CEDH, Cour (grande chambre), AFFAIRE RAMOS NUNES DE CARVALHO E SÁ c. PORTUGAL, 6 novembre 2018, 55391/13 et autres

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Chronologie de l’affaire

Commentaires7

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Roseline Letteron · Liberté, Libertés chéries · 3 mars 2023

Dans son arrêt du du 2 mars 2023 François Thierry c. France, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) déclare irrecevable un recours invoquant la violation de l'article 6 § 1 dans une procédure disciplinaire. Le requérant, commissaire de police, est accusé de différentes infractions dans le cadre de ses activités policières à la tête de l'Office central de répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS). Il a été poursuivi à la fois disciplinairement et pénalement, mais seule la première procédure disciplinaire est contestée devant la CEDH, la procédure pénale n'étant …

 

Roseline Letteron · Liberté, Libertés chéries · 5 novembre 2022

La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a rendu, le 3 novembre 2022, un arrêt Dahan c. France qui ne manquera pas de surprendre ceux qui la considèrent comme une juridiction dont l'objet est de garantir un standard élevé de protection des libertés dans les pays signataires de la Convention européenne des droits de l'homme. Or, le 3 novembre 2022, la CEDH a certainement rendu un service aux autorités françaises et au Conseil d'État, mais elle n'a pas vraiment rendu un arrêt. C'est désolant, mais il faut parfois dire tristement les vérités tristes. Un requérant ignoré En …

 

Roseline Letteron · Liberté, Libertés chéries · 17 mars 2019

L'arrêt Guomundur Andr Astradsson c. Islande, rendu le 12 mars 2019 par la Cour européenne des droits de l'homme, sanctionne la procédure de désignation des membres d'une cour d'appel récemment créée dans ce pays. La décision pourrait passer inaperçue, car l'Islande est un petit pays, et l'organisation de ses juridictions n'intéresse sans doute pas beaucoup les commentateurs. Elle devrait au contraire susciter leur intérêt, et même l'inquiétude des autorités françaises. M. Astradsson a été condamné à dix-sept mois de prison et au retrait définitif de son permis de conduire pour avoir …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Grande Chambre), 6 nov. 2018, n° 55391/13 et autres
Numéro(s) : 55391/13, 57728/13, 74041/13
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Potocka et autres c. Pologne, no 33776/96, 4 octobre 2001, CEDH 2001-X
Abuyeva et autres c. Russie, no 27065/05, § 222, 2 décembre 2010
A. c. Finlande (déc.), no 44998/98, 8 janvier 2004
Adam et autres c. Allemagne (déc.), no 290/03, 1er septembre 2005
Albert et Le Compte c. Belgique, 10 février 1983, série A no 58
Allan c. Royaume-Uni (déc.), no 48539/99, 28 août 2001
Allan Jacobsson c. Suède (no 2), 19 février 1998, § 49, Recueil des arrêts et décisions 1998 I
Andersson c. Suède, no 17202/04, 7 décembre 2010
Azinas c. Chypre [GC], no 56679/00, § 32, CEDH 2004-III
Baka c. Hongrie [GC], no 20261/12, CEDH 2016
Batur c. Turquie, (déc.), no 38604/97, 4 juillet 2000
Biagioli c. Saint-Marin (déc.), no 64735/14, §§ 51-57, 13 septembre 2016
Bistrović c. Croatie, no 25774/05, §§ 51-53, 31 mai 2007
Blečić c. Croatie [GC], no 59532/00, CEDH 2006-III
Brown c. Royaume-Uni (déc.), no 38644/97, 24 novembre 1998
Bryan c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995, § 45, série A no 335-A
Buterlevičiūtė c. Lituanie, no 42139/08, §§ 52-54, 12 janvier 2016
Buzadji c. République de Moldova [GC], no 23755/07, § 70, CEDH 2016 (extraits)
Capital Bank AD c. Bulgarie, no 49429/99, §§ 99-108, CEDH 2005-XII (extraits)
Castillo Algar c. Espagne, 28 octobre 1998, § 45, Recueil 1998-VIII
Chevrol c. France, no 49636/99, CEDH 2003 III
Ezeh et Connors c. Royaume-Uni [GC], nos 39665/98 et 40086/98, § 82, CEDH 2003-X
Costa c. Portugal (déc.), no 44135/98, 9 décembre 1999
Diennet c. France, 26 septembre 1995, série A no 325-A
Di Giovanni c. Italie, no 51160/06, § 35, 9 juillet 2013
Döry c. Suède, no 28394/95, § 37, 12 novembre 2002
Družstevní záložna Pria et autres c. République tchèque, no 72034/01, § 112, 31 juillet 2008
Durand c. France (déc.), no 10212/07, 31 janvier 2012
Duran et autres c. Turquie (déc.), no 38925/97, 4 juillet 2000
Durgun c. Turquie (déc.), no 40751/98, 4 juillet 2007
Ekimdjiev c. Bulgarie (déc.), no 47092/99, 3 mars 2005
Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, série A no 22
Fábián c. Hongrie [GC], no 78117/13, 5 septembre 2017
Fazia Ali c. Royaume-Uni, no 40378/10, § 84, 20 octobre 2015
Fazliyski c. Bulgarie, no 40908/05, § 59, 16 avril 2013
Findlay c. Royaume-Uni, 25 février 1997, § 73, Recueil 1997-I
Fredin c. Suède (no 2), 23 février 1994, § 22, série A no 283 A
Galina Kostova c. Bulgarie, no 36181/05, 12 novembre 2013
García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999‐I
Gautrin et autres c. France, 20 mai 1998, § 42, Recueil 1998-III
Göç c. Turquie [GC], no 36590/97, CEDH 2002-V
Gökden et Karacol c. Turquie, (déc.), no 40535/98, 4 juillet 2000
Grande Stevens et autres c. Italie, nos 18640/10 et 4 autres, 4 mars 2014
Helmut Blum c. Autriche, no 33060/10, § 59, 5 avril 2016
I.D. c. Bulgarie, no 43578/98, 28 avril 2005
J.L. c. France (déc.), no 17055/90, 5 avril 1995
Jussila c. Finlande [GC], no 73053/01, CEDH 2006-XIV
Kamenos c. Chypre, no 147/07, §§ 50-53, 31 octobre 2017
Kaplan et Karaca c. Turquie (déc.), no 40536/98
Kingsley c. Royaume-Uni [GC] no 35605/97, CEDH 2002 IV
Kleyn et autres c. Pays-Bas [GC], nos 39343/98 et 3 autres, CEDH 2003-VI
Koudechkina c. Russie, no 29492/05, § 86, 26 février 2009
Kurić et autres c. Slovénie [GC], no 26828/06, § 382, CEDH 2012 (extraits)
Kurnaz et autres c. Turquie (déc.), no 36672/97, 7 décembre 2004
Kyprianou c. Chypre [GC], no 73797/01, CEDH 2005-XIII
Le Compte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique, 23 juin 1981, série A no 43
Letinčić c. Croatie, no 7183/11, §§ 46 et 55-67, 3 mai 2016
Linde Falero c. Espagne (déc.), no 51535/99, 22 juin 2000
Lundevall c. Suède, no 38629/97, § 39, 12 novembre 2002
Majski c. Croatie, no 33593/03, § 34, 1er juin 2006
Malhous c. République tchèque [GC], no 33071/96, 12 juillet 2001
Margaretić c. Croatie, no 16115/13, 5 juin 2014
Martinie c. France [GC], no 58675/00, CEDH 2006-VI
Mehmet Emin Şimşek c. Turquie, no 5488/05, §§ 29-31, 28 février 2012
A. Menarini Diagnostics S.r.l. c. Italie, no 43509/08, §§ 63-64, 27 septembre 2011
Mérigaud c. France, no 32976/04, § 69, 24 septembre 2009
Messochoritis c. Grèce (déc.), no 41867/98, 15 juin 2000
Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, CEDH 2009
Miller c. Suède, no 55853/00, 8 février 2005
Mocanu et autres c. Roumanie [GC], nos 10865/09 et 2 autres, § 385, CEDH 2014 (extraits)
Morice c. France [GC], no 29369/10, 23 avril 2015
Moullet c. France (déc.), no 27521/04, 13 septembre 2007
Müller-Hartburg c. Autriche, no 47195/06, 19 février 2013
Nejdet Şahin et Perihan Şahin c. Turquie [GC], no 13279/05, § 49, 20 octobre 2011
Nicoleta Gheorghe c. Roumanie, no 23470/05, § 26, 3 avril 2012
Nikolova et Vandova c. Bulgarie, no 20688/04, § 59, 17 décembre 2013
Obermeier c. Autriche, 28 juin 1990, §§ 66-70, série A no 179
Oleksandr Volkov c. Ukraine, no 21722/11, 9 janvier 2013, CEDH 2013
Olujić c. Croatie, no 22330/05, § 55, 5 février 2009
Öneryıldız c. Turquie [GC], no 48939/99, §§ 141 et 149, CEDH 2004-XII
Ouendeno c. France (déc.), no 18441/91, 2 mars 1994
Paluda c. Slovaquie, no 33392/12, §§ 33-34, 23 mai 2017
Paroisse gréco-catholique Sâmbăta Bihor c. Roumanie (déc.), no 48107/99, 25 mai 2004
Pereira da Silva c. Portugal, no 77050/11, §§ 59-60, 22 mars 2016
Perna c. Italie [GC], no 48898/99, §§ 23-24, CEDH 2003-V
Prager et Oberschlick c. Autriche, 26 avril 1995, § 34, série A no 313
Pullar c. Royaume-Uni, 10 juin 1996, § 32, Recueil 1996-III
Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, CEDH 2018
Ruiz Torija c. Espagne, 9 décembre 1994, §§ 29-30, série A no 303 A
Sabri Güneş c. Turquie [GC], no 27396/06, 29 juin 2012
Saccoccia c. Autriche, no 69917/01, § 73, 18 décembre 2008
Sacilor-Lormines c. France, no 65411/01, 9 novembre 2006, CEDH 2006 XIII
Schuler-Zgraggen c. Suisse, 24 juin 1993, série A no 263
Sigma Radio Television Ltd c. Chypre, nos 32181/04 et 35122/05, 21 juillet 2011
Speil c. Autriche (déc.), no 42057/98, 5 septembre 2002
Stafford c. Royaume-Uni [GC], no 46295/99, CEDH 2002-IV
Sturua c. Géorgie, no 45729/05, § 28, 28 mars 2017
K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, CEDH 2001-VII
Terra Woningen B.V. c. Pays-Bas, 17 décembre 1996, Recueil 1996 VI
Tsanova-Gecheva c. Bulgarie, no 43800/12, §§ 90, 105 106 et 109, 15 septembre 2015
Tsfayo c. Royaume-Uni, no 60860/00, 14 novembre 2006
Varela Assalino c. Portugal (déc.), no 64336/01, 25 avril 2002
Vilho Eskelinen autres c. Finlande, [GC], no 63235/00, § 62, CEDH 2007 II
V.M. et autres c. Belgique (radiation) [GC], no 60125/11, § 39, 17 novembre 2016
Yildirim c. Turquie (déc.), no 40800/98, 4 juillet 2000
Organisations mentionnées :
  • Commission de Venise
  • Comité des Ministres
Niveau d’importance : Publiée au Recueil
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusions : Exception préliminaire rejetée (Art. 35) Conditions de recevabilité ; (Art. 35-1) Épuisement des voies de recours internes ; Partiellement irrecevable (Art. 35) Conditions de recevabilité ; (Art. 35-1) Délai de six mois ; Partiellement irrecevable (Art. 35) Conditions de recevabilité ; (Art. 35-3-a) Ratione materiae ; Non-violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure administrative ; Procédure disciplinaire ; Article 6-1 - Tribunal impartial ; Tribunal indépendant) ; Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure administrative ; Procédure disciplinaire ; Article 6-1 - Procès équitable ; Audience publique) ; Dommage matériel - demande rejetée (Article 41 - Dommage matériel ; Satisfaction équitable)
Identifiant HUDOC : 001-187706
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2018:1106JUD005539113
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Sur les parties

Texte intégral

GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE RAMOS NUNES DE CARVALHO E SÁ c. PORTUGAL

(Requêtes nos 55391/13, 57728/13 et 74041/13)

ARRÊT

STRASBOURG

6 novembre 2018

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Ramos Nunes de Carvalho e Sá c. Portugal,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

 Guido Raimondi, président,
 Angelika Nußberger,
 Linos-Alexandre Sicilianos,
 Ganna Yudkivska,
 Helena Jäderblom,
 Işıl Karakaş,
 Nebojša Vučinić,
 Paulo Pinto de Albuquerque,
 Erik Møse,
 Ksenija Turković,
 Dmitry Dedov,
 Branko Lubarda,
 Carlo Ranzoni,
 Stéphanie Mourou-Vikström,
 Alena Poláčková,
 Pauliine Koskelo,
 Lәtif Hüseynov, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 22 mars 2017, 7 février et 4 juillet 2018,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouvent trois requêtes (nos 55391/13, 57728/13 et 74041/13) dirigées contre la République portugaise et dont une ressortissante de cet État, Mme Paula Cristina Ramos Nunes de Carvalho e Sá (« la requérante »), a saisi la Cour les 16 août et 8 novembre 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  La requérante a été représentée par Me J. Ribeiro, avocat à Porto. Pour l’audience devant la Grande Chambre, la requérante a été autorisée par le Président de la Cour à présenter son affaire (articles 71, 36 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour (« le règlement »). Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme M.F. da Graça Carvalho.

3.  La requérante alléguait en particulier, sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention, la méconnaissance de son droit d’accès à un tribunal indépendant et impartial jouissant de la pleine juridiction et à une audience publique.

4.  Conformément à l’article 52 § 1 du règlement, les requêtes ont été attribuées à la première Section de la Cour, ensuite à la quatrième Section de la Cour. Le 21 juin 2016, une chambre de la quatrième section composée de András Sajó, président, Vincent A. De Gaetano, Nona Tsotsoria, Paulo Pinto de Albuquerque, Krzysztof Wojtyczek, Egidijus Kūris, Gabriele Kucsko-Stadlmayer, juges, et de Marialena Tsirli, greffière de section, a décidé de joindre les requêtes et de les déclarer recevables. Elle a en outre conclu, à l’unanimité, qu’il n’y avait pas lieu de connaître des griefs tirés de la non-communication de la nature et de la cause de l’accusation portée contre la requérante et du fait qu’elle n’avait pas disposé du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, et qu’il y avait eu violation de l’article 6 de la Convention. À l’arrêt était joint le texte de l’opinion en partie dissidente du juge Kūris.

5.  Le 13 septembre 2016, l’arrêt ainsi adopté a été rectifié, sur demande du Gouvernement, conformément à l’article 81 du règlement.

6.  Le 20 septembre 2016, le Gouvernement a sollicité le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre au titre de l’article 43 de la Convention. Le 17 octobre 2016, le collège de la Grande Chambre a fait droit à cette demande.

7.  La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement.

8.  Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations sur la recevabilité et le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).

9.  Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 22 mars 2017 (article 59 § 3 du règlement).

Ont comparu :

–  pour le Gouvernement
Mme M.F. da Graça Carvalho, procureure générale
 adjointe, agente,
M. R. Dias José, juge conseiller à la Cour suprême
 administrative,
Mme A. Garcia Marques, juriste près le bureau de
 l’agent,  conseillers ;

–  pour la requérante
Mme P. Ramos Nunes de Carvalho e Sá, requérante,
MM. J. Ribeiro, avocat, conseil,
 P. Rodrigues, interprète, conseiller.

La Cour a entendu Mme Ramos Nunes de Carvalho e Sá et Mme da Graça Carvalho en leurs déclarations ainsi qu’en leurs réponses aux questions posées par des juges.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

10.  La requérante est née en 1972 et réside à Barcelos.

11.  Alors qu’elle était juge au tribunal de Vila Nova de Famalicão, le Conseil supérieur de la magistrature (Conselho Superior da Magistratura – « le CSM ») décida d’ouvrir trois procédures disciplinaires à son encontre.

A.  Procédure concernant des propos insultants à l’égard de l’inspecteur judiciaire H.G. (requête no 57728/13)

12.  Le 8 octobre 2009, le juge H.G. fut chargé par le CSM de procéder, en qualité d’inspecteur judiciaire (inspetor judicial), à l’évaluation professionnelle de la requérante. L’intéressée devant partir en congé de maternité à la fin du mois de juin 2010, elle lui demanda de procéder à son évaluation avant son départ afin qu’elle puisse être ensuite en mesure de postuler aux postes vacants de l’année 2010 (movimento judicial).

Le 13 septembre 2010, alors qu’elle se trouvait en congé de maternité, la requérante contacta par téléphone l’inspecteur H.G. pour lui réitérer sa demande de procéder à son évaluation, qui n’avait toujours pas eu lieu. Le lendemain, elle adressa au CSM une requête allant dans le même sens. Le même jour, H.G. demanda à être dispensé de l’évaluation de la requérante au motif que celle-ci avait tenu à son égard des propos irrespectueux au cours de cet entretien téléphonique.

1.  La procédure disciplinaire devant le CSM

13.  Le 16 novembre 2010, le conseil permanent du CSM décida d’ouvrir une procédure disciplinaire contre l’intéressée (procédure disciplinaire no 333/10) pour insulte à un inspecteur judiciaire.

14.  Le 12 janvier 2011, le juge instructeur (juiz instrutor) F.M.J. fut chargé de l’instruction de cette procédure, dans laquelle la requérante était représentée par un avocat.

15.  Le 27 janvier 2011, le juge instructeur informa le CSM qu’il allait commencer l’instruction de la procédure, conformément à l’article 114 § 3 de la loi no 21/85 du 30 juillet 1985 relative au Statut des magistrats du siège (« le Statut »). Cette information fut également communiquée à la requérante.

16.  Le 8 février 2011, sur la base de l’audition de l’inspecteur H.G., le juge instructeur F.M.J. dressa contre la requérante un acte d’accusation qui fut porté à la connaissance de l’intéressée le 9 février 2011. L’acte d’accusation indiquait notamment que :

–  dans une lettre adressée au CSM le 9 juin 2010, la requérante avait accusé l’inspecteur judiciaire H.G. « d’inertie et de manque de diligence » ;

–  elle avait qualifié l’inspecteur judiciaire H.G. de « menteur » au cours de l’entretien téléphonique du 13 septembre 2010.

17.  Le 11 février 2011, la requérante contesta l’acte d’accusation, arguant qu’il était nul car elle n’avait pas été entendue par le juge instructeur. Par une ordonnance du 19 février 2011, celui-ci fit droit à ce recours. Il révoqua tous les actes qui avaient été réalisés dans le cadre de l’instruction, et convoqua le juge H.G. et la requérante à comparaître devant lui afin d’être entendus. Les auditions eurent lieu respectivement les 22 et 23 février 2011.

18.  Au cours de l’instruction, différents documents furent analysés et des témoins furent entendus. Un témoin cité par la requérante déclara qu’il avait assisté à l’entretien téléphonique en cause et qu’à cette occasion il n’avait pas entendu la requérante tenir les propos qui lui étaient attribués. Il se rétracta toutefois le 21 mars 2011.

19.  Le 13 mars 2011, le juge instructeur dressa un nouvel acte d’accusation contre la requérante, jugeant à nouveau établis les faits qui lui étaient reprochés dans l’acte d’accusation précédent. Estimant qu’elle avait méconnu son devoir de correction, il proposait l’application d’une sanction de vingt jours-amende.

Conformément à l’article 118 du Statut, l’acte d’accusation fut porté à la connaissance de la requérante et celle-ci disposa d’un délai de quinze jours pour présenter sa défense. En application de l’article 120 du Statut, l’acte d’accusation précisait où la requérante ou son avocat pouvaient consulter le dossier disciplinaire de l’intéressée.

20.  Le 29 mars 2011, la requérante soumit au CSM une demande de récusation du juge F.M.J., arguant que celui-ci n’avait pas respecté la présomption d’innocence et qu’il était proche de l’inspecteur judiciaire qu’elle était accusée d’avoir outragé.

21.  Le 30 mars 2011, elle versa au dossier son mémoire en défense, dans lequel elle contestait les faits et arguait que la procédure disciplinaire était entachée de nullité car les principes de l’égalité et de l’impartialité avaient été méconnus, de même que son droit à être entendue.

S’agissant de la violation du principe de l’égalité, elle observait qu’elle avait porté plainte devant le CSM contre l’inspecteur H.G. pour dénonciation calomnieuse et que cette plainte avait été classée sans suite par une ordonnance du 15 février 2011 alors qu’elle concernait les mêmes faits que ceux ayant donné lieu à l’ouverture de la présente procédure disciplinaire à son encontre.

Quant aux faits, elle exposait :

–  qu’elle avait effectivement pris contact le 13 septembre 2010 par téléphone avec l’inspecteur H.G. pour lui demander de procéder à son évaluation pendant son congé de maternité. En l’occurrence, elle lui avait expliqué qu’elle souhaitait pouvoir postuler aux postes vacants de l’année 2011 étant donné qu’elle n’avait pas été en mesure de le faire pour l’année précédente puisque son évaluation n’avait pas été faite avant son départ en congé de maternité ;

–  que l’inspecteur avait exprimé sa surprise au motif qu’elle lui avait indiqué auparavant qu’elle ne souhaitait pas que son évaluation ait lieu pendant son congé de maternité ;

–  qu’il lui avait alors demandé de lui présenter une requête écrite à ce sujet dans la mesure où ils ne parvenaient pas à s’entendre ;

–  qu’à cela elle avait répondu que c’était lui qui n’avait pas tenu parole jusqu’alors ;

–  qu’à aucun moment, elle ne l’avait accusé d’être un menteur.

Elle joignait un certain nombre d’éléments de preuve, demandant également l’audition d’un témoin supplémentaire.

22.  Le 10 avril 2011, le juge F.M.J. demanda au CSM de l’autoriser à se déporter, se disant « l’ennemi juré » de la requérante consécutivement aux accusations qu’elle avait portées contre lui dans le cadre de sa demande de récusation.

23.  Par une ordonnance du 3 mai 2011, le conseil permanent du CSM fit droit à la demande de déport présentée par le juge F.M.J., et remplaça celui‑ci par un autre juge instructeur, A.V.N.

24.  Dans le rapport final établi le 23 septembre 2011, le juge instructeur A.V.N. proposa d’imposer à la requérante une sanction de quinze jours‑amende pour violation du devoir de correction.

25.  Par une décision du 10 janvier 2012, l’assemblée plénière du CSM conclut à la véracité des allégations du juge H.G. Elle considéra que la requérante avait méconnu son devoir de correction et que, compte tenu de la gravité des propos qu’elle avait tenus, elle devait se voir infliger une sanction sévère. En conséquence, elle la condamna à une sanction de vingt jours-amende, ce qui correspondait à vingt jours sans rémunération.

26.  La décision du 10 janvier 2012 fut adoptée à la majorité des voix par une formation comprenant quinze membres, dont six juges et neuf membres non juges (les « non-juges »). Quatre des non-juges déposèrent une opinion dissidente commune dans laquelle ils estimaient, d’une part, qu’il n’était pas possible d’établir sur la seule base de la déposition de l’inspecteur H.G. que la requérante l’avait traité de « menteur » et, d’autre part, que les propos lui imputant une « inertie » et un « manque de diligence » relevaient de la liberté d’expression de la requérante.

2.  La procédure devant la Cour suprême

27.  La requérante introduisit un recours contre la décision du CSM devant la section du contentieux de la Cour suprême (Secção do Contencioso administrativo do Supremo Tribunal de Justiça). Elle arguait notamment :

–  que le CSM n’avait pas pris en compte un certain nombre de faits qu’elle avait invoqués pour sa défense et qui étaient confirmés par différents éléments de preuve ;

–  que, dans l’établissement des faits, le CSM n’avait fait aucune référence à l’élément intentionnel de l’infraction disciplinaire ;

–  que la sanction disciplinaire reposait sur des éléments de preuve insuffisants ou dénués de pertinence ;

–  que la conduite reprochée ne pouvait être qualifiée de faute disciplinaire, qu’elle n’avait fait qu’exercer un droit légitime et que les autorités avaient méconnu le principe de l’administration de bonne foi ;

–  que le CSM n’avait pas motivé sa décision de ne pas assortir la sanction appliquée d’un sursis à exécution ;

–  que la sanction appliquée était disproportionnée aux faits reprochés.

28.  Par un arrêt définitif du 21 mars 2013, la section du contentieux de la Cour suprême rejeta, à l’unanimité, le recours.

29.  À titre préliminaire, la Cour suprême souligna que les recours formés contre les décisions rendues par le CSM en matière disciplinaire n’étaient pas des recours de pleine juridiction mais portaient uniquement sur la légalité de ces décisions. Elle exposa ce qui suit :

« La protection juridictionnelle effective des droits et des intérêts légalement protégés des citoyens, garantie par la Constitution – article 268 § 4 – accorde à ces derniers, dans le cadre spécifique des délibérations du CSM [tenues] à l’occasion d’une procédure disciplinaire, le droit à un recours de simple légalité et non de pleine juridiction ; ainsi, un recours visera toujours à faire déclarer la nullité ou l’inexistence d’un acte attaqué, plutôt qu’à faire apprécier de nouveau les critères employés par l’organe administratif ou la question de savoir si ces critères ont été correctement ou incorrectement appliqués, notamment en ce qui concerne l’établissement des faits importants (...) La pratique suivie par la section du contentieux est que, bien que la Cour suprême jouisse du pouvoir d’apprécier et de censurer l’omission des démarches nécessaires et utiles dans le cadre d’une procédure disciplinaire, elle ne peut se substituer à l’organe administratif compétent – le CSM – pour recueillir les éléments de preuve (aquisição da matéria instrutória) ou pour établir les faits importants en cause ; il lui appartient uniquement d’annuler, le cas échéant, la décision attaquée afin que cet organe effectue ou ordonne un certain acte d’instruction dans la procédure et réexamine dûment l’affaire (...)

Selon la jurisprudence de la Cour suprême, celle-ci ne peut pas, en matière administrative, apprécier à nouveau les preuves instruites par l’autorité [dont la décision est contestée] ; il lui appartient uniquement d’analyser, sur la base des éléments de preuves disponibles, le caractère raisonnable de l’établissement des faits, et donc de vérifier si l’autorité [dont la décision est contestée] a examiné (ou réexaminé) les faits exposés dans l’acte d’accusation et ceux exposés par la défense, [et si elle] a motivé l’établissement [des faits] de manière adéquate, n’ayant d’autre choix que de le respecter ou de le faire respecter (...)

Selon la jurisprudence de la Cour suprême, un recours peut porter sur le caractère suffisant ou non des preuves et des faits qui motivent la décision d’infliger une sanction dans le cadre d’une procédure disciplinaire. Cependant, le contrôle de ce caractère suffisant ne consiste pas à apprécier de nouveau les éléments de fait ni à tirer une conclusion nouvelle et différente des éléments de preuve disponibles. Il ne peut être procédé qu’à une appréciation du caractère raisonnable et de la cohérence du rapport entre les faits que l’autorité [dont la décision est contestée] a établis et les preuves fondant sa décision (...)

L’étendue du contrôle que pratique la Cour suprême en ce qui concerne les faits se limite à la vérification de l’absence de vices dans l’appréciation [faite par l’autorité dont la décision est contestée] ; il lui est impossible de réexaminer les éléments de preuve retenus afin de rendre un nouveau jugement sur le fondement de ces éléments. En d’autres termes, il n’incombe pas à la Cour suprême de rendre un nouveau jugement en appréciant les éléments de preuve, mais uniquement de vérifier, d’une part, la validité et la légalité des moyens de preuve et, d’autre part, le caractère raisonnable et la cohérence de l’établissement des faits. Il lui appartient donc, dans ce contexte, d’examiner les contradictions, les incohérences, ainsi que l’insuffisance des preuves et les erreurs manifestes dans l’appréciation qui en est faite, pour autant que ces vices soient évidents (...) »

30.  En l’espèce, la Cour suprême rejeta les arguments de la requérante relatifs à l’établissement des faits. Elle formula à cet égard la conclusion suivante :

« Il n’y a pas eu d’erreur dans l’appréciation des faits sur laquelle repose la décision adoptée [par le CSM] ni d’interprétation erronée de ces faits. La motivation révèle que l’examen des preuves a été fait de manière cohérente et logique ; elle repose sur des faits probants qui, une fois établis conformément au principe de la libre appréciation de la preuve, n’empêchent pas l’appréciation portée en l’espèce (...) [l’appréciation des faits] n’a pas été arbitraire, aléatoire, obscure ou incohérente. »

31.  La Cour suprême rejeta également les autres arguments de la requérante, à savoir que la conduite reprochée ne pouvait être qualifiée de faute disciplinaire, qu’elle n’avait fait qu’exercer un droit légitime et que les autorités avaient méconnu le principe de l’administration de bonne foi. La Cour suprême valida ainsi le raisonnement par lequel le CSM avait conclu à la méconnaissance par l’intéressée de son devoir de correction.

32.  S’agissant de la sanction appliquée, elle estima :

–  que, contrairement aux dispositions de droit pénal, où l’enjeu était une privation de liberté, les dispositions légales régissant le contentieux disciplinaire ne prévoyaient pas de pouvoir ni d’obligation de prononcer un sursis à l’exécution de la sanction et que, en tout état de cause un tel sursis eût été, en l’espèce, contraire aux finalités de la sanction ;

–  que la sanction infligée n’était pas disproportionnée.

Elle s’exprima en ces termes :

« Dans le cadre du contentieux disciplinaire, il incombe au CSM de décider de la sévérité de la sanction à infliger, lorsqu’elle est variable dans l’abstrait.

Il n’appartient pas à la Cour suprême de revoir cette décision, mais uniquement de vérifier si celle-ci est appropriée à l’infraction commise et si la sanction infligée est proportionnée à cette infraction (...)

La détermination de la sanction s’inscrit dans ce qu’on appelle la [marge] discrétionnaire technique et administrative, qui échappe au contrôle juridictionnel sauf dans les cas d’erreurs grossières manifestes et en particulier de non-respect du principe de proportionnalité sous l’angle du caractère approprié de la sanction (...)

Eu égard à ce qui précède, et une fois établi qu’il est nécessaire d’infliger une amende, celle-ci étant fixée à vingt jours, il n’y a pas d’éléments pouvant porter à conclure que la sanction infligée est disproportionnée aux faits disciplinaires et au cadre législatif respectif. »

B.  Procédure concernant l’utilisation d’un faux témoignage (requête no 55391/13)

1.  La procédure disciplinaire devant le CSM

33.  Le 29 mars 2011, faisant suite à une communication du juge instructeur F.M.J., le conseil permanent du CSM décida d’ouvrir à l’encontre de la requérante une deuxième procédure disciplinaire (no 179/11), pour utilisation d’un faux témoignage dans le cadre de la première procédure disciplinaire. L’enquête était dirigée également contre le témoin.

34.  À une date non précisée, le juge R. fut désigné pour diriger l’enquête en qualité de juge instructeur.

35.  Au cours de l’instruction, la requérante, F.M.J., le co-accusé et un témoin furent entendus.

36.  Le 26 mai 2011, le juge instructeur dressa l’acte d’accusation visant la requérante. Il considérait qu’elle avait violé son devoir de loyauté, mais ne précisait pas quelle forme avait pris sa participation à la commission de l’infraction. Il ne proposait pas non plus de sanction, car il estimait qu’il fallait d’abord examiner les arguments que présenterait l’intéressée pour sa défense. Il notait à cet égard que l’article 117 § 1 du Statut, relatif à l’acte d’accusation, n’imposait pas de proposer une sanction à ce stade.

37.  L’acte d’accusation fut porté à la connaissance de la requérante et celle-ci présenta son mémoire en défense. Elle contestait les faits reprochés, joignait des documents à l’appui de sa thèse et citait deux témoins conformément à l’article 121 du Statut. Elle arguait également qu’elle ne pouvait être poursuivie en qualité de complice de l’infraction en cause, la loi ne prévoyant pas cette possibilité.

38.  Le 14 juillet 2011, le juge instructeur remit son rapport final, en application de l’article 122 du Statut. Il estimait que les faits en cause étaient prouvés et que, dès lors, la requérante avait méconnu son devoir de loyauté. Il précisait qu’à cet égard, elle devait être considérée comme coauteure de l’infraction étant donné que, dans le cadre de la procédure disciplinaire no 333/10, elle avait sciemment présenté un témoin qui n’avait pas assisté à l’échange litigieux. En conséquence, il proposait de lui infliger une sanction de soixante jours de suspension de l’exercice de ses fonctions.

39.  Le 19 juillet 2011, la requérante contesta ce rapport devant le juge instructeur. Elle arguait notamment que l’acte d’accusation ne proposait pas cette sanction sévère et que, dès lors, elle avait subi une atteinte aux droits de la défense. Elle sollicitait l’annulation de l’acte d’accusation et l’octroi d’un délai supplémentaire pour préparer sa défense.

40.  Par une ordonnance du 31 août 2011, le juge instructeur rejeta cette contestation au motif notamment que la requérante n’avait pas invoqué la nullité de l’acte d’accusation dans son mémoire en défense (paragraphe 37 ci-dessus).

41.  Le 11 octobre 2011, l’assemblée plénière du CSM rendit sa décision, adoptée à l’unanimité par une formation comprenant douze membres (sept juges, dont le président du CSM, et cinq non-juges). Elle concluait que la requérante avait manqué à son devoir d’honnêteté. Elle considérait que ce devoir était « une manifestation plus concrète du devoir plus général de loyauté visé dans l’acte d’accusation », et devait régir la conduite personnelle et professionnelle des juges non seulement dans l’exercice strict de leurs fonctions, mais également dans leurs relations avec la société. Elle notait que, dans la procédure disciplinaire no 333/10, la requérante avait accepté sciemment d’utiliser un témoignage comportant de fausses déclarations sur les faits qui lui étaient alors imputés. Elle observait que ces faits avaient été établis au vu du relevé des appels passés par la requérante sur son téléphone portable, relevé qui avait été obtenu avec le consentement de l’intéressée à la demande du juge instructeur F.M.J. Compte tenu de la portée du devoir d’honnêteté, qu’elle estimait être un devoir personnel, elle considéra que la requérante était auteure des faits en cause, et non coauteure comme indiqué dans le rapport final du juge instructeur, et lui infligea une sanction disciplinaire de cent jours de suspension de l’exercice de ses fonctions. Constatant que l’acte d’accusation était conforme à l’article 117 § 1 du Statut, elle rejeta l’argument de la requérante consistant à dire qu’il était entaché de nullité. Elle jugea en outre que la requérante n’avait pas subi d’atteinte aux droits de la défense étant donné que, après l’instruction des preuves, le juge instructeur avait bien indiqué dans le rapport final les faits qu’il estimait établis et leur qualification juridique, et avait proposé une certaine sanction conformément à l’article 122 du Statut.

