambres, et [en suivant], au sein de chacune, l’ordre d’ancienneté. »

E.  La jurisprudence interne

74.  Dans un autre arrêt du 12 janvier 2005 (arrêt no 13/2005), le Tribunal constitutionnel a jugé ce qui suit :

« (...) l’article 5 § 5 de la Convention consacre le droit à une réparation lorsque l’emprisonnement ou l’arrestation sont contraires aux dispositions prévues dans cet article. Parmi ces dispositions, il est notamment prévu la possibilité d’ordonner une détention s’il existe des soupçons raisonnables de croire que la personne en cause a commis une infraction ou risque de fuir après l’avoir commise. La Constitution se réfère quant à elle à la privation de liberté en contravention avec ce qui est prévu dans la Constitution et dans la loi. L’article 27 § 1 b) [de la Constitution] prévoit la possibilité d’appliquer une mesure de détention provisoire en cas d’indices forts [quant à l’existence] de « crime[s] commis avec dol puni[s] d’une peine d’emprisonnement supérieure à trois ans ». Or les deux textes se limitent, du moins de façon expresse, à imposer la réparation en cas d’absence de justification formelle pour la privation de liberté (contraire aux dispositions de la Convention, de la Constitution ou de la loi) (...). Ainsi, nous pouvons en déduire (...) que la disposition de la Convention n’apporte rien par rapport à ce qui est déjà prévu dans la Constitution (cela vaut également par rapport à l’article 9 § 5 du Pacte international des droits civils et politiques) (...)

(...)

La conclusion relative à l’exigence d’une erreur grossière (erro grosseiro) et d’un préjudice qualifié pour obtenir une indemnisation n’est pas non plus contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

(...)

Force est de conclure ainsi que l’article 225 § 2 du code de procédure pénale ne viole pas l’article 27 § 5 de la Constitution en exigeant qu’une erreur grossière soit vérifiée aux fins de l’obtention d’une indemnisation en raison d’une détention provisoire qui, n’étant pas illégale, apparaît par la suite comme non justifiée. »

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

75.  Invoquant les articles 5 §§ 1 c) et 3 de la Convention, le requérant allègue qu’il a été privé de sa liberté malgré l’absence de soupçons plausibles d’infractions à son encontre et de motifs pertinents et suffisants. Il se plaint aussi que les autorités internes n’aient pas envisagé de mesures alternatives à la détention provisoire. Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (Scoppola c. Italie (no 2) [GC], no 10249/03, § 54, 17 septembre 2009), la Cour estime qu’il convient d’examiner ces griefs sous le seul angle de l’article 5 § 1 c), ainsi libellé en ses parties pertinentes :

« 1.  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(...)

c)  s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction (...) »

A.  Sur la recevabilité

76.  Constatant que ces griefs ne sont manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.

B.  Sur le fond

1.  Les thèses des parties

a)  Le requérant

77.  Le requérant dénonce le caractère arbitraire de sa détention. Il affirme que le ministère public n’avait pas qualité pour ouvrir l’enquête menée à son sujet au motif que les victimes n’ont pas formulé de plainte au pénal pour les crimes en cause. Il soutient aussi qu’il a été placé et maintenu en détention provisoire par un juge d’instruction incompétent d’un point de vue fonctionnel. À cet égard, se référant à l’arrêt de la cour d’appel de Lisbonne du 17 mars 2004, il indique que, après avoir constaté une violation des règles de distribution des dossiers au sein du TIC de Lisbonne, cette cour a ordonné la validation des actes décidés par le juge d’instruction en application de l’article 33 du CPP. Il expose que cette décision n’a cependant eu aucune incidence dans son cas concret en raison de sa libération, intervenue en exécution de l’arrêt prononcé par la même cour d’appel le 8 octobre 2003.

78.  Le requérant plaide ensuite l’absence de soupçons plausibles quant à la commission des crimes qui lui étaient reprochés D’après lui, sa détention provisoire n’était en outre pas fondée sur des motifs suffisants et pertinents. Il conteste l’existence d’un risque grave d’entrave à la justice et de trouble à l’ordre public, et il dénonce son identification par les victimes en ce qu’elle aurait été faite à partir de la photocopie d’une photographie en noir et blanc de mauvaise qualité. À cet égard, il s’appuit sur l’arrêt de la cour d’appel de Lisbonne du 8 octobre 2003 et sur l’ordonnance de non-renvoi en jugement du 31 mai 2004, précisant que celle-ci a considéré que les dépositions présentées par les victimes étaient contradictoires et que ces dernières s’étaient trompées dans son identification.

79.  Pour finir, le requérant se plaint que des mesures alternatives à la détention provisoire, permettant d’éviter celle-ci, n’aient pas été recherchées. Par conséquent, il estime que cette mesure n’était ni adéquate ni proportionnée aux fins recherchées, puisque, selon lui, une mesure moins contraignante aurait pu être appliquée, comme par exemple l’assignation à résidence avec interdiction de prendre contact avec certaines personnes, respectivement prévues à l’article 200 § 1 d) du CPP. Il indique que le juge d’instruction a lui-même admis dans son ordonnance du 22 mai 2003 que la détention provisoire ne permettrait pas de protéger complètement les intérêts en cause.

b)  Le Gouvernement

80.  Le Gouvernement reconnaît, en se référant à l’arrêt rendu par la cour d’appel de Lisbonne le 17 mars 2004, que la distribution de l’affaire au juge d’instruction de la première chambre du TIC de Lisbonne, décidée par l’ordonnance du 7 janvier 2003 du juge d’instruction de la cinquième chambre A du même tribunal, était sans fondement légal. D’après lui, le juge d’instruction en question n’en demeurait pas moins compétent tant d’un point de vue matériel que fonctionnel. Autrement dit, pour le Gouvernement, en raison de la dévolution au juge d’instruction des fonctions juridictionnelles dans le cadre de toute enquête pénale, ce magistrat était bien compétent pour ordonner l’application et le maintien de la détention provisoire du requérant.

81.  Pour ce qui est des conséquences juridiques de l’arrêt de la cour d’appel de Lisbonne du 17 mars 2004, le Gouvernement expose ce qui suit : par une ordonnance du 13 décembre 2004, faisant exécution de cet arrêt, le tribunal de Lisbonne a décidé, entre autres, que les mesures de contrainte qui avaient été décidées par le juge d’instruction déclaré incompétent devaient être considérées comme validées au motif qu’elles avaient fait l’objet de plusieurs recours et, ainsi, d’un contrôle effectif allant jusqu’à un examen du fond des questions. Le Gouvernement ajoute que, en l’occurrence, la détention provisoire appliquée au requérant a fait l’objet de recours et que ceux-ci ont d’ailleurs conduit à la libération de l’intéressé.

