CEDH, Arrêt de Grande Chambre Hassan et Tchaouch c. Bulgarie 26.10.00, 26 octobre 2000

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Chronologie de l’affaire

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CEDH · 10 janvier 2017

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, 26 oct. 2000
Type de document : Communiqués de presse
Organisation mentionnée :
  • ECHR
Opinion(s) séparée(s) : Non
Identifiant HUDOC : 003-68829-69297
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Sur les parties

Texte intégral

COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME

766

26.10.2000

Communiqué du Greffier

ARRÊT DANS L’AFFAIRE HASSAN ET TCHAOUCH c. BULGARIE

Par un arrêt rendu à Strasbourg le 26 octobre 2000 dans l’affaire Hassan et Tchaouch c. Bulgarie, la Cour européenne des Droits de l’Homme dit à l’unanimité qu’il y a eu violation des articles 9 (liberté de pensée, de conscience et de religion) et 13 (droit à un recours effectif) de la Convention européenne des Droits de l’Homme et qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 (droit à un procès équitable). En application de l’article 41 (satisfaction équitable), la Cour alloue au premier requérant, M. Hassan, 10 000 levs (BGL) pour préjudice moral ; elle octroie aux deux requérants la somme globale de 10 000 BGL pour frais et dépens.

1.  Principaux faits

Les requérant sont des ressortissants bulgares. Le premier, Fikri Sali Hassan, est né en 1963 et réside à Sofia. Il était Grand Mufti des musulmans bulgares. Le second, Ismail Ahmed Tchaouch, est né en 1940 et réside à Sofia. Il est musulman et professeur de religion islamique.

Le 19 septembre 1992, une conférence nationale des musulmans désigna M. Hassan à la fonction de Grand mufti des musulmans de Bulgarie, élut un Haut Conseil spirituel et adopta de nouveaux statuts. La direction des affaires religieuses (Direktzia po veroizpovedaniata), un organe gouvernemental, enregistra les nouveaux statuts et dirigeants. Toutefois, le prédécesseur de M. Hassan, M. Nedim Gendjev, ainsi que ses partisans, prétendirent que M. Gendjev était toujours Grand mufti, ce qui donna lieu à un conflit entre les dirigeants des deux factions rivales.

Tout au long de l’année 1993 et durant le premier semestre de 1994, la direction des affaires religieuses reconnut officiellement M. Hassan et le Haut Conseil spirituel élus en 1992.

Toutefois, les 22 et 23 février 1995, le gouvernement rendit des décisions par lesquelles il enregistra les nouveaux dirigeants et statuts adoptés par la faction rivale dirigée par M. Gendjev.

Le 27 février 1995, le personnel du bureau de M. Hassan fut expulsé de force de ses locaux à Sofia par des agents de sécurité privés menés par les nouveaux dirigeants enregistrés. M. Hassan saisit le parquet d’une demande d’assistance qui fut rejetée, au motif que les nouveaux occupants du bâtiment étaient les représentants légitimes de la communauté musulmane. Il fut également débouté du recours qu’il forma devant la Cour suprême contre les décisions des 22 et 23 février 1995.

En 1996 et 1997, la Cour suprême accueillit par deux fois les recours de M. Hassan contre le refus du gouvernement d’enregistrer les modifications des statuts et de la direction de la communauté musulmane. Le Conseil des ministres refusa d’exécuter ces arrêts ; toutefois, il observa qu’il avait déjà enregistré les dirigeants de la communauté musulmane.

Le conflit entre les dirigeants des deux factions rivales se poursuivit jusqu’à la conférence d’unification tenue en octobre 1997

2.  Procédure et composition de la Cour

La requête a été introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 22 janvier 1996 par quatre requérants. Après l’avoir déclarée recevable et à la suite de son rapport du 17 septembre 1998 radiant la requête du rôle pour autant qu’elle concernait les griefs du bureau du Grand mufti et d’un autre requérant, la Commission a adopté, le 26 octobre 1999, un rapport formulant l’avis unanime, s’agissant des deux requérants restants, qu’il y a eu violation des articles 9 et 13 de la Convention, qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief sous l’angle de l’article 11 et qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 et de l’article 1 du Protocole n° 1 à la Convention. La Commission a porté l’affaire devant la Cour le 30 octobre 1999.