2.  La procédure devant la Cour suprême

42.  À une date non précisée, la requérante forma devant la section du contentieux de la Cour suprême un recours contre la décision du 11 octobre 2011. Ses arguments étaient les suivants :

–  il y avait des erreurs dans l’établissement des faits ; notamment, elle n’avait pas agi dans l’exercice de ses fonctions, et un nouveau témoin entendu au cours de l’instruction avait confirmé qu’elle n’avait pas tenu les propos qui lui étaient reprochés pendant l’entretien litigieux, auquel ce témoin avait bien assisté ;

–  sa conduite ne constituait pas une faute disciplinaire et, à titre subsidiaire, elle aurait été justifiée par l’« état de nécessité », étant donné l’hostilité affichée à son égard par le juge instructeur F.M.J. ;

–  elle n’avait pas été entendue au sujet de la sanction disciplinaire envisagée, celle-ci n’ayant pas été proposée dans l’acte d’accusation ;

–  le CSM avait procédé à une requalification juridique des faits et modifié le mode de participation à l’infraction disciplinaire, en méconnaissance des droits de la défense, dont celui d’être entendu ;

–  le CSM n’avait pas motivé sa décision de ne pas assortir la sanction appliquée d’un sursis à exécution ;

–  la sanction appliquée était disproportionnée aux faits.

43.  Le 23 janvier 2012, le CSM présenta son mémoire en réponse. Celui-ci fut porté à la connaissance de la requérante le 27 janvier 2012.

44.  Par un arrêt définitif du 26 juin 2013, la section du contentieux de la Cour suprême rejeta, à l’unanimité, le recours.

45.  À titre préliminaire, la Cour suprême définit ses compétences en ces termes :

« La plus ancienne des garanties est le droit à un recours ou à la contestation des actes administratifs ; [cette garantie] vise (...) les droits et les intérêts légalement protégés des particuliers, et elle comporte généralement la possibilité de demander l’annulation ainsi que la déclaration de nullité ou d’inexistence d’un acte administratif, en raison de son illégalité.

En conséquence, l’article 50 § 1 du code de procédure applicable aux tribunaux administratifs (« CPTA »), relatif à la contestation des actes administratifs, dispose que « la contestation d’un acte administratif a pour objet son annulation ou la déclaration de sa nullité ou de son inexistence ».

Même si, depuis 1997, la Constitution n’indique plus « l’illégalité » comme moyen de recours contre un acte administratif, cela ne saurait être interprété en ce sens que le juge aurait désormais le pouvoir d’examiner « le bien-fondé » de l’action administrative – l’illicéité de l’acte découle de l’atteinte portée aux droits et intérêts légitimes légalement protégés[1].

La Constitution confère aux tribunaux administratifs la compétence pour statuer sur les litiges qui surgissent dans les relations juridiques administratives. L’article 212 § 3 dispose que « les juridictions administratives et fiscales statuent sur les actions et les recours contentieux visant à trancher les litiges nés des relations juridiques administratives et fiscales. »

Toutefois, l’article 3 § 1 du CPTA a consacré une limitation[2] selon laquelle, « dans la limite imposée par le principe de la séparation des pouvoirs, les tribunaux administratifs examinent le respect des normes et des principes juridiques qui lient l’administration, mais [ils] n’examinent pas le caractère approprié et opportun (conveniência ou oportunidade) de son action ».

L’article 3 § 1 du CPTA révèle manifestement l’existence d’une discrétion laissée à l’administration, d’un domaine d’activité administratif, qui n’est pas régi par des normes ou principes juridiques et qui se situe en dehors des pouvoirs d’examen des tribunaux administratifs.

(...)

Dès lors, compte tenu de cette discrétion de l’administration, le contrôle juridictionnel de l’activité administrative devra se limiter à la vérification du respect ou de la méconnaissance des principes juridiques qui la lient, et il s’agira en principe d’un contrôle négatif (un contentieux d’annulation et non de pleine juridiction), le tribunal ne pouvant pas se substituer à l’administration dans l’appréciation des éléments relevant de cette discrétion. »

46.  S’agissant de l’établissement des faits opéré par le CSM, la Cour suprême rappela sa jurisprudence selon laquelle, d’une part, seule l’insuffisance des preuves et des faits dans une procédure disciplinaire pouvait faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, lequel n’entraînait pas une nouvelle appréciation des éléments de preuve disponibles ni une conclusion nouvelle et différente tirée de ces éléments et, d’autre part, elle ne pouvait remédier à une éventuelle omission dans la procédure disciplinaire. Dans le cas de l’existence d’une telle omission, elle pouvait uniquement annuler la décision de l’organe chargé de la procédure disciplinaire et renvoyer l’affaire à cet organe pour tout acte d’instruction supplémentaire.

En l’espèce, la Cour suprême considéra que le CSM avait bel et bien examiné les éléments factuels que la requérante lui avait reproché d’avoir ignorés. Elle indiqua à cet égard que le point de savoir si l’intéressée avait agi dans l’exercice de ses fonctions s’apparentait plutôt à une question de droit et que, en tout état de cause, il fallait prendre en compte dans l’examen du respect par un juge de ses devoirs les relations de ce juge avec la société et avec le CSM, organe de gestion et de discipline de la profession. Elle considéra que c’était à bon droit que le CSM avait écarté le témoignage indiqué par la requérante, eu égard à son contenu et au fait que la véracité de l’outrage avait déjà été établie dans la procédure antérieure (paragraphes 25 et 30 ci-dessus).

47.  La Cour suprême estima également que le CSM n’avait pas commis d’erreur manifeste dans l’appréciation de la conduite de la requérante lorsqu’il avait conclu que celle-ci avait méconnu son devoir d’honnêteté.

48.  Sur les autres arguments de la requérante, relatifs aux garanties procédurales devant le CSM, la Cour suprême jugea :

–  que le fait que le juge instructeur n’ait proposé une sanction qu’au stade du rapport final correspondait aux exigences légales et était suffisant compte tenu de ce que ce rapport avait été dûment porté à la connaissance de la requérante afin que celle-ci formule les commentaires qu’elle jugerait nécessaires ;

–  que les droits de la défense et en particulier le droit d’être entendu n’avaient pas été méconnus dans le cas de la requérante étant donné que celle-ci exerçait sa défense par rapport aux faits de la cause et non par rapport à la sanction proposée et que, par ailleurs, le CSM avait la possibilité d’infliger une sanction plus sévère que celle proposée ;

–  que la requalification juridique des faits n’avait pas non plus porté préjudice à la défense puisque c’était dans le cadre de ces mêmes faits que la requérante avait méconnu son devoir d’honnêteté.

49.  Pour ce qui est des arguments relatifs à la sanction infligée, la Cour suprême indiqua :

–  que, contrairement aux dispositions de droit pénal, où l’enjeu était une privation de liberté, les dispositions légales régissant le contentieux disciplinaire ne prévoyaient pas de pouvoir ni d’obligation de prononcer un sursis à l’exécution de la sanction et que, en tout état de cause, un tel sursis eût été, en l’espèce, contraire aux finalités de la sanction ;

–  que la sanction infligée n’était pas disproportionnée.

C.  Procédure concernant la tentative d’empêcher l’ouverture de poursuites disciplinaires à l’encontre d’un témoin (requête no 74041/13)

1.  La procédure disciplinaire devant le CSM

50.  Le 7 juin 2011, faisant suite à une communication du juge instructeur F.M.J., le conseil permanent du CSM décida d’ouvrir à l’encontre de la requérante une troisième procédure disciplinaire (no 269/11), au motif qu’elle avait demandé à ce juge instructeur, au cours d’un entretien tenu à huis clos le 18 mars 2011, de ne pas ouvrir de procédure disciplinaire à l’encontre du témoin à décharge cité par elle dans le cadre de la première procédure disciplinaire.

51.  À une date non précisée, le juge R. fut désigné pour diriger l’enquête en qualité de juge instructeur.

52.  À une date non précisée, la requérante reçut notification de l’acte d’accusation, qui proposait l’application de la sanction de révocation des fonctions pour violation du devoir de loyauté et du devoir de correction.

53.  La requérante présenta son mémoire en défense conformément à l’article 121 du Statut en y joignant ses moyens de preuve. Elle arguait notamment que la sanction proposée était manifestement disproportionnée aux faits qui lui étaient reprochés. Elle reconnaissait avoir eu un entretien à huis clos avec F.M.J., mais niait lui avoir présenté la demande en question.

54.  Dans le cadre de l’instruction, la requérante, F.M.J. et trente-deux témoins furent entendus. Des déclarations écrites de témoins furent versées au dossier. Le juge instructeur R. organisa aussi une séance de confrontation (acareação) entre la requérante et F.M.J.

55.  Le 21 décembre 2011, le juge instructeur R. remit son rapport final. Jugeant le témoignage du juge instructeur F.M.J. crédible, il conclut de ce témoignage que les faits étaient établis. Il proposa donc la révocation de la requérante pour violation du devoir de loyauté et du devoir de correction.

56.  Le 17 janvier 2012, la requérante sollicita la tenue d’une audience publique. Ainsi qu’il ressort du procès-verbal de la réunion de l’assemblée plénière du CSM qui se tint le même jour, la demande de la requérante fut rejetée au motif que les droits de la défense garantis par la loi avaient été respectés et qu’aucune base légale ne prévoyait que la cause fût entendue publiquement devant l’assemblée plénière du CSM.

57.  À une date non précisée, la requérante soutint que le rapport final était entaché de nullité et demanda qu’il fût corrigé. Le 30 janvier 2012, le juge instructeur corrigea différentes erreurs contenues dans le rapport.

58.  Par une décision du 10 avril 2012, l’assemblée plénière du CSM jugea que la requérante avait violé son devoir de loyauté et son devoir de correction.

Tout d’abord, l’assemblée rejeta l’argument de la requérante consistant à dire que la procédure était entachée de nullité à raison de la violation du principe du contradictoire.

Elle estima que, malgré les différents éléments de preuve en sens contraire avancés par la requérante, les affirmations de F.M.J. demeuraient crédibles.

Prenant en compte les circonstances personnelles de la requérante et ses qualités professionnelles, elle considéra qu’une sanction moins sévère que celle proposée dans le rapport final suffisait, et condamna la requérante à cent quatre-vingt jours de suspension de l’exercice de ses fonctions.

59.  La décision du 10 avril 2012 fut prise par quatorze des dix-sept membres du CSM (huit juges, dont le président du CSM, et six non-juges). L’un des juges déposa une opinion dissidente dans laquelle il estimait que, compte tenu de leur gravité, les faits avérés auraient justifié une mise à la retraite anticipée ou une révocation en vertu de l’article 95 du Statut (paragraphe 71 ci-dessous).

2.  La procédure devant la Cour suprême

60.  À une date non précisée, la requérante introduisit un recours contre la décision du CSM devant la section du contentieux de la Cour suprême. Dans son recours, elle soutenait :

–  que les faits pertinents n’avaient pas été pris en compte, que le CSM avait commis une erreur manifeste dans l’appréciation des preuves, et qu’il avait utilisé des éléments factuels obtenus par des moyens frauduleux ;

–  que la décision du CSM était illégale, notamment à raison de la définition de l’infraction disciplinaire reprochée ;

–  qu’il y avait eu violation du droit à un procès équitable, le CSM ayant refusé de lui communiquer des informations qui, selon elle, auraient permis a) de clarifier certaines allégations du juge inspecteur F.M.J. ou de mettre en doute leur crédibilité, et b) de savoir qui était le membre de la formation du CSM qui avait rendu publics certains éléments des délibérations tenues dans l’affaire avant le prononcé de la décision ;

–  que le refus d’appliquer un sursis à l’exécution de la sanction prononcée n’était pas motivé ;

–  que la sanction appliquée était disproportionnée aux faits reprochés.

61.  Dans son mémoire en recours, la requérante demandait la tenue d’une audience publique, conformément à l’article 91 § 2 du code de procédure applicable aux tribunaux administratifs (« le CPTA »), afin qu’elle pût y présenter de nouveaux moyens de preuve, à savoir un témoin et des documents.

62.  À une date non précisée, le CSM présenta son mémoire en réponse à celui de la requérante.

63.  Par un arrêt du 8 mai 2013, la section du contentieux de la Cour suprême rejeta, à l’unanimité, le recours.

64.  La Cour suprême estima en premier lieu qu’elle devait rejeter la demande de tenue d’une audience publique étant donné qu’il ne lui appartenait pas d’apprécier à nouveau les faits et qu’elle devait se borner, aux termes de la loi, à contrôler le respect par le CSM des normes et des principes régissant l’examen des preuves, notamment la cohérence et le caractère raisonnable du verdict portant sur l’établissement des faits.

Elle s’exprima comme suit :

« La réponse au point de savoir si les dispositions qui régissent l’action administrative spéciale (ação administrativa especial) en annulation d’un acte administratif permettent la tenue d’une audience publique à la demande du demandeur au pourvoi dépend naturellement, dès le départ, de l’étendue, façonnée et encadrée spécialement par le Statut des magistrats du siège, des pouvoirs de contrôle qu’a la Cour suprême en matière d’établissement des faits et d’administration des preuves lorsqu’elle agit dans le cadre du recours contentieux. En réalité, et à l’évidence, une telle audience destinée à la production de preuves et à la discussion des faits n’aurait de sens et d’utilité que si la Cour suprême pouvait, en statuant sur le recours, exercer sa juridiction de manière ample et sans restrictions sur tous les faits et les preuves retenus dans la décision attaquée. Dans cette hypothèse, la Cour suprême renouvellerait et complèterait l’examen des preuves produites dans le cadre de la procédure disciplinaire, de façon à (...) se forger (...) sa propre conviction sur les conclusions à en tirer (...).

Or, comme cela découle de la jurisprudence uniforme et constante de la section du contentieux, ce n’est manifestement pas cette configuration juridique qui continue d’émerger en premier lieu de la loi renforcée qu’est le Statut des magistrats du siège. »

Relativement aux moyens de preuve que la requérante entendait produire au cours de cette audience, la Cour suprême conclut qu’ils étaient irrecevables et inutiles, soulignant notamment :

–  que l’audition du témoin que réclamait l’intéressée visait à déterminer quelle était la teneur du projet de décision de l’assemblée plénière du CSM sur son affaire disciplinaire, ce qui allait à l’encontre de la confidentialité de la procédure menant à la délibération finale ; et

–  que les documents produits par la requérante dépassaient l’objet de la procédure disciplinaire.

Enfin, elle observa que la requérante avait produit un long mémoire en défense et considéra que, en application des dispositions de l’article 91 du CPTA, cela rendait inutile toute plaidoirie orale sur les points de droit.

65.  Sur le fond, la Cour suprême nota :

–  qu’il n’y avait pas d’erreur ni d’incohérence manifeste dans l’établissement des faits, ni aucun indice que les preuves aient été obtenues illégalement ;

–  que le CSM jouissait d’une large marge d’appréciation dans la définition de l’infraction disciplinaire, celle-ci étant décrite en termes larges dans le Statut, et qu’elle-même ne pouvait modifier cette qualification juridique qu’en présence d’une erreur grossière manifeste, ce qui n’était pas le cas en l’espèce ;

–  que les arguments selon lesquels la procédure menée devant le CSM n’avait pas été équitable étaient dépourvus de fondement, car le refus de communiquer certaines informations était dûment motivé.

66.  Pour ce qui était de la sanction infligée, la Cour suprême observa :

–  que, contrairement aux dispositions de droit pénal, où l’enjeu était une privation de liberté, les dispositions légales régissant le contentieux disciplinaire ne prévoyaient pas de pouvoir ni d’obligation de prononcer un sursis à l’exécution de la sanction et que, en tout état de cause, un tel sursis eût été, en l’espèce, contraire aux finalités de la sanction ;

–  que la sanction infligée n’était pas disproportionnée.

Sur ce dernier point, elle s’exprima en ces termes :

« Toutefois, comme il est dit de façon uniforme et constante dans la jurisprudence de cette section, « dans la fixation des sanctions infligées dans le cadre d’une procédure disciplinaire, il existe une marge de discrétion [administrative], qui doit être corrigée uniquement en cas d’erreur grossière manifeste (...). »

(...)

Or, compte tenu des pouvoirs de la Cour suprême s’agissant de la question de la gradation de la sanction – relevant entièrement du pouvoir discrétionnaire [de l’administration] conformément à la jurisprudence susmentionnée –, nous ne considérons pas que le jugement de valeur du CSM sur les circonstances factuelles concrètes et sur la conduite répréhensible de l’accusée puisse interférer avec les principes de proportionnalité et d’égalité.

En outre, rien dans le dossier n’indique en l’espèce que le choix du [type] de sanction ou de sa sévérité ait été fondé sur des critères autres que la nécessité de protéger l’intérêt public et les exigences requises par la déontologie de la magistrature judiciaire ; dès lors, [le grief tiré du] vice allégué de détournement de pouvoir est manifestement mal fondé (...) »

D.  Cumul et mise à exécution des sanctions

67.  Par une décision définitive du 30 septembre 2014, l’assemblée plénière du CSM, après avoir décidé le cumul des sanctions (cúmulo jurídico das penas disciplinares aplicadas) infligées à la requérante dans les trois procédures disciplinaires décrites ci-dessus, lui appliqua, à l’unanimité, une sanction unique de deux cent quarante jours de suspension de l’exercice de ses fonctions.

68.  La décision du 30 septembre 2014 fut prise par une formation composée de douze des dix-sept membres du CSM (sept juges, dont le président du CSM, et cinq non-juges).

69.  La requérante a indiqué qu’elle n’a été en pratique suspendue que pendant cent jours, le reste de la sanction ayant été frappé de prescription.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  La Constitution portugaise

70.  Les dispositions pertinentes de la Constitution portugaise se lisent comme suit :

Article 2 – État de droit démocratique

« La République portugaise est un État de droit démocratique fondé sur la souveraineté populaire, sur le pluralisme de l’expression et de l’organisation politique démocratiques, sur le respect des droits fondamentaux et des libertés essentielles et sur la garantie de leur exercice et de leur usage ainsi que sur la séparation des pouvoirs et leur interdépendance, dans le but de réaliser la démocratie économique, sociale et culturelle et à approfondir la démocratie participative. »

Article 203 – Indépendance

« Les tribunaux sont indépendants et ne sont soumis qu’à la loi. »

Article 212 § 3 – Les juridictions administratives et fiscales

« Les juridictions administratives et fiscales statuent sur les actions et les recours contentieux visant à trancher des litiges nés des relations juridiques administratives et fiscales. »

Article 215 § 4 – Magistrature des tribunaux judiciaires

« L’accès à la Cour suprême a lieu par concours sur examen du curriculum vitae. Ce concours est ouvert aux magistrats du siège et du ministère public et aux autres juristes de mérite, dans les conditions que la loi détermine. »

Article 216 – Garanties et incompatibilités

« 1.  Les juges sont inamovibles. Ils ne peuvent être mutés, suspendus, mis à la retraite ou démis de leurs fonctions en dehors des cas prévus par la loi.

2.  La responsabilité des juges ne peut être engagée à raison de leurs décisions, sauf exceptions prévues par la loi.

3.  Les juges en exercice ne peuvent exercer aucune autre fonction publique ou privée, hormis les fonctions d’enseignement ou de recherche scientifique de nature juridique, non rémunérées et autorisées par la loi.

4.  Les juges en exercice ne peuvent être désignés pour participer à des commissions de service étrangères à l’activité des tribunaux sans l’autorisation du conseil supérieur compétent.

5.  La loi peut prévoir d’autres cas d’incompatibilité avec l’exercice de la fonction de juge. »

Article 217 § 1 – Nomination, affectation,
mutation et avancement des juges

« La nomination, l’affectation, la mutation et l’avancement des juges des tribunaux judiciaires ainsi que l’exercice de l’action disciplinaire à leur encontre relèvent de la compétence du Conseil supérieur de la magistrature, conformément à la loi. »

Article 218 §§ 1 et 2 – Le Conseil supérieur de la magistrature

« 1.  Le Conseil supérieur de la magistrature est présidé par le président de la Cour suprême et composé des membres suivants :

a)  deux membres nommés par le président de la République ;

b)  sept membres élus par l’Assemblée de la République ;

c)  sept juges élus par leurs pairs (...)

2.  Les règles relatives aux garanties dont bénéficient les juges sont applicables à tous les membres du Conseil supérieur de la magistrature. »

Article 266 – Principes fondamentaux

« 1.  L’administration publique vise la poursuite de l’intérêt public, dans le respect des droits et des intérêts des citoyens protégés par la loi.

2.  Les organes et agents de l’administration publique sont subordonnés à la Constitution et à la loi et doivent agir, dans l’exercice de leurs fonctions, dans le respect des principes de l’égalité, de la proportionnalité, de la justice, de l’impartialité et de la bonne foi. »

Article 268 § 4 – Droits et garanties des administrés

« Il est garanti aux administrés la protection judiciaire effective de leurs droits et intérêts prévus par la loi, ce qui inclut, notamment, la reconnaissance de ces droits et de ces intérêts, le recours contre tout acte administratif qui leur porte atteinte, quelle qu’en soit la forme (...). »

B.  Le Statut des magistrats du siège

71.  Les dispositions pertinentes de la loi no 21/85 du 30 juillet 1985 relative au Statut des magistrats du siège (Estatuto dos Magistrados Judiciais – « le Statut ») sont ainsi libellées :

[Dispositions générales]
Article 4 § 1 – Indépendance

« Les magistrats du siège jugent sur la seule base de la Constitution et de la loi. Ils ne sont soumis à aucun ordre ni aucune instruction, sous réserve du devoir, pour les juridictions inférieures, de se conformer aux décisions rendues par les juridictions supérieures sur un recours. »

Article 6 – Inamovibilité

« Les magistrats du siège sont nommés à vie. Ils ne peuvent être mutés, suspendus, promus, mis à la retraite ou démis de leurs fonction ni subir un changement de situation quelconque autrement que dans les cas prévus par le présent Statut. »

Article 7 – Empêchements

« Les magistrats du siège ne peuvent pas :

a)  connaître d’une affaire concernant des juges, des magistrats du ministère public ou des fonctionnaires de justice avec lesquels ils sont liés par le mariage, par une union de fait, par un lien de parenté ou par un lien à un quelconque degré en ligne directe ou jusqu’au deuxième degré de la ligne collatérale.

b)  servir dans un tribunal relevant du ressort où ils ont, au cours des cinq dernières années, exercé des fonctions de procureur ou eu un cabinet d’avocat. »

[Devoirs, incompatibilités, droits et privilèges des magistrats du siège]
Article 13 §§ 1 et 2 – Incompatibilités

« 1.  À l’exception des juges à la retraite et de ceux qui sont en congé sans solde de longue durée, les magistrats du siège ne peuvent pas exercer d’autre fonction publique ou privée professionnelle, sauf des fonctions d’enseignement ou de recherche scientifique de nature juridique non rémunérées ou des fonctions de direction dans une organisation syndicale de la magistrature du siège.

2.  L’exercice des fonctions d’enseignement ou de recherche scientifique de nature juridique requiert l’autorisation du Conseil supérieur de la magistrature et ne doit pas porter préjudice à l’exercice par le juge de ses fonctions. »

Article 40 – Conditions [de nomination des juges]

« Les conditions requises pour exercer les fonctions de juge sont les suivantes :

a)  être citoyen portugais ;

b)  jouir pleinement de ses droits politiques et civils ;

c)  être titulaire d’un diplôme de droit, obtenu dans une université portugaise ou validé au Portugal ;

d) avoir suivi avec succès les cours et les stages de formation ;

e)  remplir les autres conditions établies par la loi pour la nomination des fonctionnaires de l’État. »

Article 50 – Mode de recrutement [des juges de la Cour suprême]

« L’accès à la Cour suprême se fait au moyen d’un concours ouvert à tous les magistrats du siège et du ministère public et aux autres juristes de mérite, conformément aux dispositions ci-après. »

Article 51 – Concours

« 1.  (...) le Conseil supérieur de la magistrature, par un avis publié au Journal officiel (Diário da República), déclare ouvert le concours d’accès à la Cour suprême sur curriculum vitae.

2.  Sont automatiquement concurrents, les juges des cours d’appel qui se trouvent dans le quart supérieur de la liste d’ancienneté et qui n’ont pas déclaré renoncer à cet accès.

3.  Sont concurrents s’ils se portent candidats :

a)  les procureurs généraux adjoints qui le demandent, s’ils ont une ancienneté au moins égale à celle du plus récent des juges visés au paragraphe 2 et une notation « très bon » ou « bon avec mention » ;

b)  les juristes qui le demandent, s’ils sont reconnus pour leur mérite et leur honorabilité civique et ont vingt ans d’expérience professionnelle exclusive ou successive dans l’enseignement universitaire ou le métier d’avocat (...).

(...)

6.  Les concurrents juristes de mérite cessent, à la présentation de leur demande, toute activité politique à caractère public au sein d’un parti. »

Article 52 §§ 2 et 4 – Évaluation du curriculum vitae,
classement et pourvoi des postes vacants

« 2.  Les concurrents défendent publiquement leur curriculum vitae devant un jury composé comme suit.

a)  Le président de la Cour suprême, en sa qualité de président du Conseil supérieur de la magistrature, préside le jury.

b)  Les autres membres sont :

i.  le juge de la Cour suprême le plus ancien dans sa catégorie, membre du Conseil supérieur de la magistrature ;

ii.  un membre du Conseil supérieur du ministère public (...) ;

iii.  un membre du Conseil supérieur de la magistrature n’appartenant pas à la magistrature et élu par cet organe ;

iv.  un professeur universitaire de droit (...) choisi par le Conseil supérieur de la magistrature ;

v.  un avocat exerçant des fonctions au sein de l’Ordre des avocats (...).

(...)

4.  Les décisions sont prises à la majorité simple des voix. En cas d’égalité, la voix du président du jury est prépondérante. »

[Les types de sanctions]
Article 85 – Échelle des sanctions

« 1.  Les magistrats peuvent faire l’objet des sanctions suivantes :

a)  avertissement ;

b)  amende ;

c)  mutation ;

d)  suspension ;

e)  mise à pied (inatividade) ;

f)  retraite anticipée ;

g)  révocation. »

Article 87 – Amende

« L’amende est fixée en jours, et peut aller de cinq à quatre-vingt-dix jours. »

Article 89 – Suspension et mise à pied

« 1.  La suspension et la mise à pied entraînent la mise à l’écart complète du service pendant toute leur durée.

2.  La suspension peut durer de vingt à deux cent quarante jours. ».

[L’application des sanctions]
Article 94 § 1 – Suspension et mise à pied

« La suspension et la mise à pied peuvent être prononcées si le magistrat a fait preuve de négligence grave ou de grave désintérêt dans l’accomplissement de ses attributions ou si un même jugement le condamne à une peine de prison et à la révocation. »

Article 95 – Retraite anticipée et révocation

« 1.  La retraite anticipée et la révocation peuvent être prononcées lorsque le magistrat :

(...)

b)  fait preuve d’un manque d’honnêteté et a une conduite immorale ou déshonorante (...) »

[Les effets des sanctions]
Article 102 – Amende

« L’amende est mise en œuvre par le prélèvement sur le traitement du magistrat du montant correspondant au nombre de jours d’amende infligés. »

Article 104 – Suspension

« La suspension entraîne une déduction de la durée [correspondant à la sanction] prise en compte aux fins de la rémunération, de l’ancienneté et de la retraite. »

[Normes procédurales]
Article 110 § 2 – Procédure disciplinaire

« (...) [L]a procédure disciplinaire est écrite et n’est soumise à aucune formalité, hormis l’obligation d’entendre l’accusé et de lui octroyer le droit de présenter sa défense. »

Article 111 – Compétence pour l’ouverture de la procédure

« Il incombe au Conseil supérieur de la magistrature d’engager les procédures disciplinaires contre les juges. »

Article 112 – Empêchements et soupçons

« Sont applicables à la procédure disciplinaire, avec les adaptations nécessaires, les empêchements et soupçons prévus en procédure pénale. »

Article 113 – Caractère confidentiel de la procédure

« 1.  La procédure disciplinaire est confidentielle jusqu’à la décision finale (...).

2.  Sur demande motivée de l’accusé, [le CSM] peut lui remettre des copies du dossier pour autant qu’elles soient utiles à la défense de ses intérêts légitimes. »

Article 114 § 3 – Délai d’instruction

« Le [juge] instructeur doit donner connaissance au Conseil supérieur de la magistrature et à l’accusé de la date à laquelle il commence l’instruction de la procédure. »

Article 115 – Nombre de témoins pendant la phase d’instruction

« 1.  Pendant la phase d’instruction, le nombre de témoins n’est pas limité.

2.  Le [juge] instructeur peut rejeter une demande d’audition de témoins (...) dès lors qu’il estime suffisantes les preuves produites. »

Article 117 § 1 – Acte d’accusation

« Une fois l’instruction terminée et un extrait de la situation disciplinaire de l’accusé annexé au dossier, l’instructeur dresse l’acte d’accusation dans un délai de dix jours ; il y expose de manière détaillée les faits qui constituent l’infraction disciplinaire et ceux qui relèvent de circonstances aggravantes ou atténuantes et qu’il estime avérés, ainsi que les dispositions légales applicables en l’espèce. »

Article 118 § 1 – Notification de l’accusé

« Une copie de l’acte d’accusation est remise à l’accusé ou lui est adressée par voie postale par lettre recommandée avec accusé de réception ; un délai, pouvant aller de dix à trente jours, est fixé pour la présentation de sa défense par l’intéressé. »

Article 120 – Consultation du dossier

« Pendant le délai imparti pour la présentation de la défense, l’accusé, son défenseur commis d’office ou son conseil peuvent consulter le dossier dans les locaux [du CSM]. »

Article 121 – Défense de l’accusé

« 1.  Pour sa défense, l’accusé peut citer des témoins, communiquer des documents ou solliciter des mesures d’instruction (diligências).

2.  Peuvent être présentés pour chaque fait trois témoins au maximum. »

Article 122 – Rapport [du juge instructeur]

« Une fois l’instruction terminée, le juge instructeur dresse son rapport dans un délai de quinze jours ; ce rapport contient :

a)  l’établissement des faits,

b)  leur qualification juridique, et

c)  la sanction applicable. »

Article 123 – Notification de la décision

« La décision définitive, accompagnée d’une copie du rapport visé à l’article précédent, est portée à la connaissance de l’accusé (...) »

Article 124 – Nullités et irrégularités

« 1.  Le manquement à entendre l’accusé de manière à lui laisser la possibilité de se défendre et le manquement à prendre en temps utile les mesures essentielles à la manifestation de la vérité qui sont réalisables constituent des causes de nullité irréparable.

2.  Les autres irrégularités ou causes de nullité sont considérées comme réparées si elles ne sont pas soulevées dans le mémoire en défense ou, si elles ont eu lieu à une date ultérieure [à la présentation du mémoire], dans un délai de cinq jours à compter de la date à laquelle l’intéressé en a pris connaissance. »

Article 131 – Droit subsidiaire

« Les normes régissant le statut des fonctionnaires (...) sont applicables à titre subsidiaire, de même que le code pénal, le code de procédure pénale (...) »

[Le Conseil supérieur de la magistrature]
Article 137 – Composition

« 1.  Le Conseil supérieur de la magistrature est présidé par le président de la Cour suprême et composé des membres suivants :

a)  deux membres désignés par le président de la République ;

b)  sept membres élus par le Parlement ;

c)  sept membres élus par les magistrats parmi eux.

2.  Les juges ne peuvent refuser d’être membres du Conseil supérieur de la magistrature. »

Article 138 § 1 – Vice-président (...)

« Le vice-président du Conseil supérieur de la magistrature est le juge de la Cour suprême visé à l’article 141 § 2 ; il exerce ses fonctions à plein temps. »

Article 139 – Désignation

« 1.  Les membres du Conseil visés à l’article 137 § 1 b) sont ceux désignés en vertu de la Constitution et du règlement de l’Assemblée de la République.

2.  Les membres visés à l’article 137 § 1 c) sont élus au suffrage universel à bulletin secret, selon le principe de la représentation proportionnelle, en tenant compte de la moyenne [des votes] obtenue (...) »

Article 147 § 1 – Exercice des fonctions

« Les membres visés à l’article 137 § 1 c) sont élus pour une période de trois ans, renouvelable une seule fois. »

Article 149 – Compétence

« Le Conseil supérieur de la magistrature :

a)  nomme, affecte, transfère, promeut et révoque les juges, apprécie leur mérite professionnel, exerce les actions disciplinaires à leur égard et, en général, accomplit tout acte de même nature, sans préjudice des dispositions relatives aux charges électives (...) »

Article 150 – Fonctionnement

« 1.  Le Conseil supérieur de la magistrature se réunit en assemblée plénière (plenário) ou en conseil permanent.

2.  L’assemblée plénière est constituée de tous les membres du Conseil, en vertu de l’article 137 § 1.

3.  Le conseil permanent est composé des membres suivants :

a)  le président du Conseil supérieur de la magistrature, qui préside le conseil permanent ;

b)  le vice-président du Conseil supérieur de la magistrature ;

c)  un juge d’une cour d’appel ;

d)  deux juges ;

e)  un des membres visés à l’article 137 § 1 a) ;

f)  quatre membres parmi ceux désignés par l’Assemblée de la République ;

g)  le membre visé à l’article 159 § 2.

(...)

5.  Le membre du Conseil visé au paragraphe 3 g) ci-dessus ne participe aux débats et au vote que dans les procédures où il a été rapporteur. »

Article 151 – Compétences de l’assemblée plénière

« L’assemblée plénière du Conseil supérieur de la magistrature est compétente pour :

a)  réaliser les actes visés à l’article 149 à l’égard des juges de la Cour suprême, des cours d’appel et concernant ces tribunaux ;

b)  examiner et trancher les réclamations formées contre des actes du conseil permanent, du président, du vice-président ou des membres du Conseil ; (...) »

Article 152 – Compétences du conseil permanent

« 1.  Relèvent de la compétence du conseil permanent les actes qui ne sont pas visés à l’article précédent.

2.  On considère que sont tacitement déléguées les compétences visées à l’article 149 a) (...), sauf celles qui concernent les juridictions supérieures et leurs juges. »

Article 153 – Compétences du président

« 1.  Le président du Conseil supérieur de la magistrature :

a)  représente le Conseil ;

b)  exerce les fonctions déléguées par le Conseil, et peut les déléguer à son tour au vice-président ;

c)  reçoit le serment du vice-président, des inspecteurs judiciaires et du secrétaire ;

d)  dirige et coordonne les services d’inspection ;

e)  élabore des circulaires, sur proposition du secrétaire ;

f)  exerce les autres fonctions que lui attribue la loi.