82.  S’agissant des raisons de la détention provisoire, le Gouvernement dit que celle-ci a été ordonnée sur la base d’éléments faisant état, au moment des faits, de l’existence d’indices solides quant à la commission par le requérant d’abus sexuels sur mineurs, reposant sur des témoignages apportés par les victimes. Il précise que ces dernières avaient identifié l’intéressé en donnant son nom et sa profession, et également en le reconnaissant à partir de sa photo. Il ajoute qu’il existait en outre un risque grave de perturbation de l’enquête, ainsi qu’un risque de trouble à l’ordre public. À ce sujet, il indique que des écoutes téléphoniques avaient montré que, à la demande du requérant, ou avec sa connivence des tiers avaient saisi des représentants de hautes institutions ou occupant une place importante dans la société pour obtenir des informations au sujet de l’enquête. Il déclare à cet égard qu’il s’imposait de garantir la confiance des victimes en les autorités judiciaires, afin d’éviter, de leur part, une rétractation ou une fin de collaboration avec ces dernières, ce qui aurait porté préjudice à la découverte de la vérité et à l’administration de la justice.

83.  Pour ce qui est des solutions alternatives à la détention provisoire, le Gouvernement est d’avis que celle-ci était apparue, au moment des faits, comme la mesure de contrainte la plus adéquate et qu’elle était proportionnée aux circonstances concrètes. Il ajoute que le non-renvoi en jugement du requérant tenait compte d’éléments postérieurs à l’application de la détention provisoire et que, par conséquent, il ne pouvait être pris en considération.

2.  L’appréciation de la Cour

a)  Rappel des principes généraux

84.  L’un des cas de privation de liberté les plus fréquents dans le cadre de la procédure pénale est la détention provisoire. Ce type de détention, prévu à l’alinéa c) de l’article 5 § 1 de la Convention, constitue l’une des exceptions à la règle générale énoncée à l’article 5 § 1, selon laquelle chacun a droit à la liberté (Buzadji c. République de Moldova [GC], no 23755/07, § 85, 5 juillet 2016).

85.  La Cour rappelle qu’en matière de « régularité » d’une détention, la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en observer les normes de fond comme de procédure. Ce terme impose, en premier lieu, que toute arrestation ou détention ait une base légale en droit interne, mais concerne aussi la qualité de la loi ; il la veut compatible avec la prééminence du droit, notion inhérente à l’ensemble des articles de la Convention. De surcroît, toute privation de liberté doit être conforme au but de l’article 5 : protéger l’individu contre l’arbitraire (voir, parmi beaucoup d’autres, Amuur c. France, 25 juin 1996, § 50, Recueil des arrêts et décisions 1996-III).

86.  D’après l’un des principes généraux consacrés par la jurisprudence de la Cour, une détention est « arbitraire » lorsque, même si elle est parfaitement conforme à la législation nationale, il y a eu un élément de mauvaise foi ou de tromperie de la part des autorités (voir, par exemple, Bozano c. France, 18 décembre 1986, § 59, série A no 111) ou lorsque les autorités internes ne se sont pas employées à appliquer correctement la législation pertinente (voir, par exemple, Benham c. Royaume-Uni, 10 juin 1996, § 47, Recueil 1996‑III, Liou c. Russie, no 42086/05, § 82, 6 décembre 2007, et Marturana c. Italie, no 63154/00, § 80, 4 mars 2008).

87.  La Cour rappelle aussi que l’article 5 § 1 c) de la Convention n’autorise à placer une personne en détention que dans le cadre d’une procédure pénale, en vue de la traduire devant l’autorité judiciaire compétente lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis une infraction (Ječius c. Lituanie, no 34578/97, § 50, CEDH 2000‑IX, et Włoch c. Pologne, no 27785/95, § 108, CEDH 2000-XI). La « plausibilité » des soupçons sur lesquels doit se fonder l’arrestation constitue un élément essentiel de la protection offerte par cet article. L’existence de soupçons plausibles présuppose celle de faits ou de renseignements propres à persuader un observateur objectif que l’individu en cause peut avoir commis l’infraction. Ce qui peut passer pour plausible dépend toutefois de l’ensemble des circonstances (Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni, 30 août 1990, § 32, série A no 182, et O’Hara c. Royaume‑Uni [GC], no 37555/97, § 34, CEDH 2001‑X).

88.  Par ailleurs, l’alinéa c) de l’article 5 § 1 de la Convention ne présuppose pas que la police ait rassemblé des preuves suffisantes pour porter des accusations au moment de l’arrestation. L’objet d’un interrogatoire pendant une détention au titre de cet alinéa est de compléter l’enquête pénale en confirmant ou en écartant les soupçons concrets fondant l’arrestation. Ainsi, les faits donnant naissance à des soupçons ne doivent pas être du même niveau que ceux qui sont nécessaires pour justifier une condamnation ou même pour porter une accusation, ce qui intervient dans la phase suivante de la procédure de l’enquête pénale (Murray c. Royaume‑Uni, 28 octobre 1994, § 55, série A no 300-A).

89.  La Cour rappelle que la persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention, mais qu’au bout d’un certain temps elle ne suffit plus. La Cour doit alors établir, 1) si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté, et 2), lorsque ces motifs se révèlent « pertinents » et « suffisants », si les autorités nationales ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (mutatis mutandis, Idalov c. Russie [GC], no 5826/03, § 140, 22 mai 2012). L’obligation pour le magistrat d’avancer des motifs pertinents et suffisants à l’appui de la privation de liberté – outre la persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis une infraction – s’applique dès la première décision ordonnant le placement en détention provisoire, c’est-à-dire « aussitôt » après l’arrestation (Buzadji, précité, § 102).

90.  Pour finir, la Cour rappelle que la privation de liberté est une mesure si grave qu’elle ne se justifie que lorsque d’autres mesures, moins sévères, ont été considérées et jugées insuffisantes pour sauvegarder l’intérêt personnel ou public exigeant la détention (Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 143, CEDH 2012).

b)  L’application de ces principes à la présente espèce

i.  Sur la régularité de la détention

91.  En l’espèce, la Cour constate que l’arrestation du requérant était fondée sur un mandat d’arrêt délivré par un juge d’instruction à la demande du parquet (paragraphe 14 ci-dessus). En l’occurrence, celui-ci avait engagé les poursuites pénales en cause dans l’intérêt des victimes, âgées de moins de seize ans, conformément aux articles 113 § 6 et 178 § 4 du code pénal (paragraphe 71 ci-dessus). Le requérant était poursuivi pour crimes d’abus sexuels sur mineurs et encourait une peine d’emprisonnement qui pouvait aller jusqu’à huit, voire dix ans (paragraphes 15 et 70 ci-dessus). Or, d’après l’article 202 du CPP, en vigueur au moment des faits, une détention provisoire pouvait être ordonnée pour tout crime puni d’une peine d’emprisonnement supérieure à trois ans (paragraphe 70 ci-dessus). La Cour en déduit que le placement du requérant en détention provisoire était bien prévu par la loi.

92.  Il est apparu au cours de la procédure pénale que l’attribution du dossier d’enquête au juge d’instruction de la première chambre du TIC de Lisbonne était entachée de nullité au motif qu’il y avait eu violation des règles de distribution des dossiers, à savoir l’article 72 de la loi no 3/99 du 13 janvier 1999 et l’article 209-A du code de procédure civile (paragraphes 11 et 50 ci-dessus). Le requérant est d’avis que cet élément rend son placement en détention irrégulier.

