CEDH, Communiqué de presse sur l'affaire 38411/02, 7 juin 2007

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Sur la décision

Référence :
CEDH, 7 juin 2007
Type de document : Communiqués de presse
Organisation mentionnée :
  • ECHR
Opinion(s) séparée(s) : Non
Identifiant HUDOC : 003-2034619-2150214
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Sur les parties

Texte intégral

COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME

392

7.6.2007

Communiqué du Greffier

ARRÊT DE CHAMBRE
GARABAïEV c. RUSSIE

La Cour européenne des Droits de l’Homme a communiqué aujourd’hui par écrit son arrêt de chambre[1] dans l’affaire Garabaïev c. Russie (requête no 38411/02).

La Cour conclut à l’unanimité :

  • à la violation de l’article 3 (interdiction des traitements inhumains et dégradants) de la Convention européenne des Droits de l’Homme à raison de l’extradition du requérant vers le Turkménistan ;
  • à la violation de l’article 5 § 1 f) (droit à la liberté et à la sûreté) à raison de la détention du requérant avant son extradition ;
  • à la violation de l’article 5 § 4 (droit d’obtenir qu’un tribunal statue à bref délai sur la légalité de la détention) à raison de l’absence de contrôle juridictionnel de la détention avant l’extradition ;
  • à la violation de l’article 5 § 3 (droit d’être aussitôt traduit devant un juge) à raison du fait que le requérant n’a pas été aussitôt traduit devant un juge après son retour du Turkménistan ; et
  • à la violation de l’article 13 (droit à un recours effectif).

En application de l’article 41 (satisfaction équitable) de la Convention, la Cour alloue au requérant 20 000 euros (EUR) pour dommage moral ainsi que 105 EUR pour frais et dépens. (L’arrêt n’existe qu’en anglais.)

1.  Principaux faits

Le requérant, Mourad Redjepovitch Garabaïev, qui a la double nationalité russe et turkmène, est né en 1977 et réside à Moscou. Il était comptable à la Banque centrale du Turkménistan.

Le 4 mars 2002, il fut enregistré au consulat de Russie au Turkménistan en tant que citoyen russe résidant à Achkabad et, le 17 mars 2002, se vit remettre un passeport russe.

Le 27 septembre 2002, le procureur général du Turkménistan adressa à son homologue de la Fédération de Russie une demande en vue de la détention et de l’extradition du requérant, qui était inculpé de retrait et de non-restitution d’actifs d’une valeur de 40 millions de dollars américains du compte correspondant de la Banque centrale du Turkménistan à la Deutsche Bank AG (Francfort-sur-le-Main, Allemagne). Le requérant fut en conséquence arrêté à Moscou le jour même et placé en détention.

L’avocate du requérant s’adressa au parquet général pour faire valoir que le requérant ne pouvait être extradé vers le Turkménistan en vertu, entre autres, du code de procédure pénale, car il était de nationalité russe. Elle s’appuyait sur des rapports d’organisations de défense des droits de l’homme qui indiquaient que le requérant risquait de subir des tortures ou des traitements inhumains ou dégradants s’il était extradé. Memorial, une organisation non gouvernementale russe, prit aussi contact avec le parquet général pour attirer son attention sur le fait que le requérant avait la nationalité russe, qu’il n’y avait au Turkménistan ni garanties quant à l’équité de la procédure ni d’indépendance et d’impartialité du pouvoir judiciaire et que la torture y régnait. Memorial indiqua aussi que le requérant subissait des persécutions au Turkménistan à propos d’une affaire aux ressorts politiques dirigée contre l’ancien directeur adjoint de la Banque centrale du Turkménistan. Memorial donna des détails sur les persécutions subies par les employés de la Banque centrale et leurs familles, dont l’arrestation de la mère, de la sœur et d’un oncle du requérant et la confiscation de leurs biens.

Le 15 octobre 2002, Sergueï Kovalev, député de la Douma, écrivit une lettre au chef du service international du parquet général au sujet du requérant, mentionnant la nationalité de celui-ci et le risque qu’il subisse des tortures et ne puisse bénéficier d’un procès équitable.