2.  Le président peut déléguer au vice-président la compétence de recevoir le serment des inspecteurs judiciaires et du secrétaire, ainsi que les compétences visées aux alinéas d) et e). »

Article 156 §§ 2 et 3 – Fonctionnement de l’assemblée plénière

« 2.  Les délibérations sont prises à la majorité des voix, la voix du président étant prépondérante.

3.  Pour que les délibérations soient valables, la présence d’au moins douze membres est requise. »

Article 157 §§ 2 et 3 – Fonctionnement du conseil permanent

« 2.  Pour que les délibérations soient valables, la présence d’au moins cinq membres est requise.

3.  Les dispositions des paragraphes 2 et (...) de l’article précédent s’appliquent également au fonctionnement du conseil permanent. »

Article 159 §§ 1 et 2 – Distribution des affaires (processos)

« 1.  Les affaires sont distribuées par tirage au sort, conformément au règlement intérieur.

2.  Le membre à qui le dossier de l’affaire a été distribué est le rapporteur de
celle-ci. »

[Recours]
Article 168 – Recours

« 1.  Les décisions du Conseil supérieur de la magistrature sont susceptibles de recours devant la Cour suprême.

2.  Aux fins de l’examen du recours cité au paragraphe précédent, la Cour suprême siège en une formation constituée du plus ancien de ses vice-présidents, disposant d’une voix prépondérante, et d’un juge de chacune de ses sections, nommé annuellement et successivement en fonction de son ancienneté.

(...)

5.  Les moyens de recours sont ceux prévus par la loi pour la contestation des actes du gouvernement. »

Article 178 – Droit subsidiaire

« Les normes régissant les recours contentieux formés devant la Cour administrative suprême sont applicables à titre subsidiaire. »

72.  Applicable aux juges en vertu de l’article 112 du Statut des magistrats du siège, l’article 43 du code de procédure pénale, en ses parties pertinentes, se lit ainsi :

« 1.  L’intervention d’un juge dans une procédure peut être écartée (recusada) lorsqu’il existe un risque qu’elle soit considérée comme suspecte, compte tenu de l’existence d’un motif sérieux et grave pouvant susciter une méfiance quant à son impartialité.

2.  Peut constituer un motif de récusation au sens du paragraphe 1 ci-dessus l’intervention du juge dans une autre procédure liée ou dans des phases antérieures de la même procédure (...)

(...) »

73.  Applicables aux juges en vertu de l’article 131 du Statut, les dispositions pertinentes de la loi no 58/2008 du 9 septembre 2008 portant Statut disciplinaire des personnes exerçant des fonctions publiques (Estatuto disciplinar dos trabalhadores que exercem funções públicas) se lisaient ainsi à l’époque des faits :

Article 3 – Infraction disciplinaire

« (...)

2.  Les devoirs généraux des fonctionnaires sont :

a)  le devoir de poursuite de l’intérêt général ;

(...)

d)  le devoir d’information ;

(...)

g)  le devoir de loyauté ;

h)  le devoir de correction ;

(...) »

C.  La loi régissant l’organisation des tribunaux judiciaires

74.  L’article 29 § 2 de la loi régissant l’organisation des tribunaux judiciaires (lei de organização e funcionamento dos tribunais judiciais), adoptée par la loi no 3/99 du 13 janvier 1999, en vigueur au moment des faits, se lisait comme suit :

« Il appartient au Président de la Cour suprême de répartir les juges parmi les sections, en prenant successivement en compte le niveau de spécialisation, l’utilité pour le service (a conveniência para o serviço) et la préférence manifestée. »

Cette disposition correspond à l’article 49 § 2 de la loi sur l’organisation du système judiciaire (lei de organização do sistema judiciário), adoptée par la loi no 62/2013 du 26 août 2013, actuellement en vigueur.

D.  Le code de procédure devant les tribunaux administratifs (« le CPTA »)

75.  Les articles 3 et 50 du CPTA, dans leur version issue de la loi no 15/2002 du 22 février 2002, se lisaient ainsi :

Article 3

« Dans la limite imposée par le principe de la séparation des pouvoirs, les tribunaux administratifs examinent le respect des normes et des principes juridiques qui lient l’administration, mais [ils] n’examinent pas le caractère approprié et opportun (conveniência ou oportunidade) de son action ».

Article 50

« 1.  Le recours contre un acte administratif a pour objet l’annulation ou la déclaration de nullité ou d’inexistence de cet acte.

2.  Sans préjudice des autres situations prévues dans la loi, le recours contre un acte administratif suspend l’efficacité de cet acte lorsqu’est uniquement en cause le paiement d’un certain montant, sans qu’il ne présente un caractère de sanction, et si une garantie a été donnée sous l’une des formes prévues dans la loi fiscale. »

76.  L’article 91 du CPTA, dans sa version issue de la loi no 15/2002 du 22 février 2002, disposait, en ses parties pertinentes :

« 1.  Une fois l’administration des preuves terminée, le juge ou le rapporteur peut, si la complexité des faits le justifie, ordonner d’office la tenue d’une audience publique où il sera débattu des faits.

2.  L’audience publique visée au paragraphe précédent peut également avoir lieu à la demande de l’une quelconque des parties. Cependant, le juge peut refuser par une ordonnance motivée qu’elle se tienne, s’il juge qu’elle ne se justifie pas au motif que les faits établis à partir des preuves documentaires ne sont pas contestés.

3.  Lorsque l’audience publique se tient à l’initiative des parties, les arguments de droit y sont aussi présentés oralement.

(...) »

Dans sa version issue du décret-loi no 214-G/2015 du 2 octobre 2015, cet article, en ses parties pertinentes, se lit comme suit :

« 1.  Il y a lieu de tenir une audience finale lorsque les parties livrent leur déposition, que des témoins sont entendus ou que des experts donnent oralement des précisions.

2.  Sauf si l’affaire est examinée par une juridiction supérieure, l’audience a lieu devant un juge unique et elle est régie par les principes de la plénitude de l’assistance du juge (plenitude da assistência do juiz), de la publicité et de la continuité de l’audience, conformément à ce qui est prévu dans la loi sur la procédure civile, le juge disposant de tous les pouvoirs nécessaires pour rendre les débats utiles et brefs et s’assurer que la décision rendue sur l’affaire soit juste.

(...) »

77.  L’article 192 du CPTA, portant sur l’applicabilité des dispositions de ce code, se lit ainsi :

« Sans préjudice de ce qui est prévu par une loi spéciale, les procédures en matière juridico-administrative qui relèvent de la compétence de tribunaux appartenant à un autre ordre judiciaire sont régies par les dispositions du présent code, avec les adaptations nécessaires. »

E.  Le code de procédure civile

78.  Les dispositions pertinentes du code de procédure civile, applicables en vertu des articles 154 et 155 du CPTA, sont ainsi libellées :

Article 696

« Une décision ayant acquis force de chose jugée ne peut faire l’objet d’un recours en révision (recurso de revisão) que lorsque :

(...)

f)  elle est inconciliable avec une décision définitive d’une instance internationale de recours liant l’État portugais. »

F.  La jurisprudence de la section du contentieux de la Cour suprême portugaise

79.  Selon sa jurisprudence constante, la section du contentieux de la Cour suprême ne joue dans les affaires portant sur le contrôle des décisions adoptées par le CSM qu’un rôle de contrôle de la légalité (voir, par exemple, l’arrêt rendu le 29 mai 2006 dans la procédure no 757/06, l’arrêt rendu le 7 février 2007 dans la procédure no 4115/05, l’arrêt rendu le 19 septembre 2007 dans la procédure no 1021/05, l’arrêt rendu le 10 juillet 2008 dans la procédure no 4265/07 et l’arrêt rendu le 17 décembre 2009 dans la procédure no 365/09.9YFLSB).

80.  Dans un arrêt du 15 décembre 2011 (procédure interne no 87/11.OYFSB), la Cour suprême a relevé que le recours formé contre une décision adoptée par le CSM en matière disciplinaire était une « action administrative spéciale » (ação administrativa especial) par laquelle l’intéressé demandait l’annulation ou la déclaration de nullité ou d’inexistence juridique de l’acte administratif attaqué. Elle a dit notamment ceci :

« Le recours contentieux devant la Cour suprême contre les décisions du CSM ne présente pas moins de garanties qu’un recours devant la juridiction administrative, et ce notamment parce que, la composition de la section du contentieux de la Cour suprême obéissant à des critères fixes, cette composition est déterminée au préalable et objectivement.

(...)

La protection judiciaire effective des droits des administrés en vertu de l’article 268 § 4 de la Constitution, qui prévoit entre autres « le recours contre tout acte administratif leur portant préjudice quelle qu’en soit la forme », doit être conforme à l’article 3 du CPTA, selon lequel « dans la limite imposée par le principe de la séparation et l’interdépendance des pouvoirs, les tribunaux administratifs jugent le respect des normes et des principes juridiques qui lient l’administration, mais [ils] n’examinent pas le caractère approprié et opportun (conveniência ou oportunidade) de son action ».

D’une part, on voit dans cette disposition un élargissement des compétences des tribunaux administratifs par rapport au régime précédent mais, d’autre part, les pouvoirs de pleine juridiction qui leur sont dorénavant octroyés ne sauraient faire oublier les limitations inhérentes à la sauvegarde du domaine discrétionnaire de l’administration. Or, à cet égard, les pouvoirs qu’exerce le CSM lorsqu’il statue sur une conduite supposément incompatible avec le devoir de diligence incombant à un magistrat échappent au contrôle du tribunal.

(...) l’instance de recours doit, sur la base de la légalité au sens large, contrôler le respect de l’article 266 § 2 de la Constitution, en vertu duquel l’administration doit exercer ses pouvoirs en respectant, notamment, le principe de la proportionnalité, ce qui consiste, en d’autres termes, en une prohibition de l’excès (proibição do excesso). »

81.  Selon la jurisprudence, le contrôle de la section du contentieux de la Cour suprême, agissant en qualité de juge d’annulation d’une décision du CSM infligeant une sanction, est limité par les caractères particuliers de l’acte attaqué.

Dans un arrêt du 27 janvier 2004 (procédure interne no 1049/01), elle a considéré que :

« L’erreur manifeste et grossière dans l’analyse constitue une exception au caractère invérifiable de la marge discrétionnaire par la Cour suprême. Il s’agit d’une erreur non seulement grave (grossière, parce que manifestement contraire à la raison ou au bon sens ou à la vérité ou mettant en évidence des connaissances mal définies) mais aussi flagrante (manifeste). »

Dans son arrêt du 8 mai 2012 (procédure interne no 114/11.1YFLSB), la section du contentieux de la Cour suprême a dit notamment :

« Ainsi, il faut respecter l’analyse faite par l’administration en ce qui concerne le comportement de l’accusé et les circonstances qui l’ont entouré (...) et le choix, pris en conséquence, de l’amende comme peine disciplinaire, sa mesure et l’absence de prise en compte de circonstances atténuantes. »

Dans son arrêt du 26 juin 2013 (procédure interne no 132/12.2YFLSB), elle s’est exprimée ainsi :

« Étant donné qu’il s’agit d’un recours en vue d’une simple annulation, régi par les articles 168 et suivants du Statut des magistrats du siège, dans le cadre duquel la demande peut seulement viser l’annulation ou la déclaration de nullité ou d’inexistence d’un acte attaqué, il n’appartient pas à la Cour suprême de faire de l’administration active, en se substituant à l’organe attaqué (contentieux de pleine juridiction). Par conséquent, dans la mesure où la Cour suprême a pour seul pouvoir de statuer sur une demande d’annulation de l’acte, elle ne peut, en se substituant au CSM, appliquer une peine inférieure en substance à celle qui a été infligée. Il lui appartient seulement de vérifier si la peine est appropriée à l’infraction commise et s’il existe un rapport de proportionnalité entre la peine et cette même infraction.

(...) dans la fixation des peines en matière disciplinaire, l’administration dispose d’une marge discrétionnaire très large qui ne devra être corrigée qu’en cas d’erreur grossière manifeste. Autrement dit, la Cour suprême ne devra intervenir que lorsqu’il apparaît que, dans la fixation de la peine disciplinaire, une erreur grossière a été commise, en violation du principe de proportionnalité sous l’angle du caractère approprié de la sanction (...) »

Enfin, dans son arrêt du 25 septembre 2014 (procédure interne no 21/14.6YFLSB), la Cour suprême s’est exprimée en ces termes :

« La Cour suprême ne pourra intervenir que lorsqu’il lui semble que, dans la fixation de la sanction disciplinaire, est survenue une erreur manifeste, grave ou grossière, fondée sur des critères clairement erronés ou portant atteinte aux principes de la justice, de l’impartialité, de l’égalité, de la proportionnalité et de la poursuite de l’intérêt public.

En dehors de ces cas, on doit considérer que la décision prise par le CSM relève de l’ample marge d’appréciation et d’évaluation dont bénéficie l’organe administratif. Pour cette raison, les éléments respectifs ne peuvent pas être contrôlés par les organes judiciaires. »

G.  La jurisprudence du Tribunal constitutionnel

82.  Le Tribunal constitutionnel a confirmé dans plusieurs arrêts que l’article 168 §§ 1 et 2 du Statut des magistrats du siège était conforme à la Constitution (voir par exemple, l’arrêt no 347/97 du 29 avril 1997, l’arrêt no 687/98 du 15 décembre 1998, l’arrêt no 40/99 du 19 janvier 1999, l’arrêt no 64/99 du 2 février 1999 et l’arrêt no 131/99 du 3 mars 1999). Dans l’arrêt no 277/2011 du 6 juin 2011, le Tribunal constitutionnel s’est prononcé ainsi :

« (...) à l’époque où l’on a attribué [à l’origine] à l’assemblée plénière de la Cour suprême la compétence pour statuer sur les recours introduits contre les délibérations du Conseil supérieur de la magistrature, il n’existait pas d’autre solution crédible.

Cependant, avec l’autonomisation au niveau organisationnel de l’exercice de la juridiction administrative, la Cour suprême administrative est non seulement devenue un choix ayant cessé de constituer un danger pour la magistrature du siège mais aussi, à première vue, elle était le choix naturel, compte tenu de la matière discutée dans le cadre de ces recours.

Cela étant, le législateur a conservé la solution initiale, compte tenu, d’une part, du poids de l’histoire, si courte fût-elle, de l’exercice de cette compétence par la Cour suprême, et, d’autre part, de la proximité des juges de cette Cour avec les réalités faisant l’objet des recours formés contre les délibérations du Conseil supérieur de la magistrature, notamment contre les décisions prises en matière disciplinaire à l’égard des magistrats du siège. Peut-être craignait-il aussi d’introduire un facteur de conflit entre les deux ordres juridictionnels.

En réalité, même si cette proximité peut soulever des questions quant à l’impartialité de la juridiction d’appel (...), elle donne à celle-ci une meilleure connaissance de la réalité sur laquelle portent les délibérations attaquées et une sensibilité plus pointue pour soupeser les intérêts qui sont en jeu dans le cadre de ces recours.

Si les juges de la Cour suprême administrative ont en principe une connaissance plus détaillée du droit à appliquer, les juges de la Cour suprême sont, compte tenu de la spécificité des matières débattues, dans une position privilégiée pour effectuer un meilleur contrôle des actes attaqués. C’est ainsi sur cette dernière qualité qu’a pu reposer le choix du législateur de maintenir la solution dans laquelle c’est la Cour suprême qui est compétente pour connaître des litiges portant sur les mesures disciplinaires prises à l’égard des juges.

Pour ces raisons, il n’est pas possible de dire que l’attribution de cette compétence viole l’article 213 § 1 de la Constitution.

(...)

Or le fait que les juges qui composent la formation de la Cour suprême ayant compétence pour statuer sur les recours introduits contre les délibérations du Conseil supérieur de la magistrature, notamment en matière disciplinaire, relèvent de la gestion et de la discipline de cet organe, ne peut, d’un point de vue objectif, être considéré comme un facteur susceptible d’influencer sa décision sur ces causes.

Les relations entre la Cour suprême et les juges ne sont pas des relations de subordination : les juges jouissent non seulement d’une indépendance face aux autres pouvoirs de l’État, mais aussi d’une indépendance interne, la gestion et la discipline revenant au Conseil supérieur de la magistrature, en vertu de règles fixées de façon préalable et dans l’abstrait. (...)

(...) le fait que, à l’exception du plus ancien des vice-présidents de la Cour suprême, les juges soient nommés par le président, qui est aussi, concrètement, le président de l’organe dont les décisions sont contestées en appel, n’est pas de nature à mettre en cause leur impartialité, étant donné que la désignation faite par le président de la Cour suprême obéit à un critère objectif et impératif (vinculado) – un juge de chacune des quatre sections doit être choisi « en fonction de son ancienneté ».

Les juges nommés sont les juges les plus anciens de chacune des sections.

(...) l’impartialité de ces juges à l’égard du Conseil supérieur de la magistrature et de son président ne peut donc pas non plus être mise en cause sur ce fondement. (...) »

III.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNATIONAUX PERTINENTS

83.  Le droit et la pratique internationaux pertinents sont cités dans les arrêts Baka c. Hongrie [GC] (no 20261/12, §§ 72-87, CEDH 2016) et Oleksandr Volkov c. Ukraine (no 21722/11, §§ 78-80, CEDH 2013).

EN DROIT

I.  QUESTIONS PRÉLIMINAIRES

A.  Objet du litige

84.  Dans son mémoire devant la Grande Chambre, le Gouvernement mentionne que sa demande de renvoi devant celle-ci ne concerne pas les griefs tirés de l’étendue du contrôle effectué par la Cour suprême ou de l’absence d’audience publique devant cette dernière dans le cadre de la requête no 74041/13.

85.  Lors de l’audience, le Gouvernement a soutenu que la Grande Chambre ne pouvait examiner les questions dont la chambre avait décidé de ne pas connaître ou qui avaient été tranchées dans un sens qui lui était favorable. Selon lui, la Grande Chambre ne devrait analyser ni le grief tiré de l’article 6 § 3 de la Convention, ni la question de l’absence d’indépendance et d’impartialité de la Cour suprême, pas plus que les demandes de satisfaction équitable, rejetées par la chambre.

86.  La requérante, sans répondre formellement à ces arguments du Gouvernement, a présenté ses propres observations, qui plaident pour la violation de la Convention s’agissant des griefs précités, et elle a reformulé ses demandes de satisfaction équitable.

87.  Selon la jurisprudence constante de la Cour, « l’affaire » renvoyée devant la Grande Chambre englobe nécessairement tous les aspects de la requête que la chambre a examinés précédemment dans son arrêt et non uniquement la « question » grave qui a motivé le renvoi. Le contenu et la portée de l’« affaire » renvoyée devant la Grande Chambre sont donc délimités par la décision de la chambre quant à la recevabilité (K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, §§ 140-141, CEDH 2001-VII, Göç c. Turquie [GC], no 36590/97, §§ 35-37, CEDH 2002-V, Perna c. Italie [GC], no 48898/99, §§ 23-24, CEDH 2003-V, et Azinas c. Chypre [GC], no 56679/00, § 32, CEDH 2004-III). Cela signifie que la Grande Chambre doit se pencher sur la totalité de l’affaire pour autant qu’elle a été déclarée recevable ; en revanche, elle ne peut pas examiner les parties de la requête que la chambre a déclarées irrecevables. L’ensemble de l’arrêt de la chambre sera écarté pour être remplacé par le nouvel arrêt de la Grande Chambre rendu conformément à l’article 43 § 3 de la Convention (K. et T. c. Finlande, précité, § 140, et, mutatis mutandis, V.M. et autres c. Belgique (radiation) [GC], no 60125/11, § 39, 17 novembre 2016). La Cour ne voit aucune raison de s’écarter en l’espèce de ce principe.

88.  En outre, la Cour rappelle que la Grande Chambre a déjà décidé dans certaines affaires, compte tenu de l’importance des questions en jeu, d’étudier certains griefs que la chambre n’avait pas jugé nécessaire d’examiner, et ce même dans les cas où l’issue était défavorable à la partie qui avait demandé le renvoi devant elle (voir, par exemple, Öneryıldız c. Turquie [GC], no 48939/99, §§ 141 et 149, CEDH 2004-XII, et Kurić et autres c. Slovénie [GC], no 26828/06, § 382, CEDH 2012 (extraits)).

89.  En l’espèce, il convient de noter que la chambre a déclaré les requêtes recevables (point 2 du dispositif), mais qu’elle a décidé qu’il n’y avait pas lieu de connaître des griefs tirés du volet pénal de l’article 6 de la Convention, à savoir la non-communication de la nature et de la cause de l’accusation portée contre la requérante et le fait qu’elle n’avait pas disposé du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense (point 3 du dispositif). La Cour souligne également que, au paragraphe 63 de son arrêt, la chambre a énuméré en détail les griefs déclarés recevables, à savoir ceux tirés de l’indépendance et de l’impartialité des juridictions, de l’étendue du contrôle exercé par la Cour suprême et de l’absence d’audience publique.

90.  Eu égard à ce qui précède, la Cour examinera en l’espèce les griefs déclarés recevables par la chambre et qui sont réitérés au paragraphe précédent, ainsi que les demandes de satisfaction équitable, dans leur totalité.

B.  Sur les exceptions d’irrecevabilité

1.  Thèses des parties

91.  Dans son mémoire présenté devant la Grande Chambre le Gouvernement soulève pour la première fois une exception de non‑épuisement des voies de recours internes concernant le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention dans sa partie relative à l’absence d’indépendance et d’impartialité du CSM. Il soutient que la requérante n’a jamais invoqué un tel grief dans ses requêtes introductives devant la Cour et qu’aucune question particulière relative à la composition du CSM et, de ce fait, au défaut éventuel d’indépendance et d’impartialité de celui-ci, ne lui a été adressée lors de la communication de la présente affaire. Il argue en outre que la requérante n’a pas mentionné ce grief devant les juridictions nationales, que ce soit devant la Cour suprême, à l’occasion de ses recours formés contre les décisions du CSM ou au moyen d’un recours devant le Tribunal constitutionnel.

Eu égard à ce qui précède, et en particulier au fait qu’il a été surpris par l’arrêt de la chambre qui, malgré les circonstances particulières susmentionnées, a néanmoins examiné la question de l’indépendance et de l’impartialité du CSM, le Gouvernement soutient qu’il n’était donc pas en mesure d’exciper du non-épuisement des voies de recours internes devant la chambre. Il estime par conséquent n’être pas forclos à le faire à ce stade de la procédure.

92.  En outre, le Gouvernement a formulé en substance dans son mémoire devant la Grande Chambre, et expressément lors de l’audience, une exception de non-épuisement des voies de recours internes en ce qui concerne la question de l’indépendance et de l’impartialité de la Cour suprême. À cet égard, il soutient que cette question n’a été examinée ni par les juridictions nationales ni par la chambre elle-même. En conséquence, il considère que le grief est irrecevable pour des raisons identiques à celles exposées ci-dessus à propos du grief tiré de l’absence d’indépendance et d’impartialité du CSM. Le Gouvernement ajoute que, dans ses requêtes, la requérante s’est bornée à faire allusion au fait que le président du CSM était en même temps président de la Cour suprême et qu’il aurait été souhaitable que les recours formés contre les décisions du CSM fussent examinés par la Cour suprême administrative.

93.  Lors de l’audience, le Gouvernement a de surcroît excipé du non‑épuisement des voies de recours internes s’agissant du grief tiré du contrôle insuffisant effectué par la Cour suprême, que la requérante aurait omis de soulever devant les instances nationales.

94.  Enfin, lors de l’audience, interrogé préalablement par la Grande Chambre au sujet du respect du délai de six mois, le Gouvernement a déclaré que la requérante n’avait pas respecté cette règle en ce qui concerne le grief tiré de l’absence d’indépendance et d’impartialité du CSM, formulé pour la première fois dans ses observations sur la recevabilité et le bien‑fondé de l’affaire soumises à la chambre le 30 octobre 2015.

95.  La requérante s’oppose à ces arguments et rétorque que les recours invoqués par le Gouvernement ne sont pas effectifs à plusieurs titres. Elle considère également qu’elle a respecté la règle des six mois. Elle précise en effet n’avoir pas invoqué de grief relatif à l’absence d’indépendance et d’impartialité du CSM dans ses requêtes, mais avoir exposé ses arguments à ce sujet en réponse aux observations écrites du Gouvernement.

2.  Appréciation de la Cour

a)  Exception de non-respect du délai de six mois

96.  La Cour note que les parties s’accordent pour dire que la requérante n’a formulé son argumentation concernant l’absence d’indépendance et d’impartialité du CSM, et notamment la composition de cet organe, que dans ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire, présentées à la chambre le 30 octobre 2015, alors que les requêtes ont été introduites le 16 août et le 8 novembre 2013.

i.  Sur le point de savoir si la Cour est compétente pour examiner la question du respect par la requérante de la règle des six mois

97.  La Cour rappelle tout d’abord que ni la Convention ni son règlement n’empêchent la Grande Chambre de connaître de questions concernant la recevabilité d’une requête au titre de l’article 35 § 4 de la Convention. En vertu de cette disposition, en effet, la Cour peut « à tout stade de la procédure » rejeter une requête qu’elle juge irrecevable. Dès lors, même au stade de l’examen au fond d’une requête, la Cour peut réexaminer une décision de recevabilité s’il lui paraît que la requête aurait dû être déclarée irrecevable pour l’un des motifs énumérés dans les trois premiers paragraphes de l’article 35 de la Convention (Blečić c. Croatie [GC], no 59532/00, § 65, CEDH 2006-III).

98.  Ensuite, la Cour souligne que le fait que le Gouvernement n’a pas soulevé la question du non-respect du délai de six mois devant la chambre ou dans sa demande de renvoi devant la Grande Chambre n’empêche pas cette dernière de se prononcer à ce sujet. Selon sa jurisprudence, il ne lui appartient pas d’écarter l’application de la règle des six mois au seul motif qu’un Gouvernement n’a pas formulé d’exception préliminaire à cet effet (Blečić, précité, § 68). En l’espèce, la Cour ne juge pas nécessaire de rechercher si le Gouvernement est forclos à soulever l’exception susmentionnée car elle estime que rien ne l’empêche d’examiner proprio motu cette question, qui touche à sa compétence (Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 138, CEDH 2018, Fábián c. Hongrie [GC], no 78117/13, § 90, 5 septembre 2017, Buzadji c. République de Moldova [GC], no 23755/07, § 70, CEDH 2016 (extraits), et Sabri Güneş c. Turquie [GC], no 27396/06, § 29, 29 juin 2012).

ii.  Sur le respect du délai de six mois

α)  Principes généraux

99.  Les principes pertinents en la matière ont été établis par la Grande Chambre dans son arrêt Sabri Güneş (précité) :

« 39.  Le délai de six mois prévu à l’article 35 § 1 poursuit plusieurs buts. Sa finalité première est de servir la sécurité juridique et de veiller à ce que les affaires soulevant des questions au regard de la Convention soient examinées dans un délai raisonnable, tout en évitant aux autorités et autres personnes concernées d’être pendant longtemps dans l’incertitude (P.M. c. Royaume-Uni (déc.), no 6638/03, 24 août 2004). En outre, cette règle fournit au requérant potentiel un délai de réflexion suffisant pour lui permettre d’apprécier l’opportunité d’introduire une requête et, le cas échéant, de déterminer les griefs et arguments précis à présenter (O’Loughlin et autres c. Royaume-Uni (déc.), no 23274/04, 25 août 2005), et elle facilite l’établissement des faits dans une affaire car, avec le temps, il devient problématique d’examiner de manière équitable les questions soulevées (Nee c. Irlande (déc.), no 52787/99, 30 janvier 2003).

40.  Ainsi, cette règle marque la limite temporelle du contrôle effectué par la Cour et indique aux particuliers comme aux autorités la période au-delà de laquelle ce contrôle ne s’exerce plus (Walker c. Royaume-Uni (déc.), no 34979/97, CEDH 2000‑I). L’existence d’un tel délai s’explique par le souci des Hautes Parties Contractantes d’empêcher la constante remise en cause du passé et il s’agit là d’une préoccupation légitime d’ordre, de stabilité et de paix (De Becker c. Belgique (déc), no 214/56, 9 juin 1958).

41.  L’article 35 § 1 énonce une règle autonome qui doit être interprétée et appliquée dans une affaire donnée de manière à assurer à tout requérant qui se prétend victime d’une violation par une Partie contractante d’un droit reconnu dans la Convention et ses Protocoles l’exercice efficace du droit de requête individuel, conformément à l’article 35 § 1 de la Convention (Worm c. Autriche (déc.), no 22714/93, 27 novembre 1995).

42.  La Cour rappelle qu’en matière de procédure et de délai, un impératif essentiel est celui de la sécurité juridique, qui assure l’égalité des justiciables devant la loi. Ce principe est implicite dans l’ensemble des articles de la Convention et il constitue l’un des éléments fondamentaux de l’Etat de droit (voir, entre autres, Beian c. Roumanie (no 1), no 30658/05, § 39, CEDH 2007-V (extraits)). »

100.  De plus, pour introduire un grief et interrompre ainsi l’écoulement du délai de six mois, il y a lieu d’indiquer la base factuelle sur laquelle repose le grief ainsi que la nature de la violation de la Convention qui est alléguée (Abuyeva et autres c. Russie, no 27065/05, § 222, 2 décembre 2010, et Allan c. Royaume-Uni (déc.), no 48539/99, 28 août 2001). Concernant les griefs qui n’ont pas été inclus dans la première communication, la période de six mois continue de courir jusqu’à la date de leur première présentation à la Cour (Allan, décision précitée).

101.  La Cour a déjà considéré comme introduit en dehors du délai de six mois, en méconnaissance de l’article 35 § 1 de la Convention, un grief nouveau présenté pour la première fois dans les observations du requérant sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête (Fábián, précité, § 98, Messochoritis c. Grèce (déc.), no 41867/98, 15 juin 2000, Ekimdjiev c. Bulgarie (déc.), no 47092/99, 3 mars 2005, et Majski c. Croatie, no 33593/03, § 34, 1er juin 2006). La Cour rappelle que le principe ne eat judex ultra et extra petita partium (« le juge ne peut accorder ni plus ni autre chose que ce qui est demandé ») est l’un des principes fondamentaux régissant toute procédure en droit international comme en droit interne (civil ou administratif), étant entendu que le mot petita désigne le grief présenté par la partie requérante. Il en découle que l’objet d’une affaire « soumise » à la Cour dans l’exercice du droit de recours individuel est défini par le grief ou la « prétention » de cette partie requérante (Radomilja et autres, précité, §§ 108-109 et 120-122). La Cour ne peut examiner les allégations formulées après l’expiration du délai de six mois que s’il s’agit d’arguments juridiques relatifs aux griefs initiaux qui ont été introduits dans les délais ou touchant des aspects particuliers de ces griefs (Kurnaz et autres c. Turquie (déc.), no 36672/97, 7 décembre 2004, Paroisse gréco-catholique Sâmbăta Bihor c. Roumanie (déc.), no 48107/99, 25 mai 2004, et Fábián, précité, § 94).

β)  Application de ces principes au cas d’espèce

102.  Dans ses observations devant la chambre, répondant à l’exposé du Gouvernement sur le fonctionnement général du CSM et sur le fait que la procédure devant cet organe de gestion et de discipline de la magistrature observait les règles d’un procès équitable, la requérante, se référant à l’arrêt Oleksandr Volkov c. Ukraine (no 21722/11, § 109, CEDH 2013), répliqua que le CSM ne satisfaisait pas aux exigences d’indépendance et d’impartialité ni aux garanties de l’article 6 § 1 de la Convention.

103.  La Cour doit dès lors examiner si ces dernières allégations de la requérante doivent passer pour des arguments juridiques se rapportant à son grief initial ou pour des arguments touchant un aspect particulier de ce grief, auxquels cas la règle de six mois ne s’applique pas, au lieu d’être considérées comme constituant un grief distinct introduit ultérieurement, donc après l’expiration du délai de six mois (voir, par exemple, Messochoritis, décision précitée).

À cet égard, la Cour rappelle que le simple fait qu’un requérant ait invoqué l’article 6 dans sa requête ne suffit pas pour introduire valablement tous les griefs ultérieurs formulés en application de cette disposition lorsqu’aucune indication n’a été donnée à l’origine quant à la base factuelle du grief et à la nature de la violation alléguée (Allan, décision précitée, et Adam et autres c. Allemagne (déc.), no 290/03, 1er septembre 2005).

104.  Les griefs que la requérante entend tirer de l’article 6 de la Convention doivent contenir tous les paramètres nécessaires pour permettre à la Cour de délimiter la question qu’elle sera appelée à examiner, de même que le sera le Gouvernement si la Cour décide de l’inviter à présenter ses observations sur la recevabilité et/ou sur le bien-fondé de l’affaire. Il est important de souligner que le champ d’application de l’article 6 de la Convention est très large et que l’examen de la Cour est nécessairement délimité par les griefs précis présentés devant elle.

105.  En l’occurrence, la Cour constate que la requérante n’a pas dénoncé l’absence d’indépendance et d’impartialité du CSM dans ses formulaires de requête. La Cour n’a d’ailleurs communiqué au Gouvernement que les griefs tirés de l’absence d’accès à un tribunal, de l’absence d’indépendance et d’impartialité de la section du contentieux de la Cour suprême et de l’absence d’audience publique. La Grande Chambre considère que le grief portant sur l’absence d’indépendance et d’impartialité du CSM est distinct de ceux à l’égard desquels le Gouvernement a été invité à présenter ses observations. Il n’est pas non plus intrinsèquement lié à ceux-ci, de sorte qu’il ne peut être examiné séparément.

106.  En conséquence, la Cour conclut que le grief concernant l’absence d’indépendance et d’impartialité du CSM, formulé pour la première fois par la requérante dans ses observations du 30 octobre 2015, est tardif car les procédures internes ont pris fin au cours de l’année 2013, soit plus de six mois avant son introduction. Dès lors, il doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

107.  Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut qu’elle n’est pas compétente pour se prononcer sur ce grief. En revanche, elle ne manquera pas, le cas échéant, de prendre en considération les éléments pertinents concernant le CSM lors de l’examen des autres griefs.

b)  Exception de non-épuisement des voies de recours internes

108.  À la lumière de ce qui précède, la Cour estime tout d’abord qu’il n’y pas lieu d’examiner de surcroît l’exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement en ce qui concerne le grief tiré de l’absence d’indépendance et d’impartialité du CSM.