93.  La Cour accepte que le juge d’instruction en cause a été chargé de l’affaire d’une façon qui allait effectivement à l’encontre de la règle de la distribution « aléatoire » des dossiers, ayant pour but de garantir, outre un « même degré de hasard dans le résultat », une répartition égalitaire des tâches au sein d’un tribunal. Pour autant, à ses yeux, ce magistrat n’en demeurait pas moins une autorité judiciaire compétente, au sens de l’article 5 § 1 c) de la Convention, habilité par la loi pour ordonner la détention provisoire ou l’élargissement en l’absence de raisons justifiant la détention en cause en tenant compte du caractère « bien-fondé » ou non de la détention (à cet égard, voir, mutatis mutandis, Medvedyev et autres c. France [GC], no 3394/03, §§ 123-125, CEDH 2010 et références qui y sont citées). À ce sujet, la Cour note en effet que les articles 202 et 268 du CPP, tels qu’en vigueur au moment des faits, disposaient que, au cours d’une enquête pénale, la détention provisoire ne pouvait être ordonnée que par une autorité judiciaire, plus précisément par un juge d’instruction (paragraphe 70 ci‑dessus). En outre que, selon l’article 33 § 3 du CPP, les mesures préventives, y compris la détention provisoire, décidées par un juge déclaré incompétent demeuraient valables, même après la déclaration d’incompétence (paragraphe 70 ci-dessus). Aussi, à plus forte raison, la validité de pareilles mesures ne saurait-elle être entachée par un vice affectant la distribution des dossiers.

94.  Au demeurant, la Cour souligne que le manque d’indépendance ou d’impartialité du juge d’instruction n’a jamais été soulevé par le requérant ni établi au niveau interne, aucun acte de mauvaise foi ou de tromperie n’étant par ailleurs à relever en l’espèce. Partant, elle est d’avis que le vice dans la distribution du dossier de l’affaire ne peut s’analyser en une « irrégularité grave et manifeste », au sens exceptionnel indiqué dans sa jurisprudence, ayant emporté irrégularité de la détention en cause (voir notamment Liou, précité, § 81, Marturana, précité, § 79, et Mooren c. Allemagne [GC], no 11364/03, § 75, 9 juillet 2009).

ii.  Sur l’existence de soupçons plausibles d’infractions à l’encontre du requérant et de motifs pertinents et suffisants justifiant la privation de sa liberté

95.  La Cour constate que le requérant a été arrêté dans le cadre d’une enquête portant sur un réseau pédophile au Portugal et que les soupçons retenus à son encontre reposaient sur les dépositions faites par des enfants ayant subi des sévices sexuels (paragraphes 14 et 20 ci-dessus). Le juge d’instruction a en outre estimé, tant au moment du placement qu’au moment du maintien en détention provisoire du requérant, qu’il existait un risque de perturbation sérieuse de l’enquête auquel s’ajoutait un risque de trouble à l’ordre public, au sens de l’article 204 § 1 b) et c) du CPP (paragraphes 20, alinéas [8] à [10], et 28 ci-dessus).

α)  Au moment du placement en détention provisoire

96.  La Cour relève que, le 12 juin 2003, le requérant a contesté son placement en détention provisoire devant la cour d’appel de Lisbonne. Or, le 17 juillet 2003, celle-ci a jugé qu’il n’y avait pas lieu à statuer compte tenu de la décision du juge d’instruction ordonnant, entretemps, son maintien en détention provisoire (paragraphe 29 ci-dessus). La Cour constate qu’il a fallu un recours formé par le requérant devant le Tribunal constitutionnel pour que la cour d’appel accepte de reprendre l’examen du recours contre son placement initial en détention provisoire. Malgré tout, ce recours n’a jamais abouti à une décision sur le fond (paragraphe 43 ci-dessus) ce qui a, indéniablement, eu pour conséquence de prolonger de façon artificielle la détention provisoire du requérant, sans possibilité de la contester.

97.  La cour d’appel de Lisbonne n’a pas connu la substance du recours introduit par le requérant le 12 juin 2003, en dépit de la demande expresse du Tribunal constitutionnel en ce sens (paragraphe 30 ci-dessus). Au vu de l’omission de la cour d’appel, la Cour ne se prononcera pas sur l’existence de motifs plausibles à l’encontre du requérant au moment de son placement en détention provisoire.

β)  Au moment du maintien en détention provisoire

98.  La Cour constate que le requérant a introduit, le 1er août 2003, un nouveau recours contre l’ordonnance du juge d’instruction ayant décidé de le maintenir en détention provisoire (paragraphe  33 ci-dessus). C’est sur ce recours que, le 8 octobre 2003, la cour d’appel de Lisbonne a rendu un arrêt sur le bien-fondé du maintien en détention provisoire.

99.  En l’occurrence, la cour d’appel a considéré :

-  que les dépositions de certaines victimes présentaient des contradictions, des fragilités et des incohérences (paragraphe 35 ci-dessus).

-  que les indices à l’encontre du requérant étaient « clairement insuffisants » (paragraphe 38 ci-dessus) et

-  que la reconnaissance du requérant par les victimes aurait dû être suivie par une « identification personnelle » pour valoir comme moyen de preuve (paragraphes 35 et 37 ci-dessus).

100.  Quant aux risques invoqués pour justifier la privation de liberté, elle a estimé que les démarches effectuées par le requérant auprès d’autorités publiques démontraient une volonté de collaborer et que rien n’empêchait, en outre, un accusé de chercher à obtenir des informations dans le but de se défendre (paragraphe 39 ci-dessus). Elle a aussi considéré que le risque de trouble à l’ordre public était nécessairement en lien avec un comportement futur du requérant et qu’aucun élément du dossier ne prouvait que ce dernier pouvait remettre en cause la paix publique (paragraphe 41 ci-dessus).

101.  Pour sa part, la Cour relève que les victimes avaient été soumises à des examens médicaux, qui avaient permis de conclure qu’ils présentaient des séquelles physiques propres à des abus de nature sexuelle (paragraphe 20, alinéas [3] et [5], ci-dessus). Si le requérant ne remet pas en cause ces éléments, il critique l’utilisation par la police judiciaire, aux fins de son identification en tant qu’auteur des sévices dénoncés, d’une photographie en noir et blanc de mauvaise qualité.

102.  Sur ce point, la Cour constate que, au cours de l’enquête, aucune parade d’identification n’a été réalisée aux fins de l’identification de l’intéressé. Or rien n’empêchait d’organiser une telle parade dans la présente espèce, tout en préservant l’anonymat et la sécurité des victimes, et ce d’autant plus que le juge d’instruction avait lui-même reconnu que la photographie qui avait été utilisée pour identifier le requérant n’était « peut‑être pas la meilleure des photographies » et que l’accusé avait donné une explication « au minimum plausible concernant les [transcriptions d’écoutes téléphoniques] figurant, à cette date, à l’annexe AZ-T [du dossier] » (paragraphe 20, alinéas [4] et [7], ci-dessus). De plus, comme le rappelle à juste titre la cour d’appel de Lisbonne dans son arrêt du 8 octobre 2003, l’identification du requérant à partir d’une photographie aurait dû être suivie par une « identification personnelle » pour valoir comme moyen de preuve (paragraphe 37 ci‑dessus).