Le 24 octobre 2002, le requérant fut extradé vers le Turkménistan. Il soutient qu’on ne lui a montré une copie de la décision d’extradition pour la première fois qu’à l’aéroport ce jour-là et que sa demande en vue de voir un avocat fut rejetée.

Les 18 et 24 octobre 2002, l’avocat du requérant contesta la détention et l’extradition. Le tribunal de Moscou répondit qu’il n’était pas compétent pour examiner la plainte relative à la détention et que celle concernant l’irrégularité de la décision d’extradition ne pouvait être étudiée en l’absence du requérant.

Le 14 novembre 2002, la Cour européenne des Droits de l’Homme sollicita auprès du Gouvernement russe des renseignements concernant la détention du requérant et son extradition vers le Turkménistan, et demanda si les allégations de l’intéressé selon lesquelles il risquait de subir des traitements contraires à l’article 3 avaient été contrôlées par une autorité nationale compétente.

Le 5 décembre 2002, le tribunal de Moscou examina la plainte de l’avocat datant du 24 octobre. Il jugea que la décision d’extrader le requérant était irrégulière en raison de la nationalité russe de l’intéressé et dont une preuve – à savoir une copie de son passeport russe – figurait au dossier. Le tribunal jugea de plus que la décision n’avait pas été notifiée officiellement au requérant ou à son avocat, en conséquence de quoi il avait été privé de la possibilité de la contester en droit interne. Le tribunal jugea également la détention du requérant irrégulière.

Le requérant soutient que, pendant sa détention au Turkménistan, il a été menacé de torture et de représailles contre sa famille et frappé à la tête et au dos. Il a nié être coupable des accusations portées contre lui. Il déclare qu’il a été détenu dans une cellule de 10 m² avec deux autres prisonniers et qu’ils n’ont été autorisés qu’à pratiquer 15 à 20 minutes d’exercice quotidien pendant les 20 premiers jours puis ont été privés de tout exercice pendant deux mois. Pendant sa détention, il vivait dans la crainte que lui-même ou ses proches parents ne soient soumis à la torture. Il fut interrogé à deux reprises sans l’assistance d’un avocat.

Le consulat de Russie à Achkabad tenta à quatre reprises d’organiser une rencontre consulaire avec le requérant mais sans y parvenir.

Le 1er février 2003, le requérant fut renvoyé à Moscou, où il fut arrêté et placé en détention provisoire, sous le coup d’une inculpation d’escroquerie à grande échelle.

Après son retour à Moscou, le requérant apprit que sa mère avait fait l’objet d’un nouveau procès et avait été condamnée à 14 ans d’emprisonnement, et que des peines similaires avait été prononcées contre sa sœur et son oncle.

Le 2 avril 2003, la Cour européenne des Droits de l’Homme pria le gouvernement russe, en vertu de l’article 39 du règlement de la Cour, de ne pas extrader le requérant vers le Turkménistan jusqu’à nouvel avis.

Le 9 mars 2004, le requérant fut déclaré coupable d’usage de faux et condamné à une amende de 5 000 roubles russes. Il fut acquitté des autres chefs et libéré.

Le 19 mars 2004, à la suite d’une lettre du gouvernement russe donnant des assurances que le requérant ne serait pas extradé vers le Turkménistan puisqu’il était incontestablement de nationalité russe, la Cour leva les mesures indiquées en vertu de l’article 39.

2.  Procédure et composition de la Cour

La requête a été introduite le 28 octobre 2002 et déclarée en partie recevable le 8 septembre 2005.

L’arrêt a été rendu par une chambre de sept juges composée de :

Christos Rozakis (Grec), président,
Loukis Loucaides (Cypriote),
Nina Vajić (Croate),
Anatoli Kovler (Russe),
Khanlar Hajiyev (Azerbaïdjanais),
Dean Spielmann (Luxembourgeois),
Sverre Erik Jebens (Norvégien), juges,

ainsi que de Søren Nielsen, greffier de section.