109.  Ensuite, elle observe que le Gouvernement a soulevé une exception similaire s’agissant des griefs tirés de l’absence d’indépendance et d’impartialité de la Cour suprême et de l’étendue prétendument insuffisante de son contrôle. À cet égard, il convient de noter que les griefs susmentionnés ont été communiqués au Gouvernement, qui a été invité à soumettre ses observations à ce sujet. Il a présenté lesdites observations devant la chambre mais n’a pas soulevé d’exception préliminaire à ce stade. Compte tenu de ce qu’aucune explication plausible n’a été avancée pour expliquer ce retard, le Gouvernement est forclos à soulever une exception de non-épuisement directement devant la Grande Chambre sur ces points. C’est pourquoi elle rejette ladite exception.

c)  Conclusions

110.  La Cour conclut que le grief de la requérante tiré de l’absence d’indépendance et d’impartialité du CSM est tardif et qu’il doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention. En conséquence, il n’y pas lieu d’examiner de surcroît l’exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement en ce qui concerne ce grief. Elle conclut en revanche que le Gouvernement est forclos à exciper du non-épuisement des voies de recours internes s’agissant des griefs tirés de l’absence d’indépendance et d’impartialité de la section du contentieux de la Cour suprême et de l’étendue prétendument insuffisante de son contrôle et, en conséquence, elle rejette cette exception.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

111.  La requérante allègue la violation de son droit à un tribunal indépendant et impartial jouissant de la pleine juridiction, ainsi que de son droit à la tenue d’une audience publique. Elle se plaint en outre que, à la suite de la requalification des faits opérée par le CSM, elle n’a pas été informée de manière détaillée de l’accusation portée contre elle et n’a ainsi pas disposé du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense. Elle invoque l’article 6 de la Convention, ainsi libellé dans ses parties pertinentes :

« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement (...), par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.

(...)

3.  Tout accusé a droit notamment à :

a)  être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;

b)  disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

(...) »

A.  L’arrêt de la chambre

112.  Sur la recevabilité, s’agissant de l’application du volet civil de l’article 6 de la Convention, la chambre a relevé que la procédure litigieuse portait sur la contestation par la requérante des décisions du CSM lui appliquant des sanctions disciplinaires dans trois procédures séparées. En ce qui concerne l’existence d’un « droit », elle a constaté que les procédures litigieuses étaient déterminantes pour les droits de la requérante dans la mesure où celles-ci auraient pu aboutir, si les juridictions internes avaient accueilli les recours de l’intéressée, à l’annulation des sanctions disciplinaires infligées par le CSM. Quant au caractère « civil » d’un tel droit, la chambre a jugé que la première condition du critère énoncé dans l’arrêt Vilho Eskelinen autres c. Finlande ([GC], no 63235/00, § 62, CEDH 2007‑II) n’était pas remplie, compte tenu de ce que le droit interne – l’article 168 du Statut (paragraphe 71 ci-dessus) – prévoit la possibilité pour les personnes ayant un intérêt à agir d’introduire un recours judiciaire devant la Cour suprême pour contester la légalité de la décision du CSM de punir disciplinairement un juge. Cette possibilité a été effectivement utilisée par la requérante. Dans ces conditions, la chambre a conclu que l’article 6 trouvait à s’appliquer sous son volet civil. Au vu de cette conclusion, elle n’a pas jugé nécessaire d’examiner si le volet pénal de cette disposition s’appliquait en l’espèce et elle a donc décidé de ne pas connaître des griefs y relatifs.

113.  Sur le fond, la chambre a conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention à raison de l’effet cumulatif de plusieurs éléments relatifs au défaut d’indépendance et d’impartialité du CSM, à l’étendue insuffisante du contrôle exercé par la Cour suprême et à l’absence d’une audience publique dans la procédure visée par la requête no 74041/13.

114.  En premier lieu, à la lumière des principes consacrés dans la jurisprudence de la Cour ainsi que de ceux découlant de différents documents adoptés par les organes du Conseil de l’Europe, la chambre a examiné les principes régissant la composition du CSM, de manière abstraite et dans les procédures concernant la requérante. Elle a conclu que l’indépendance et l’impartialité du CSM pouvaient être sujettes à caution.

115.  Pour ce qui est de l’étendue du contrôle exercé par la Cour suprême, elle a noté que cette juridiction était compétente pour contrôler la légalité des décisions par lesquelles le CSM avait pris des sanctions disciplinaires contre la requérante. Dans le cadre du contrôle de légalité, la haute juridiction pouvait contrôler la validité des preuves et le caractère suffisant et cohérent de l’établissement des faits aussi bien que le caractère raisonnable et proportionné de la sanction. Elle pouvait ainsi annuler la décision pour plusieurs motifs d’illégalité liés aux exigences de procédure ou de fond prévues par la loi, et renvoyer le dossier au CSM afin qu’il se prononce de nouveau dans le respect des directives que la Cour suprême aurait pu formuler concernant les irrégularités éventuellement constatées.

En revanche, la chambre a noté que, en droit portugais, la Cour suprême n’était pas compétente pour procéder au réexamen de l’établissement des faits émanant du CSM. En outre, elle ne pouvait pas non plus revoir la peine appliquée mais uniquement décider si celle-ci était appropriée à l’infraction et si elle ne lui était pas disproportionnée. En raison de cela, selon la chambre, l’affaire devait être rapprochée des situations dans lesquelles les juridictions nationales n’avaient pas été en mesure ou avaient refusé d’examiner une question centrale du litige car elles s’estimaient liées par les constatations de fait ou de droit des autorités administratives et ne pouvaient procéder à un examen indépendant de ces questions. En l’occurrence, la Cour suprême s’était limitée à un simple contrôle de légalité sur le terrain de l’établissement des faits et, dès lors, n’avait pas dûment examiné des arguments importants avancés par l’intéressée relativement à des points de fait essentiels pour les procédures disciplinaires ouvertes à son encontre.

Pour ce qui est du contrôle sur le plan du droit, la chambre a noté que, aux yeux de la Cour suprême, il ne lui appartenait ni de statuer sur les conduites prétendument incompatibles avec les devoirs d’un magistrat ni d’empiéter sur les pouvoirs discrétionnaires de l’administration, mais uniquement de procéder à un contrôle de légalité au sens large. Elle en a conclu que la Cour suprême avait une conception restrictive de l’étendue de ses propres pouvoirs de contrôle de l’activité disciplinaire du CSM et que, en conséquence, le contrôle effectué dans les affaires de la requérante n’était pas suffisant.

116.  Enfin, la chambre a conclu que les autorités internes n’avaient pas respecté les garanties de tenue d’une audience publique dans le cadre de la requête no 74041/13. La question de l’éventuelle protection de la dignité de la requérante n’était pas en jeu, étant donné que celle-ci avait elle-même demandé une audience publique. De surcroît, les motifs avancés par la Cour suprême ne suffisaient pas pour justifier le refus d’entendre le témoin dont la requérante avait demandé la comparution et qui, aux yeux de la chambre, était pertinent pour l’affaire. Ce refus avait fini par entraver la capacité de l’intéressée à défendre sa cause et nui à la transparence que cet acte de procédure aurait donnée à la procédure disciplinaire diligentée à l’encontre de celle-ci.

La chambre était d’avis que les questions débattues dans le cadre de la procédure litigieuse, à savoir la sanction disciplinaire imposée à une juge pour des faits relatifs notamment à des propos enfreignant ses obligations professionnelles, ne présentaient pas un caractère hautement technique et nécessitaient donc une audience sous le contrôle du public. En outre, elle a noté qu’il y avait une controverse sur les faits et que les sanctions que la requérante encourait avaient un caractère infamant, étant susceptibles de porter préjudice à l’honorabilité professionnelle et au crédit de celle-ci. Dans ces conditions, une audience publique, orale et accessible à la requérante s’imposait en l’espèce.

B.  Sur l’applicabilité de l’article 6 de la Convention

1.  Thèses des parties

117.  Devant la Grande Chambre, le Gouvernement ne conteste plus l’applicabilité de l’article 6 de la Convention sous son volet civil comme il l’avait fait devant la chambre. En revanche, il estime que la question de l’applicabilité du volet pénal de cet article doit être « définitivement écartée » et, renvoyant à l’arrêt Oleksandr Volkov (précité, §§ 92-95), il soutient que les procédures disciplinaires engagées contre la requérante ne concernent pas une accusation en matière pénale. Reprenant pour l’essentiel ses arguments exposés devant la chambre, le Gouvernement souligne que les procédures précitées ont une nature administrative et que les infractions visées portent sur la violation des devoirs professionnels, sans revêtir une nature pénale. En outre, les sanctions appliquées – l’amende ou la suspension temporaire de l’exercice des fonctions – sont selon lui des sanctions disciplinaires classiques n’atteignant pas un niveau de gravité comparable à celui des sanctions pénales.

118.  La requérante estime que l’article 6 de la Convention est applicable tant sous son volet civil que sous son volet pénal. S’agissant notamment de ce dernier, elle reprend les arguments qu’elle avait déjà exposés devant la chambre. Elle argue que les sanctions susceptibles de lui être infligées revêtent un caractère pénal par leur gravité et par le fait qu’elles mettent en cause l’honneur, l’intégrité et la confiance dans la personne concernée.

2.  Appréciation de la Cour

a)  Sur l’existence d’une « contestation » relative à « des droits et obligations de caractère civil »

119.  La Cour note d’emblée que les parties ne contestent pas devant la Grande Chambre l’applicabilité du volet civil de l’article 6 de la Convention.

120.  Pour sa part, la Cour souscrit entièrement aux conclusions de la chambre à cet égard (paragraphe 112 ci-dessus) et réaffirme que l’article 6 de la Convention est applicable en l’espèce sous son volet civil, ainsi qu’il ressort de sa jurisprudence constante (voir, récemment, Baka c. Hongrie [GC], no 20261/12, §§ 104-105, CEDH 2016, et Paluda c. Slovaquie, no 33392/12, §§ 33-34, 23 mai 2017).

b)  Sur l’existence d’« accusations en matière pénale »

121.  Compte tenu de ce que les deux aspects, civil et pénal, de l’article 6 de la Convention ne s’excluent pas nécessairement (Albert et Le Compte c. Belgique, 10 février 1983, § 30, série A no 58) et de la portée des griefs de la requérante tirés de l’article 6 § 3 a) et b), la Grande Chambre considère à la différence de la chambre qu’elle doit examiner si l’article précité est de surcroît applicable sous son volet pénal.

i.  Principes généraux

122.  La Cour réaffirme l’autonomie de la notion d’« accusation en matière pénale » telle que la conçoit l’article 6 § 1. Selon sa jurisprudence constante, l’existence ou non d’une « accusation en matière pénale » doit s’apprécier sur la base de trois critères, couramment dénommés « critères Engel » (Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, § 82, série A no 22). Le premier est la qualification juridique de l’infraction en droit interne, le second la nature même de l’infraction et le troisième le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé. Les deuxième et troisième critères sont alternatifs et pas nécessairement cumulatifs. Cela n’empêche pas l’adoption d’une approche cumulative si l’analyse séparée de chaque critère ne permet pas d’aboutir à une conclusion claire quant à l’existence d’une accusation en matière pénale (voir, entre autres, Jussila c. Finlande [GC], no 73053/01, §§ 30-31, CEDH 2006-XIV, et Ezeh et Connors c. Royaume-Uni [GC], nos 39665/98 et 40086/98, § 82, CEDH 2003-X). Le fait qu’une personne n’encourt pas une peine d’emprisonnement n’est pas déterminant en soi aux fins de l’applicabilité du volet pénal de l’article 6 de la Convention car, comme la Cour l’a souligné à maintes reprises, la faiblesse relative de l’enjeu ne saurait ôter à une infraction son caractère pénal intrinsèque (Nicoleta Gheorghe c. Roumanie, no 23470/05, § 26, 3 avril 2012).

123.  La Cour s’est penchée dans différentes affaires sur l’applicabilité à des procédures disciplinaires de l’article 6 § 1 sous son volet pénal. Elle considère de longue date que les poursuites disciplinaires ne relèvent pas, comme telles, de la « matière pénale » (Le Compte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique, 23 juin 1981, § 42, série A no 43, et Durand c. France (déc.), no 10212/07, § 56, 31 janvier 2012, et les affaires qui y sont citées). Plusieurs catégories professionnelles ont été visées : des avocats (Brown c. Royaume-Uni (déc.), no 38644/97, 24 novembre 1998, Müller-Hartburg c. Autriche, no 47195/06, §§ 41-48, 19 février 2013, Helmut Blum c. Autriche, no 33060/10, § 59, 5 avril 2016, et Biagioli c. Saint-Marin (déc.), no 64735/14, §§ 51-57, 13 septembre 2016) ; des notaires (Durand, décision précitée, §§ 55-60) ; des fonctionnaires (J.L. c. France (déc.), no 17055/90, 5 avril 1995, Costa c. Portugal (déc.), no 44135/98, 9 décembre 1999, Linde Falero c. Espagne (déc.), no 51535/99, 22 juin 2000, Moullet c. France (déc.), no 27521/04, 13 septembre 2007, et Nikolova et Vandova c. Bulgarie, no 20688/04, § 59, 17 décembre 2013) ; des médecins (Ouendeno c. France (déc.), no 18441/91, 2 mars 1994) ; des militaires (Kaplan et Karaca c. Turquie (déc.), no 40536/98, Gökden et Karacol c. Turquie, (déc.), no 40535/98, Batur c. Turquie, (déc.), no 38604/97, Duran et autres c. Turquie (déc.), no 38925/97, et Yildirim c. Turquie (déc.), no 40800/98 et Durgun c. Turquie (déc.), no 40751/98, décisions du 4 juillet 2007) ; des liquidateurs judiciaires (Galina Kostova c. Bulgarie, no 36181/05, § 52, 12 novembre 2013) et, comme dans les circonstances de la présente affaire, des juges (Oleksandr Volkov, précité, §§ 92-95, Di Giovanni c. Italie, no 51160/06, § 35, 9 juillet 2013, Sturua c. Géorgie, no 45729/05, § 28, 28 mars 2017, et Kamenos c. Chypre, no 147/07, §§ 50-53, 31 octobre 2017). Il peut en aller différemment, bien sûr, dans certains cas précis, par exemple, lorsqu’est en jeu une privation de liberté (Engel et autres, précité, §§ 80-85).

ii.  Application de ces principes au cas d’espèce

124.  En l’espèce, s’agissant du premier des critères Engel – la qualification juridique de l’infraction en droit interne –, la Cour observe que les textes administratifs appliqués dans le cadre des procédures litigieuses ressortissent au régime disciplinaire applicable aux juges (voir, mutatis mutandis, Moullet, décision précitée). Le fait que ces textes sont complétés, le cas échéant, par les dispositions du code pénal ou du code de procédure pénale (paragraphes 71 et 72 ci-dessus) ne change rien à ce constat. Par ailleurs, ces procédures ont été conduites par un organe de gestion et de discipline – le CSM – sous la supervision ultérieure de la section du contentieux de la Cour suprême, et ni le parquet (voir, mutatis mutandis, Brown, décision précitée) ni les juridictions pénales n’ont été amenés à se prononcer dans ce cadre (voir, mutatis mutandis, Müller-Hartburg, précité, § 43).

125.  Pour ce qui est du deuxième critère – la nature même de l’infraction –, la Cour observe que les dispositions légales ayant autorisé l’application des sanctions ne visaient pas un public large, mais une catégorie particulière, à savoir celle des juges. De telles dispositions sont destinées à protéger l’honneur et la réputation de la profession et à maintenir la confiance du public dans cette profession judiciaire (voir, mutatis mutandis, Müller-Hartburg, précité, § 45). Dans ces conditions, les infractions reprochées à la requérante n’ont pas une nature pénale, mais ont une nature uniquement disciplinaire.

126.  Quant au troisième critère – le degré de sévérité de la sanction –, la Cour constate que toutes les sanctions susceptibles d’être appliquées à la requérante sont des sanctions purement disciplinaires (voir, mutatis mutandis, Moullet, décision précitée, et Müller-Hartburg, précité, § 47). Bien que le montant de l’amende puisse être important, revêtant ainsi un caractère punitif, dans le cas d’espèce, la sévérité de la sanction en elle‑même ne saurait faire tomber l’infraction dans le domaine pénal (Müller-Hartburg précité, § 47).

127.  Au vu de ce qui précède, la Cour considère que les faits de la cause ne font pas apparaître de motif de conclure que les procédures disciplinaires engagées contre la requérante concernaient des décisions portant sur des accusations en matière pénale au sens de l’article 6 de la Convention. Partant, cet article ne trouve pas à s’appliquer sous son volet pénal.

128.  Dès lors, et rappelant que, si le premier paragraphe de l’article 6 vaut pour les contestations relatives à des droits de caractère civil comme pour les accusations en matière pénale, son troisième paragraphe ne protège que les « accusés », la Cour conclut que le grief de la requérante tiré de ce qu’elle n’a pas été informée de manière détaillée de l’accusation portée contre elle et qu’elle n’a ainsi pas disposé du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 a) et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4.

C.  Sur le fond

1.  Considérations préliminaires sur les garanties procédurales devant le CSM

a)  Thèses des parties

129.  La requérante, mis à part ses arguments consistant à dire que le CSM ne respecte pas les exigences d’indépendance et d’impartialité prévues par l’article 6 § 1 de la Convention, considère de surcroît que la procédure devant cet organe n’est pas conforme aux garanties exigées par cet article, telles que consacrées par la jurisprudence de la Cour. Selon elle, en effet :

–  les délits professionnels ne sont pas définis avec la précision nécessaire et reposent en partie sur les dispositions relatives aux fonctionnaires ;

–  le principe du contradictoire n’est pas respecté étant donné que le CSM est un organe chargé à la fois – lui-même ou par le truchement des juges instructeurs qu’il nomme et révoque – de l’ouverture d’une procédure, de l’enquête disciplinaire, de l’accusation et de l’adoption de la décision finale ;

–  l’exigence d’une audience orale et publique n’est pas applicable à la procédure disciplinaire, le principe du contradictoire se bornant à l’audition de l’intéressé et à la possibilité pour celui-ci de demander la réalisation de mesures supplémentaires d’instruction ;

–  la procédure disciplinaire est confidentielle, aucune audience publique devant le CSM ne pouvant être envisagée.

130.  Le Gouvernement avance tout d’abord que, selon le droit interne, le CSM est un organe de gestion et de discipline de la magistrature du siège. Même s’il ne s’agit pas d’un organe juridictionnel, le CSM respecterait néanmoins les exigences de l’article 6 de la Convention dans l’exercice de ses pouvoirs disciplinaires. Ainsi, après l’établissement de l’acte d’accusation, la procédure devant cet organe respecterait le principe du contradictoire. Le juge mis en cause aurait le droit d’être entendu, il pourrait se faire représenter par un avocat, prendre connaissance de l’acte d’accusation et présenter ses arguments à cet égard. L’intéressé aurait en outre le droit de participer à la procédure : il pourrait contester l’accusation, formuler des demandes, produire des preuves et soulever des causes de nullité. Par ailleurs, la décision finale serait motivée. Le juge instructeur ayant mené l’instruction ne ferait pas partie de la formation de jugement du CSM. Qui plus est, les décisions du CSM pourraient faire l’objet d’un recours devant la Cour suprême, de sorte que le droit d’accès à un tribunal serait garanti.

b)  Appréciation de la Cour

131.  La Cour constate en premier lieu que les sanctions disciplinaires ont été infligées à la requérante par un organe administratif, le CSM. Elle observe en deuxième lieu que les parties s’accordent à dire que le CSM est un organe non juridictionnel. La Cour ne peut que l’admettre et elle n’estime donc pas nécessaire d’examiner plus avant cette question.

132.  À cet égard, elle rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle, lorsqu’une autorité administrative chargée d’examiner des contestations portant sur des « droits et obligations de caractère civil » ne remplit pas toutes les exigences de l’article 6 § 1, il n’y a pas violation de la Convention si la procédure devant cet organe a fait l’objet du « contrôle ultérieur d’un organe judiciaire de pleine juridiction présentant, lui, les garanties de cet article » (Albert et Le Compte, précité, § 29, et Tsfayo c. Royaume-Uni, no 60860/00, § 42, 14 novembre 2006), c’est-à-dire si des défauts structurels ou de nature procédurale identifiés dans la procédure devant une autorité administrative sont corrigés dans le cadre du contrôle ultérieur par un organe judicaire doté de la pleine juridiction (Bistrović c. Croatie, no 25774/05, §§ 51-53, 31 mai 2007 – concernant des défauts structurels ; Schuler-Zgraggen c. Suisse, 24 juin 1993, § 52, série A no 263, et Letinčić c. Croatie, no 7183/11, §§ 46 et 55-67, 3 mai 2016 – concernant des défauts procéduraux).

133.  En l’espèce, il existait la possibilité, dont la requérante s’est prévalue, de contester les décisions rendues par le CSM devant la section du contentieux de la Cour suprême. Dans les circonstances particulières de l’affaire et au vu des griefs valablement soulevés devant elle, la Cour cherchera à établir si cette dernière juridiction est un organe judiciaire de pleine juridiction au sens de la jurisprudence de la Cour, respectant les garanties de l’article 6 de la Convention. Les éléments pertinents caractérisant la procédure devant le CSM et, en particulier, ses garanties procédurales, seront pris en compte pour autant que l’examen des griefs tirés de la procédure devant la Cour suprême l’exige (paragraphe 107 ci‑dessus).

2.  Approche de la Grande Chambre dans l’examen des griefs

134.  La Grande Chambre souligne que la chambre n’a conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention qu’en raison de l’effet cumulé des différentes carences que constituaient l’absence d’indépendance et d’impartialité du CSM, l’étendue insuffisante du contrôle de la section du contentieux de la Cour suprême et l’absence d’audience publique (paragraphe 113 ci-dessus). Elle entend pour sa part suivre une approche différente, c’est-à-dire examiner séparément les différents griefs soulevés par la requérante (voir, par exemple, Olujić c. Croatie, no 22330/05, § 55, 5 février 2009 et Tsanova-Gecheva c. Bulgarie, no 43800/12, §§ 90, 105‑106 et 109, 15 septembre 2015). Cependant, le grief relatif à l’insuffisance alléguée du contrôle exercé par la section du contentieux de la Cour suprême étant intimement lié, dans les circonstances de l’espèce, au grief relatif à l’absence d’audience, elle examinera ces deux griefs ensemble (point 4 ci-dessous). Elle procédera tout d’abord à l’examen du grief tiré de l’absence alléguée d’indépendance et d’impartialité de la section du contentieux de la Cour suprême (point 3 ci-dessous).

3.  Sur l’indépendance et l’impartialité de la section du contentieux de la Cour suprême

a)  Thèses des parties

i.  La requérante

135.  La requérante estime qu’il y a des raisons objectivement justifiées de douter de l’indépendance et de l’impartialité de la section du contentieux de la Cour suprême.

136.  Elle argue en premier lieu que le président du CSM est en même temps le président de la Cour suprême et que, en cette dernière qualité, en vertu de l’article 168 § 2 du Statut (paragraphe 71 ci-dessus), il nomme chaque année les membres de la section ad hoc qui examine les recours formés contre les décisions du CSM en matière disciplinaire. Dans ces conditions, selon elle, ladite section ad hoc n’est pas distincte du CSM et ne peut pas apparaître comme telle aux yeux du public.

137.  Elle plaide en deuxième lieu que le droit portugais qualifie les litiges de nature disciplinaire concernant des juges comme relevant du droit administratif. Or, contrairement aux dispositions constitutionnelles (voir l’article 212 § 3 de la Constitution, paragraphe 70 ci-dessus), qui exigeraient que les litiges portant sur des actes administratifs soient tranchés par les juridictions administratives, les décisions du CSM adoptées en matière disciplinaire seraient soumises à un recours devant une section ad hoc de la Cour suprême. Ainsi, l’évaluation, la nomination, la promotion et les procédures disciplinaires concernant les juges de la Cour suprême relèveraient de la compétence du CSM, soit l’organe dont les décisions leur sont soumises pour examen. Dans ses conditions, elle estime qu’il aurait été plus judicieux que les recours en question soient tranchés par la Cour suprême administrative, dont les membres relèvent du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et fiscaux et non du CSM.

138.  La requérante indique en troisième lieu que les décisions du Tribunal constitutionnel qui ont conclu qu’aucune disposition constitutionnelle n’avait été méconnue lors de ce partage des compétences (paragraphe 82 ci-dessus) ont fait l’objet de commentaires négatifs dans la doctrine.

ii.  Le Gouvernement

139.  Le Gouvernement souligne en premier lieu que, de manière générale, les juges sont indépendants, inamovibles et soumis à des exigences d’empêchement, de soupçons et d’incompatibilité de nature à garantir leur indépendance et leur impartialité.

140.  En deuxième lieu, la composition de la section du contentieux de la Cour suprême serait déterminée par la loi sur la base de critères objectifs comme l’ancienneté des juges et leur appartenance à une section donnée, et ne dépendrait donc pas de la volonté du président de la Cour suprême. Par ailleurs, la désignation formelle de ses membres serait effectuée par le vice-président le plus ancien de la Cour suprême. Lorsque cette formation examinerait des recours introduits contre les décisions du CSM, le président de la Cour suprême n’y siègerait pas.

141.  En troisième lieu, le Tribunal constitutionnel aurait déjà validé ce mode de désignation de la section du contentieux de la Cour suprême (paragraphe 82 ci-dessus). Se référant aux conclusions du Tribunal constitutionnel, le Gouvernement considère que le fait de soumettre les décisions du CSM à une autre juridiction porterait atteinte à l’indépendance du CSM ainsi qu’à celle de la juridiction ainsi choisie.

142.  En quatrième lieu, la composition de la section du contentieux de la Cour suprême n’aurait pas soulevé de problèmes dans la pratique. En effet, les juges de cette section seraient des juges très qualifiés, en fin de carrière, qui ne seraient plus soumis à des évaluations ou à des promotions. En outre, la Cour suprême jouirait de l’autonomie de gestion. Seul le pouvoir du CSM consistant à ouvrir une procédure disciplinaire à l’encontre des juges de la section du contentieux, qui serait toutefois purement théorique, pourrait poser un problème en pratique.

143.  En cinquième lieu, le caractère adéquat, cohérent et fonctionnel du système mis en place au Portugal serait démontré par le fait que, au cours de la période comprise entre le 16 novembre 2009 et le 31 décembre 2015, la section du contentieux de la Cour suprême aurait rendu soixante et un arrêts portant sur des recours formés contre des décisions du CSM de nature disciplinaire. Parmi ceux-ci, cinquante-trois arrêts auraient confirmé les décisions du CSM, alors que huit les auraient annulées.

b)  Appréciation de la Cour

i.  Principes généraux

144.  Pour établir si un tribunal peut passer pour « indépendant » aux fins de l’article 6 § 1, il faut prendre en compte, notamment, le mode de désignation et la durée du mandat de ses membres, l’existence d’une protection contre les pressions extérieures et le point de savoir s’il y a ou non apparence d’indépendance (Findlay c. Royaume-Uni, 25 février 1997, § 73, Recueil des arrêts et décisions 1997-I, et Tsanova-Gecheva, précité, § 106, 15 septembre 2015). La Cour rappelle le rôle croissant de la notion de séparation du pouvoir exécutif et de l’autorité judiciaire dans sa jurisprudence (Stafford c. Royaume-Uni [GC], no 46295/99, § 78, CEDH 2002-IV). Cela étant, ni l’article 6 ni aucune autre disposition de la Convention n’oblige les États à se conformer à telle ou telle notion constitutionnelle théorique concernant les limites admissibles à l’interaction entre l’un et l’autre (Kleyn et autres c. Pays-Bas [GC], nos 39343/98 et 3 autres, § 193, CEDH 2003-VI).

145.  La Cour rappelle que l’impartialité se définit d’ordinaire par l’absence de préjugé ou de parti pris et peut s’apprécier de diverses manières. Selon la jurisprudence constante de la Cour, aux fins de l’article 6 § 1, l’impartialité doit s’apprécier selon une démarche subjective, en tenant compte de la conviction personnelle et du comportement du juge, c’est-à-dire en recherchant si celui-ci a fait preuve de parti pris ou préjugé personnel dans le cas d’espèce, ainsi que selon une démarche objective consistant à déterminer si le tribunal offrait, notamment à travers sa composition, des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité (voir, par exemple, Kyprianou c. Chypre [GC], no 73797/01, § 118, CEDH 2005-XIII, et Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 93, CEDH 2009).

146.  Dans la très grande majorité des affaires soulevant des questions relatives à l’impartialité, la Cour a eu recours à la démarche objective (Micallef, précité, § 95, et Morice c. France [GC], no 29369/10, § 75, 23 avril 2015). La frontière entre l’impartialité subjective et l’impartialité objective n’est cependant pas hermétique car non seulement la conduite même d’un juge peut, du point de vue d’un observateur extérieur, entraîner des doutes objectivement justifiés quant à son impartialité (démarche objective), mais elle peut également toucher à la question de sa conviction personnelle (démarche subjective) (Kyprianou, précité, § 119). Ainsi, dans des cas où il peut être difficile de fournir des preuves permettant de réfuter la présomption d’impartialité subjective du juge, la condition d’impartialité objective fournit une garantie importante supplémentaire (Pullar c. Royaume-Uni, 10 juin 1996, § 32, Recueil 1996-III).

147.  Pour ce qui est de l’appréciation objective, elle consiste à se demander si, indépendamment de la conduite personnelle du juge, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l’impartialité de ce dernier. Il en résulte que, pour se prononcer sur l’existence, dans une affaire donnée, d’une raison légitime de redouter d’un juge ou d’une juridiction collégiale un défaut d’impartialité, l’optique de la personne concernée entre en ligne de compte mais ne joue pas un rôle décisif. L’élément déterminant consiste à savoir si l’on peut considérer les appréhensions de l’intéressé comme objectivement justifiées (Micallef, précité, § 96, et Morice, précité, § 76).

148.  L’appréciation objective porte essentiellement sur les liens hiérarchiques ou autres entre le juge et d’autres acteurs de la procédure (Micallef, précité, § 97). Il faut en conséquence décider dans chaque cas d’espèce si la nature et le degré du lien en question sont tels qu’ils dénotent un manque d’impartialité de la part du tribunal (Pullar, précité, § 38).

149.  En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance ou, comme le dit un adage anglais, « justice must not only be done, it must also be seen to be done » (il faut non seulement que justice soit faite, mais aussi qu’elle le soit au vu et au su de tous) (De Cubber c. Belgique, 26 octobre 1984, § 26, série A no 86). Il y va de la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer aux justiciables. Tout juge dont on peut légitimement craindre un manque d’impartialité doit donc se déporter (Castillo Algar c. Espagne, 28 octobre 1998, § 45, Recueil 1998-VIII, et Micallef, précité, § 98).

150.  Les concepts d’indépendance et d’impartialité objective sont étroitement liés et, selon les circonstances, peuvent appeler un examen conjoint (Sacilor-Lormines c. France, no 65411/01, § 62, CEDH 2006‑XIII).

ii.  Application de ces principes au cas d’espèce

151.  La Cour note que le grief de la requérante comporte deux branches : la première porte sur le fait que le président de la Cour suprême est de surcroît le président du CSM, alors que la deuxième concerne le fait que les juges de la Cour suprême relèvent de la compétence du CSM pour leur carrière et les poursuites disciplinaires à leur encontre.

152.  En l’espèce, la Cour observe que la requérante ne met pas en cause l’impartialité subjective de la haute juridiction et elle considère, dès lors, qu’il convient d’examiner le grief sous l’angle de l’exigence d’indépendance et d’impartialité objective, et plus particulièrement de trancher la question de savoir si les doutes de la requérante peuvent être considérés comme objectivement justifiés dans les circonstances de la cause. Elle examinera séparément chaque branche du grief.

α)  La dualité des fonctions du président de la Cour suprême

153.  À titre liminaire, la Cour observe que le grief de la requérante vise la plus haute juridiction du Portugal, constituée exclusivement de juges professionnels, indépendants, inamovibles et soumis à des exigences d’incompatibilité de nature à garantir leur indépendance et leur impartialité.

154.  Ensuite, la composition de la section du contentieux de la Cour suprême est déterminée par le Statut (voir l’article 168, paragraphe 71 ci‑dessus), sur la base de critères objectifs tels que l’ancienneté des juges et leur appartenance à une section donnée et le président de la Cour suprême ne siège pas dans cette section ad hoc. L’argument du Gouvernement consistant à dire que, en pratique, la désignation formelle des membres de cette section est effectuée par le vice-président le plus ancien de la Cour suprême, doit également être pris en compte.

155.  Force est aussi de constater que la requérante n’a pas allégué que les juges de la section du contentieux aient agi sur les instructions du Président de la Cour suprême ou fait autrement preuve de partialité. Elle n’a pas non plus allégué que le Président de la Cour suprême ait été en mesure, d’une autre manière, d’influencer les juges de la section du contentieux. En particulier, il n’est pas établi que ces juges aient été désignés en vue de connaître de son cas (voir, mutatis mutandis, Pereira da Silva c. Portugal, no 77050/11, §§ 59-60, 22 mars 2016). En l’espèce, il n’existe pas d’éléments de nature à faire naître dans le chef de la requérante de craintes objectivement justifiées (Sacilor-Lormines, précité, § 74).

156.  Les considérations qui précèdent suffisent à la Cour pour conclure que la dualité des fonctions du président de la Cour suprême n’est pas de nature à mettre en cause l’indépendance et l’impartialité objective de la haute juridiction qui a été amenée à trancher les recours formés par la requérante contre les décisions du CSM.

β)  Le rôle du CSM dans la carrière des juges de la Cour suprême et les poursuites disciplinaires contre eux

157.  Pour ce qui est de la deuxième branche du grief, la Cour rappelle que dans l’affaire Oleksandr Volkov (précitée) elle a déjà été conduite à examiner une question similaire relative à l’impartialité et à l’indépendance de la Cour administrative supérieure qui était appelée à examiner des recours formés contre des décisions du CSM ukrainien. Dans cette affaire, elle s’est exprimée dans les termes suivants:

« 130.  La Cour observe que les juges de la Cour administrative supérieure qui ont procédé au contrôle juridictionnel des décisions antérieures relevaient eux aussi de la compétence disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature. Ainsi, ils auraient pu eux-mêmes faire l’objet d’une procédure disciplinaire devant ce conseil. Eu égard aux pouvoirs étendus de cet organe quant à la carrière des juges (nomination, sanction, révocation) et au fait qu’il ne présentait pas toutes les garanties d’indépendance et d’impartialité (voir ci-dessus), la Cour n’est pas convaincue que les juges de la Cour administrative supérieure qui ont examiné l’affaire du requérant, à laquelle le Conseil supérieur de la magistrature était partie, aient pu faire preuve de « l’indépendance » et de « l’impartialité » requises par l’article 6 de la Convention. »

158.  De l’avis de la Cour, compte tenu des arguments évoqués par la chambre ayant examiné l’affaire Oleksandr Volkov, ces considérations devraient être regardées comme une critique basée sur les circonstances de l’affaire et applicables dans un système présentant des déficiences sérieuses de nature structurelle ou une apparence de parti pris au sein de l’organe disciplinaire de la magistrature, comme c’était le cas dans le contexte spécifique du système ukrainien à l’époque, et non à une conclusion ayant une portée générale.