103.  Quant aux motifs avancés pour justifier la privation de liberté, la Cour partage l’opinion de la cour d’appel de Lisbonne selon laquelle le risque de trouble grave à l’ordre public se rapportait nécessairement à un comportement futur du requérant de nature à produire un bouleversement sérieux de l’ordre public au niveau national – autrement dit à un éventuel état de récidive –, et non pas à un comportement passé et à la réaction de la communauté à cet égard (paragraphe 41 ci-dessus). En l’occurrence, aucun fait concret ne permet d’étayer la thèse en faveur de la survenance d’un tel risque, les considérations ayant été faites par le juge d’instruction en l’espèce étant purement spéculatives. En outre, le risque de récidive n’avait même pas été évoqué par le ministère public à l’appui de sa demande de placement du requérant en détention provisoire (paragraphe 18 ci-dessus).

104.  Pour ce qui est du risque d’entrave au bon déroulement de l’enquête, il est incontestable que le requérant avait entrepris des démarches pour obtenir des informations sur les soupçons pesant sur lui dans le cadre de l’enquête. Souscrivant aux arguments qui figurent dans l’arrêt de la cour d’appel du 8 octobre 2003, la Cour considère néanmoins que rien n’empêchait le requérant de prendre contact avec les autorités publiques pour prendre connaissance des faits dont il était accusé et pour se défendre à cet égard. En outre, comme l’allègue le requérant et comme le confirme la cour d’appel de Lisbonne, celui-ci était prêt à collaborer avec les autorités judiciaires, puisqu’il s’était mis à la disposition du Procureur général de la République pour être entendu dans le cadre de l’enquête. L’intéressé avait d’ailleurs lui‑même donné son autorisation à la levée de son immunité parlementaire, et il avait aussi fait part de son intention de « suspendre » son mandat de député afin d’être en mesure de répondre devant les autorités judiciaires avant même d’être l’objet d’une telle mesure.

105.  La Cour constate que le juge d’instruction a fait abstraction de ces éléments quand il a considéré comme ayant valeur probatoire la conversation téléphonique tenue par A.C. à propos de la demande de levée de l’immunité parlementaire du requérant (paragraphe 20, alinéa [9], ci‑dessus). À cet égard, elle estime que les extraits de conversations téléphoniques d’un tiers alléguant l’existence d’une connivence d’un requérant sont à prendre avec prudence et qu’il convient de les confronter avec les autres éléments de preuve du dossier portant directement sur la conduite de l’intéressé. Or tel n’a pas été le cas dans la présente espèce, comme la cour d’appel de Lisbonne l’a indiqué dans son arrêt du 8 octobre 2003 (paragraphe 39 ci-dessus).

iii.  Sur la recherche de mesures alternatives à la détention provisoire

106.  En ce qui concerne la recherche de solutions alternatives à la détention provisoire, la Cour observe que, dans son ordonnance du 22 mai 2003 portant placement en détention provisoire, le juge d’instruction a reconnu que la détention provisoire ne prévenait pas entièrement les risques de perturbation de l’enquête et de l’ordre public en question puisque les contacts litigieux avaient eu lieu par voie téléphonique. Pourtant, ce magistrat a considéré que la détention provisoire n’en demeurait pas moins la mesure la plus adéquate et proportionnée aux intérêts en jeu, sans expliquer pourquoi l’assignation à résidence ne répondait pas aux intérêts en cause (paragraphe 20, alinéas [11] et [12], ci-dessus). La Cour note aussi que, dans l’ordonnance du 15 juillet 2003 portant maintien du requérant en détention provisoire, aucune considération n’a été accordée quant à la possible application de mesures alternatives à la détention provisoire (paragraphe 28). À aucun moment, le juge d’instruction n’a expliqué pourquoi l’interdiction de tout contact susceptible de perturber l’enquête, prévue à l’article 200 § 1 d) du CPP, ne pouvait être mise en place. La Cour relève aussi qu’aucune considération n’a été donnée à la situation professionnelle et familiale du requérant dans les deux ordonnances litigieuses.

107.  La Cour en déduit que les autorités judiciaires internes ont omis de prendre en compte la possibilité de mettre en place des mesures alternatives à la détention provisoire et d’expliquer en quoi pareilles mesures auraient pu être mises en œuvre dans la présente espèce et comment elles auraient pu prévenir le risque d’entrave à la justice – ce qui aurait permis d’établir que la détention provisoire avait été décidée en dernier recours.

iv.  Conclusion

108.  En supposant même qu’il existait des soupçons plausibles d’infractions à l’encontre du requérant au moment de son placement en détention provisoire, la Cour relève que la cour d’appel ne s’est jamais prononcé à cet égard puisqu’elle n’a pas statué sur le fond de la question, comme le lui avait d’ailleurs demandé le Tribunal constitutionnel (paragraphes 30 et 43 ci-dessus). En tout état de cause, elle estime qu’au moment où le juge d’instruction a rendu son ordonnance du 15 juillet de 2003, sur le maintien du requérant en détention provisoire, il n’existait pas de soupçons plausibles d’abus sexuels sur mineurs à son encontre étant donné que celui-ci n’avait pas été identifié personnellement et que les motifs invoqués pour justifier la privation de liberté n’étaient pas pertinents et suffisants, comme l’a conclu la cour d’appel par sa décision du 8 octobre 2003. La Cour ne voit pas de raison de s’écarter du jugement de la cour d’appel compétente tranchant de manière définitive sur la question de la remise en liberté du requérant dans le cadre de la procédure pénale ouverte contre lui.

109.  À cela s’ajoute que les autorités judiciaires ont omis de considérer l’application de mesures alternatives à la détention provisoire.

110.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que la détention provisoire litigieuse a contrevenu aux exigences de l’article 5 § 1 de la Convention. Il y a donc eu violation de cette disposition.

II.  Sur la violation alléguée de l’article 5 § 4 de la Convention en raison de l’impossibilitÉ d’accéder à certaines pieces du dossier d’enquête

111.  Le requérant dénonce l’impossibilité d’obtenir une copie de certaines pièces du dossier pour contester de façon effective sa détention provisoire. Il invoque l’article 5 § 4 de la Convention, qui dispose :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

A.  Sur la recevabilité

112.  Constatant que ce grief n’est manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B.  Sur le fond

1.  Les thèses des parties

113.  Le requérant dénonce le refus des autorités judiciaires de lui fournir une copie de certaines pièces du dossier, estimant qu’il a porté atteinte à son droit de se défendre contre la mesure de détention provisoire prise à son encontre. D’après lui, la couverture du dossier d’enquête par le segredo de justiça a porté atteinte aux principes du contradictoire et de l’égalité des armes. Il affirme que, s’il a pu, au cours de son audition du 21 mars 2003, s’expliquer quant au contenu de diverses conversations téléphoniques interceptées, il n’a pas été en mesure de le faire par rapport aux accusations faites par les victimes, au motif qu’il ignorait où, quand et comment les faits qui lui étaient imputés avaient été commis. Or, selon lui, ces informations auraient pu lui être fournies sans forcément impliquer la révélation de l’identité des victimes.