3.  Résumé de l’arrêt[2]

Griefs

Le requérant dénonçait son extradition vers le Turkménistan et le caractère selon lui irrégulier de sa détention en Russie. Il invoquait les articles 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants), 5 §§ 1, 3 et 4 (droit à la liberté et à la sûreté) et 13 (droit à un recours effectif).

Décision de la Cour

Article 3 de la Convention

La Cour relève que le Gouvernement russe n’a pas contesté que, immédiatement après l’arrestation du requérant, plusieurs lettres émanant de celui-ci, de ses avocats et de diverses personnalités avaient été adressées au procureur général, et qu’elles faisaient état de craintes que le requérant ne soit soumis à la torture et à des persécutions pour des motifs politiques et cherchaient à empêcher son extradition pour ces raisons. La situation générale régnant au Turkménistan y était également mentionnée. Les autorités compétentes étaient donc suffisamment au courant du risque de mauvais traitements qui pesait sur le requérant au cas où il serait renvoyé au Turkménistan. La Cour conclut dès lors qu’à la date de l’extradition du requérant vers le Turkménistan, il existait des motifs sérieux de croire qu’il courait un risque réel d’y subir des traitements interdits par l’article 3.

Cependant, aucune assurance ne fut demandée quant au fait que le requérant ne subirait pas de traitements contraires à l’article 3, et aucun rapport médical ni aucune visite d’observateurs indépendants ne furent demandés et obtenus.

De plus, le requérant ne fut informé de la décision d’extradition le frappant que le jour de son renvoi au Turkménistan, et il ne fut autorisé ni à la contester ni à prendre contact avec son avocat. La décision du tribunal interne concluant à l’irrégularité de l’extradition après que celle-ci fut intervenue n’a pas non plus pris en compte les arguments soumis sur le terrain de l’article 3. Dans ces conditions, la Cour conclut que les autorités compétentes n’ont pas correctement évalué le risque réel de mauvais traitements. L’extradition a donc eu lieu sans que cette menace ait été correctement appréciée.

La Cour observe non seulement que le requérant a été extradé vers le Turkménistan mais aussi qu’il a été renvoyé en Russie trois mois plus tard. L’intéressé a fait le récit des événements qui se sont produits pendant qu’il était dans ce pays. La Cour dispose donc d’informations sur ce qui s’est passé après l’extradition et est ainsi en mesure d’évaluer la situation en fonction de cela. D’après ces informations, le requérant a passé la plus grande partie de ses trois mois de détention dans une cellule de 10 m² occupée par deux autres détenus. Pendant les vingt premiers jours de détention il n’a pu faire que très peu d’exercice, puis pas du tout par la suite. On a refusé qu’il reçoive la visite d’agents du consulat de Russie, qui auraient pu fournir des indications de source indépendante sur les conditions de détention et la situation de l’intéressé à cette époque. Le requérant craignait constamment pour sa vie et vivait dans l’inquiétude en raison de l’incertitude pensant sur son sort et sur celui de sa famille. Il fut également frappé à plusieurs reprises par des enquêteurs. Le Gouvernement n’a pas contesté ces arguments. La Cour conclut dès lors qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 3.

Article 5 § 1 f)

Concernant la régularité de la détention du requérant du 27 septembre au 24 octobre 2002, la Cour note que cette détention en Russie a été effectuée en exécution d’un ordre émanant d’un procureur au Turkménistan et n’a pas été confirmée par un tribunal russe, alors que le code de procédure pénale exige une telle confirmation sauf lorsque la détention dans le pays demandant l’extradition a été ordonnée par un tribunal. Il en découle que la détention du requérant avant son extradition n’a pas été ordonnée « selon les voies légales », au mépris de l’article 5 § 1.

De plus, la décision du 5 décembre 2002 a conclu que l’extradition du requérant était irrégulière en raison de sa nationalité russe. La législation interne interdisait, en termes non ambigus, l’extradition des ressortissants russes. L’information relative à la nationalité du requérant avait déjà été portée à la connaissance des autorités compétentes à l’époque de l’arrestation du requérant puisque l’intéressé et son avocat avaient soulevé la question et que son passeport figurait dans le dossier d’extradition. De ce fait, le tribunal de Moscou avait dès le début déclaré irrégulière la détention du requérant en vue de son extradition. La Cour considère que l’erreur procédurale entachant l’ordre de détention était fondamentale au point de rendre cet ordre arbitraire et nul. Cette conclusion est renforcée par l’absence de contrôle juridictionnel de la régularité de la détention du requérant avant son extradition.