Conformément aux dispositions transitoires du Protocole n° 11 à la Convention, l’affaire a été transmise à la Grande Chambre de la Cour européenne des Droits de l’Homme. L’arrêt a été rendu par la Grande Chambre composée de 17 juges, à savoir :

Luzius Wildhaber (Suisse), président,
Jean-Paul Costa (Français),
Antonio Pastor Ridruejo (Espagnol),
Luigi Ferrari Bravo[1] (Italien),
Giovanni Bonello (Maltais),
Jerzy Makarczyk (Polonais),
Pranas Kūris (Lituanien),
Françoise Tulkens (Belge),
Viera Strážnická (Slovaque),
Volodymyr Butkevych (Ukrainien),
Josep Casadevall (Andorran),
Hanne Sophie Greve (Norvégienne),
András Baka (Hongrois),
Rait Maruste (Estonien),
Egils Levits (Letton),
Snejana Botoucharova (Bulgare),
Mindia Ugrekhelidze (Géorgien), juges,
 

ainsi que Maud de Boer-Buquicchio, greffière adjointe.

3.  Résumé de l’arrêt[2]

Griefs

Les requérants se plaignent sous l’angle des articles 9 (liberté de religion) et 11 (liberté de réunion et d’association) de la Convention européenne des Droits de l’Homme d’une atteinte illégale et arbitraire à leur liberté de religion et au droit des croyants et de la communauté religieuse de gérer leurs propres affaires et de choisir leurs dirigeants. Ils invoquent également l’article 6 (droit à un procès équitable) et l’article 13 (droit à un recours effectif).

Décision de la Cour

L’exception préliminaire du Gouvernement

La Cour rejette l’exception préliminaire relative au non-épuisement des voies de recours internes, le Gouvernement l’ayant soulevée pour la première fois après la décision de la Commission déclarant la requête recevable.

Article 9 de la Convention

a) Applicabilité

La Cour examine d’abord si les événements en cause, qui ont tous trait à l’organisation et à la direction de la communauté musulmane bulgare, portent ou non sur le droit des requérants individuels à la liberté de manifester leur religion et, par conséquent, si l'article 9 de la Convention trouve ou non à s'appliquer.

La Cour rappelle que les communautés religieuses existent traditionnellement et universellement sous la forme de structures organisées. Elles respectent des règles que les adeptes considèrent souvent comme étant d’origine divine. Les cérémonies religieuses ont une signification et une valeur sacrée pour les fidèles lorsqu’elles sont célébrées par des ministres du culte qui y sont habilités en vertu de ces règles.

Dès lors, la Cour conclut que la participation à la vie de la communauté est une manifestation de la religion, qui jouit de la protection de l’article 9.

Elle estime en outre que lorsque l’organisation de la communauté religieuse est en cause, l’article 9 doit s’interpréter à la lumière de l’article 11 de la Convention qui protège la vie associative contre toute ingérence injustifiée de l’Etat. Vu sous cet angle, le droit des fidèles à la liberté de religion suppose que la communauté puisse fonctionner paisiblement, sans ingérence arbitraire de l’Etat. En effet, l’autonomie des communautés religieuses est indispensable au pluralisme dans une société démocratique et se trouve donc au cœur même de la protection offerte par l’article 9.

Les requérants étant des membres actifs de la communauté religieuse, la Cour estime que les événements litigieux concernent leur droit à la liberté de religion, tel que le consacre l’article 9 de la Convention. Cette disposition trouve donc à s’appliquer.

b) Sur l’existence d’une ingérence dans l’organisation interne de la communauté musulmane et, par conséquent, dans le droit des requérants à la liberté de religion.