114.  Le Gouvernement réplique que, en refusant de remettre une copie de certaines pièces du dossier au requérant, le juge d’instruction a pesé les intérêts en jeu et a décidé de faire prévaloir ceux de l’enquête et des victimes en tenant compte des pressions extérieures, exercées par les médias ou des tiers, et de l’âge des victimes. Il indique que ces dernières avaient été déclarées comme particulièrement vulnérables par des ordonnances du ministère public des 14 et 31 janvier 2003 et du 29 août 2003, et que deux d’entre elles avaient été éloignées temporairement pour des raisons de sécurité. Sur ce point, il est d’avis que les mesures en question répondaient au paragraphe 13 de la Recommandation no R (91) 11 du Comité des Ministres sur l’exploitation sexuelle, la pornographie, la prostitution ainsi que sur le trafic d’enfants et de jeunes adultes.

115.  Le Gouvernement considère ainsi que les éléments essentiels ont été fournis au requérant, pour permettre à celui-ci de contester efficacement la mesure de détention provisoire dont il faisait l’objet. Il indique par ailleurs que l’intéressé avait connaissance de l’ordonnance contenant des informations précises sur les faits qui lui étaient reprochés.

2.  L’appréciation de la Cour

a)  Rappel des principes généraux

116.  La Cour rappelle qu’une procédure menée au titre de l’article 5 § 4 de la Convention devant la juridiction saisie d’un recours contre une détention doit être contradictoire et garantir l’« égalité des armes » entre les parties, à savoir le procureur et la personne détenue. L’égalité des armes n’est pas assurée si l’avocat se voit refuser l’accès aux pièces du dossier qui revêtent une importance essentielle pour une contestation efficace de la légalité de la détention de son client (Moreen, précité, § 124, avec les références qui y sont citées). En effet, le point de savoir si la privation de liberté est régulière, en d’autres termes s’il existe des raisons plausibles de soupçonner la personne concernée d’avoir commis une infraction, est une question cruciale pour le tribunal appelé à statuer sur la régularité de la détention. C’est aux autorités qu’il incombe de produire devant le tribunal des preuves démontrant l’existence de raisons plausibles de soupçonner l’individu concerné. Celui-ci doit en principe se voir communiquer les preuves en question afin de pouvoir contester les motifs avancés par les autorités (Sher et autres c. Royaume-Uni, no 5201/11, § 148, CEDH 2015 (extraits)).

117.  La Cour rappelle aussi que le caractère secret de la procédure d’instruction peut se justifier par des raisons relatives à la protection de la vie privée des parties au procès et aux intérêts de la justice, au sens de la deuxième phrase de l’article 6 § 1 de la Convention, et que, si cet article peut jouer un rôle avant la saisine du juge du fond, les modalités de son application durant l’instruction dépendent des particularités de la procédure et des circonstances de la cause (voir, entre autres précédents, Ernst et autres c. Belgique, no 33400/96, § 68, 15 juillet 2003).

b)  L’application de ces principes à la présente espèce

118.  En l’espèce, la Cour relève que le dossier d’enquête était couvert par le segredo de justiça, conformément à l’article 86 du CPP (paragraphes 23 et 70 ci-dessus). Elle note que le requérant a reçu la copie de la photographie qui avait permis son identification par les victimes, d’une demande qu’il avait adressée au Procureur général de la République et de transcriptions de conversations téléphoniques. Elle constate aussi que, en revanche, l’intéressé s’est vu refuser à deux reprises l’accès aux dépositions à charge faites par les victimes et aux rapports des expertises médicales auxquelles celles-ci avaient été soumises (paragraphes 23 et 32 ci-dessus). Or ces éléments étaient d’une importance cruciale, étant donné que les soupçons des crimes imputés au requérant reposaient sur eux (paragraphe 20, alinéa [5], ci‑dessus), justifiant l’application de la détention provisoire litigieuse.

119.  La Cour observe que le juge d’instruction a motivé son refus en se fondant sur le segredo de justiça et sur le fait que le requérant avait nié les faits qui lui étaient imputés. Elle note aussi, s’agissant de la copie des rapports des expertises médicales réclamée, que ce magistrat s’est référé en outre au caractère confidentiel des examens et à la situation particulièrement vulnérable des victimes.

120.  La question qui se pose est donc de savoir si les autorités nationales ont ménagé un juste équilibre entre, d’une part, le droit du requérant à pouvoir contester la régularité de sa détention, garanti par l’article 5 § 4 de la Convention, et, d’autre part, l’intérêt de la justice, au sens de la deuxième phrase de l’article 6 § 1 de la Convention, et la protection de la vie privée des victimes garantie par l’article 8 de la Convention.

121.  Dans son arrêt du 22 mars 2011, la Cour suprême a noté qu’il était possible que la non-communication au requérant des faits concrets relatifs à la reconnaissance des lieux par les victimes et aux examens médicaux réalisés sur les victimes eût pu porter atteinte aux droits de la défense du requérant. Elle a néanmoins jugé que ce type d’irrégularité n’était pas évidente, notoire ou manifeste comme l’exige l’article 225 § 1 du CPP (paragraphe 63 ci-dessus).

122.  La Cour reconnaît, quant à elle, que les expertises médicales effectuées sur les victimes, dont le requérant réclamait la copie des rapports, étaient de nature très personnelle et appelaient au plus haut degré de protection sous l’angle de l’article 8 de la Convention. Elle admet également que les dépositions faites par les victimes contenaient des informations relevant de leur vie privée et méritaient une protection sous l’angle de cette même disposition. À cet égard, la Cour renvoie aux recommandations faites par le Comité des Ministres dans le cadre de la Recommandation no R (91) 11 sur l’exploitation sexuelle, la pornographie, la prostitution ainsi que sur le trafic d’enfants et de jeunes adultes, et dans le cadre de la Recommandation Rec (2001) 16 sur la protection des enfants contre l’exploitation sexuelle (paragraphes 66 et 67 ci-dessus). Elle se réfère également à l’article 31 de la Convention de Lanzarote (paragraphe 68 ci-dessus). En l’occurrence, ces textes appellent les gouvernements des États membres à garantir la confidentialité des enquêtes pénales portant sur des abus sexuels commis sur des mineurs et à préserver le droit à la vie privée des victimes.

123.  Si la nature confidentielle des dépositions et des examens médicaux réclamés par le requérant est indéniable, la Cour note en l’espèce, qu’une ordonnance comportant deux dépositions à charge faites par des victimes non identifiées étaient annexées à la demande adressée au président du Parlement visant à la levée de l’immunité parlementaire du requérant (paragraphes 14 et 25 ci‑dessus).

124.  En outre, si la Cour admet que la question soulève un conflit entre deux droits fondamentaux, auxquels s’ajoute la nécessité d’assurer la bonne conduite de l’enquête, elle considère qu’un juste équilibre entre les intérêts en jeu aurait pu être ménagé dans la présente espèce en dissimulant l’identité des victimes et les éléments pouvant amener à leur identification.