La Cour conclut que la détention du requérant pendant la période en question était irrégulière et arbitraire, en violation de l’article 5 § 1 f).

Article 5 § 3

Concernant la justification de la détention après le 30 janvier 2003, la Cour note qu’une fois le requérant revenu du Turkménistan le 1er février 2003 et arrêté en Russie, il aurait dû être aussitôt traduit devant un juge. Or il ne l’a été que le 19 mars 2003, soit un mois et 19 jours plus tard. Il y a donc eu violation de l’article 5 § 3 pour ce motif.

Article 5 § 4

Concernant l’existence d’un contrôle juridictionnel de la détention avant l’extradition, la Cour relève que le requérant a été détenu en Russie en vertu d’un mandat d’arrêt émis par le procureur général du Turkménistan. La détention n’a pas été autorisée par un tribunal russe, en violation des dispositions internes pertinentes. Le tribunal de Moscou a refusé d’examiner les griefs relatifs à l’irrégularité de la détention pour défaut de compétence, mais sans indiquer quel était le tribunal compétent en la matière. Il a quand même étudié la question de la détention dans le cadre de la procédure d’extradition, mais seulement après que l’extradition se fut produite. Ainsi, la régularité de la détention du requérant durant cette période n’a été examinée par aucun tribunal, en dépit des appels interjetés par l’intéressé. Un tribunal aurait été bien mieux placé pour découvrir l’erreur fondamentale qui entachait le mandat d’arrêt et ordonner la libération du requérant. Il y a donc eu violation de l’article 5 § 4 à raison de l’absence de contrôle juridictionnel de la détention du requérant avant son extradition.

Article 13

La Cour considère que le requérant n’a pas disposé d’un recours effectif pour ce qui est de son grief relatif au risque de mauvais traitements en cas d’extradition, puisqu’il n’a été informé de la décision d’extradition que le jour même où elle s’est produite et n’a pas été autorisé à joindre son avocat ou à déposer plainte, au mépris des dispositions pertinentes de la législation interne ; enfin, la compatibilité de la mesure prévue avec l’article 3 n’a pas été examinée par les autorités compétentes avant qu’elle ne soit mise à exécution. La Cour conclut dès lors à la violation de l’article 13 combiné avec l’article 3.

La Cour considère qu’il ne se pose aucune question distincte sous l’angle de l’article 13 combiné avec l’article 5.

***

Les arrêts de la Cour sont disponibles sur son site Internet (http://www.echr.coe.int).

Contacts pour la presse

Emma Hellyer (téléphone : 00 33 (0)3 90 21 42 15)
Stéphanie Klein (téléphone : 00 33 (0)3 88 41 21 54)
Beverley Jacobs (téléphone : 00 33 (0)3 90 21 54 21)
Tracey Turner-Tretz (téléphone : 00 33 (0)3 88 41 35 30)
 

La Cour européenne des Droits de l’Homme a été créée à Strasbourg par les Etats membres du Conseil de l’Europe en 1959 pour connaître des allégations de violation de la Convention européenne des Droits de l’Homme de 1950.


[1].  L’article 43 de la Convention européenne des Droits de l’Homme prévoit que, dans un délai de trois mois à compter de la date de l’arrêt d’une chambre, toute partie à l’affaire peut, dans des cas exceptionnels, demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre (17 membres) de la Cour. En pareille hypothèse, un collège de cinq juges examine si l’affaire soulève une question grave relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses protocoles ou encore une question grave de caractère général. Si tel est le cas, la Grande Chambre statue par un arrêt définitif. Si tel n’est pas le cas, le collège rejette la demande et l’arrêt devient définitif. Autrement, les arrêts de chambre deviennent définitifs à l’expiration dudit délai de trois mois ou si les parties déclarent qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre.

[2].  Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.

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