La Cour considère qu’en présence de faits démontrant un manquement des autorités à leur obligation de neutralité dans l’exercice de leurs pouvoirs en matière d’enregistrement administratif des communautés religieuses, il y a lieu de conclure que l’Etat a porté atteinte à la liberté des fidèles de manifester leur religion au sens de l’article 9. Des mesures de l’Etat favorisant un dirigeant d’une communauté religieuse divisée ou visant à contraindre la communauté, contre ses propres souhaits, à se placer sous une direction unique constitueraient également une atteinte à la liberté de religion. Dans une société démocratique, l’Etat n’a pas besoin de prendre des mesures pour garantir que les communautés religieuses demeurent ou soient placées sous une direction unique.

La Cour relève qu’en 1995, le gouvernement a édicté des changements de la direction et des statuts de la communauté musulmane. Cette décision n’était pas motivée. Elle ne fournissait aucune explication sur le choix des dirigeants d’une faction au détriment du premier requérant, qui bénéficiait du soutien d’une autre partie de la communauté.

En outre, la Cour constate qu’en Bulgarie, la légitimité et les pouvoirs de représentation des dirigeants des confessions sont confirmés par un organe gouvernemental. Les autorités de poursuite ont refusé à M. Hassan leur assistance contre son expulsion forcée des bureaux du Grand mufti. Les décisions dénoncées ont donc manifestement eu pour effet de mettre fin aux fonctions de Grand mufti de l’intéressé et de destituer la direction de la communauté religieuse reconnue jusqu’alors. Les mesures des autorités ont eu pour effet, en droit et en fait, de priver la direction écartée de toute possibilité de continuer à représenter au moins une partie de la communauté musulmane et de gérer ses affaires selon les vœux de cette partie de la communauté.

Partant, il y a eu une ingérence dans l’organisation interne de la communauté musulmane et dans le droit des requérants à la liberté de religion protégé par l’article 9.

c) Justification de l’ingérence

La Cour rappelle que l’expression « prévues par la loi » figurant aux articles 8 à 11 non seulement exige que la mesure incriminée ait une base en droit interne, mais vise aussi la qualité de la loi en cause.

Le droit interne doit offrir une certaine protection contre des atteintes arbitraires de la puissance publique aux droits garantis par la Convention. Lorsqu’il s’agit de questions touchant aux droits fondamentaux, la loi irait à l’encontre de la prééminence du droit, l’un des principes fondamentaux d’une société démocratique consacrés par la Convention, si le pouvoir d’appréciation accordé à l’exécutif ne connaissait pas de limites. En conséquence, elle doit définir l’étendue d’un tel pouvoir avec une netteté suffisante.

La Cour constate qu’en l’espèce, la loi pertinente n’énonce aucun critère matériel pour l’enregistrement de confessions et de changements à leur tête. De plus, il n’existe aucune garantie procédurale, par exemple des débats contradictoires devant un organe indépendant, contre un exercice arbitraire du pouvoir d’appréciation.

La Cour conclut que l’ingérence dans l’organisation interne de la communauté musulmane et dans la liberté de religion des requérants n’était pas « prévue par la loi », en ce qu’elle était arbitraire et se fondait sur des dispositions légales accordant à l’exécutif un pouvoir d’appréciation illimité, et ne répondait pas aux exigences de précision et de prévisibilité.

Conclusion : violation de l’article 9.


Article 13 de la Convention

La Cour rappelle que l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours pour les griefs que l’on peut estimer « défendables » au regard de la Convention.

En outre, elle estime que la portée de l’obligation découlant de l’article 13 varie en fonction de la nature du droit invoqué au regard de la Convention. Dans le contexte de la présente affaire, l’article 13 ne saurait être interprété comme exigeant la possibilité pour tout croyant, tel que le second requérant, d’engager à titre personnel une procédure formelle pour contester une décision relative à l’enregistrement des dirigeants de sa communauté religieuse. Une telle personne peut protéger ses intérêts à cet égard en s’adressant à ses dirigeants et en appuyant toute action judiciaire que ceux-ci pourraient engager. Dès lors, la Cour estime qu’en pareil cas, l’Etat peut très bien remplir l’obligation qu’impose l’article 13 en offrant des recours qui ne sont accessibles qu’aux représentants de la communauté religieuse victime d’une ingérence de l’Etat dans son organisation interne.