125.  La Cour relève d’ailleurs que le juge d’instruction a utilisé cette méthode d’anonymisation dans la demande adressée au président du Parlement, considérant probablement qu’elle était suffisante pour la protection de la vie privée des victimes. Or rien n’empêchait que la même procédure d’anonymisation fût suivie en ce qui concernait les éléments de preuve réclamés par le requérant aux fins de contestation de la régularité de sa détention. La Cour ne voit pas pour quelle raison la procédure d’anonymisation des témoins à charge a pu être utilisée dans l’ordonnance communiquée au président du Parlement, autrement dit dans un document transmis à un tiers à la procédure pénale pendante, et n’a pas pu l’être dans cette même procédure au bénéfice de la défense de l’accusé.

126.  Dans ce contexte, la Cour conclut que, si les motifs invoqués par le juge d’instruction pour justifier son refus de fournir une copie des dépositions des victimes et des rapports des examens médicaux étaient légitimes, ils n’étaient pas suffisants, puisque la compatibilité des intérêts en jeu aurait pu être assurée par d’autres moyens. Elle estime donc que le refus opposé au requérant de lui fournir une copie des documents susmentionnés a méconnu l’exigence d’équité de l’article 5 § 4 de la Convention.

III.  Sur la violation alléguée de l’article 5 § 5 de la Convention

127.  Le requérant se plaint que son droit à obtenir réparation pour l’irrégularité alléguée de sa détention ait été méconnu, en violation de l’article 5 § 5 de la Convention qui se lit comme suit :

« 5.  Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »

A.  Sur la recevabilité

128.  Constatant que ce grief n’est manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B.  Sur le fond

1.  Les thèses des parties

129.  Le requérant se plaint d’avoir vu sa demande en réparation pour détention illégale être rejetée au niveau interne en dépit de :

-  l’arrêt de la cour d’appel de Lisbonne du 17 mars 2004, ayant établi l’existence d’un défaut de compétence du juge d’instruction à l’origine du placement en détention provisoire ;

-  l’arrêt de la cour d’appel de Lisbonne du 8 octobre 2003, ayant conclu à l’absence d’indices quant à la commission par lui des crimes en cause et à la non-vérification des conditions édictées à l’article 204 b) et c) du CPP ;

-  l’ordonnance du 31 mai 2004 du TIC de Lisbonne, portant non-renvoi en jugement ;

-  l’arrêt de la cour d’appel de Lisbonne du 9 novembre 2005, ayant confirmé son non-renvoi en jugement aux motifs que les victimes s’étaient trompées dans l’identification de leurs agresseurs et que les soupçons pesant sur lui n’étaient pas suffisants pour permettre un renvoi en jugement ou même pour justifier l’ouverture d’une enquête par le ministère public ;

-  la circonstance, alléguée par lui, qu’il n’avait pas été informé des crimes concrets qui lui étaient imputés.

130.  Le requérant est d’avis que l’interprétation faite par la Cour suprême, dans son arrêt du 22 mars 2011, selon laquelle, pour pouvoir obtenir une indemnisation aux fins de l’article 225 § 1 et 2 du CPP, la détention devait avoir été manifestement illégale ou relever de l’erreur grossière (erro grosseiro) va à l’encontre de l’article 5 § 5 de la Convention.

131.  Le Gouvernement réitère sa position selon laquelle aucune violation de l’article 5 § 1 de la Convention n’est à relever, et il considère, par conséquent, que l’article 5 § 5 de la Convention n’a pas été enfreint.

132.  Il affirme que le requérant n’aurait pu obtenir une réparation au niveau interne que si la détention avait été manifestement illégale ou fondée sur une erreur grossière, au sens de l’article 225 §§ 1 et 2 du CPP, ce qui selon lui n’était pas le cas en l’espèce. D’après lui, l’article 225 du CPP est conforme aux articles 22 et 27 § 5 de la Constitution et à l’article 5 § 5 de la Convention. En se référant à l’arrêt du Tribunal constitutionnel no 12/2005 du 12 janvier 2005, le Gouvernement estime qu’une procédure pénale qui ne s’est pas terminée par une condamnation ne peut donner lieu à une obligation d’indemniser à la charge de l’État. Il indique que le fait de lier le droit à réparation au caractère manifestement illégal de la détention découle du principe fondamental de l’indépendance de la magistrature, ce qui selon lui donne au juge une marge de liberté pour statuer sur la question.

2.  L’appréciation de la Cour

133.  La Cour rappelle que le paragraphe 5 de l’article 5 de la Convention se trouve respecté dès lors que l’on peut demander réparation du chef d’une privation de liberté opérée dans des conditions contraires aux paragraphes 1, 2, 3 ou 4. Le droit à réparation énoncé au paragraphe 5 suppose donc qu’une violation de l’un de ces autres paragraphes ait été établie par une autorité nationale ou par les institutions de la Convention. À cet égard, la jouissance effective du droit à réparation garanti par cette disposition doit se trouver assurée à un degré suffisant de certitude (Stanev précité, § 182 avec les références qui y sont citées). En outre, pour que la Cour conclue à la violation de l’article 5 § 5 de la Convention, il doit être établi que le constat de violation d’un des autres paragraphes de l’article 5 ne pouvait, avant l’arrêt concerné de la Cour, ni ne peut, après cet arrêt, donner lieu à une demande d’indemnité devant les juridictions nationales (idem, § 184).

134.  En l’espèce, la Cour a conclu à la violation des paragraphes 1 et 4 de l’article 5 de la Convention (paragraphes 110 et 126 ci-dessus) : le paragraphe 5 de cette disposition trouve donc à s’appliquer. La Cour doit maintenant rechercher si l’intéressé a disposé au niveau interne d’un droit sanctionnable à réparation de son préjudice avant le prononcé du présent arrêt, ou s’il disposera d’un tel droit après l’adoption de l’arrêt.

135.  À cet égard, la Cour relève que la demande de réparation introduite au niveau interne par le requérant sur le fondement de l’article 225 du CPP a été rejetée. Si le tribunal de Lisbonne a considéré que le placement et le maintien du requérant reposaient sur une erreur grossière au sens de l’article 225 § 2 du CPP (paragraphe 56 ci-dessus), la cour d’appel de Lisbonne et la Cour suprême n’ont pas suivi la même approche.

136.  La Cour observe en effet que ces juridictions ont écarté la thèse tirée de l’illégalité, au sens de l’article 225 § 1 du CPP, de la détention provisoire du requérant. En outre, lesdites instances ont jugé que la détention litigieuse ne résultait pas d’une erreur grossière (paragraphes 60, 63 et 64 ci-dessus). Elle constate qu’il ne ressort pas de leurs décisions qu’elles se soient livrées à un quelconque examen quant aux solutions alternatives à la détention provisoire et quant à la proportionnalité de cette mesure, qui – la Cour le rappelle – ne doit être appliquée qu’en dernier recours. Quant à l’impossibilité d’accéder à certaines pièces du dossier, même si elle a reconnu que les droits de défense du requérant eussent pu être affectés, la Cour suprême a jugé qu’une telle irrégularité n’était pas évidente, notoire ou manifeste comme l’exige l’article 225 § 1 du CPP (paragraphe 63 ci-dessus).