159.  Dans l’affaire Oleksandr Volkov, outre le fait que les juges de la Cour administrative supérieure relevaient de la compétence disciplinaire du CSM ukrainien, un certain nombre de problèmes sérieux avaient été détectés. Ces problèmes concernaient en premier lieu des déficiences structurelles dans la procédure menée devant le CSM, dont notamment l’appartenance de droit du ministre de la Justice et du procureur général à cet organe et le fait que la grande majorité de ses membres non judiciaires étaient nommés directement par les autorités exécutives et législatives. En second lieu, la Cour a pris en compte l’apparence de parti pris de la part de certains des membres de ce conseil qui avaient statué sur l’affaire du requérant. En effet, elle a observé que les membres du CSM ukrainien qui avaient mené les investigations préliminaires dans l’affaire du requérant et qui avaient demandé la révocation de l’intéressé avaient ensuite participé à la prise des décisions aboutissant à la révocation, et que l’un d’eux avait été nommé président du CSM et avait présidé l’audience tenue sur le cas du requérant. Dès lors, elle a conclu que la procédure n’était pas compatible avec les principes d’indépendance et d’impartialité énoncés à l’article 6 § 1 de la Convention (Oleksandr Volkov, précité, § 117). L’examen subséquent de l’affaire du requérant par le Parlement, l’organe législatif, n’a pas réparé les défauts structurels d’« indépendance et [d’]impartialité » mais bien plutôt contribué à la politisation de la procédure et à l’aggravation de son incompatibilité avec le principe de séparation des pouvoirs (ibidem, § 118). Dans ces conditions, selon la jurisprudence de la Cour, il était d’une extrême importance que la Cour administrative supérieure ukrainienne présentât les garanties de l’article 6 de la Convention pour pouvoir remédier éventuellement au défaut d’indépendance et d’impartialité.

160.  En revanche, dans la présente affaire, de telles déficiences sérieuses de nature structurelle ou d’apparence de parti pris au sein du CSM portugais n’ont pas été relevées.

161.  Ensuite, eu égard aux faits de l’espèce, la Cour juge qu’il y a lieu d’examiner conjointement les questions de l’indépendance et de l’impartialité de la section du contentieux de la Cour suprême s’agissant de cette partie du grief (paragraphe 150 ci-dessus).

162.  La Cour souligne tout d’abord l’importance des garanties énumérées au paragraphe 153 ci-dessus et notamment du principe de l’indépendance des juges au Portugal, laquelle est protégée aussi bien par la Constitution (paragraphe 70 ci-dessus) que par d’autres dispositions du droit interne (paragraphe 71 ci-dessus). Elle prend ensuite note des raisons qui ont conduit le législateur portugais à choisir le dispositif actuel en vertu duquel la compétence en matière de recours contre des décisions du CSM incombe à la section du contentieux de la Cour suprême, raisons qui ont été validées à plusieurs reprises par le Tribunal constitutionnel (paragraphe 82 ci-dessus).

163.  En outre, il va sans dire que le fait que les juges sont soumis à la loi en général et aux règles de discipline et de déontologie professionnelle en particulier ne saurait mettre en cause leur impartialité. Comme le relève le Gouvernement sans que la requérante le conteste, les juges de la Cour suprême, des juges très qualifiés souvent en fin de carrière, ne sont plus soumis à des évaluations ou en quête de promotion, et la compétence disciplinaire du CSM à leur encontre se révèle en réalité plutôt théorique (paragraphe 142 ci-dessus). La Cour constate ensuite l’absence d’éléments concrets indiquant un manque d’impartialité, comme par exemple le fait qu’une procédure disciplinaire pendante viserait l’un des membres des formations de jugement ayant examiné les recours de la requérante. D’une manière plus générale, la Cour considère qu’il est normal que les juges, dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires et dans des contextes variés, soient amenés à traiter des affaires diverses en ayant à l’esprit qu’ils sont susceptibles, à un moment donné de leur carrière, de se trouver eux-mêmes dans une situation similaire à celle d’une des parties, y compris celle de la partie défenderesse. Cependant, on ne saurait considérer qu’un tel risque purement abstrait soit de nature à jeter des doutes sur l’impartialité d’un juge, en l’absence de circonstances concrètes ayant trait à sa situation personnelle. Or, même s’il s’agit d’affaires disciplinaires, un tel risque théorique résidant dans le fait que les juges qui siègent restent eux-mêmes soumis à un régime disciplinaire, ne saurait être en lui-même suffisant pour conclure à un manquement aux exigences de l’impartialité.

164.  Dès lors, eu égard à l’ensemble des circonstances particulières de l’affaire ainsi qu’aux garanties visant à protéger la section du contentieux de la Cour suprême de pressions extérieures, la Cour considère que les appréhensions de la requérante ne peuvent passer pour objectivement justifiées et que le système mis en place au Portugal pour contrôler les décisions du CSM en matière disciplinaire n’est pas contraire à l’indépendance et à l’impartialité requises par l’article 6 § 1 de la Convention.

165.  Partant, elle ne constate pas d’absence d’indépendance et d’impartialité de la section du contentieux de la Cour suprême et conclut donc qu’il n’y a pas eu violation de cet article.

4.  Sur le contrôle effectué par la section du contentieux de la Cour suprême et l’absence d’audience publique

166.  Comme la Cour l’a observé (voir paragraphe 133 ci-dessus), le droit interne prévoit en l’espèce la possibilité d’obtenir, au moyen d’un recours devant la section du contentieux de la Cour suprême, le contrôle juridictionnel des décisions du CSM ayant infligé des sanctions disciplinaires à la requérante. La tâche de la Cour consistera donc à vérifier si la section du contentieux de la Cour suprême a opéré un contrôle juridictionnel d’une étendue suffisante vu les circonstances de l’espèce.

a)  Thèses des parties

i)  La requérante

167.  La requérante soutient d’abord que, pour rejeter ses recours, la section du contentieux de la Cour suprême s’est limitée à reproduire systématiquement les arguments développés par le CSM. Ensuite, renvoyant à différents extraits des arrêts de la Cour suprême, elle insiste sur la nature du recours devant cette juridiction : un recours en légalité et non de pleine juridiction, sans possibilité de réexaminer de manière effective l’établissement des faits qui, selon elle, avait été effectué par le CSM sur la base de preuves insuffisantes. De même, à son avis, la Cour suprême n’a pas procédé à une véritable appréciation de sa conduite en matière disciplinaire. Enfin, s’agissant des sanctions disciplinaires infligées, malgré le fait qu’elle s’est déclarée en droit d’examiner le degré de sévérité de chaque sanction, en réalité, en raison de l’ample discrétion reconnue à l’administration, la Cour suprême n’aurait pas procédé à un examen sur ce point. Certes, l’article 6 § 1 de la Convention ne garantirait pas un double degré de juridiction, mais dans son cas, elle n’aurait bénéficié d’aucun degré de juridiction car seule une entité administrative se serait chargée d’établir les faits et de décider de la sanction disciplinaire. Elle n’aurait donc pas bénéficié d’un contrôle juridictionnel de pleine juridiction ni, en conséquence, d’un « recours effectif ».

168.  La requérante se plaint également de ce que les procédures disciplinaires dont elle a fait l’objet aient été confidentielles et plus particulièrement que ni la procédure menée devant le CSM ni celle menée devant la Cour suprême n’aient été publiques. En effet, ni le CSM ni la section du contentieux de la Cour suprême n’auraient jamais tenu d’audience publique dans les procédures à caractère disciplinaire. Ainsi, bien que la requérante ait formellement réclamé la tenue d’une audience publique tant devant le CSM que devant la Cour suprême (dans la procédure visée par requête no 74041/13), et nonobstant l’existence d’une controverse sur les faits, à savoir la teneur des propos qui lui étaient reprochés, ces instances lui auraient opposé un refus à chaque fois. Or l’appréciation des preuves aurait exigé l’examen de la crédibilité des déclarations du seul témoin à charge, le juge instructeur F.M.J. Dans ce contexte, l’administration d’éléments de preuve sur ce point aurait donc été essentielle pour le respect des droits de la défense à son égard.

169.  De plus, la sanction qu’encourait la requérante – la révocation ou la suspension de l’exercice de ses fonctions – aurait été très sérieuse et aurait eu un caractère infamant.

170.  Enfin, la tenue d’une audience publique aurait été d’autant plus importante en l’espèce que, tout au long de la dernière procédure, le CSM aurait notamment entravé à plusieurs reprises la possibilité pour la requérante d’accéder à des documents pertinents pour l’examen de la crédibilité du témoin à charge, à savoir des documents produits par ce témoin dans la procédure litigieuse ou dans différentes procédures disciplinaires ou pénales ouvertes contre lui.

ii)  Le Gouvernement

171.  S’agissant de l’étendue du contrôle exercé par la section du contentieux de la Cour suprême, le Gouvernement répète les arguments qu’il avait déjà exposés devant la chambre, à savoir qu’il ne sied pas à la plus haute juridiction d’empiéter sur les pouvoirs discrétionnaires de l’administration. Il expose que, malgré la limitation des pouvoirs qui découle du respect du principe de séparation des pouvoirs et de l’autonomie de l’exercice du pouvoir disciplinaire par l’administration, la Cour suprême a en l’espèce examiné les faits en détail et s’est prononcée sur la légalité, la suffisance et la cohérence de l’établissement des faits et des moyens de preuve. Il ajoute qu’elle a en outre analysé la pertinence des faits retenus par rapport aux devoirs méconnus ainsi que la nécessité et la proportionnalité des sanctions appliquées. Il précise que la haute juridiction ne s’est pas bornée à faire une appréciation générale et abstraite mais s’est appuyée sur des preuves concrètes figurant au dossier qui avaient été recueillies au cours d’un procès équitable.

172.  Selon le Gouvernement, la Cour suprême, à la différence de la situation visée dans l’arrêt Oleksandr Volkov (précité, § 125), disposait du pouvoir d’annuler les décisions du CSM et de lui enjoindre d’adopter de nouvelles décisions conformes. Le contrôle effectué en l’espèce par la Cour suprême a ainsi à ses yeux été suffisant aux fins de l’article 6 § 1 de la Convention.

173.  Pour ce qui est de l’absence d’audience publique, le Gouvernement souligne que le refus opposé à la demande de la requérante tendant à cet égard, dans le cadre de la requête no 74041/13, par la section du contentieux de la Cour suprême était motivé non seulement par l’inutilité d’une telle audience compte tenu des pouvoirs limités de ladite section en matière d’établissement des faits et d’appréciation des preuves, mais également par l’irrecevabilité et l’inutilité des preuves que l’intéressée entendait faire administrer pendant l’audience ou encore par le fait qu’elle avait déjà produit en défense un mémoire détaillé portant sur les questions de droit. Pour le Gouvernement, la requérante n’entendait pas présenter à l’audience des témoins ou des preuves essentielles concernant l’objet de son affaire, mais plutôt des preuves portant par exemple sur les litiges qui l’opposaient au juge instructeur F.M.J. ou les modalités de mise à exécution de la sanction infligée.

174.  La tenue d’une audience publique ne serait certes pas une pratique habituelle devant la section du contentieux de la Cour suprême dans les affaires relatives aux recours formés en matière disciplinaire. Il n’en demeurerait pas moins que, selon le droit interne, la requérante aurait eu la possibilité de demander la tenue d’une telle audience devant la haute juridiction. En tout état de cause, la jurisprudence de la Cour n’imposerait pas la tenue d’une audience dans toutes les affaires. Ainsi, selon le Gouvernement, dans les affaires où sont infligées des sanctions mineures, comme des amendes ou une suspension de l’exercice des fonctions, le caractère équitable d’une procédure peut être préservé malgré l’absence d’audience publique, à condition que l’intéressé dispose de toutes les possibilités de se défendre de l’accusation portée contre lui.

175.  Le Gouvernement estime que, dans l’arrêt qu’elle a adopté le 21 juin 2016 dans la présente affaire, la chambre a méconnu la marge d’appréciation qui doit être reconnue aux juridictions internes, lesquelles seraient plus à même d’évaluer la nécessité d’examiner des preuves ou de tenir une audience. Il argue que la motivation de cet arrêt paraît reposer sur l’exigence absolue de tenir une audience dans toutes les affaires concernant des recours formés contre des décisions portant sanction disciplinaire d’un magistrat.

b)  Appréciation de la Cour

i.  Principes généraux

α)  L’étendue du contrôle juridictionnel

176.  La Cour rappelle que, pour qu’un « tribunal » puisse décider d’une contestation sur des droits et obligations de caractère civil en conformité avec l’article 6 § 1 de la Convention, il faut qu’il ait compétence pour se pencher sur toutes les questions de fait et de droit pertinentes pour le litige dont il se trouve saisi (Terra Woningen B.V. c. Pays-Bas, 17 décembre 1996, § 52, Recueil 1996‑VI, Chevrol c. France, no 49636/99, § 77, CEDH 2003‑III, et I.D. c. Bulgarie, no 43578/98, § 45, 28 avril 2005).

177.  Tant la Commission que la Cour ont admis dans leur jurisprudence que l’exigence selon laquelle une cour ou un tribunal doit disposer de la « plénitude de juridiction » sera satisfaite s’il est établi que l’organe en question est doté de compétences d’une « étendue suffisante » ou exerce un « contrôle juridictionnel suffisant » pour traiter l’affaire en cause (Sigma Radio Television Ltd c. Chypre, nos 32181/04 et 35122/05, § 152, 21 juillet 2011, et les affaires qui y sont citées). L’exigence relative à la plénitude de juridiction a reçu ainsi une définition autonome à la lumière de l’objet et du but de la Convention et qui ne dépend pas nécessairement de la qualification retenue en droit interne.

178.  Pour adopter cette démarche, les organes de la Convention ont pris en compte le fait que fréquemment, dans les systèmes de contrôle des décisions administratives en vigueur dans les États membres du Conseil de l’Europe, l’étendue du contrôle juridictionnel de l’établissement des faits est limitée et la nature même des procédures de contrôle implique que les autorités compétentes se bornent à vérifier les procédures antérieures au lieu de prendre de nouvelles décisions d’ordre factuel. Il ressort de la jurisprudence de la Cour que le rôle de l’article 6 n’est pas, en principe, de garantir l’accès à un tribunal qui pourrait substituer sa propre appréciation ou son propre avis à ceux des autorités administratives. À cet égard, la Cour a en particulier souligné le respect dû aux décisions prises par l’administration sur des questions d’opportunité qui souvent ont trait à des domaines spécialisés du droit (Sigma Radio Television Ltd, précité, § 153, et les affaires qui y sont citées).

179.  Afin d’évaluer si, dans un cas donné, les juridictions internes ont effectué un contrôle d’une étendue suffisante, la Cour a jugé qu’elle devait prendre en considération les compétences attribuées à la juridiction en question et des éléments tels que : a) l’objet de la décision attaquée, plus particulièrement le point de savoir si celle-ci a trait à une question spécialisée exigeant des connaissances ou une expérience professionnelles ou si, et dans quelle mesure, elle implique l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’administration ; b) la méthode suivie pour parvenir à cette décision et, en particulier, les garanties procédurales existant dans le cadre de la procédure devant l’autorité administrative ; et c) la teneur du litige, y compris les moyens de recours, tant souhaités que réellement développés (Sigma Radio Television Ltd, précité, § 154, Tsanova-Gecheva, précité, § 98, et les affaires qui y sont citées, à savoir, notamment, Bryan c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995, § 45, série A no 335-A, et Galina Kostova, précité, § 59).

180.  Lorsqu’elle recherche si le dispositif législatif dans son ensemble permet un contrôle adéquat des faits, la Cour doit aussi tenir compte de la nature et des objectifs de ce dispositif. En effet, en ce qui concerne les recours administratifs, la question de savoir si l’étendue du contrôle juridictionnel a été suffisante dépend non seulement de la nature discrétionnaire ou technique de l’objet de la décision attaquée et de l’aspect particulier que le requérant entend présenter devant les tribunaux comme étant le point central pour lui mais aussi, plus généralement, de la nature des « droits et obligations de caractère civil » en jeu et de la nature des objectifs de la politique poursuivie par la législation sous-jacente (Fazia Ali c. Royaume-Uni, no 40378/10, § 84, 20 octobre 2015).

181.  Le point de savoir si un contrôle juridictionnel d’une étendue suffisante a été effectué dépendra donc des circonstances de chaque affaire : la Cour doit dès lors se borner autant que possible à examiner la question soulevée par la requête dont elle est saisie et à déterminer si, dans les circonstances de l’espèce, le contrôle opéré était adéquat (Sigma Radio Television Ltd, précité, § 155, et Potocka et autres c. Pologne, no 33776/96, § 54, CEDH 2001-X).

182.  La Cour a déjà eu l’occasion d’examiner des cas dans lesquels les juridictions nationales n’ont pas été en mesure ou ont refusé d’examiner une question centrale du litige parce qu’elles s’estimaient liées par les constatations de fait ou de droit des autorités administratives et ne pouvaient procéder à un examen indépendant de ces questions (Terra Woningen B.V., précité, §§ 46 et 50-55, Obermeier c. Autriche, 28 juin 1990, §§ 66-70, série A no 179, Tsfayo, précité, § 48, Chevrol, précité, § 78, I.D. c. Bulgarie, précité, §§ 50-55, Capital Bank AD c. Bulgarie, no 49429/99, §§ 99-108, CEDH 2005-XII (extraits), et Fazliyski c. Bulgarie, no 40908/05, § 59, 16 avril 2013).

L’affaire Tsfayo relève de cette catégorie. Dans cette affaire, non seulement l’organe dont la décision était soumise au contrôle juridictionnel était dépourvu d’indépendance par rapport au pouvoir exécutif mais encore il présentait un lien direct avec l’une des parties au litige (Tsfayo, précité, § 47). La Cour a considéré que l’indépendance de jugement quant à l’établissement d’un fait essentiel risquait d’être atteinte d’une manière ne pouvant être correctement examinée ou rectifiée dans le cadre du contrôle juridictionnel. Étant donné que le tribunal en cause n’était pas compétent pour procéder à un nouvel examen des preuves et que, dès lors, il n’avait pas pu statuer sur une question de fait cruciale, la Cour a conclu à la violation de l’article 6 au motif que la question centrale n’avait pas été tranchée par un tribunal indépendant des parties au litige. Autrement dit, dans cette affaire, l’impossibilité de réexaminer une question de fait décisive avait empêché l’instance d’appel de remédier à l’absence d’indépendance par rapport à l’une des parties au litige constatée en première instance.

183.  La Cour a été amenée également à examiner des affaires dans lesquelles le tribunal ne jouissait pas de la plénitude de juridiction au sens de la législation nationale en tant que telle, mais avait examiné point par point les arguments des requérants soulevés dans leurs moyens d’appel sans se voir contraint de se déclarer incompétent pour y répondre ou pour contrôler les constats de fait ou de droit établis par les autorités administratives. Dans ces affaires, elle s’est attachée à analyser l’intensité du contrôle opéré par les juridictions internes sur la discrétion exercée par l’administration (voir, par exemple, Tsanova-Gecheva, précité, §§ 101-105, Bryan, précité, §§ 43-47, Potocka et autres, précité, §§ 55-59, Sigma Radio Television Ltd, précité, §§ 158-169, Galina Kostova, précité, §§ 61-66, et, sous le volet pénal de l’article 6 § 1 de la Convention, A. Menarini Diagnostics S.r.l. c. Italie, no 43509/08, §§ 63-64, 27 septembre 2011).

184.  De plus, la Cour a jugé, en règle générale, inhérent à la notion de contrôle juridictionnel que, si un moyen d’appel est considéré comme valable, la juridiction procédant au contrôle doit pouvoir annuler la décision attaquée et rendre elle-même une nouvelle décision ou renvoyer l’affaire devant le même organe ou un organe différent (Kingsley c. Royaume-Uni [GC] no 35605/97, §§ 32 et 34, CEDH 2002‑IV, et Oleksandr Volkov, précité, § 125).

185.  L’article 6 veut par ailleurs que les juridictions internes indiquent de manière suffisante les motifs sur lesquels elles se fondent. Sans exiger une réponse détaillée à chaque argument du plaignant, cette obligation présuppose que la partie à une procédure judiciaire puisse s’attendre à obtenir une réponse spécifique et explicite aux moyens décisifs pour l’issue de la procédure en cause (voir, parmi beaucoup d’autres, Ruiz Torija c. Espagne, 9 décembre 1994, §§ 29-30, série A no 303‑A).

186.  La Cour rappelle également qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. C’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et aux tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne (voir, entre autres, Nejdet Şahin et Perihan Şahin c. Turquie [GC], no 13279/05, § 49, 20 octobre 2011). La Cour n’est pas une instance d’appel des juridictions nationales et il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par ces juridictions, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999‐I).

β)  L’audience publique

187.  La Cour rappelle d’emblée que le droit à une audience n’est pas lié exclusivement à la question de savoir si la procédure implique l’audition de témoins qui seront entendus oralement. Il est également important pour le justiciable de bénéficier de la possibilité d’exposer oralement ses prétentions devant les juridictions internes (Göç, précité, § 48). Ainsi, le droit à une audience est l’un des éléments qui sous-tendent le principe de l’égalité des armes entre les parties à la procédure (voir, mutatis mutandis, Margaretić c. Croatie, no 16115/13, §§ 127-128, 5 juin 2014).

188.  La Cour rappelle également que, selon sa jurisprudence établie, dans une procédure se déroulant devant un premier et seul tribunal, le droit de chacun à ce que sa cause soit « entendue publiquement », au sens de l’article 6 § 1, implique le droit à une « audience » à moins que des circonstances exceptionnelles ne justifient de s’en dispenser (Göç, précité, § 47).

189.  De plus, dans l’affaire Martinie c. France [GC] (no 58675/00, §§ 39-42, CEDH 2006-VI), la Cour a résumé ainsi les principes pertinents :

« 39.  La Cour rappelle que la publicité de la procédure des organes judiciaires visés à l’article 6 § 1 protège les justiciables contre une justice secrète échappant au contrôle du public ; elle constitue aussi l’un des moyens de préserver la confiance dans les cours et tribunaux. Par la transparence qu’elle donne à l’administration de la justice, elle aide à réaliser le but de l’article 6 § 1 : le procès équitable, dont la garantie compte parmi les principes de toute société démocratique au sens de la Convention (voir, parmi de très nombreux autres, l’arrêt Axen c. Allemagne du 8 décembre 1983, § 25, série A no 72).

40.  Le droit à voir sa cause entendue publiquement implique celui d’une audience publique devant le juge du fond (voir, notamment, mutatis mutandis, les arrêts Fredin c. Suède (no 2), du 23 février 1994, § 21, série A no 283-A, et Fischer c. Autriche, du 26 avril 1995, § 44, série A no 312). L’article 6 § 1 ne fait cependant pas obstacle à ce que les juridictions décident, au vu des particularités de la cause soumise à leur examen, de déroger à ce principe : aux termes mêmes de cette disposition, « (...) l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice » ; le huis clos, qu’il soit total ou partiel, doit alors être strictement commandé par les circonstances de l’affaire (voir, par exemple, mutatis mutandis, l’arrêt Diennet c. France du 26 septembre 1995, § 34, série A no 325-A).

41.  Par ailleurs, la Cour a jugé que des circonstances exceptionnelles, tenant à la nature des questions soumises au juge dans le cadre de la procédure dont il s’agit (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Miller c. Suède, no 55853/00, § 29, 8 février 2005), peuvent justifier de se dispenser d’une audience publique (voir en particulier l’arrêt Göç c. Turquie [GC], no 36590/97, § 47, CEDH 2002-V) (...) Il y a lieu cependant de souligner que, dans la plupart des affaires concernant une procédure devant des juridictions « civiles » statuant au fond dans lesquelles elle est arrivée à cette conclusion, le requérant avait eu la possibilité de solliciter la tenue d’une audience publique.

42.  La situation est quelque peu différente lorsque, tant en appel le cas échéant qu’en première instance, une procédure « civile » au fond se déroule à huis clos en vertu d’une règle générale et absolue, sans que le justiciable ait la possibilité de solliciter une audience publique au moyen des particularités de sa cause. Une procédure se déroulant ainsi ne saurait en principe passer pour conforme à l’article 6 § 1 de la Convention (voir par exemple les arrêts Diennet et Göç, précités) : sauf circonstances tout à fait exceptionnelles, le justiciable doit au moins avoir la possibilité de solliciter la tenue de débats publics, le huis clos pouvant alors cependant lui être opposé, au regard des circonstances de la cause et pour les motifs suscités. »

190.  S’agissant des circonstances exceptionnelles susmentionnées qui peuvent justifier de se dispenser d’une audience, la Cour a identifié les cas suivants :

–  quand une audience n’est pas rendue nécessaire par l’existence de questions de crédibilité ou de faits contestés, et que les tribunaux peuvent équitablement et raisonnablement trancher l’affaire sur la base du dossier (Döry c. Suède, no 28394/95, § 37, 12 novembre 2002, et Saccoccia c. Autriche, no 69917/01, § 73, 18 décembre 2008) ;

–  quand les affaires soulèvent des questions purement juridiques et de portée restreinte (Allan Jacobsson c. Suède (no 2), 19 février 1998, § 49, Recueil 1998‑I, et Mehmet Emin Şimşek c. Turquie, no 5488/05, §§ 29-31, 28 février 2012) ou des questions de droit sans complexité particulière (Varela Assalino c. Portugal (déc.), no 64336/01, 25 avril 2002, et Speil c. Autriche (déc.), no 42057/98, 5 septembre 2002) ;

–  quand les affaires portent sur des questions hautement techniques. La Cour a ainsi tenu compte du caractère technique des litiges relatifs aux allocations de sécurité sociale, qui se prêtent mieux à une procédure écrite qu’à des débats oraux. Elle a jugé à plusieurs reprises que, dans ce domaine, les autorités nationales pouvaient, compte tenu d’impératifs d’efficacité et d’économie, s’abstenir de tenir une audience, l’organisation systématique de débats pouvant constituer un obstacle à la diligence particulière requise en matière de sécurité sociale (Schuler-Zgraggen, § 58, et Döry, § 41, arrêts précités).

191.  En revanche, la Cour a jugé que la tenue d’une audience est nécessaire :

–  lorsqu’il faut apprécier si les faits ont été correctement établis par les autorités (Malhous c. République tchèque [GC], no 33071/96, § 60, 12 juillet 2001) ;

–  lorsque les circonstances commandent que le tribunal se fasse sa propre impression du justiciable et donne à celui-ci a la possibilité d’expliquer sa situation personnelle, en personne ou par l’intermédiaire de son représentant (Göç, précité, § 51 ; Miller, précité, § 34 in fine, et Andersson c. Suède, no 17202/04, § 57, 7 décembre 2010) ;

–  lorsque le tribunal doit obtenir, notamment par ce moyen, des précisions sur certains points (Fredin c. Suède (no 2), 23 février 1994, § 22, série A no 283‑A, et Lundevall c. Suède, no 38629/97, § 39, 12 novembre 2002).

192.  La Cour a déjà examiné la question de savoir s’il peut être remédié à l’absence d’une audience publique devant la juridiction inférieure par l’organisation d’une audience publique au stade de l’appel. Dans un certain nombre d’affaires, elle a jugé que le fait qu’une procédure devant la cour d’appel se soit tenue en public ne peut compenser l’absence d’une audience publique aux échelons inférieurs lorsque la portée de la procédure d’appel est limitée, en particulier lorsque la cour d’appel ne peut se pencher sur le bien-fondé de la cause, c’est-à-dire, notamment, si elle n’est pas en mesure de contrôler les faits et de se livrer à une appréciation de la proportionnalité entre la faute et la sanction (voir, par exemple, en matière disciplinaire, Le Compte, Van Leuven et De Meyere, précité, § 60, Albert et Le Compte, précité, § 36, Diennet, précité, § 34, et Gautrin et autres c. France, 20 mai 1998, § 42, Recueil 1998-III).

Si, en revanche, la juridiction d’appel est dotée de la pleine juridiction, l’absence d’une audience à un échelon inférieur peut être corrigée devant cette juridiction (voir par exemple, Malhous, précité, § 62, et, en matière disciplinaire, A. c. Finlande (déc.), no 44998/98, 8 janvier 2004, et Buterlevičiūtė c. Lituanie, no 42139/08, §§ 52-54, 12 janvier 2016).

ii.  Application de ces principes au cas d’espèce

193.  Comme mentionné ci-dessus (voir paragraphe 134 ci-dessus), la Cour examinera de façon combinée les griefs que la requérante tire de l’étendue selon elle insuffisante du contrôle effectué par la section du contentieux de la Cour suprême et de l’absence d’audience publique, car ces griefs sont intimement liés.

194.  Pour déterminer si la section du contentieux de la Cour suprême jouissait de la plénitude de juridiction au sens de la jurisprudence des organes de la Convention, la Cour tiendra compte des compétences de cette instance et des éléments de sa jurisprudence, tels que rappelés aux paragraphes 179 et suivants ci-dessus.

α)  L’objet des décisions du CSM

195.  L’objet des décisions litigieuses du CSM (paragraphe 179 a) ci‑dessus), que la requérante a contestées par des recours constituant en droit portugais, à l’époque des faits, des actions administratives spéciales (ação administrativa especial, paragraphes 64 et 80 ci-dessus), était la question de savoir si la requérante avait manqué à ses obligations professionnelles. Il est indéniable que pour répondre à cette question, le CSM devait exercer son pouvoir discrétionnaire. Cette autorité est spécialement chargée en vertu de la Constitution (paragraphe 70 ci-dessus) d’assurer la gestion autonome de la magistrature, en particulier la gestion disciplinaire des juges, dans l’objectif plus général de garantir l’indépendance de la justice (voir, mutatis mutandis, Tsanova-Gecheva, précité, § 100, quant au pouvoir qu’a le Conseil supérieur de la magistrature bulgare de nommer le président d’une juridiction). La Cour reconnaît dès lors l’importance particulière des responsabilités que la Constitution confie au CSM, dans un domaine primordial du point de vue de l’état de droit et de la séparation des pouvoirs. En effet, il incombe à cet organe spécialement conçu pour interpréter et appliquer les normes qui régissent le comportement des magistrats en matière disciplinaire de contribuer au bon fonctionnement de la justice. Cependant, en l’espèce, l’appréciation des faits et le contrôle des sanctions disciplinaires infligées n’exigeaient pas nécessairement d’avoir des connaissances spécialisées ou une expérience professionnelle particulière, mais pouvaient relever de la compétence de toute juridiction. Il ne s’agissait pas d’un exercice classique du pouvoir discrétionnaire administratif dans un domaine spécialisé du droit (voir, a contrario, Sigma Radio Television Ltd, précité, § 161).

196.  Ensuite, la Cour observe que les décisions du CSM ont été contestées par des recours administratifs formés devant la section du contentieux de la Cour suprême. Elle considère en premier lieu que le contrôle d’une décision imposant une sanction disciplinaire diffère du contrôle d’une décision administrative ne comportant pas un tel aspect punitif. En second lieu, elle note que le contentieux disciplinaire en question visait en l’espèce une juge. À cet égard, elle souligne que même si elles n’entrent pas dans le champ d’application du volet pénal de l’article 6, les sanctions disciplinaires peuvent néanmoins avoir de lourdes conséquences sur la vie et la carrière des juges. Les faits reprochés à la requérante étaient susceptibles de conduire à sa révocation ou à sa suspension, c’est-à-dire à des sanctions très graves ayant un caractère infamant (voir, mutatis mutandis, Grande Stevens et autres c. Italie, nos 18640/10 et 4 autres, § 122, 4 mars 2014). Conformément aux principes généraux exposés ci-dessus et compte tenu des objectifs de la politique poursuivie par la législation applicable en la matière (paragraphe 180 ci-dessus), la Cour considère que le contrôle juridictionnel exercé doit être adapté à l’objet du litige, c’est-à-dire en l’espèce au caractère disciplinaire des décisions administratives en question. Cette considération vaut a fortiori pour des procédures disciplinaires dirigées contre des juges, ceux-ci devant jouir du respect nécessaire à l’exercice de leurs fonctions. Lorsqu’un État membre engage une telle procédure disciplinaire, ce qui est en jeu c’est la confiance du public dans le fonctionnement et l’indépendance du pouvoir judiciaire, confiance qui, dans un État démocratique, garantit l’existence même de l’état de droit. Par ailleurs, la Cour a souligné l’importance croissante qui s’attache à la séparation des pouvoirs et à la nécessité de préserver l’indépendance de la justice (Prager et Oberschlick c. Autriche, 26 avril 1995, § 34, série A no 313, Koudechkina c. Russie, no 29492/05, § 86, 26 février 2009, et les arrêts précités Stafford, § 78, Kleyn, § 193, et Baka, §165).

β)  La procédure menée devant le CSM (l’instance disciplinaire)

197.  En ce qui concerne la méthode suivie par le CSM pour parvenir à ses décisions (paragraphe 179 b) ci-dessus), la Cour rappelle d’emblée que le CSM, comme autorité disciplinaire, est un organe non-juridictionnel, ce dont témoigne entre autres sa composition (paragraphes 26, 41, 59, 68, 70 et 131 ci-dessus). En ce qui concerne les garanties procédurales appliquées par cet organe, elle est prête à admettre que, comme le soutient le Gouvernement, la procédure menée en l’espèce a permis à la requérante de présenter des éléments pour sa défense. En effet, l’acte d’accusation dressé par le juge instructeur a été communiqué à l’intéressée (paragraphes 16, 19, 37 et 52 ci-dessus) et celle-ci a déposé des mémoires en réponse (paragraphes 17, 21, 37 et 53 ci‑dessus). Elle a également eu connaissance du rapport final, et elle a disposé d’un certain délai pour présenter d’éventuelles observations, même si celles-ci ont été examinées par le même juge instructeur (paragraphes 17, 39 et 57 ci-dessus).

198.  En revanche, en dépit du fait que la requérante pouvait se voir infliger des sanctions très sérieuses (paragraphe 196 ci-dessus), la procédure devant l’assemblée plénière du CSM était écrite et la requérante n’a pu participer aux réunions tenues par celle-ci dans aucune des trois procédures qui la concernaient : en vertu de la législation nationale, ces réunions n’étaient ouvertes ni à la personne faisant l’objet de la procédure ni au public. En effet, d’une part, comme le Gouvernement le reconnaît, le CSM n’est pas autorisé par la loi à tenir d’audiences publiques et, d’autre part, il a, dans la troisième procédure, rejeté la demande de la requérante tendant à la tenue d’une audience publique, notamment au motif qu’aucune base légale ne prévoyait que la cause fût entendue publiquement devant son assemblée plénière (paragraphe 56 ci-dessus). La requérante n’a pas non plus eu la possibilité d’exposer oralement sa thèse, que ce soit sur les questions de fait et les sanctions ou sur les différentes questions de droit. De plus, la formation plénière du CSM n’a pas entendu les témoins alors qu’étaient en jeu non seulement la crédibilité de la requérante mais aussi celle de témoins cruciaux, en particulier l’inspecteur judiciaire H.G. ou le juge instructeur F.M.J. Dans ces conditions, la Cour considère que le CSM n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire sur une base factuelle adéquate.