Constatant que M. Hassan dirigeait la faction de la communauté musulmane qui a été remplacée par les décisions litigieuses de l’Etat, la Cour examine si celui-ci, en tant que chef religieux, a disposé d’un recours effectif.

La Cour suprême a refusé d’examiner le fond du recours de M. Hassan, estimant que l’exécutif jouissait d’un pouvoir discrétionnaire illimité lorsqu’il s’agissait d’enregistrer ou non les statuts et les dirigeants d’une confession. Partant, le recours devant la Cour suprême contre la décision de février 1995 n’était pas effectif. Le gouvernement a refusé de se conformer à deux autres arrêts de la Cour suprême et il n’existait aucun autre recours.

Dès lors, la Cour estime que les dirigeants de la faction de M. Hassan n’ont pas pu contester effectivement l’ingérence illégale de l’Etat dans les affaires internes de la communauté religieuse et revendiquer leur droit de s’organiser de manière autonome, tel que protégé par l’article 9 de la Convention.

Conclusion : violation de l’article 13.

Article 11 de la Convention

Ayant examiné le grief relatif à l’ingérence de l’Etat dans l’organisation interne de la communauté musulmane sur le terrain de l’article 9, interprété à la lumière de l’article 11, la Cour estime qu’aucune question distincte ne se pose sous l’angle de l’article 11.

Conclusion : aucune question distincte

Article 6 de la Convention

La Cour constate que les requérants n’ont pas étayé leur grief sous l’angle de cette disposition.

Conclusion : non-violation de l’article 6.


Article 41 de la Convention

Quant au préjudice matériel, la Cour estime que M. Tchaouch, le second requérant, n’a pas établi de lien de causalité directe entre la violation constatée en l’espèce et le manque à gagner ou les autres dommages matériels qu’il aurait subis. Elle considère que le constat de violations constitue une satisfaction équitable suffisante.

En ce qui concerne le premier requérant, M. Hassan, la Cour considère qu’il a dû subir un certain dommage matériel du fait de sa destitution illégale de ses fonctions et de son expulsion par la force des locaux du bureau du Grand mufti. Toutefois, sa demande à cet égard n’est pas étayée par de solides preuves écrites. La Cour admet néanmoins que l’impossibilité pour le premier requérant de produire des preuves écrites peut dans une certaine mesure être due au fait qu’il a été empêché d’accéder à sa documentation. Elle prendra donc ces circonstances en considération dans son examen de la demande de l’intéressé pour préjudice moral. La Cour estime en outre que l’ingérence illégale de l’Etat dans l’organisation de la communauté musulmane a sans conteste causé du désarroi au premier requérant, qui a été destitué de ses fonctions de chef de la deuxième communauté religieuse de Bulgarie. Elle lui octroie 10 000 BGN pour préjudice moral.

La Cour octroie aux deux requérants la somme globale de 10 000 BGN pour frais et dépens.

Mme Tulkens et M. Casadevall ont exprimé une opinion dissidente à laquelle se sont ralliés M. Bonello, Mme Strážnická, Mme Greve et M. Maruste. Le texte en est annexé à l’arrêt.

***

Les arrêts de la Cour sont disponibles sur son site Internet (http://www.echr.coe.int).

Greffe de la Cour européenne des Droits de l’Homme
F – 67075 Strasbourg Cedex
Contacts :Roderick Liddell (téléphone : (0)3 88 41 24 92)
Emma Hellyer (téléphone : (0)3 90 21 42 15)
Télécopieur : (0)3 88 41 27 91

La Cour européenne des Droits de l’Homme a été créée en 1959 à Strasbourg pour connaître des allégations de violation de la Convention européenne des Droits de l’Homme de 1950. Le 1er novembre 1998 elle est devenue permanente, mettant fin au système initial où deux organes fonctionnant à temps partiel, la Commission et la Cour européennes des Droits de l’Homme, examinaient successivement les affaires.


[1] Juge élu au titre de Saint-Marin.

[2] Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.

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