137.  La Cour ne peut qu’en déduire que les juridictions nationales n’ont pas interprété et appliqué le droit interne dans l’esprit de l’article 5 §§ 1 et 4 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Houtman et Meeus c. Belgique, no 22945/07, § 46, 17 mars 2009, et Boris Popov c. Russie, no 23284/04, § 86, 28 octobre 2010).

138.  Quant à la question de savoir si le prononcé du présent arrêt concluant à la violation des paragraphes 1 et 4 de l’article 5 de la Convention permettra au requérant de demander réparation, la Cour observe que le droit interne ne prévoit pas qu’un tel recours existe, le Gouvernement n’ayant par ailleurs pas fourni d’arguments en ce sens.

139.  Compte tenu de l’interprétation restreinte faite par les juridictions internes amenées à statuer sur la demande de réparation du requérant pour détention illégale, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 5 § 5 de la Convention.

IV.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

140.  Le requérant allègue ne pas avoir été informé des raisons de son arrestation. Il dénonce aussi la durée de sa détention provisoire et du recours exercé devant la cour d’appel de Lisbonne pour dénoncer celle-ci. Il invoque l’article 5 §§ 2, 3 et 4 de la Convention.

141.  S’agissant du grief tiré de l’article 5 § 2 de la Convention, la Cour constate que le procès-verbal de l’audition du requérant par le juge d’instruction du 22 mai 2003, qui porte la signature de l’intéressé, indique que celui-ci avait été informé que les faits qui lui étaient imputés portaient sur des rapports sexuels qu’il aurait eus avec des mineurs de moins de seize ans de l’institution Casa Pia depuis 1998 (paragraphe 15, alinéa [1], ci-dessus). Elle considère dès lors que, non seulement l’information présentée au requérant était complète et suffisante au regard de l’article 5 § 2 de la Convention, mais aussi qu’elle a été fournie « dans le plus court délai », à savoir, en l’occurrence, au moment de la comparution devant le juge d’instruction. Par conséquent, ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

142.  En ce qui concerne le grief tiré de l’article 5 § 3 de la Convention, eu égard aux faits de l’espèce, aux thèses des parties et aux conclusions formulées sous l’angle de l’article 5 § 1 (paragraphe 108 ci-dessus), la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de statuer séparément sur la recevabilité et le fond de ce grief (voir Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, § 156, CEDH 2014 et références qui y sont citées ; voir aussi Abdulkadir Aktaş c. Turquie, no 38851/02, § 67, 31 janvier 2008).

143.  La Cour note enfin que le requérant ne s’est pas plaint de la durée de la procédure de contrôle juridictionnel relative à son placement en détention provisoire dans le cadre de la procédure civile introduite sur le fondement de l’article 225 du CPP. L’intéressé n’a donc pas épuisé les voies de recours internes sur cette question et n’a, par conséquent, pas satisfait aux exigences de l’article 35 § 1 de la Convention. Partant, le grief soulevé sous l’angle de l’article 5 § 4 de la Convention à cet égard doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

V.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

144.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage matériel

145.  Au titre du préjudice matériel qu’il estime avoir subi, le requérant réclame 31 133, 26 euros (EUR), somme qui correspondrait à ses salaires non perçus pendant la durée de sa détention. Il sollicite aussi le remboursement de la somme de 22 850 EUR, qu’il dit avoir versée au titre des frais afférents à des avis d’experts juridiques et psychiatriques exposés à l’occasion de son recours contre sa détention provisoire. À l’appui de sa demande, il présente une déclaration du Parlement attestant la non‑perception des revenus et autres indemnités qui lui étaient dus en sa qualité de député pendant la période en cause, et il renvoie à l’établissement des faits figurant dans le jugement du tribunal de Lisbonne du 22 août 2008, confirmé par l’arrêt de la Cour suprême du 22 mars 2011, donnant comme prouvés la perte de revenus et l’engagement de certains frais.

146.  Le Gouvernement conteste ces prétentions, estimant la réalité des pertes non établie.

147.  La Cour rappelle qu’il doit y avoir un lien de causalité manifeste entre le dommage allégué par le requérant et la violation constatée de la Convention. Si cette condition est remplie, la réparation accordée peut, le cas échéant, inclure une indemnité au titre de la perte de revenus (Lykova c. Russie, no 68736/11, § 138, 22 décembre 2015). Dans la présente espèce, le Gouvernement n’a présenté aucun argument visant à contredire la thèse du requérant selon laquelle la non-perception de ses revenus de député était due à sa détention provisoire. Dans ces circonstances, la Cour est prête à accepter que seuls les revenus non perçus par le requérant pendant la période de sa détention présentent un lien de causalité avec la violation de l’article 5 § 1 c) de la Convention constatée ci-avant au paragraphe 110.

148.  Ne s’estimant pas liée par les décisions des juridictions internes quant à l’établissement des dommages subis par le requérant, et eu égard aux justificatifs versés par ce dernier à l’appui de sa demande, la Cour juge établie la somme de 14 000 EUR pour la perte pour l’intéressé de ses revenus de député, et elle l’octroie à celui-ci au titre du préjudice matériel causé du fait de sa détention provisoire, subie du 22 mai au 8 octobre 2003.

B.  Dommage moral

149.  Le requérant réclame également la somme de 100 000 EUR en raison d’une atteinte grave et irrémédiable à sa réputation et à sa vie privée et familiale subie du fait de sa détention provisoire. Il s’appuie à cet égard sur le montant octroyé par le tribunal de Lisbonne dans son jugement du 22 août 2008 sur la base des préjudices considérés comme établis (paragraphe 56 ci‑dessus).

150.  Le Gouvernement estime que cette prétention est excessive. Il indique que ce jugement du tribunal de Lisbonne a été annulé et qu’aucune somme n’a été attribuée au niveau interne au requérant à titre de dédommagement. D’après lui, l’intéressé confond l’objet de la procédure civile interne et celui de la procédure devant la Cour.

151.  La Cour constate que le requérant ne réclame de sommes au titre du dommage moral que pour sa privation de liberté subie en violation de l’article 5 § 1 de la Convention : il ne demande pas de sommes pour la méconnaissance de ses droits garantis par l’article 5 §§ 4 et 5 de la Convention. Eu égard aux circonstances de l’espèce, la Cour estime que l’intéressé a subi un préjudice moral certain en raison de sa privation de liberté allant à l’encontre de l’article 5 § 1 de la Convention. Statuant en équité, elle lui alloue donc à ce titre la somme de 13 000 EUR.

C.  Frais et dépens

152.  Le requérant demande également le remboursement des frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour, lesquels sont ventilés comme suit :

-  s’agissant de la procédure pénale : 71 041, 31 EUR et 46 052,78 EUR pour les honoraires et dépens de deux cabinets d’avocats l’ayant représenté, et 4 321,10 EUR pour les frais de justice ;

-  s’agissant de la procédure civile : 61 500 EUR pour les honoraires, 5 535 EUR pour les dépens et 32 515,50 EUR pour les frais de justice ;

-  s’agissant de la procédure devant la Cour : 8 610 EUR pour les honoraires de son avocat, correspondant à quatre-vingts heures de travail.