γ)  La procédure menée devant la section du contentieux de la Cour suprême (l’instance juridictionnelle)

199.  En ce qui concerne ensuite la teneur du litige, ou plus précisément la procédure menée devant l’instance juridictionnelle – en l’occurrence la section du contentieux de la Cour suprême – et le contrôle exercé par celle‑ci (paragraphe 179 c) ci-dessus), la Cour souligne qu’il convient d’opérer une distinction entre différents aspects du contrôle juridictionnel des décisions disciplinaires. Ainsi, elle doit tenir compte, d’une part, des questions sur lesquelles a porté le contrôle de la juridiction interne compétente et, d’autre part, de la méthode adoptée par celle-ci pour procéder à ce contrôle, en abordant la question du droit à une audience. Elle doit ensuite prendre en considération le pouvoir décisionnel qu’avait le tribunal en question lors de la clôture de l’affaire soumise à son contrôle ainsi que la motivation des décisions adoptées.

200.  La Cour souligne que, s’agissant ici de l’application de l’article 6 de la Convention, il ne lui appartient pas de rechercher si les décisions de sanctionner la requérante prises par le CSM étaient régulières en droit interne. Sa tâche consiste uniquement à vérifier que la Cour suprême a opéré un contrôle juridictionnel d’une étendue suffisante quant aux procédures disciplinaires engagées devant le CSM contre la requérante en sa qualité de juge.

-  Les questions soumises au contrôle juridictionnel

201.  Il faut avant tout définir les questions matérielles sur la base desquelles la Cour devra vérifier que le contrôle effectué par la haute juridiction a été suffisant.

En premier lieu, comme la chambre l’a souligné, la requérante n’a cessé, dans ses recours devant la Cour suprême, de contester les faits qui lui étaient reprochés par le CSM (voir, mutatis mutandis, Tsfayo, précité, § 46, et Družstevní záložna Pria et autres c. République tchèque, no 72034/01, § 112, 31 juillet 2008).

En deuxième lieu, la Cour note que dans chacune des procédures, les sanctions disciplinaires qui ont été infligées à la requérante étaient fondées sur la conclusion que celle-ci avait manqué à ses obligations professionnelles en tant que juge. La qualification de la conduite professionnelle de la requérante constituait dès lors une question cruciale dans le cadre des procédures qui devaient faire l’objet d’un contrôle par la Cour suprême.

En troisième lieu, dans la mesure où la requérante se plaignait devant la section du contentieux de la Cour suprême que les sanctions qui lui avaient été infligées dans chacune des procédures aient été disproportionnées, la Cour rappelle qu’une juridiction ne peut être considérée comme jouissant de la plénitude de juridiction que si elle a le pouvoir d’apprécier la proportionnalité entre la faute commise et la sanction infligée (Diennet, précité, § 34, et Mérigaud c. France, no 32976/04, § 69, 24 septembre 2009).

202.  Il s’ensuit que la Cour doit tout d’abord vérifier si la section du contentieux de la Cour suprême a procédé à un contrôle suffisant de l’établissement des faits. Le cas échéant, elle examinera les deux autres aspects du contrôle, à savoir d’une part le contrôle de la méconnaissance des obligations professionnelles, et d’autre part le contrôle des sanctions disciplinaires infligées.

203.  En ce qui concerne l’établissement des faits, la Cour relève que, dans le contexte particulier d’une procédure disciplinaire les points de fait revêtent, à l’égal des questions juridiques, une importance déterminante pour l’issue d’une procédure relative à « des droits et obligations de caractère civil » (voir, mutatis mutandis, Le Compte, Van Leuven et De Meyere, précité, § 51 in fine). Elle estime que l’établissement des faits est d’autant plus important lorsqu’il s’agit de procédures impliquant l’imposition de sanctions, notamment de sanctions disciplinaires à l’égard de juges, ceux-ci devant jouir du respect nécessaire à l’accomplissement de leurs fonctions, de manière à assurer la confiance du public dans le fonctionnement et l’indépendance du pouvoir judiciaire (paragraphe 196 ci‑dessus).

En l’espèce, les éléments factuels constituaient des points décisifs dans le cadre des procédures concernant la requérante, ils ne revêtaient pas un simple caractère secondaire par rapport aux questions relevant du pouvoir discrétionnaire de l’administration. La requérante niait avoir traité le juge H.G. de « menteur » et affirmait que, lors de son entretien avec le juge F.M.J., elle n’avait pas demandé à celui-ci de ne pas engager de poursuites contre le témoin qu’elle avait cité. À cet égard, il y a lieu de noter que la question de l’établissement des faits avait fait controverse parmi les membres du CSM (paragraphe 26 ci-dessus). Comme la chambre, la Grande Chambre qualifie ces éléments de « faits décisifs ». Les faits reprochés à la requérante étaient susceptibles de conduire à sa révocation ou à sa suspension, c’est-à-dire à des sanctions très graves ayant un caractère infamant (paragraphe 196 ci-dessus), qui étaient de nature à avoir des conséquences irréversibles sur sa vie et sa carrière, et ils ont effectivement abouti à l’infliction d’une sanction disciplinaire de deux cent quarante jours de suspension, même si en pratique cette suspension n’a duré que cent jours (paragraphes 67 et 69 ci-dessus).

-  La méthode de contrôle juridictionnel

204.  En ce qui concerne l’étendue du contrôle réalisé par la section du contentieux de la Cour suprême sur l’établissement des faits, la Cour note que ladite section a pris soin de rappeler en détail les compétences de contrôle en matière disciplinaire que lui conférait le droit portugais, y compris sa propre jurisprudence (paragraphes 29 et 45 ci-dessus). Elle a précisé expressément qu’elle ne jouissait pas de la plénitude de juridiction en la matière mais qu’elle était seulement appelée à contrôler la légalité des décisions contestées. En particulier, elle a souligné qu’elle n’était pas compétente pour « recueillir les éléments de preuve (aquisição da matéria instrutória) ou pour établir les faits importants en cause » (paragraphe 29 ci‑dessus).

Il apparaît donc que compte tenu des limites que lui imposaient à la fois la législation et sa propre jurisprudence, la section du contentieux de la Cour suprême n’était pas compétente pour examiner les points décisifs de la procédure, à savoir le contenu des conversations que la requérante avaient eues avec l’inspecteur judiciaire H.G. d’une part, et avec le juge F.M.J. d’autre part. Elle ne pouvait qu’ « examiner les contradictions, les incohérences, ainsi que l’insuffisance des preuves et les erreurs manifestes dans l’appréciation qui en est faite, pour autant que ces vices soient évidents » (voir paragraphe 29 ci-dessus). Sa propre jurisprudence définissait l’« erreur manifeste » comme une « erreur non seulement grave (grossière, parce que manifestement contraire à la raison ou au bon sens ou à la vérité ou mettant en évidence des connaissances mal définies) mais aussi flagrante (manifeste) » (paragraphe 81 ci-dessus).

205.  Eu égard aux considérations qui précèdent, la Cour doit déterminer si le contrôle de la légalité de l’établissement des faits – contrôle qui était crucial pour l’issue de la procédure – a été suffisant aux fins de l’article 6 § 1 de la Convention.

206.  Elle note tout d’abord que l’appréciation des faits impliquait l’examen de questions touchant à la crédibilité de la requérante et des témoins. Or, s’étant déclarée incompétente pour procéder à un réexamen des faits et des preuves, même sur la base des pièces du dossier qui lui avait été transmis, la section du contentieux de la Cour suprême n’a par conséquent pas accueilli la demande de la requérante tendant à la tenue d’une audience publique (paragraphe 64 ci-dessus). Pour la Cour, la controverse sur les faits et les répercussions des sanctions disciplinaires sur la réputation de la requérante exigeaient en l’espèce de la section du contentieux de la Cour suprême qu’elle effectuât un contrôle suffisamment poussé pour lui permettre d’une part, de déterminer, par exemple, si la requérante avait tenu certains propos lors de sa conversation téléphonique avec l’inspecteur judiciaire H.G. ou lors de l’entretien qu’elle avait eu à huis clos avec le juge instructeur F.M.J. et, d’autre part, de se forger sa propre opinion sur la requérante en donnant à celle-ci la possibilité d’exposer oralement sa version de la situation (voir, mutatis mutandis, Malhous, § 60, Göç, § 51, Miller, § 34 in fine, Olujić, § 80, et Andersson, § 57 – tous précités).

207.  Le Gouvernement ayant argué que le caractère limité des pouvoirs de la section du contentieux de la Cour suprême en matière d’établissement des faits et d’appréciation des preuves rendait inutile la tenue d’une audience (paragraphe 173 ci-dessus), la Cour doit examiner la question de la nécessité de tenir une audience publique en l’espèce. Elle rappelle à cet égard qu’aucune audience n’a été tenue devant le CSM (paragraphe 198 ci‑dessus), et que la section du contentieux de la Cour suprême a été le premier et le seul organe judiciaire à examiner les recours formés par la requérante contre les décisions de celui-ci.

208.  La requérante affirme que le CSM et la section du contentieux de la Cour suprême ne tiennent jamais d’audience publique dans les procédures à caractère disciplinaire (paragraphe 168 ci-dessus). À cet égard, la Cour rappelle que, nonobstant la technicité de certains débats, en fonction de l’enjeu de la procédure, le contrôle du public peut apparaître comme une condition nécessaire aussi bien à la transparence qu’à la garantie du respect des droits du justiciable. Certes, elle a déjà considéré qu’une procédure disciplinaire se déroulant dans le secret avec l’accord de l’intéressé n’est pas contraire à la Convention (Le Compte, Van Leuven et De Meyere, précité, § 59). Cependant, en l’espèce, la requérante réclamait une audience publique. Elle aurait donc dû avoir la possibilité d’obtenir la tenue d’une audience publique devant un organe doté de la plénitude de juridiction au sens de la Convention (voir, par exemple, Martinie, précité, §§ 43-44, et Vernes c. France, no 30183/06, § 32, 20 janvier 2011). Une telle audience aurait permis une confrontation orale entre les parties (voir, mutatis mutandis, dans un contexte pénal, Grande Stevens et autres, précité, § 123).

209.  Le CSM n’ayant pas tenu d’audience, il faut déterminer si la requérante avait la possibilité de demander un procès public devant la section du contentieux de la Cour suprême. Le Gouvernement admet que la tenue d’une audience publique n’est pas une pratique habituelle devant cette section, mais il affirme que, selon le droit national, la requérante avait la possibilité de demander une telle audience (paragraphes 76 et 174 ci‑dessus).

L’intéressée a effectivement sollicité la tenue d’une audience, dans la troisième procédure, en invoquant l’article 91 § 2 du CPTA (paragraphe 61 ci-dessus). La section du contentieux de la Cour suprême, à laquelle il appartenait de se prononcer sur la question de savoir si pareille mesure était nécessaire, n’a pas déclaré cette demande irrecevable pour défaut de base légale, comme l’avait fait le CSM, mais elle l’a néanmoins rejetée, par un refus motivé, en invoquant la portée de sa compétence et le défaut de pertinence, selon elle, des preuves que la requérante entendait faire examiner (Jussila, précité, § 48, et paragraphes 64 et 76 ci-dessus).

210.  La Cour suprême ayant rejeté la demande d’audience formée par la requérante, la Cour doit vérifier s’il existait des circonstances exceptionnelles, tenant à la nature des questions soulevées dans le cadre des procédures en cause, susceptibles de justifier cette absence d’audience (paragraphe 188 ci-dessus). Compte tenu de leur enjeu, à savoir les conséquences des sanctions éventuelles sur la vie et la carrière des intéressés et leur impact de nature patrimoniale, la Cour considère que, dans les procédures disciplinaires, l’absence d’audience orale devrait être exceptionnelle et dûment justifiée à la lumière de la jurisprudence des organes de la Convention.

211.  En l’occurrence, les procédures en cause ne portaient pas sur des questions purement juridiques de portée restreinte ou encore sur des questions hautement techniques pouvant être réglées de manière satisfaisante sur la seule base du dossier. Tout au contraire, les recours formés par la requérante concernaient d’importantes questions de droit et de fait (paragraphe 206 ci-dessus). Même si la Cour suprême considérait qu’elle n’avait pas pour tâche de réexaminer les éléments de preuve, il lui incombait néanmoins de vérifier si la base factuelle sur laquelle reposaient les décisions du CSM était suffisante pour étayer les conclusions auxquelles celui-ci était parvenu. Or, en pareil cas, il ne faut pas sous-estimer l’importance pour les parties de bénéficier d’une audience contradictoire devant l’organe qui opère le contrôle juridictionnel (voir, mutatis mutandis, Margaretić, précité, § 128). En l’espèce, une telle audience aurait permis un contrôle plus approfondi des faits, qui faisaient l’objet d’une controverse.

-  Les pouvoirs décisionnels

212.  La Cour rappelle que la propre jurisprudence de la section du contentieux de la Cour suprême l’empêchait (voir notamment les paragraphes 29 et 81 ci-dessus), de substituer son appréciation à celle de l’organe disciplinaire. Néanmoins, la section du contentieux avait le pouvoir d’annuler une décision en tout ou en partie en cas « d’erreur grossière manifeste », en particulier s’il était établi que le droit matériel ou les exigences procédurales d’équité n’avaient pas été respectés dans la procédure ayant abouti à l’adoption de la décision. Elle pouvait ainsi renvoyer le dossier au CSM afin que celui-ci se prononçât de nouveau en respectant les directives qu’elle aurait pu formuler quant aux irrégularités éventuellement constatées (voir, a contrario, Oleksandr Volkov, précité, §§ 125-126, et Kingsley, précité, § 32).

-  La motivation des décisions de la Cour suprême

213.  Enfin, la Cour considère que la section du contentieux de la Cour suprême, statuant dans la limite de ses compétences telles que définies par la législation nationale et par sa propre jurisprudence, a indiqué de manière suffisante les motifs sur lesquels étaient fondées ses décisions, en répondant à chaque moyen de recours de la requérante. Toutefois, l’absence d’une audience portant sur les éléments factuels décisifs, justifiée par la section du contentieux de la Cour suprême eu égard au caractère limité de ses pouvoirs, l’a empêchée d’inclure dans son raisonnement des considérations sur l’appréciation de ces questions.

δ)  Conclusion

214.  À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que, dans les circonstances de l’espèce – compte tenu notamment du contexte particulier des procédures disciplinaires, qui étaient dirigées contre une juge, de la gravité des sanctions, du fait que les garanties procédurales devant le CSM étaient restreintes et de la nécessité d’apprécier des éléments factuels touchant à la crédibilité de la requérante et des témoins et constituant des points décisifs – le cumul des deux éléments que sont, d’une part, l’insuffisance du contrôle juridictionnel opéré par la section du contentieux de la Cour suprême et, d’autre part, l’absence d’audience tant au stade de la procédure disciplinaire qu’à celui du contrôle juridictionnel a eu pour conséquence que la cause de la requérante n’a pas été entendue dans le respect des exigences de l’article 6 § 1 de la Convention.

Dans ces conditions, il n’y a donc pas lieu d’examiner les deux autres aspects du contrôle réalisé par la section du contentieux de la Cour suprême, à savoir le contrôle de la méconnaissance des obligations professionnelles et celui des sanctions disciplinaires infligées (paragraphes 201-202 ci-dessus).

215.  Eu égard aux considérations qui précèdent, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

216.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

217.  Devant la chambre, la requérante avait réclamé 43 750 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’elle aurait subi du fait de la perte de salaires. Elle n’avait pas formulé de demande pour préjudice moral, estimant qu’un éventuel constat de violation fournirait en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral qu’elle dit avoir subi. Le Gouvernement avait combattu cette thèse, déclarant que la requérante confondait l’objet des procédures internes et celui de la procédure devant la Cour.

218.  Eu égard à l’ensemble des circonstances et conformément à sa pratique habituelle pour les affaires tant civiles que pénales en cas de violation de l’article 6 § 1 découlant d’un manque d’indépendance et d’impartialité objective ou structurelle et citant, mutatis mutandis, l’arrêt Kingsley c. Royaume-Uni (précité, § 43), la chambre n’a pas jugé approprié d’octroyer une réparation financière à la requérante pour perte de salaires. Elle n’a pas aperçu de lien de causalité entre les violations constatées et le dommage matériel allégué, et a rejeté cette demande.

219.  Devant la Grande Chambre, la requérante réclame 16 829,40 EUR au titre du préjudice matériel qu’elle aurait subi du fait de la perte effective de salaires pendant 100 jours. Elle produit des justificatifs à l’appui de sa demande. Enfin, la requérante demande à la Cour d’enjoindre à l’État portugais de réviser les procédures litigieuses. À son avis, cette démarche constitue la seule solution susceptible de réparer les violations alléguées.

220.  Le Gouvernement n’a pas fait de commentaire devant la Grande Chambre sur ce point.

221.  La Grande Chambre partage l’analyse de la chambre et décide donc de rejeter dans son intégralité la demande de la requérante pour dommage matériel.

222.  S’agissant de la révision des procédures internes sollicitée par la requérante, dans le contexte de la présente affaire, la Cour estime qu’il convient de laisser à l’État défendeur le soin de choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures individuelles et/ou, le cas échéant, générales à adopter dans son ordre juridique interne afin de mettre un terme à la violation ou aux violations constatées par la Cour et d’en effacer autant que possible les conséquences. La Cour note néanmoins que l’article 696 du code de procédure civile permet la révision d’un procès sur le plan interne lorsque la Cour a conclu à la violation des droits et libertés fondamentaux d’un requérant (paragraphe 78 ci-dessus).

B.  Frais et dépens

223.  Devant la chambre, la requérante avait demandé également 2 500 EUR pour les frais et dépens qu’elle disait avoir engagés devant les juridictions internes. Le Gouvernement n’avait pas soumis d’observations à ce sujet.

224.  Compte tenu des documents dont elle disposait et de sa jurisprudence, la chambre a rejeté la demande relative aux frais et dépens.

225.  Devant la Grande Chambre, la requérante réclame 2 608,65 EUR pour les frais et dépens qu’elle aurait engagés devant les juridictions internes et produit des justificatifs à l’appui. Elle ne présente pas de demande au titre des frais et dépens afférents à la procédure devant la Grande Chambre.

226.  Le Gouvernement ne fait aucun commentaire devant la Grande Chambre sur ce point.

227.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, la Cour observe que, devant la chambre, la requérante n’avait accompagné sa demande de remboursement des frais et dépens d’aucun document et qu’elle n’en a fourni que devant la Grande Chambre, sans expliquer les raisons de cet envoi tardif. En conséquence, compte tenu de sa jurisprudence (voir, mutatis mutandis, Mocanu et autres c. Roumanie [GC], nos 10865/09 et 2 autres, § 385, CEDH 2014 (extraits)), la Cour rejette la demande relative aux frais et dépens afférents à la procédure nationale.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1.  Déclare, à l’unanimité, que, faute pour la requérante d’avoir respecté le délai de six mois, elle ne peut connaître du fond du grief tiré de l’absence d’indépendance et d’impartialité du CSM ;

2.  Rejette, à l’unanimité, l’exception préliminaire d’épuisement des voies de recours internes formulée par le Gouvernement s’agissant des griefs tirés de l’absence d’indépendance et d’impartialité de la section du contentieux de la Cour suprême et de l’étendue de son contrôle ;

3.  Déclare, à l’unanimité, irrecevable le grief de violation de l’article 6 § 3 a) et b) tiré de ce que la requérante n’a pas été informée de manière détaillée de l’accusation portée contre elle et n’a pas disposé en conséquence du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

4.  Dit, par onze voix contre six, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne le grief tiré du manque allégué d’indépendance et d’impartialité de la section du contentieux de la Cour suprême ;

5.  Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison des déficiences dans le déroulement des procédures contre la requérante ;

6.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable formulée par la requérante.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 6 novembre 2018.

Françoise Elens-Passos Guido Raimondi
Greffière adjointe Président

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

–  opinion concordante commune aux juges Raimondi, Nussberger, Jäderblom, Møse, Poláčková et Koskelo ;

–  opinion concordante du juge Pinto de Albuquerque ;

–  opinion en partie dissidente commune aux juges Yudkivska, Vučinić, Pinto de Albuquerque, Turković, Dedov et Hüseynov.

G.R.
F.E.P.



OPINION CONCORDANTE COMMUNE AUX JUGES RAIMONDI, NUSSBERGER, JÄDERBLOM, MØSE, POLÁČKOVÁ ET KOSKELO

(Traduction)

1.  Nous sommes d’accord avec l’arrêt rendu en l’espèce, sauf en ce qui concerne la motivation du constat de violation de l’article 6 § 1 à raison de déficiences dans le déroulement des procédures dirigées contre la requérante (point 5 du dispositif).

2.  Dans cette affaire, la Grande Chambre a décidé d’examiner conjointement les griefs que la requérante tirait de l’étendue selon elle insuffisante du contrôle effectué par la section du contentieux de la Cour suprême et de l’absence d’audience (paragraphe 193 de l’arrêt). En conséquence, le point 5 du dispositif de l’arrêt a été formulé d’une manière qui ne fait pas de distinction entre ces deux aspects mais qui fait référence de manière générale à des « déficiences dans le déroulement des procédures contre la requérante ». À notre avis, il n’y a eu violation de l’article 6 § 1 qu’à raison de l’absence d’audience dans la troisième procédure disciplinaire, dénoncée par la requérante dans sa requête no 74041/13 : si nous considérons nous aussi qu’il y a eu des déficiences dans cette dernière procédure, nous fondons la conclusion de violation sur un motif plus restreint. Selon nous, l’examen conjoint des deux griefs et la base plus large donnée au constat de violation dans le présent arrêt sont mal fondés, et les motifs sur lesquels ils reposent sont particulièrement problématiques, pour les raisons exposées ci-dessous. Ainsi, même si, techniquement, le point 5 du dispositif a été adopté à l’unanimité, nous ne partageons pas le raisonnement qui a abouti à cette conclusion, et lorsque nous évoquons dans la présente opinion « la majorité », nous faisons référence à ceux de nos collègues qui ont souscrit au raisonnement exposé dans l’arrêt.

3.  L’élément central de la difficulté à laquelle nous nous trouvons confrontés est mis en lumière par l’affirmation faite au paragraphe 206 de l’arrêt, où la majorité estime qu’il était nécessaire que la section du contentieux « effectuât un contrôle suffisamment poussé pour lui permettre d’une part, de déterminer, par exemple, si la requérante avait tenu certains propos [lors d’une conversation téléphonique précise ou lors d’un entretien qu’elle avait eu à huis clos] et, d’autre part, de se forger sa propre opinion sur la requérante en donnant à celle-ci la possibilité d’exposer oralement sa version de la situation ». Ce passage révèle un problème dans la manière dont la majorité aborde la procédure litigieuse menée devant la section du contentieux de la Cour suprême, et de façon plus générale le contrôle juridictionnel. L’approche de la majorité risque fort d’être source de confusion et d’incertitude. Nous nous efforcerons d’expliquer ci-dessous pourquoi nous ne pouvons y souscrire et pourquoi nous estimons qu’elle constitue un écart mal avisé par rapport à la jurisprudence établie de la Cour quant au niveau de contrôle juridictionnel requis en vertu de l’article 6 § 1. Nous rappellerons d’abord les principes généraux à respecter, puis nous expliquerons pourquoi nous considérons qu’ils n’ont pas été correctement appliqués en l’espèce.

Observations générales

4.  La présente affaire concerne un ensemble de procédures relevant du volet civil de l’article 6 § 1, nées de l’imposition à la requérante de sanctions disciplinaires par un organe administratif, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) portugais. La requérante a contesté ces sanctions devant l’organe d’appel compétent, la section du contentieux de la Cour suprême portugaise. En vertu du droit interne, les recours portés devant la section du contentieux sont soumis aux normes applicables au contrôle juridictionnel.

5.  Dans sa jurisprudence, la Cour a étendu à bien des égards le champ d’application de l’article 6 § 1 et elle a renforcé les garanties procédurales qui doivent être appliquées par les juridictions nationales. Cependant, elle n’a jamais entendu modifier la caractéristique fondamentale du contrôle juridictionnel des décisions administratives, à savoir qu’il s’agit d’une vérification de ces décisions, et non d’un nouvel examen de leur objet par une autorité judiciaire.

6.  Cette caractéristique fondamentale du contrôle juridictionnel est enracinée dans le principe de séparation des pouvoirs, principe qui, dans bon nombre d’États contractants, est lui-même inscrit dans la Constitution, et qui se traduit notamment par le fait que les juges contrôlent les actes administratifs mais n’assument pas un rôle d’autorité administrative. Plus précisément, l’enjeu, du point de vue de la séparation des pouvoirs, est d’assurer, par la garantie d’un contrôle juridictionnel, la régularité des décisions administratives, et, par les normes qui régissent ce contrôle, le respect du principe selon lequel les tribunaux ne doivent pas empiéter sur les fonctions ou les responsabilités de l’administration en prenant la place des autorités administratives compétentes lorsqu’ils examinent les recours portés devant eux.

7.  Ainsi, la Cour a reconnu que l’article 6 ne va pas jusqu’à garantir l’accès à un tribunal qui puisse substituer sa propre appréciation ou sa propre opinion à celles des autorités administratives (Fazia Ali c. Royaume‑Uni, no 40378/10, § 77, 20 octobre 2015). Ce principe est de jurisprudence constante. Ce que l’article 6 § 1 garantit, c’est l’accès à un tribunal de « pleine juridiction ». Tant la Commission que la Cour ont admis dans leur jurisprudence que l’exigence selon laquelle une cour ou un tribunal doit disposer de la « plénitude de juridiction » sera satisfaite s’il est établi que l’organe en question est doté de compétences d’une « étendue suffisante » ou exerce un « contrôle juridictionnel suffisant » pour traiter l’affaire en cause (Sigma Radio Television Ltd c. Chypre, nos 32181/04 et 35122/05, § 152, 21 juillet 2011, et les affaires qui y sont citées). L’exigence relative à la plénitude de juridiction a reçu ainsi une définition autonome à la lumière de l’objet et du but de la Convention, et cette définition ne dépend pas nécessairement de la qualification retenue en droit interne. Comme le montre la jurisprudence bien établie, la plénitude de juridiction requiert l’exercice d’une « compétence suffisante » ou d’un « contrôle suffisant ». Si cette approche est rappelée dans l’arrêt rendu en l’espèce (au paragraphe 177) à titre de principe général, elle n’a, à notre avis, pas été prise suffisamment au sérieux lorsqu’elle a été appliquée au cas d’espèce (comme on le verra ci-dessous).

8.  Il est important de souligner que jusqu’ici, il n’avait jamais été dérogé à cette approche dans les affaires où des sanctions, notamment des sanctions disciplinaires, avaient été imposées à un individu par une autorité administrative – ce que, en soi, l’article 6 n’exclut pas (voir, par exemple, Diennet c. France, 26 septembre 1995, série A no 325-A ; Mérigaud c. France, no 32976/04, § 68, 24 septembre 2009 ; A. Menarini Diagnostics S.r.l. c. Italie, no 43509/08, § 59, 27 septembre 2011 ; et Grande Stevens et autres c. Italie, nos 18640/10, 18647/10, 18663/10, 18668/10 et 18698/10, § 139, 4 mars 2014). Dans ce domaine aussi, la Cour a dit qu’aux fins du respect du droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 § 1, il faut que l’organe examinant le recours jouisse de la « plénitude de juridiction », au sens autonome exposé ci-dessus. Ainsi, même si le caractère suffisant du contrôle juridictionnel dépend de l’objet de l’affaire (Tsanova-Gecheva c. Bulgarie, no 43800/12, § 98, 15 septembre 2015, et les affaires qui y sont citées, en particulier Bryan c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995, § 45, série A no 335-A ; Sigma Radio Television Ltd, précité, § 154 ; et Galina Kostova, no 36181/05, § 59, 12 novembre 2013), cela ne signifie pas que la décision de l’organe administratif portée devant l’organe de contrôle doive faire l’objet d’un réexamen total à ce stade (Menarini Diagnostics S.r.l., précité, §§ 62-67, et Grande Stevens et autres, précité, §§ 139 et 149 – on notera que ces affaires concernaient des sanctions administratives relevant du volet pénal de l’article 6 § 1).

9.  À cet égard, il y a lieu de souligner qu’il faut distinguer les questions devant faire l’objet de l’examen opéré par la juridiction qui contrôle la décision, d’une part, de la méthode d’examen appliquée par cette juridiction, d’autre part. Cette méthode est elle-même liée à la manière dont la juridiction statue à l’issue de son examen. Cette considération apparaît en théorie au paragraphe 199 de l’arrêt rendu en l’espèce.

10.  En ce qui concerne l’objet de l’examen, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la juridiction compétente doit être habilitée à exercer un contrôle sur tous les points de fait et de droit pertinents aux fins du recours porté devant elle, et de vérifier l’absence de vice de forme dans la procédure administrative (voir, mutatis mutandis, Potocka et autres c. Pologne, no 33776/96, §§ 55-56, CEDH 2001‑X, et Tsanova-Gecheva c. Bulgarie, précité, § 101) et le caractère proportionné de la sanction imposée (Diennet, précité, § 34 ; Mérigaud, précité, § 69 ; et, mutatis mutandis, Sigma Radio Television Ltd, précité, § 168).

11.  En ce qui concerne la méthode d’examen, la Cour a toujours dit que l’article 6 n’impose pas que les juridictions internes puissent substituer leur propre appréciation ou leurs propres conclusions à celles de l’autorité administrative compétente. Le contrôle juridictionnel peut donc ne consister qu’en un examen des actes et procédures administratifs et ne pas aboutir à la prise d’une nouvelle décision sur le cas, en particulier sur les faits. Ainsi, la Cour a reconnu que l’organe judiciaire contrôlant la décision jouissait de la « plénitude de juridiction » au sens autonome de cette expression au regard de l’article 6 § 1 de la Convention même s’il ne procédait pas à un réexamen et à une nouvelle appréciation des éléments de preuve, par exemple à une nouvelle audition des témoins, mais se bornait à vérifier – en particulier du point de vue de la pertinence, de la cohérence et du caractère suffisant – les faits et les éléments de preuve sur la base desquels l’autorité administrative avait pris sa décision.

12.  En ce qui concerne le traitement de l’affaire par la juridiction de contrôle, il faut que celle-ci ait le pouvoir d’annuler la décision administrative litigieuse et soit de la remplacer par une nouvelle décision soit de renvoyer l’affaire à la même autorité administrative ou à une autorité différente (Kingsley c. Royaume-Uni [GC], no 35605/97, §§ 32 et 34, CEDH 2002‑IV, et Oleksandr Volkov c. Ukraine, no 21722/11, § 125, CEDH 2013), point qui est rappelé au paragraphe 184 de l’arrêt rendu en l’espèce. Il peut être nécessaire, surtout lorsqu’il est constaté que l’établissement des faits opéré par l’organe administratif présente des insuffisances ou des irrégularités, d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire à l’organe administratif pour qu’il procède à un réexamen des faits et révise ses conclusions en conséquence.

13.  Ces éléments constituent l’essence du niveau auquel la juridiction compétente doit être en mesure d’exercer sa « pleine » juridiction, au sens autonome de cette expression défini par la Cour. Comme on l’a vu ci‑dessus, il y a plénitude de juridiction lorsque le contrôle juridictionnel opéré par le tribunal porte sur tous ces aspects de l’affaire, pour autant qu’ils aient été soulevés devant lui. La notion de plénitude de juridiction n’est pas censée imposer que les questions tranchées par l’autorité administrative soient soumises au réexamen de la juridiction compétente. En ce sens, la situation juridique est semblable à celle découlant de l’exigence posée à l’article 2 du Protocole no 7, selon lequel (au minimum) les recours en matière pénale doivent permettre un « examen » (review, dans la version anglaise) de la condamnation et de la peine par une juridiction supérieure, ce qui n’implique pas nécessairement un réexamen ou un nouveau procès.

14.  Notamment, pour ce qui est des points de fait, il y a une différence majeure entre, d’une part, l’exigence que le tribunal examine la manière dont l’autorité administrative a établi les faits pertinents et vérifie que la base factuelle sur laquelle elle a pris sa décision était suffisante et assez solide pour justifier les conséquences juridiques qui en ont découlé et, d’autre part, l’exigence que le tribunal procède à un réexamen des éléments de preuve pour établir lui-même les faits. Dans le premier cas, ce que la partie qui conteste la décision administrative doit réussir à faire pour obtenir gain de cause est de démontrer au tribunal soit que les faits tels qu’ils ont été établis par l’autorité administrative ne constituent pas une base suffisamment solide pour emporter les conséquences juridiques attachées à la décision soit que l’établissement de ces faits n’a pas été réalisé de manière conforme aux garanties procédurales requises. Si le recours aboutit, alors le tribunal doit annuler la décision litigieuse. Selon les circonstances, il peut renvoyer l’affaire à l’autorité administrative pour réexamen ou, si la base factuelle est déjà suffisamment claire, rendre éventuellement une nouvelle décision sur le fond. Dans le second cas, il devrait lui-même procéder à nouveau à l’examen et à l’appréciation des éléments de preuve.

15.  Dans la jurisprudence de la Cour, ce premier type de contrôle juridictionnel a été jugé conforme aux exigences de l’article 6 § 1. Même dans des cas où l’article 6 était applicable dans son volet pénal, la Cour a considéré que le contrôle juridictionnel avait été suffisant alors même que la juridiction compétente n’avait pas procédé à un nouvel examen des éléments de preuve ni à sa propre appréciation de ces éléments (voir par exemple A. Menarini Diagnostics S.r.l., précité, §§ 63-64).

16.  À l’inverse, elle a conclu à la violation de l’article 6 dans des cas où les juridictions nationales n’avaient pas pu ou pas voulu examiner un point fondamental du litige car elles s’étaient estimées liées par les conclusions de fait ou de droit des autorités administratives et empêchées, dès lors, de procéder à un examen indépendant de ces conclusions (voir la jurisprudence citée au paragraphe 182 de l’arrêt rendu en l’espèce). On trouve une variante particulière de ce type de situation dans l’arrêt Tsfayo c. Royaume‑Uni (no 60860/00, § 47, 14 novembre 2006), où la Cour était saisie d’une affaire dans laquelle la décision soumise au contrôle juridictionnel avait été prise par un organe qui non seulement n’était pas indépendant de l’exécutif mais encore était directement lié à l’une des parties au litige. Dans ces circonstances spéciales, la Cour a considéré que l’indépendance de la conclusion sur les faits primaires pouvait être entachée d’une manière telle qu’il était impossible de la contrôler ou de la rectifier de manière adéquate par un contrôle juridictionnel. La juridiction compétente n’ayant pas le pouvoir de réexaminer les éléments de preuve et, en conséquence, n’ayant pas réexaminé un point de fait crucial, la Cour a conclu à la violation de l’article 6 au motif que la question centrale de l’affaire n’avait pas été tranchée par un tribunal indépendant des parties. En d’autres termes, cette affaire concernait un type de situation particulier où un ensemble de déficiences se combinaient de telle sorte qu’il y avait eu un défaut d’indépendance à l’égard de l’une des parties en première instance et qu’ensuite un point de fait déterminant n’avait pas été réexaminé et tranché en appel.

17.  Il n’est pas nécessaire de s’appesantir sur cette jurisprudence, car il est clair que la présente affaire ne soulève pas de questions du même type. Les extraits des décisions de justice internes pertinentes montrent que la section du contentieux de la Cour suprême portugaise a procédé à un contrôle juridictionnel conforme aux exigences de l’article 6 § 1 considérées jusqu’à présent comme respectées en pareil cas.

18.  Dans ce contexte, il faut encore noter ce qui suit. Premièrement, il est vrai que le contrôle juridictionnel d’une décision administrative imposant une sanction disciplinaire peut souvent soulever des questions différentes de celles en jeu dans le cadre du contrôle des décisions administratives qui ne comprennent pas un élément spécifiquement punitif. Néanmoins, la Cour n’a jamais considéré par le passé que le droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 § 1 exigeât que les recours contre les décisions administratives imposant une sanction disciplinaire ou un autre type de sanction administrative dussent être soumises à un régime procédural distinct du paradigme du contrôle juridictionnel décrit ci-dessus. Au contraire, même dans le contexte de procédures concernant des sanctions administratives relevant du volet pénal de cette disposition, elle a continué d’appliquer l’approche selon laquelle l’accès à une instance jouissant de la plénitude de juridiction est suffisant dès lors que celle-ci procède à un examen de l’affaire, mais pas nécessairement à un réexamen, notamment quant aux faits et aux éléments de preuve sur lesquels s’est fondée l’autorité administrative.

19.  Deuxièmement, en ce qui concerne l’objet de la décision contestée, il est à noter que, lorsqu’elle examine le caractère suffisant du contrôle juridictionnel, la Cour tient compte de la mesure dans laquelle l’affaire concerne une question spécialisée nécessitant une connaissance ou une expérience professionnelle et de la mesure dans laquelle la décision relevait de l’exercice d’un pouvoir administratif discrétionnaire (voir, par exemple, Fazia Ali c. Royaume-Uni, no 40378/10, § 84, 20 octobre 2015). La considération sous-jacente ici est que lorsqu’une décision administrative repose sur la mise en œuvre de compétences spécialisées ou de l’exercice de pouvoirs discrétionnaires incombant à l’administration, le contrôle juridictionnel ne doit pas avoir pour effet que ces caractéristiques de la prise de décision administrative se trouvent « écrasées » par l’action des tribunaux. Dans le présent contexte, il faut avoir à l’esprit des considérations analogues. S’il est vrai que la procédure disciplinaire litigieuse ne concernait pas des questions de nature hautement technique ou nécessitant des compétences spécialisées particulières, l’élément dont il faut tenir compte en l’espèce a trait à la fonction spéciale et à la position constitutionnelle du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Celui-ci est l’autorité investie par la Constitution portugaise (voir le paragraphe 70 de l’arrêt) de la responsabilité spécifique de gérer en toute autonomie la magistrature, et en particulier les questions disciplinaires concernant les juges, dans le but plus large de garantir l’indépendance du système judiciaire. La Cour devrait donc reconnaître l’importance particulière des responsabilités du CSM en vertu de la Constitution dans un domaine capital du point de vue de l’état de droit et de la séparation des pouvoirs. En tant qu’organe spécifiquement mandaté pour interpréter et appliquer les règles régissant le comportement professionnel des juges, le CSM a pour tâche d’assurer le bon fonctionnement du système judiciaire. Dans ces conditions, de même que les tribunaux procédant au contrôle juridictionnel ne doivent pas assumer les fonctions de l’autorité administrative dont ils examinent les décisions, de même, le contrôle juridictionnel opéré par la Cour suprême quant aux procédures disciplinaires relevant de la compétence du CSM ne devrait pas aboutir à ce que la Cour suprême assume la fonction disciplinaire du CSM.

20.  Enfin, il faut également mentionner une autre caractéristique du contrôle juridictionnel, liée au fait qu’il s’agit de vérifier des décisions administratives et non de réexaminer les questions en cause pour permettre au tribunal d’adopter sa propre décision à la place de la décision administrative. Son rôle étant de vérifier la décision et non de réexaminer l’affaire, le tribunal qui procède au contrôle juridictionnel jouit normalement d’une certaine latitude quant à la mesure dans laquelle, à la lumière des déclarations des parties, il prend telle ou telle mesure d’investigation pour déterminer si les faits ont été établis de manière adéquate. Ainsi, il n’est pas tenu de prendre pareilles mesures au seul motif qu’une partie a contesté les faits dans son recours. Dans sa jurisprudence relative à l’article 6, la Cour a dit que l’exigence d’équité du procès n’impose pas à la juridiction compétente – même dans le cadre d’une procédure pénale devant un tribunal du fond – l’obligation d’ordonner une mesure d’enquête au seul motif qu’une partie l’a demandée. C’est au tribunal qu’il appartient d’examiner et de déterminer la nécessité et l’opportunité d’admettre des éléments pour examen (Poletan et Azirovik c. ex-République yougoslave de Macédoine, nos 26711/07, 32786/10 et 34278/10, § 95, 12 mai 2016, et les affaires qui y sont citées). La même approche doit s’appliquer, a fortiori, dans le contexte d’une procédure de contrôle juridictionnel, où la tâche du tribunal n’est pas de réexaminer l’affaire et de statuer à nouveau sur l’objet du litige mais de procéder au contrôle juridictionnel décrit ci-dessus.

21.  À notre avis, il est important de reconnaître et de préserver la distinction, expliquée ci-dessus, entre l’examen ou le contrôle d’une part et le réexamen d’autre part. Cette distinction est bien établie, elle est ancrée tant dans les systèmes nationaux que dans les systèmes supranationaux de recours judiciaires et de contrôle juridictionnel, et elle ne doit pas être estompée ou érodée. Or c’est précisément ce que fait la majorité ici. Les conséquences de cela sont très problématiques, étant donné le grand nombre de situations où ces questions se posent devant les juridictions internes qui ont à connaître de recours formés contre des décisions administratives, et en particulier contre des décisions relatives à l’imposition de différentes sanctions administratives ou disciplinaires.

Application au cas d’espèce

22.  Comme nous l’avons déjà indiqué au paragraphe 17 ci-dessus, au vu des décisions et de la jurisprudence de la section du contentieux de la Cour suprême citées dans l’arrêt rendu en l’espèce, il ne fait aucun doute dans notre esprit que les principes suivis par cette juridiction quant à la portée et à la méthode de son contrôle juridictionnel de l’affaire de la requérante étaient conformes à la jurisprudence de la Cour décrite ci-dessus et, partant, aux exigences de l’article 6 § 1.

23.  En ce qui concerne l’application concrète de ces principes, il importe de noter d’emblée que, comme la Cour l’a dit à maintes reprises, il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit éventuellement commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles peuvent avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention : ainsi, des questions telles que le poids attaché par les tribunaux nationaux à tel ou tel élément de preuve ou à telle ou telle conclusion ou appréciation dont ils ont eu à connaître échappent en principe à son contrôle. La Cour n’a pas à tenir lieu de juge de quatrième instance et elle ne remet pas en cause sous l’angle de l’article 6 § 1 l’appréciation des tribunaux nationaux, sauf si leurs conclusions peuvent passer pour arbitraires ou manifestement déraisonnables (Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres c. Roumanie [GC], no 76943/11, § 90, CEDH 2016, et les affaires qui y sont citées).

24.  De plus, il faut noter que la présente affaire est constituée de trois griefs distincts, issus de trois procédures disciplinaires engagées contre la requérante au niveau interne, procédures qui étaient liées dans le sens où elles découlaient de la même séquence d’événements. La première procédure concernait l’allégation selon laquelle la requérante avait employé des termes injurieux à l’égard de l’inspecteur judiciaire chargé de son appréciation. La seconde découlait de ce qu’elle avait apparemment tenté de se disculper de la première accusation en demandant à un collègue de porter un faux témoignage en sa faveur. La troisième procédure concernait l’allégation selon laquelle la requérante avait tenté de persuader un autre inspecteur judiciaire de ne pas engager de procédure disciplinaire contre la personne qui avait fourni le faux témoignage en sa faveur dans le cadre de la première procédure. Il est aussi à noter que l’ordre chronologique dans lequel les différentes décisions disciplinaires ont été prises par le CSM n’était pas le même : la seconde procédure, relative à l’incitation à livrer un faux témoignage, a pris fin avant la première, relative à l’emploi de termes injurieux.

25.  Dans la première procédure, la question de savoir si la requérante avait employé le mot « menteur » était un point de fait capital, qui avait des incidences sur la crédibilité des personnes impliquées dans la conversation. Dans la troisième procédure, la teneur des propos de la requérante était de même un point de fait capital. Dans la seconde procédure, relative à l’incitation à livrer un faux témoignage, il apparaît que les faits essentiels n’étaient pas contestés.

26.  Comme indiqué précédemment, la jurisprudence de la Cour relative à l’article 6 § 1 n’impose pas que les justiciables aient accès à un tribunal qui procède à un réexamen des éléments de preuve et établisse lui-même les faits. Nous ne voyons aucune bonne raison d’abandonner cette position à présent. La requérante a eu l’occasion d’exposer devant la section du contentieux de la Cour suprême sa thèse selon laquelle les faits n’avaient pas été établis correctement et de manière fiable au niveau du CSM. Le fait qu’elle ne soit pas parvenue à convaincre la section du contentieux que tel était le cas n’est pas en lui-même une base suffisante pour conclure à la violation de l’article 6 § 1. En adoptant une telle conclusion, la Cour agirait comme un tribunal de quatrième instance.

27.  De plus, nous ne décelons aucun élément permettant de conclure que la section du contentieux de la Cour suprême ait agi de manière arbitraire ou manifestement déraisonnable lorsqu’elle a examiné les faits de la cause. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 6 § 1 de ce point de vue non plus.

L’absence d’audience

28.  En ce qui concerne la troisième procédure, la requérante se plaignait qu’il n’y ait pas eu d’audience devant la section du contentieux de la Cour suprême.

29.  Il faut souligner que dans le cadre de la procédure dirigée contre elle, la requérante a eu l’occasion d’être entendue au stade de l’instruction de la procédure dirigée contre elle devant le CSM, et d’exposer oralement ses arguments. Toutefois, elle n’a pu se défendre oralement ni devant la plénière du CSM ni devant la section du contentieux de la Cour suprême.

30.  Dans sa jurisprudence, la Cour a souligné la nature fondamentale du droit de chacun à ce que sa cause soit entendue publiquement, dont le droit à une audience est un aspect (Göç c. Turquie [GC], no 36590/97, § 46, CEDH 2002-V). Elle a considéré en conséquence qu’un grief à cet égard ne pouvait être absorbé par la constatation d’un manquement à un autre aspect du droit à un procès équitable, tel que le droit à une procédure contradictoire, mais que le droit à un procès public était un aspect de l’équité de la procédure qui appelait un examen distinct en tant que droit autonome (idem, § 46).

31.  De plus, il est à noter que le droit à une audience n’est pas seulement lié à la question de savoir si, au cours de la procédure, des témoins ont été interrogés et ont déposé oralement. Ce qui est aussi en jeu, c’est la possibilité pour les parties à l’affaire d’exposer leur cas oralement devant les juridictions internes (Göç § 48). Ainsi, le droit à une audience sous-tend le principe plus large de l’égalité des armes entre les parties à la procédure.

32.  Ainsi par exemple, dans l’affaire Grande Stevens et autres (arrêt précité), où les griefs concernaient le contrôle juridictionnel de l’imposition de sanctions administratives financières (relevant du volet pénal de l’article 6) par un organe administratif spécialisé (CONSOB) devant lequel la procédure était écrite, la Cour a observé que même si cette procédure en elle-même n’avait pas répondu aux exigences de l’article 6, l’affaire des requérants avait été ensuite examinée par un organe indépendant et impartial jouissant de la plénitude de juridiction, conformément à la jurisprudence de Strasbourg ; mais, cet organe n’ayant pas tenu d’audience publique, elle a conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (Grande Stevens et autres, précité, § 161).

33.  De même, la requérante en l’espèce n’a eu l’occasion à aucun des deux niveaux de la procédure dirigée contre elle de s’exprimer oralement devant les organes qui ont statué sur son cas, que ce soit sur les points de fait, sur les peines ou sur les différents points de droit qu’elle soulevait. Selon la jurisprudence de la Cour, et en l’absence de toutes circonstances exceptionnelles de nature à justifier une conclusion en sens contraire, cette défaillance dans la procédure est en elle-même suffisante pour donner lieu à une violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Observations critiques quant à l’approche adoptée par la majorité

34.  La Cour a dit à maintes reprises que ses arrêts servent non seulement à trancher les cas dont elle est saisie, mais plus largement à clarifier, sauvegarder et développer les normes de la Convention et à contribuer de la sorte au respect, par les États, des engagements qu’ils ont assumés en leur qualité de Parties contractantes (voir, par exemple, Konstantin Markin c. Russie [GC], no 30078/06, § 89, CEDH 2012, et les affaires qui y sont citées). La Grande Chambre de la Cour, en particulier, devrait être déterminée et apte à contribuer à ce que la jurisprudence présente un degré suffisant de clarté et de sécurité juridique. S’il est nécessaire ou souhaitable de s’écarter de la jurisprudence existante, il faudrait qu’elle dise clairement ce qui change, pourquoi et comment.

35.  En l’espèce, malheureusement, l’arrêt rendu par la majorité ne répond pas à ces attentes. Ce qui paraît clair, c’est que la majorité s’écarte de la jurisprudence existante, c’est-à-dire des principes du contrôle juridictionnel rappelés ci-dessus et admis jusqu’à présent par la Cour. Il est plus difficile en revanche de dire dans quelle direction elle se dirige.

36.  La majorité semble ne plus souscrire à la doctrine selon laquelle l’instance de contrôle juridictionnel vérifie que la décision administrative repose sur une base factuelle suffisante mais n’est pas tenue de réexaminer les faits eux-mêmes ni les éléments de preuve à partir desquels ceux-ci ont été établis. Elle considère que la section du contentieux de la Cour suprême n’était pas compétente pour « recueillir les éléments de preuve ou pour établir les faits importants en cause » et que du fait de ces limites, elle « n’était pas compétente pour examiner les points décisifs de la procédure, à savoir le contenu des conversations » (paragraphe 204 de l’arrêt). Elle observe aussi que « l’appréciation des faits impliquait l’examen de questions touchant à la crédibilité de la requérante et des témoins » et que la section du contentieux de la Cour suprême s’est déclarée incompétente pour procéder à un « réexamen des faits et des preuves ». Or, estime-t-elle, il était nécessaire en l’espèce que la section du contentieux détermine, « par exemple, si la requérante avait tenu certains propos » (paragraphe 206 de l’arrêt). Avec cette affirmation, elle donne à penser qu’elle souhaite établir un nouveau standard en vertu duquel le tribunal devrait réexaminer et ré‑établir les faits essentiels, au lieu de vérifier simplement, de la manière décrite aux paragraphes 10-11 et 13-14 ci-dessus, que la décision administrative repose sur une base factuelle suffisante. Cependant, elle continue de renvoyer à la notion habituelle de « contrôle » en disant qu’elle doit déterminer si « le contrôle de la légalité de l’établissement des faits » a été suffisant aux fins de l’article 6 § 1 (paragraphe 205 de l’arrêt). Elle considère ensuite qu’il incombait à la Cour suprême de « vérifier si la base factuelle sur laquelle reposaient les décisions du CSM était suffisante pour étayer les conclusions auxquelles celui-ci était parvenu » (paragraphe 211 de l’arrêt)  ̶ ce qui implique aussi un contrôle juridictionnel normal et non un réexamen des faits et des éléments de preuve  ̶ , et elle conclut qu’une audience aurait permis un « contrôle » plus approfondi des faits qui faisaient l’objet d’une controverse. En conclusion, elle évoque la « nécessité d’apprécier des éléments factuels touchant à la crédibilité de la requérante », ce qui, au contraire, implique là encore un réexamen par la juridiction de contrôle des éléments de preuve pertinents. Cette dernière approche transparaît aussi dans la référence faite à « l’absence d’une audience portant sur les éléments factuels décisifs » (paragraphe 213 de l’arrêt).

37.  Avec tout notre respect, nous trouvons ce raisonnement incohérent, obscur et confus. Il sera difficile pour les tribunaux nationaux de le comprendre et de le suivre, ce qui posera des problèmes majeurs de sécurité juridique. Des contestations sur les faits sont sans cesse portées devant les juridictions internes chargées d’examiner les recours formés contre des décisions administratives imposant des sanctions de différentes sortes, relevant soit du volet civil soit du volet pénal de l’article 6 § 1. Comment ces juridictions pourront-elles déterminer les standards procéduraux qu’elles doivent respecter lorsqu’elles examineront ces contestations ? Il est hautement problématique et regrettable que la Cour, en particulier la Cour siégeant en formation de Grande Chambre, n’apporte pas une clarté raisonnable aux normes qu’elle vise à développer.

38.  La majorité s’efforce à la fois de justifier et de limiter l’approche adoptée, en faisant référence à la protection procédurale des juges (paragraphes 203 et 214). S’il est évidemment primordial de protéger l’indépendance des juges pour préserver l’état de droit, c’est un argument dont on voit mal l’à-propos dans le présent contexte, où il s’agit du contrôle juridictionnel des décisions du CSM, organe constitutionnel spécialement instauré précisément pour garantir l’indépendance judiciaire. Il n’y a ici aucun grief, aucune déclaration ni aucun élément qui soit de nature à justifier que la Cour remette en question, par principe, le rôle du Conseil supérieur de la Magistrature portugais en tant qu’organe compétent en matière de procédures disciplinaires dirigées contre des juges, et qu’elle conclue que les principes établis dans sa jurisprudence ne sont plus une norme suffisante pour le contrôle juridictionnel des décisions disciplinaires prises par cet organe.

39.  D’un point de vue plus général, l’argument invoqué pour créer sur le terrain de l’article 6 § 1 une lex specialis pour les procédures disciplinaires dirigées contre des juges ne paraît pas convaincant. En particulier, nous estimons que la présente affaire se prête mal à une telle démarche. Compte tenu des circonstances qui ont donné lieu aux procédures disciplinaires litigieuses, et notamment à la seconde et à la troisième procédure (voir le paragraphe 24 ci-dessus), le cas soumis à la Cour concerne le respect de la déontologie judiciaire – qui est aussi un sujet extrêmement important – et non celui de l’indépendance judiciaire.

Conclusion

40.  Dans sa jurisprudence, la Cour a précisé le niveau de contrôle juridictionnel requis en vertu de l’article 6 § 1. Nous ne voyons aucune raison impérieuse de dire aujourd’hui que ce niveau n’est plus suffisant. De plus, toute évolution jurisprudentielle doit être expliquée de manière conceptuellement claire et compréhensible. On ne peut guère attendre des autorités internes qu’elles suivent une direction donnée lorsqu’aucune direction n’est donnée.

41.  Dans le contexte spécifique de la présente affaire, compte tenu de la fonction constitutionnellement attribuée au CSM, organe qui a pour but de protéger l’indépendance judiciaire, il semblerait essentiel qu’en ce qui concerne les procédures disciplinaires, les garanties procédurales adéquates soient assurées au niveau de cet organe, au lieu que le contrôle juridictionnel subséquent soit transformé en un nouvel examen des affaires faisant l’objet d’un recours.

42.  Comme nous l’avons expliqué au début, la présente opinion séparée est techniquement une opinion concordante. Toutefois, la différence de position et d’approche sous-jacente est d’une nature qui appellera d’autres précisions à l’avenir. Il est à espérer que l’insécurité juridique ne persiste pas trop longtemps.


OPINION CONCORDANTE DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE

(Traduction)

1.  Au vu de l’importance des questions constitutionnelles et juridiques en jeu en l’espèce, je voudrais ajouter quelques précisions quant aux déficiences constatées par la Grande Chambre, afin d’expliquer qu’elles nécessitent une réforme et une modernisation du cadre et de la pratique juridiques applicables au Portugal, mais non du cadre constitutionnel.

L’histoire de la gouvernance judiciaire au Portugal

2.  La Première République (1910-1926) instaura un organe de gouvernance de la magistrature[3]. Après la déclaration de la République (5 octobre 1910), la loi du 12 juillet 1912 créa un Conseil supérieur de la magistrature judiciaire (Conselho Superior da Magistratura Judicial – CSMJ), composé de trois juges nommés par le gouvernement. Un règlement du 29 octobre 1912 établit la procédure à appliquer par le nouveau CSMJ. Les sanctions disciplinaires les plus graves étaient imposées par le gouvernement, sur proposition du CSMJ, les autres par le CSMJ lui-même. La procédure disciplinaire était contradictoire mais ne comportait pas d’audience publique. Les décisions rendues en matière disciplinaire n’étaient pas soumises au contrôle juridictionnel.

3.  Le fonctionnement du CSMJ fut ensuite modifié par le décret no 4172 du 30 avril 1918. Celui-ci disposait que le CSMJ devait être exclusivement composé de juges, et comprendre trois membres titulaires et trois suppléants, élus parmi les juges de la Cour suprême par l’ensemble des juges pour un mandat de trois ans. Si le président de la Cour suprême était élu au CSMJ, il en devenait aussi le président. Le CSMJ était seul compétent pour appliquer les sanctions disciplinaires les plus graves, et celles-ci étaient susceptibles de recours devant l’assemblée plénière de la Cour suprême (article 13). Le décret no 4691 du 23 juillet 1918 apporta les modifications suivantes : le CSMJ était désormais composé de cinq membres titulaires et trois suppléants, la méthode d’élection restant inchangée, et le président de la Cour suprême était choisi par le gouvernement parmi les juges de la Cour suprême (article 5). Le décret no 5499 du 5 mai 1919 attribua au gouvernement le pouvoir de nommer tous les membres du CSMJ (deux membres titulaires et deux suppléants, plus le président) parmi les juges de la Cour suprême, le président de la Cour suprême étant aussi président du CSMJ.

4.  Le décret no 7725 du 6 octobre 1921 fusionna le CSMJ avec les conseils de gouvernance des procureurs et des greffiers. Le nouveau conseil unifié fut dénommé Conseil supérieur judiciaire (Conselho Superior Judiciario – CSJ). Il comprenait, outre les membres précédents du CSMJ, le Procureur général et le procureur du tribunal de deuxième instance de Lisbonne, ainsi que deux greffiers choisis par le gouvernement. Désormais, les juges de la Cour suprême qui étaient membres titulaires du Conseil devaient y siéger à plein temps. Le décret no 10310 du 19 novembre 1924 consolida les règles régissant les procédures disciplinaires dirigées contre les juges. Il prévoyait l’imposition par le CSJ de deux types de sanctions : les moins sévères n’étaient pas susceptibles de recours, les plus sévères pouvaient faire l’objet d’un recours devant l’assemblée plénière de la Cour suprême, jouissant de la plénitude de juridiction (article 113). Le décret no 10734 du 2 mai 1925 institua une procédure sommaire spéciale pour les infractions disciplinaires politiques, qui étaient soumises à la compétence du ministre de la Justice, avec un droit de recours devant le Conseil des ministres.

5.  La dictature (1926-1974) changea radicalement le système. En vertu du décret no 11751 du 23 juin 1926, la composition du CSJ devint mixte : il comprenait trois juges nommés par le gouvernement, parmi lesquels le président du CSJ et de la Cour suprême, et deux juges élus par leurs pairs. Les peines disciplinaires les plus sévères étaient susceptibles de recours devant l’assemblée plénière de la Cour suprême, qui jouissait de la plénitude de juridiction. Les textes sur le statut des juges de 1927 (décret no 13809 du 22 juin 1927) et 1928 (décret no 15344 du 12 avril 1928) ne modifièrent pas la composition du CSJ, mais limitèrent drastiquement la possibilité de recourir contre les décisions disciplinaires. Les peines les plus sévères appliquées par le CSJ étaient susceptibles de recours devant une formation ad hoc élargie du CSJ, comprenant à la fois les membres titulaires et les suppléants.

6.  En 1929, le décret no 16563 du 5 mars modifia à nouveau radicalement la composition du CSJ : l’âge de départ à la retraite ayant fait l’objet d’une réforme, le gouvernement pouvait nommer de nouveaux membres au CSJ. Avec le décret no 17955 du 12 février 1930, les membres élus par les juges redevinrent majoritaires dans la composition du CSJ : si le président du CSJ et de la Cour suprême était nommé par le gouvernement, les quatre autres membres du Conseil étaient des juges élus par trois différents collèges électoraux (les juges de première instance élisaient deux représentants, les juges de deuxième instance en élisaient un, et le quatrième était élu par les juges de la Cour suprême). En revanche, les pouvoirs du CSJ devinrent purement consultatifs, le pouvoir décisionnel étant attribué au gouvernement. Enfin, le décret no 21485 du 20 juillet 1932 modifia à nouveau la composition du CSJ, en prévoyant que tous ses membres seraient nommés par le gouvernement.

7.  Le Statut des juges de 1944 (décret no 33547 du 23 février 1944) prévoyait que le CSJ était présidé par le président de la Cour suprême et composé de trois juges de cette même cour, ainsi que de deux autres juges n’ayant pas de droit de vote, issus des tribunaux de première ou de deuxième instance. Tous les membres étaient choisis par le gouvernement. Surtout, les recours formés contre les peines disciplinaires les plus sévères étaient traités comme des demandes de contrôle de légalité, et ils étaient portés devant la formation ad hoc du CSJ, de même que n’importe quel autre recours formé contre un acte gouvernemental (article 445). Selon le préambule du Statut, le gouvernement avait fait le choix politique délibéré de refuser aux juges le bénéfice de la plénitude de juridiction pour l’examen des recours portés contre l’imposition des peines disciplinaires les plus sévères, au motif qu’ils ne devaient pas être traités mieux que les autres agents de l’État relevant de la compétence des autorités administratives.

8.  La loi de 1962 sur le Statut des juges modifia encore la composition du CSJ : désormais, celui-ci comprenait le président et le vice-président de la Cour suprême, les trois présidents des cours d’appel et un juge de première instance, tous nommés par le gouvernement. Les peines disciplinaires les plus sévères étaient susceptibles de recours devant une nouvelle formation ad hoc du CSJ appelée Conseil disciplinaire suprême (Supremo Conselho Disciplinar), qui était composée de tous les membres du CSJ et des quatre juges de la Cour suprême ayant le plus d’ancienneté. Ce cadre juridique demeura en vigueur jusqu’à la chute de la dictature.

9.  La Constitution démocratique de 1976 prévoyait que la composition du Conseil supérieur de la magistrature (Conselho Superior da Magistratura – CSM) devait être fixée par la loi et que le Conseil devait comprendre des juges élus par leurs pairs. Le premier instrument législatif adopté pour régir la composition du CSM fut le décret no 926/76 du 31 décembre 1976. En vertu de ce décret, seuls les juges et les greffiers siégeaient au CSM (13 juges et 4 greffiers, ces derniers n’intervenant que sur les questions relatives aux greffiers). La loi no 85/77 du 13 décembre 1977 (la première loi du régime démocratique sur le statut des juges) revint à une composition mixte, dans laquelle les juges étaient plus nombreux que les membres non judiciaires (13 juges et 10 membres non judiciaires). Dans le cadre de la réforme constitutionnelle de 1982, la composition du CSM fut inscrite dans la Constitution, qui y prévoyait une majorité minimum de juges (9 juges et 8 membres non judiciaires). Cette règle de la majorité des juges au CSM fut renversée avec la réforme constitutionnelle de 1997 (la composition du Conseil passant alors à 8 juges et 9 membres non judiciaires).

10.  L’article 13 du décret no 926/76 du 31 décembre 1976 et l’article 175 de la loi de 1977 sur le Statut des juges disposaient que les décisions disciplinaires du CSM étaient susceptibles de recours devant l’assemblée plénière de la Cour suprême. Toutefois, l’article 168 de la loi no 21/85 du 30 juillet 1985 (loi de 1985 sur le Statut des juges) réintroduisit la possibilité de recourir devant une formation ad hoc de la section du contentieux de la Cour suprême, présidée par le président du CSM et de la Cour suprême. La même personne exerçait donc trois fonctions : président de la section du contentieux de la Cour suprême, président du CSM et président de la Cour suprême. Afin que le président de l’organe dont la décision faisait l’objet du recours (le CSM) et celui de l’organe d’appel (la section du contentieux) ne soient pas une seule et même personne, la loi no 10/94 du 5 mai 1994 attribua la présidence de la section du contentieux au vice-président de la Cour suprême.

11.  Ce résumé de l’histoire du CSM montre clairement que le fait que la procédure disciplinaire menée devant cet organe ne soit pas publique, que les recours contre les peines disciplinaires les plus sévères soient examinés par une formation ad hoc et que cette formation n’ait que des pouvoirs de contrôle limités sont des reliques du passé, qui datent respectivement de 1911, 1928 et 1944 et que le nouveau régime démocratique aurait dû s’efforcer d’abolir. C’est en tenant compte de ce contexte historique qu’il faut apprécier les pouvoirs de contrôle de la section du contentieux à l’égard des décisions du CSM[4]. Les textes[5] comme la pratique juridique[6] montrent que l’organe habilité à contrôler les décisions du CSM a toujours eu des pouvoirs très limités en matière d’examen et d’établissement des « faits décisifs » et de recueil et de réexamen des preuves. Aux paragraphes 203 et 214 de l’arrêt, la Grande Chambre confirme expressément l’arrêt de chambre en ce qui concerne la nature « décisive » des faits contestés par la requérante et l’absence de contrôle juridictionnel adéquat de la décision du CSM sur ces faits. Cette déficience sérieuse est aggravée par l’absence d’audience publique lors de laquelle auraient comparu les témoins et la juge accusée.

Avec le constat dressé dans l’arrêt rendu en l’espèce, la Grande Chambre vise à faire passer le même message que la chambre : il est grand temps de réformer le cadre juridique applicable et la pratique au Portugal. Il est louable que le Gouvernement ait tenu compte de l’appel de la chambre et que, avant même l’arrêt de la Grande Chambre, il ait présenté une proposition de réforme de la loi sur le Statut des juges[7]. Je voudrais souligner que cette réforme ne signifie toutefois pas que le cadre constitutionnel doive changer. Je reviendrai sur ce point plus loin.

Les standards internationaux en matière de gouvernance judiciaire

12.  Le Conseil de l’Europe, et en particulier la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) et le Groupe d’États contre la corruption (GRECO) ont examiné la compatibilité des conseils de la magistrature avec les standards européens d’indépendance judiciaire. L’affaire en cause soulevait deux grandes questions[8]. Premièrement, la majorité des membres du CSM ne sont pas des juges élus par leurs pairs. Par exemple, sur les quinze membres qui ont statué sur le cas de la requérante le 10 janvier 2012, six seulement étaient juges (paragraphe 26 de l’arrêt). Dans les deux autres procédures, une faible majorité des membres du CSM étaient juges, car il se trouvait que certains des membres non judiciaires étaient absents. En effet, il n’y a aucune garantie que la majorité des membres du CSM aient même une formation juridique, puisqu’il n’y a aucune obligation légale à cet égard pour les membres non judiciaires du CSM[9]. Avant les délibérations du CSM, il n’y a aucun moyen de savoir qui va y participer. Le juge accusé ne peut savoir qui va être membre de la formation qui va statuer sur son cas. Pour aggraver les choses, il n’est pas exclu qu’un membre non judiciaire du CSM puisse être rapporteur dans une affaire disciplinaire[10], de sorte qu’il est possible que le rapporteur n’ait aucune formation juridique.

13.  Deuxièmement, les membres du CSM peuvent choisir de travailler à temps partiel[11], décision qui risque de les exposer de facto aux liens hiérarchiques ou professionnels qu’ils peuvent avoir hors de leur fonction de membre du CSM, que ce soit dans le secteur privé ou dans le secteur public. La Cour a déjà jugé cela problématique dans l’arrêt Oleksandr Volkov c. Ukraine (no 21722/11, CEDH 2013), où elle a observé que tous les membres du Conseil supérieur de la magistrature ukrainien sauf quatre « continu[ai]ent de travailler et de recevoir un salaire hors de cet organe, ce qui impliqu[ait] inévitablement une dépendance matérielle, hiérarchique et administrative de leur part à l’égard de leurs employeurs principaux »[12]. Plusieurs organes internationaux et européens ont estimé que ces deux éléments (le fait que le CSM ne soit pas composé majoritairement de membres judiciaires et le fait que l’on puisse y siéger à temps partiel) risquaient de porter atteinte à l’indépendance judiciaire. Les documents correspondants ont été cités dans l’arrêt de chambre[13], et je ne reproduis ici que ceux qui sont pertinents à cet égard. Les italiques sont de moi.