153.  Pour ce qui est de la procédure civile, avec facture à l’appui, le requérant précise s’être acquitté auprès de son avocat de la somme de 5 000 EUR le 31 août 2011 et être actuellement redevable de la somme de 56 500 EUR.

154.  Le Gouvernement considère qu’il n’y a pas lieu de rembourser des sommes n’ayant pas encore été versées par le requérant à son avocat. Il ajoute que seules devront l’être celles correspondant aux frais et dépens dont la réalité, la nécessité et le caractère raisonnable de leur taux sont établis, se référant sur ce point à l’arrêt Antunes et Pires c. Portugal (no 7623/04, 21 juin 2007).

155.  La Cour rappelle que, lorsqu’elle constate une violation de la Convention, elle peut accorder le paiement des frais et dépens exposés devant les juridictions nationales « pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation » (voir, parmi beaucoup d’autres, Hertel c. Suisse, 25 août 1998, § 63, Recueil 1998‑VI). En outre, selon sa jurisprudence, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux ; en vertu de l’article 60 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour, il doit soumettre des prétentions chiffrées et ventilées par rubriques et accompagnées des justificatifs pertinents, faute de quoi la Cour peut rejeter tout ou une partie de celles-ci (Mazelié c. France, no 5356/04, § 39, 27 juin 2006).

156.  La Cour rappelle également qu’on ne saurait limiter le remboursement d’honoraires aux seules sommes déjà versées par l’intéressé à son représentant (I.M. c. France, no 9152/09, § 170, 2 février 2012). Une approche restrictive pourrait en effet dissuader beaucoup d’avocats de représenter devant la Cour les requérants les moins aisés (Flux c. Moldova (no 3), no 32558/03, § 38, 12 juin 2007). Pour autant, un accord conclu sous forme écrite ou orale et engageant contractuellement un avocat et son client ne saurait lier la Cour, qui doit évaluer le niveau des frais et dépens à rembourser non seulement par rapport à la réalité des frais allégués, mais aussi par rapport à leur caractère raisonnable (voir, mutatis mutandis, Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 55, CEDH 2000‑XI). Dans pareil cas, la Cour tient compte des éléments fournis à l’appui des prétentions de remboursement des frais et dépens, et, notamment, du nombre d’heures de travail que l’affaire soumise à son examen a nécessité et du tarif horaire indiqué (ibidem).

157.  En l’occurrence, s’agissant de la procédure pénale, la Cour relève que seuls les frais et dépens relatifs aux recours introduits par le requérant pour contester son placement et son maintien en détention provisoire ont été engagés au niveau interne pour prévenir ou faire corriger les violations constatées en l’espèce au titre des paragraphes 1 et 4 de l’article 5 de la Convention. Or ces frais ne sont pas spécifiés, et ils ne sont pas non plus étayés par des justificatifs précis à cet égard. La Cour rejette donc les prétentions du requérant afférentes à la procédure pénale.

158.  Pour ce qui est de la procédure civile engagée au niveau interne par le requérant aux fins d’obtention d’un redressement en raison de sa détention subie en méconnaissance de ses droits garantis par l’article 5 §§ 1 et 4 de la Convention, eu égard aux documents dont elle dispose et à sa jurisprudence indiquée ci-avant, la Cour juge établies et raisonnables les sommes de 31 555 EUR pour les frais de justice et 10 000 EUR pour les honoraires d’avocat.

159.  Enfin, en ce qui concerne les frais et dépens pour la procédure devant elle, la Cour constate que le requérant n’a présenté aucun justificatif pertinent à l’appui de sa demande. Il n’y a donc pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.

160.  En conclusion, eu égard à ce qui précède, la Cour alloue au requérant la somme totale de 41 555 EUR pour les frais et dépens.

D.  Intérêts moratoires

161.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1.  Déclare, à l’unanimité, recevables les griefs tirés de l’article 5 §§ 1, 4 (en ce qui concerne l’impossibilité d’accéder à certaines pièces du dossier d’enquête) et 5 de la Convention, et irrecevables ceux tirés de l’article 5 §§ 2 et 4 (en ce qui concerne la durée de la procédure de contrôle juridictionnel relative au placement en détention provisoire) de la Convention ;

2.  Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;

3.  Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention en raison de l’impossibilité pour le requérant d’accéder à certaines pièces du dossier d’enquête ;

4.  Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 5 de la Convention ;

5.  Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu de statuer séparément sur le grief tiré de l’article 5 § 3 de la Convention ;

6.  Dit,

a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif, conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i.  par quatre voix contre trois, 14 000 EUR (quatorze mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel,

ii.  à l’unanimité, 13 000 EUR (treize mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

iii.  à l’unanimité, 41 555 EUR (quarante et un mille cinq cent cinquante-cinq euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

7.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 juin 2018, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Marialena TsirliGanna Yudkivska
GreffièrePrésidente

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de la déclaration de dissentiment partiel commune aux juges Yudkivska, Motoc et Paczolay.

G.Y.
M.T.


DÉCLARATION DE DISSENTIMENT PARTIEL COMMUNE AUX JUGES YUDKIVSKA, MOTOC ET PACZOLAY

Nous regrettons de ne pouvoir souscrire à la conclusion de la majorité au point 6 a) du dispositif concernant le dommage matériel, faute de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué.


[1].  La Casa Pia (« la maison pieuse ») est une institution publique située à Lisbonne. Elle est chargée de la gestion d’écoles, de centres de formation et d’internats accueillant des enfants et des adolescents issus de milieux défavorisés. Au moment des faits, elle comptait environ 4 500 élèves, dont 500 en régime d’internat.

[2].  En droit portugais, il appartient au ministère public de diriger l’enquête, le juge d’instruction n’intervenant que pour autoriser certains actes de procédure ou pour contrôler leur régularité conformément aux articles 268 et 269 du CPP ; le juge d’instruction intervient donc comme garant des libertés dans le cadre d’une enquête pénale, à l’instar du juge des libertés et de la détention en France (voir, à cet égard, Sérvulo & Associados – Sociedade de Advogados, RL et autres c. Portugal, no 27013/10, § 109, 3 septembre 2015).

[3].  Notion voisine de celle couramment désignée par l’expression « secret de l’instruction ». Au moment des faits, tout dossier d’enquête pénale était couvert par le segredo de justiça jusqu’à la décision relative à l’instruction, ou, si celle-ci n’avait pas lieu, jusqu’au moment où elle ne pouvait plus être demandée (Article 86 § 1 du CPP).

[4].  Au cours de l’enquête, entre autres, les personnes lésées peuvent demander à intervenir en qualité d’assistentes dans le cadre d’une procédure pénale (article 68 § 1 du CPP) afin de pouvoir collaborer avec le ministère public de façon plus active. Sous le contrôle de ce dernier, les assistentes peuvent notamment produire ou solliciter des preuves pendant l’enquête ou l’instruction, présenter leurs propres réquisitions (acusação) et faire appel des décisions qui les concernent même si le ministère public ne l’a pas fait (article 69 § 2 du CPP). Les assistentes sont toujours représentés par un avocat (article 70 du CPP).

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CEDH, Cour (quatrième section), AFFAIRE FERNANDES PEDROSO c. PORTUGAL, 12 juin 2018, 59133/11