14.  Le rapport sur les nominations judiciaires (CDL-AD(2007)028) adopté par la Commission de Venise lors de sa 70e session plénière (16‑17 mars 2007) renferme le passage suivant :

« 29. (...) Ainsi, une partie importante ou la majorité des membres du conseil de la magistrature devrait être élue par les magistrats eux-mêmes. Afin d’assurer la légitimité démocratique du conseil de la magistrature, les autres membres devraient être élus par le parlement parmi des personnes ayant les compétences juridiques appropriées, en tenant compte d’éventuels conflits d’intérêts. »

15.  Dans les conclusions de la première partie (L’indépendance des juges) de son rapport sur l’indépendance du système judiciaire (CDL‑AD (2010) 004) adopté lors de sa 82e session plénière (12-13 mars 2010), la Commission de Venise a dit ceci :

« 32.  En résumé, de l’avis de la Commission de Venise, il est approprié, pour garantir l’indépendance de la magistrature, qu’un conseil de la magistrature indépendant joue un rôle déterminant dans les décisions relatives à la nomination et à la carrière des juges. Du fait de la richesse de la culture juridique en Europe, qui est précieuse et doit être préservée, il n’existe pas de modèle unique applicable à tous les pays. Tout en respectant la diversité des systèmes juridiques, la Commission de Venise recommande aux États qui ne l’ont pas encore fait d’envisager de créer un conseil de la magistrature indépendant ou un organe similaire. La composition de ce conseil devrait, dans tous les cas, présenter un caractère pluraliste, les juges représentant une partie importante, sinon la majorité, de ses membres. À l’exception des membres de droit, ces juges devraient être élus ou désignés par leurs pairs. »

16.  L’extrait pertinent de l’avis sur les lois relatives à la responsabilité disciplinaire et à l’évaluation des juges de « l’ex-République yougoslave de Macédoine » (CDL-AD(2015(042)) adopté par la Commission de Venise lors de sa 105ème session plénière (18-19 décembre 2015) est ainsi libellé :

« 77.  La Commission de Venise rappelle le point de vue qu’elle a exprimé dans son avis sur le projet de loi relatif au Conseil supérieur des juges et des procureurs de la Bosnie-Herzégovine, où elle a souligné l’importance de « trouver le juste milieu entre la nécessité de protéger l’indépendance du CSJP et l’utilité d’en assurer le contrôle par une instance publique et d’éviter un mode de gestion corporatiste ». Si, dans cet avis, il est recommandé qu’une majorité de membres du conseil soit élue par le corps judiciaire, la Commission de Venise n’a jamais été favorable aux systèmes dans lesquels tous les membres sont élus par les magistrats. Étant donné que des pouvoirs très importants sont conférés au CEF [Conseil d’établissement des faits] en matière de discipline des magistrats, il est recommandé qu’une proportion importante de ses membres soit nommée par des organes élus démocratiquement, de préférence par le parlement, à la majorité qualifiée des voix. Cette dernière solution permettrait de renforcer la responsabilité démocratique du pouvoir judiciaire, tout en apportant une protection suffisante contre toute domination de cette instance par des représentants politiques. »

17.  En ses parties pertinentes, la Recommandation CM/Rec(2010)12 du Comité des Ministres aux États membres sur les juges : indépendance, efficacité et responsabilités (adoptée par le Comité des Ministres le 17 novembre 2010 lors de la 1098e réunion des Délégués des Ministres) est ainsi libellée :

« Chapitre IV – Conseils de la justice

26.  Les conseils de la justice sont des instances indépendantes, établies par la loi ou la Constitution, qui visent à garantir l’indépendance de la justice et celle de chaque juge et ainsi promouvoir le fonctionnement efficace du système judiciaire.

27.  Au moins la moitié des membres de ces conseils devraient être des juges choisis par leurs pairs issus de tous les niveaux du pouvoir judiciaire et dans le plein respect du pluralisme au sein du système judiciaire.

28.  Les conseils de la justice devraient faire preuve du plus haut niveau de transparence envers les juges et la société, par le développement de procédures préétablies et la motivation de leurs décisions.

(...)

Chapitre VI – Statut du juge

Sélection et carrière

(...)

46.  L’autorité compétente en matière de sélection et de carrière des juges devrait être indépendante des pouvoirs exécutif et législatif. Pour garantir son indépendance, au moins la moitié des membres de l’autorité devraient être des juges choisis par leurs pairs. »

18.  Le Conseil Consultatif de Juges Européens a adopté, lors de sa 11ème réunion plénière (17-19 novembre 2010), une Magna Carta des juges (Principes fondamentaux) synthétisant et codifiant les principales conclusions des Avis qu’il avait déjà adoptés. On trouve dans ce document le passage suivant :

« 13.  Pour assurer l’indépendance des juges, chaque État doit créer un Conseil de la Justice ou un autre organe spécifique, lui-même indépendant des pouvoirs exécutif et législatif, doté des prérogatives les plus étendues pour toute question relative à leur statut, ainsi qu’à l’organisation, au fonctionnement et à l’image des institutions judiciaires. Le Conseil doit être composé soit exclusivement de juges, soit au moins d’une majorité substantielle de juges élus par leurs pairs. Le Conseil de la Justice est tenu de rendre compte de ses activités et de ses décisions. »

19.  Dans son rapport du quatrième cycle d’évaluation sur le Portugal, adopté le 4 décembre 2015, le GRECO a porté l’appréciation suivante sur le CSM et son homologue compétent à l’égard des juridictions administratives et fiscales, le Conseil supérieur des juridictions administratives et fiscales :

« Étant donné les vastes attributions de ces deux instances, notamment en ce qui concerne la nomination, la promotion et l’évaluation des magistrats, de même qu’en matière disciplinaire, leur composition a été critiquée par certains des interlocuteurs rencontrés sur place, qui questionnent leur indépendance et leur impartialité sur le plan politique. À ce propos, l’[équipe d’évaluation du GRECO] tient à rappeler la Recommandation CM/Rec(2010)12 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, selon laquelle « au moins la moitié des membres de ces conseils devraient être des juges choisis par leurs pairs ». Au Portugal, le cadre juridique ne satisfait pas à cette exigence. »

Il a précisé ceci :

« (...) en pratique, certains des membres du Conseil supérieur de la magistrature nommés par le Président de la République sont en fait d’anciens juges. L’[équipe d’évaluation du GRECO] a été informée que les deux membres nommés par le Président ne sont pas des magistrats de carrière, mais actuellement l’un deux est un ancien juge de la Cour constitutionnelle. »

Partant de ces constatations, il a formulé la recommandation suivante :

« vi.  i) renforcer le rôle des conseils du pouvoir judiciaire en tant que garants de l’indépendance des juges et de l’appareil judiciaire, notamment en inscrivant dans la loi qu’au moins la moitié de leurs membres doivent être des juges choisis par leurs pairs ; (...) »[14]

20.  Le 6 mars 2018, le GRECO a appelé le Portugal à redoubler d’efforts pour améliorer son cadre juridique afin de prévenir la corruption des parlementaires, des juges et des procureurs. Dans son rapport de conformité[15], où il évaluait la mise en œuvre par le Portugal des recommandations formulées dans le rapport d’évaluation de 2015, il a conclu que le Portugal n’avait mis en œuvre de manière satisfaisante qu’une seule de ces quinze recommandations. Trois recommandations avaient été partiellement mises en œuvre et onze n’avaient pas du tout été mises en œuvre. Le GRECO a qualifié le niveau de conformité avec les recommandations de « globalement insatisfaisant »[16].

21.  À ce stade, il est important de noter que le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe et le GRECO recommandent qu’au moins la moitié des membres des conseils de la magistrature soient des juges élus par leurs pairs mais ne l’exigent pas lorsque le nombre de membres de ces conseils est impair, ce qui est le cas au CSM. Je suis fermement convaincu que la composition du CSM, selon le cadre constitutionnel tel qu’en vigueur de 1982 à 1997 et la pratique présidentielle subséquente consistant à nommer un juge, est conforme au rôle de garant de l’indépendance judiciaire qui incombe aux conseils de la magistrature. L’autorité morale et la représentativité politique du président de la République sont en et par
elles-mêmes une garantie solide de juste équilibre entre les composantes démocratique et judiciaire au sein de l’organe de gouvernance judiciaire portugais. La bonne renommée professionnelle et sociale des membres choisis jusqu’à présent par les présidents de la République successifs confirment cette conclusion.

Renforcement des garanties dans la gouvernance judiciaire

22.  La réforme du cadre juridique devrait tenir compte de la nature de l’objet de la procédure[17]. Je note que les trois critères Engel[18] ne sont pas cumulatifs mais alternatifs. La Grande Chambre le dit expressément au paragraphe 122 de l’arrêt pour ce qui est du second et du troisième critère, mais cela vaut aussi, évidemment, pour le premier : toute autre interprétation impliquerait qu’une sanction doit être pénale en droit interne pour être considérée comme pénale au regard de la Convention. Or, comme la Cour l’a dit dans l’affaire Engel :

« Si les États contractants pouvaient à leur guise qualifier une infraction de disciplinaire plutôt que de pénale, ou poursuivre l’auteur d’une infraction "mixte" sur le plan disciplinaire de préférence à la voie pénale, le jeu des clauses fondamentales des articles 6 et 7 (...) se trouverait subordonné à leur volonté souveraine. »[19]

23.  Je voudrais rappeler que la présente affaire concerne une procédure disciplinaire relative à des propos injurieux visant l’inspecteur judiciaire H.G. (requête no 57728/13), une procédure disciplinaire relative à l’utilisation d’un faux témoignage (requête no 55391/13) et une procédure disciplinaire relative à une tentative d’empêcher l’ouverture d’une procédure disciplinaire contre un témoin (requête no 74041/13), et que l’objet de ces procédures est de nature intrinsèquement pénale (diffamation, utilisation de faux témoignage et entrave à la justice). Même s’il n’a pas été engagé de poursuites pénales contre la requérante pour les faits examinés dans le cadre de ces trois procédures disciplinaires, ces faits sont typiques des infractions « mixtes »[20] mentionnées dans l’arrêt Engel. Ils correspondent à des infractions qui portent gravement atteinte à la société et qui font l’objet d’une forte réprobation. En les qualifiant, au paragraphe 125 de l’arrêt, de « purement disciplinaires », et en en amoindrissant ainsi l’importance, la Grande Chambre prive des garanties procédurales fondamentales la juge faisant l’objet des accusations correspondantes. Or c’est précisément ce que la Convention est censée empêcher, en particulier dans le cas des infractions « mixtes » évoquées dans l’arrêt Engel.

24.  Ainsi, même si la sanction n’est pas qualifiée de pénale en droit interne, non plus que l’infraction qu’elle punit, une lecture raisonnable de la Convention conduit toujours à exiger que cette sanction, si elle est suffisamment sévère, soit soumise aux garanties du volet pénal de l’article 6, en l’absence de raison valable justifiant le contraire. Comme l’a dit la Cour :

« (...) même si le comportement prohibé ne constitue pas une infraction pénale, la nature et le degré de sévérité de la peine encourue par l’intéressé – troisième critère – peut faire entrer l’affaire dans la sphère « pénale ». »[21]

25.  De plus, dans sa jurisprudence concernant les procédures disciplinaires dirigées contre des membres de telle ou telle profession, la Cour a toujours recherché si la sanction en cause concernait ou non la profession de l’intéressé. Elle a jugé de nature purement disciplinaire des sanctions telles qu’une suspension ou une exclusion d’une profession ou d’une charge publique[22], mais dissuasives et punitives par nature des amendes présentant un certain degré de sévérité[23].

26.  Ici, la requérante encourait une sanction dont le maximum était de 90 jours-amende et 240 jours de suspension. Elle a été condamnée au paiement d’une amende (paragraphe 25 de l’arrêt) ainsi qu’à des peines de 100 jours (paragraphe 41 de l’arrêt) et 180 jours de suspension de ses fonctions (paragraphe 58), agrégées en une peine unique de 240 jours de suspension (paragraphe 67).

27.  De plus, en vertu du droit interne, les amendes sont appliquées en déduisant du traitement du juge la somme correspondant au nombre de jours-amende imposés[24] ; et la suspension des fonctions entraîne également une déduction de la période correspondante de la rémunération[25]. En pratique, cela signifie que tant dans le cas d’une amende que dans le cas d’une suspension des fonctions, la perte financière est automatiquement imposée sous la forme d’une réduction du traitement du juge. Il est ainsi clair que la perte financière résultant d’une suspension de 240 jours peut être bien plus sévère que celle résultant de l’infliction de l’amende la plus élevée possible, à savoir 90 jours-amende.

28.  Ce raisonnement est confirmé par une autre caractéristique importante du droit interne, qui apparaît à la comparaison entre la sanction disciplinaire de suspension des fonctions[26] et la sanction pénale d’interdiction d’exercer une charge assortie d’une suspension des fonctions[27]. Si elle avait procédé à cette comparaison, la Grande Chambre n’aurait pu que constater la similitude frappante en termes d’aspect punitif et, ainsi, le chevauchement entre ces deux types de sanctions, qui peuvent viser les mêmes professions.

29.  Compte tenu de cela, et du fait que le droit subsidiaire applicable est le code pénal et le code de procédure pénale[28], il me semble que les sanctions qui sont applicables et qui ont été appliquées ici sont, en théorie comme en pratique, dissuasives et punitives, et qu’elles doivent donc être soumises aux garanties du volet pénal de l’article 6.

30.  J’ajouterais, de manière plus générale, que rien dans la « nature » des infractions disciplinaires ne justifie que les personnes qui en sont accusées ne bénéficient pas des mêmes garanties procédurales fondamentales que celles qui sont accusées d’une infraction pénale. On ne peut aux fins de l’article 6 de la Convention qualifier de « disciplinaire » plutôt que de « pénale » une infraction qui porte gravement atteinte à la société, qui fait l’objet d’une forte réprobation sociale et qui est passible d’une sanction sévère qu’en appliquant une distinction nominaliste dépourvue de tout fondement au regard de la jurisprudence européenne. Pareille interprétation nominaliste de la Convention est encore moins convaincante si dans le même temps on admet que le volet pénal de l’article 6 est applicable à certaines affaires où ont été infligées de lourdes sanctions financières pour infraction disciplinaire[29]. Non seulement une telle approche ne répondant à aucun principe ne tient pas compte des conséquences qu’emportent les peines non financières graves telles que la suspension ou l’exclusion d’une profession, mais encore elle donne l’impression d’une jurisprudence incertaine et peu claire, sur laquelle les États défendeurs ne peuvent pas s’appuyer.

31.  Ainsi, l’argument avancé au paragraphe 125 de l’arrêt, selon lequel les sanctions encourues par la requérante « ne visaient pas un public large, mais une catégorie particulière, à savoir celle des juges », ce qui aurait pour conséquence que l’infraction doive être considérée comme ne relevant pas de la sphère pénale, ne tient pas. Il ne résiste à aucune analyse sur le terrain du droit pénal. Il ignore une longue tradition de qualification en tant qu’infraction pénale de faits qui ont une portée personnelle limitée et qui ne concernent que certains individus se distinguant par des caractéristiques personnelles ou professionnelles particulières[30]. Par exemple, d’innombrables dispositions de droit pénal dans tous les pays répriment la corruption passive commise spécifiquement par des représentants de l’État. Ces dispositions de droit pénal visent à protéger l’honneur, la réputation et l’intégrité d’une profession et à maintenir la confiance du public dans les représentants de l’État, et nul n’oserait dire qu’elles ne sont pas de nature pénale aux fins de l’article 6 de la Convention. En d’autres termes, le simple fait qu’une infraction ne concerne qu’une catégorie professionnelle donnée ne détermine pas sa nature.

32.  Sans que l’on sache pourquoi, la Grande Chambre conclut que « dans le cas d’espèce, la sévérité de la sanction en elle-même ne saurait faire tomber l’infraction dans le domaine pénal » (paragraphe 126 de l’arrêt). Néanmoins, elle reconnaît aussi que, de manière générale, « les sanctions disciplinaires peuvent avoir de lourdes conséquences sur la vie et la carrière des juges » et que, en l’espèce, « [l]es faits reprochés à la requérante étaient susceptibles de conduire à sa révocation ou à sa suspension, c’est-à-dire à des sanctions très graves ayant un caractère infamant » (paragraphe 196 de l’arrêt)[31].

33.  La réforme du cadre législatif menée actuellement[32] devrait donc, à mon avis, renforcer les garanties procédurales applicables aux procédures disciplinaires dirigées contre des juges à la lumière des garanties de l’article 6 de la Convention, et en particulier renforcer le caractère contradictoire, oral et public de ces procédures, de la manière suivante :

1)  le juge accusé devrait avoir droit à ce que sa cause « soit entendue publiquement devant l’assemblée plénière du CSM »[33] ;

2)  le juge accusé devrait avoir le droit « d’exposer oralement sa thèse », que ce soit sur « les questions de fait et les sanctions » ou sur « les différentes questions de droit » devant l’assemblée plénière du CSM[34] ;

3)  le juge accusé devrait avoir le droit de faire comparaître des témoins devant l’assemblée plénière du CSM[35] ;

4)  le juge accusé devrait avoir droit à bénéficier d’« une audience contradictoire devant l’organe qui opère le contrôle juridictionnel »[36] ;

5)  le juge accusé devrait avoir droit à obtenir « la tenue d’une audience publique devant un organe doté de la plénitude de juridiction » et cette audience devrait permettre « une confrontation orale entre les parties », c’est-à-dire entre le CSM et le juge accusé[37] ;

6)  le juge accusé devrait avoir droit à être entendu « oralement » par l’organe opérant le contrôle juridictionnel, afin « d’exposer sa version de la situation » et de permettre aux juges d’appel « de se forger [leur] propre opinion » à son égard[38] ;

7)  l’organe opérant le contrôle juridictionnel devrait considérer que « dans les procédures disciplinaires, l’absence d’audience orale devrait être exceptionnelle et dûment justifiée à la lumière de la jurisprudence des organes de la Convention »[39] ;

8)  l’organe opérant le contrôle juridictionnel devrait « inclure dans son raisonnement des considérations sur l’appréciation des éléments factuels décisifs »[40] ;

9)  l’organe opérant le contrôle juridictionnel devrait « apprécier [les] éléments factuels touchant à la crédibilité [de l’auteur du recours] et des témoins et constituant des points décisifs [de l’affaire] »[41] ;

10)  l’organe opérant le contrôle juridictionnel devrait avoir le pouvoir « d’apprécier la proportionnalité entre la faute commise et la sanction infligée »[42] ;

11)  pour mettre fin à la violation ou aux violations constatées par la Cour et en réparer autant que possible les effets, il devrait y avoir, au moins, une « révision [du] procès sur le plan interne lorsque la Cour a conclu à la violation des droits et libertés fondamentaux d’un requérant »[43].

Telles sont les garanties procédurales minimales posées par la Grande Chambre de la Cour pour les procédures disciplinaires dirigées contre des juges.

Conclusion

34.  À la lumière de ce qui précède, je ne peux que conclure que le fait que la procédure disciplinaire n’ait été publique ni devant le CSM ni devant la Cour suprême, le fait que l’organe compétent pour connaître de telles procédures soit une formation ad hoc de la section du contentieux de la Cour suprême et le caractère limité du pouvoir de contrôle de cette section sont des reliques du passé qui ne correspondent pas aux standards internationaux actuels de l’indépendance judiciaire. La réforme de modernisation du cadre et de la pratique juridiques en ce qui concerne la gouvernance judiciaire au Portugal est désormais en cours, et le fait que le gouvernement ait présenté un projet de loi au parlement à cette fin doit être salué. Je suis certain que le parlement écoutera attentivement le message adressé par la Cour et qu’il élaborera une réponse complète aux problèmes constatés.


OPINION EN PARTIE DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES YUDKIVSKA, VUČINIĆ, PINTO DE ALBUQUERQUE, TURKOVIĆ, DEDOV ET HÜSEYNOV

(Traduction)

1.  Nous ne sommes pas d’accord avec la majorité pour dire qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme (« la Convention ») en ce qui concerne l’indépendance et l’impartialité de la section du contentieux de la Cour suprême (« la section du contentieux »).

2.  La majorité « ne constate pas d’absence d’indépendance et d’impartialité » à la section du contentieux de la Cour suprême (paragraphe 165 de l’arrêt). Pour parvenir à cette conclusion, elle écarte les deux griefs formulés par la requérante quant à l’indépendance et à l’impartialité objective de la Cour suprême : l’intéressée arguait d’une part que le président du CSM, étant aussi président de la Cour suprême, pouvait exercer une influence indue sur la procédure de recours, et d’autre part que le pouvoir disciplinaire du CSM sur les membres de la Cour suprême portait atteinte à l’indépendance de ceux-ci. Selon nous, ces deux arguments n’ont pas été dûment examinés.

La dualité des fonctions du président de la Cour suprême

3.  En ce qui concerne le premier argument, la majorité conclut que « la dualité des fonctions du président de la Cour suprême n’est pas de nature à mettre en cause l’indépendance et l’impartialité objective de la haute juridiction qui a été amenée à trancher les recours formés par la requérante contre les décisions du CSM » (paragraphe 156). Elle fonde cette conclusion sur deux points.

4.  Premièrement, elle observe que, selon le Statut des magistrats du siège, « [l]a composition de la section du contentieux de la Cour suprême est déterminée (...) sur la base de critères objectifs tels que l’ancienneté des juges et leur appartenance à une section donnée et le président de la Cour suprême ne siège pas dans cette section ad hoc » (paragraphe 154) ; et elle tient compte du fait que la « désignation formelle » des membres de cette section est effectuée par le vice-président le plus ancien de la Cour suprême (ibidem). Or, à bien y regarder, ni l’un ni l’autre de ces éléments n’est convaincant.

5.  Il est vrai que le président ne peut pas sélectionner les membres de la section du contentieux pour une affaire donnée, et que la composition de cette section est déterminée par l’ancienneté des juges et par la section à laquelle ils appartiennent. Plus précisément, la section du contentieux est composée du plus ancien des vice-présidents de la Cour suprême et du plus ancien des juges de chacune des trois sections de celle-ci (section civile, section pénale, section des affaires sociales)[44]. Néanmoins, la majorité omet un aspect crucial de l’organisation de la Cour suprême, à savoir le fait qu’il appartient au président de répartir les juges parmi les sections, de manière discrétionnaire, sur la base notamment de « l’utilité pour le service » (conveniência para o serviço). Le président peut donc dans une certaine mesure influer sur l’ancienneté de chaque juge dans chaque section[45].

6.  La caractéristique fondamentale de tout organe judiciaire est que les apparences y ont autant d’importance que les faits. La justice ne doit pas seulement être rendue de manière juste, elle doit aussi être vue et perçue comme telle. Pour nous, il ne fait aucun doute que lorsque le président de l’organe dont la décision est contestée (en l’occurrence, le CSM) est, ne serait-ce qu’indirectement, en position de déterminer la composition de l’organe d’appel (en l’espèce, la section du contentieux), l’apparence d’impartialité de l’organe d’appel est irrémédiablement entachée. À cela vient s’ajouter ici le fait que la section du contentieux est appelée à examiner une décision à la prise de laquelle le président de la Cour suprême a participé en sa qualité de président du CSM.

7.  Deuxièmement, la majorité relève que la requérante n’a pas « allégué que le Président de la Cour suprême ait été en mesure (...) d’influencer les juges de la section du contentieux », et qu’il « n’est pas établi que ces juges aient été désignés en vue de connaître de son cas » (paragraphe 155). Compte tenu de ce qui précède, cet argument n’est pas convaincant non plus : comme la majorité elle-même l’annonce d’emblée, « il convient d’examiner le grief [de la requérante] sous l’angle de l’exigence d’indépendance et d’impartialité objective » (paragraphe 152). Cette « appréciation objective porte essentiellement sur les liens hiérarchiques ou autres entre le juge et d’autres acteurs de la procédure » (paragraphe 148). Il ne s’agit pas de savoir si en l’espèce, les juges de la section du contentieux nourrissaient une animosité particulière envers la requérante, mais si le cadre institutionnel dans le cadre duquel l’affaire de celle-ci a été examinée offrait les garanties propres à assurer l’apparence d’impartialité.

Le fait que la Cour suprême soit soumise au pouvoir disciplinaire du CSM

8.  L’autre grief soulevé par la requérante était que « l’évaluation, la nomination et la promotion » des juges de la Cour suprême, y compris ceux de la section du contentieux, relèvent de la compétence du CSM, de même que les procédures disciplinaires concernant ces juges (paragraphe 137). Ainsi, l’organe dont les décisions étaient examinées exerçait différentes formes de pouvoir sur l’organe qui examinait ces décisions. La majorité rejette aussi cet argument (paragraphes 157-164).

9.  D’emblée, la majorité s’efforce (paragraphes 157-160) de distinguer cette affaire de l’affaire Oleksandr Volkov[46], où la Cour avait observé que les juges qui avaient procédé au contrôle juridictionnel des sanctions disciplinaires « relevaient eux aussi de la compétence disciplinaire » de l’organe dont ils contrôlaient les décisions et qu’ainsi, l’organe de contrôle « ne présentait pas toutes les garanties d’indépendance et d’impartialité »[47]. Selon la majorité, cette affaire se distinguerait du cas d’espèce en ce que les considérations qui y étaient formulées « devraient être regardées comme une critique basée sur les circonstances de l’affaire et applicables dans un système présentant des déficiences sérieuses de nature structurelle ou une apparence de parti pris au sein de l’organe disciplinaire de la magistrature (...) et non [comme] une conclusion ayant une portée générale » (paragraphe 158 de l’arrêt), alors qu’en l’espèce, il n’aurait pas été constaté « de telles déficiences sérieuses de nature structurelle ou d’apparence de parti pris au sein du CSM portugais » (paragraphe 160). Or en réalité, la Grande Chambre a estimé dans la présente affaire qu’elle ne pouvait plus examiner la présence éventuelle de telles défaillances en raison de l’application de la règle des six mois (paragraphe 107). Elle n’a donc pas validé de manière générale la structure et le fonctionnement du CSM, elle a laissé la porte ouverte à de futurs griefs quant à de possibles « défaillances structurelles » de cet organe.

10.  Nous estimons que le principe énoncé au paragraphe 130 de l’arrêt Oleksandr Volkov est pleinement applicable à la présente affaire. Comme c’était le cas dans l’affaire ukrainienne, le contrôle juridictionnel des sanctions disciplinaires a été opéré en l’espèce par des juges de la Cour suprême qui étaient eux aussi soumis à la compétence disciplinaire du CSM. À cet égard, nous souscrivons à l’analyse livrée par le juge national dans son opinion séparée quant au cadre constitutionnel et juridique dans lequel les décisions du CSM ont été prises.

11.  La majorité choisit de répondre à l’argument de la requérante de deux manières. Premièrement, elle estime « normal » que les juges soient amenés à traiter des affaires en sachant qu’ils sont susceptibles, « à un moment donné de leur carrière, de se trouver eux-mêmes dans une situation similaire à celle d’une des parties » (paragraphe 163). Plus précisément, elle décrit la situation comme celle d’un « risque théorique résidant dans le fait que les juges qui siègent restent eux-mêmes soumis à un régime disciplinaire » (ibidem).

12.  En réinterprétant ainsi la situation, elle passe à côté de l’essentiel. Le problème n’est pas que les juges de la section du contentieux examinent une situation factuelle dans laquelle ils peuvent eux-mêmes se trouver à l’avenir, comme s’ils devaient statuer sur un manquement contractuel tout en sachant qu’ils pourraient eux-mêmes à l’avenir manquer à leurs obligations contractuelles, ou sur une affaire de cambriolage en sachant qu’eux-mêmes pourraient un jour être cambriolés, etc. Le problème réside dans le cadre institutionnel lui-même. Les membres de la section du contentieux statuent sur des décisions prises par des personnes qui peuvent elles-mêmes exercer sur eux un pouvoir disciplinaire.

13.  La majorité écarte le risque qu’une procédure disciplinaire ne soit engagée contre les juges de la section du contentieux en considérant qu’il n’est que « théorique » (paragraphe 163). Elle observe qu’il n’y a pas de « procédure disciplinaire pendante » contre les juges qui ont examiné les recours de la requérante (paragraphe 163). Mais là encore, elle reconnaît que la question en jeu est celle de l’impartialité « objective » : dès lors, l’existence ou l’inexistence d’une procédure disciplinaire dirigée contre les juges de la Cour suprême qui ont examiné le cas de la requérante n’est pas un élément déterminant. Tout ce qui importe, c’est l’existence ou l’absence d’une possibilité réaliste que les juges de la section du contentieux puissent faire l’objet d’une procédure disciplinaire devant le CSM. Or il y a là plus qu’une possibilité réaliste : cette hypothèse s’est déjà matérialisée par le passé[48].

14.  Comme la majorité, nous considérons qu’une procédure disciplinaire à l’issue de laquelle les juges peuvent se voir infliger une sanction, telle que celle de la présente espèce, doit assurer la confiance du public dans le fonctionnement et l’indépendance du pouvoir judiciaire en tant que tels, car ceux-ci sont au cœur de l’état de droit. Dans le climat actuel, il n’est pas superflu de réaffirmer ce principe.


[1].  José Carlos Vieira de Andrade, A justiça Administrativa (Lições), Livraria Almedina, 1999, p. 95.

[2].  Jorge de Sousa, « Poderes de Cognição dos Tribunais Administrativos relativamente a Actos Praticados no Exercício da Função Política », Julgar, n° 3- 2007, Coimbra Editora, p. 119.

1.  Pour des raisons d’économie, je limiterai la portée de cette opinion au régime républicain.

[4].  Sur ce point, voir la littérature portugaise critique : J. Miranda, Annotation à l’article 217, in Miranda/Medeiros, Constituiçao Portuguesa Anotada, vol. III, 2007, p. 192 ; « Os parametros constitucionais da reforma do contencioso administrativo », in Reforma do contencioso administrativo, vol. 1, 2007, p. 374 ; S. Correia, Contencioso Administrativo, 1990, p. 125 ; R. Alves, « A apreciaçao jurisdicional das deliberaçoes do CSM pelo STJ », in Julgar, no 21, p. 248 ; C. Fraga, Sobre a independencia dos juizes, 2003, p. 189 ; P. Rangel, Repensar o poder judicial, 2001, p. 227 ; A. Pereira, « O poder politico perante a magistratura », ASJP (éd.), in Poder Judicial na viragem do seculo, vol. II, 1997, p. 89 ; et A. Santos Silva, « A Constituiçao e a independencia do poder judicial », in Scientia Juridica, 1975, XXII, p. 35.

[5].  Voir l’article 168 § 5 de la loi sur le Statut des juges. Comme expliqué plus haut, cette disposition remonte à la loi de 1944 sur le Statut des juges (article 445), qui était libellée exactement de la même façon.

[6].  Voir les paragraphes 79 à 81 de l’arrêt.

[7].  La procédure de réforme a été lancée par le projet de loi no 122/XIII.

[8].  Même si je suis d’accord avec mes collègues pour dire que le grief de la requérante quant à la composition du CSM, pris isolément, a été soumis après l’expiration de la règle des six mois, j’estime que rien n’empêchait la Cour d’analyser les arguments juridiques avancés à la lumière du contexte historique et constitutionnel dans le cadre duquel le CSM a pris ses décisions. D’ailleurs, le Gouvernement lui-même a tiré argument de la composition du CSM (voir ses observations, §§ 97-108). La Grande Chambre reconnaît également cette possibilité : lorsqu’elle déclare irrecevable le grief relatif au CSM, elle précise qu’« elle ne manquera pas, le cas échéant, de prendre en considération les éléments pertinents concernant le CSM lors de l’examen des autres griefs » (paragraphe 107 de l’arrêt), même si, en définitive, elle ne le fait pas (paragraphe 160).

[9].  Article 137 de la loi sur le Statut des juges.

[10].  Article 159 de la loi sur le Statut des juges.

[11].  Article 148 § 2 de la loi sur le Statut des juges.

[12].  Oleksandr Volkov c. Ukraine, no 21722/11, §113, CEDH 2013.

[13].  Voir les paragraphes 41 à 50 de l’arrêt de chambre.

[14].  Greco Eval IV Rep (2015) 5F.

[15].  Greco RC4(2017)23.

[16].  Ibidem, paragraphe 72.

[17].  Le dispositif de l’arrêt ne fait pas expressément référence à la thèse de la requérante selon laquelle l’affaire devait être examinée sous l’angle du volet pénal de l’article 6, et non pas seulement sous celui du volet civil de cette disposition. À cet égard, la Grande Chambre omet d’examiner des caractéristiques importantes de la nature « punitive » des sanctions appliquées à la requérante, nature à laquelle sont consacrées ici les considérations qui suivent.

[18].  Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, série A no 22.

[19].  Ibidem, § 81.

[20].  Ibidem, § 81.

[21].  Brown c. Royaume-Uni (déc.), no 38644/97, 24 novembre 1998. Dans cette affaire, la Cour a déclaré le grief irrecevable précisément parce que « la sévérité de la peine n’était pas, en elle-même, telle qu’elle fît relever les accusations de la sphère « pénale » ».

[22].  Voir par exemple, en ce qui concerne les avocats, Müller-Hartburg c. Autriche, no 47195/06, § 48, 19 février 2013, et Biagioli c. Saint-Marin (déc.), no 64735/14, § 56, 13 septembre 2016 ; en ce qui concerne les juges, Oleksandr Volkov, précité, § 93 ; et en ce qui concerne d’autres personnes exerçant une charge publique, Moullet c. France (déc.), no 27521/04, 13 septembre 2007.

[23].  « Une amende qui a pour buts de punir et de dissuader plutôt que de réparer peut être le signe que l’affaire est de nature « pénale » si elle est d’un montant suffisamment important » (Brown (déc.), précitée).

[24].  Article 102 de la loi sur le Statut des juges, cité au paragraphe 71 de l’arrêt.

[25].  Article 104 de la loi sur le Statut des juges, cité au paragraphe 71 de l’arrêt.

[26].  Article 102 de la loi sur le Statut des juges.

[27].  Articles 66 et 67 du code pénal.

[28].  Article 131 de la loi sur le Statut des juges.

[29].  Décision Brown, précitée.

[30].  Delicta propria, ou Sonderdelikte. Voir mon opinion séparée dans A et B c. Norvège [GC], nos 24130/11 et 29758/11, § 19, CEDH 2016.

[31].  La forte gravité des sanctions est soulignée aux paragraphes 198 et 203 ainsi qu’à la fin du paragraphe 214 de l’arrêt.

[32].  Projet de loi no 122/XIII.

[33].  Paragraphe 198 de l’arrêt.

[34].  Ibidem.

[35].  Ibidem.

[36].  Paragraphe 211 de l’arrêt.

[37].  Paragraphe 208 de l’arrêt.

[38].  Paragraphe 206 de l’arrêt.

[39].  Paragraphe 210 de l’arrêt.

[40].  Paragraphe 213 de l’arrêt.

[41].  Paragraphe 214 de l’arrêt.

[42].  Paragraphe 201 de l’arrêt.

[43].  Paragraphe 222 de l’arrêt.

[44].  Article 168 de la loi relative au Statut des magistrats du siège.

[45].  Article 29 § 2 de la loi régissant l’organisation des tribunaux judiciaires, cité au paragraphe 74 de l’arrêt.

[46].  Oleksandr Volkov c. Ukraine, no 21722/11, CEDH 2013.

[47].  Oleksandr Volkov, précité, § 130.

[48].  Voir par exemple l’affaire 02P3735, arrêt de la Cour suprême du 3 juillet 2003, rendu sur un recours formé contre une sanction disciplinaire imposée par le CSM à un juge de la Cour suprême.

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CEDH, Cour (grande chambre), AFFAIRE RAMOS NUNES DE CARVALHO E SÁ c. PORTUGAL, 6 novembre 2018, 55391/13 et autres