CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE LOUIS c. FRANCE, 14 novembre 2006, 44301/02

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CEDH · 14 novembre 2006

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 14 nov. 2006, n° 44301/02
Numéro(s) : 44301/02
Type de document : Arrêt
Date d’introduction : 4 décembre 2001
Jurisprudence de Strasbourg : Andrea Corsi c. Italie, n° 42210/98, 4 juillet 2002
Andrea Corsi c. Italie (révision), n° 42210/98, 2 octobre 2003
Artico c. Italie, arrêt du 13 mai 1980, série A n° 37, p. 16, § 33
Delcourt c. Belgique, arrêt du 17 janvier 1970, série A n° 11, p. 14, § 25
Van de Hurk c. Pays-Bas, arrêt du 19 avril 1994, série A n° 288, p. 19, § 59
Dulaurans c. France, arrêt du 21 mars 2000, n° 34553/97, § 33
Kopp c. Suisse, arrêt du 25 mars 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, § 59
Omar c. France, arrêt du 29 juillet 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-V, § 41
Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France, arrêt du 31 mars 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II
Hiro Balani c. Espagne, arrêt du 9 décembre 1994, série A n° 303-B, p. 29, § 27
Donadzé c. Géorgie, n° 74644/01, § 31, 7 mars 2006
Goktepe c. Belgique, n° 50372/99, § 25, 2 juin 2005
Kaufmann c. Italie, n° 14021/02, § 33, 19 mai 2005
Mancini c. Italie, n° 44955/98, CEDH 2001-IX
Rotaru c. Roumanie [GC], n° 28341/95, § 53, CEDH 2000-V
Sarkisova c. Géorgie (déc.), n° 73239/01, 6 septembre 2005
Varela Assalino c. Portugal (déc.), n° 64336/01, 25 avril 2002
Vaturi c. France, n° 75699/01, § 53, 13 avril 2006
Willekens c. Belgique, n° 50859/99, 24 avril 2003
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violations de l'art. 6-1 ; Partiellement irrecevable ; Non-lieu à examiner l'art. 41
Identifiant HUDOC : 001-77969
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2006:1114JUD004430102
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Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE LOUIS c. FRANCE

(Requête no 44301/02)

ARRÊT

STRASBOURG

14 novembre 2006

DÉFINITIF

14/02/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Louis c. France,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM.A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
I. Cabral Barreto,
MmesA. Mularoni,
E. Fura-Sandström,
D. Jočienė,
M.D. Popović, juges,
et de M. S. Naismith, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 octobre 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 44301/02) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Michel Louis (« le requérant »), a saisi la Cour le 4 décembre 2001 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant est représenté par Me Hocquard, avocat au barreau de Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agente, Mme E. Belliard, Directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3.  Le 20 septembre 2005, la deuxième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4.  Le requérant est né en 1944 et réside à Paris.

5.  Le 16 mai 1994, le Ministère de la Défense dénonça au Garde des Sceaux certaines pratiques en matière de formation informatique, lesquelles, à la suite d’une enquête effectuée par le contrôle général des armées, laissaient présumer la commission d’infractions pénales.

6.  Selon les termes du mémoire d’enquête, le requérant, lieutenant-colonel, qui fut chef du centre « Informatique 1 » de 1988 à 1991 puis chef du centre de support logistique de la Section d’Etudes et de Fabrication des Télécommunications (« la SEFT »), était soupçonné d’avoir favorisé l’association « Arcole Formation » dont il était le secrétaire ainsi que la société « Arcole S.A. », en usant de la procédure d’achat sur factures ne nécessitant pas d’appel d’offre pour évincer les sociétés concurrentes. Il fut également établi que le requérant avait crée en 1991, sous le statut de profession libérale, le cabinet « Michel Conseil » dont l’objet était la formation continue dans le domaine informatique, et qu’il avait déclaré, au titre des bénéfices commerciaux en sus de son traitement d’agent de l’Etat, certaines sommes d’argent pour les années 1992, 1993 et 1994 ; l’enquête révéla en effet que des sociétés (« Artal », « Ascor », « Informatics Partners » et « Arol »), dont le requérant était actionnaire, directement ou indirectement, avaient effectué au cours de ces années d’importants versements sur ses comptes personnels et non sur le compte d’entreprise.

7.  Entendu par les enquêteurs de la gendarmerie, le requérant reconnut que la comptabilité du cabinet « Michel Conseil » comportait des irrégularités et que de nombreuses factures étaient fausses, notamment une facture d’un montant de 77 000 FRF adressée à l’association « Arcole Formation ». En ce qui concerne l’attribution des marchés de formation informatique, il déclara que, bien que chef du centre « Informatique 1 », il ne disposait pas d’une délégation de signature pour passer de tels marchés ou des achats sur factures. S’agissant de ses fonctions au sein de la SEFT, il reconnut avoir sous ses ordres différents responsables de domaines, dont une partie des moyens généraux dont était issu M. D., lequel disposait d’une délégation de signature. Il affirmait sur ce point que l’ensemble des projets de formation qu’il validait étaient transmis aux responsables administratifs qui passaient ensuite commande et engageaient les dépenses nécessaires, et que les organismes dispensant des stages informatiques, proposés par Madame H., responsable des formations au sein de la division des ressources humaines, étaient validés par une commission puis, une fois la prestation de service effectuée, signé par elle.

8.  Par une ordonnance du 3 septembre 1999, le requérant fut renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris sous la prévention de faux et usage de faux en écriture privée, de prise illégale d’intérêts et de corruption passive.

9.  Par un jugement du 27 mars 2000, ledit tribunal déclara le requérant coupable de prise illégale d’intérêts et de faux et usage pour toutes les factures émises au cours des années 1991, 1992 et 1993, et le relaxa pour le surplus. S’agissant du délit de prise illégale d’intérêts, le tribunal considéra que le requérant, s’il ne disposait pas d’une délégation de signature officielle, avait toute latitude, de par sa compétence et son expérience, pour choisir les organismes formateurs et signer les commandes dans le cadre de la procédure très souple d’achat sur facture. Détenant ainsi un pouvoir de surveillance, de décision et d’administration sur toutes les opérations de formation, il était en outre avéré qu’il détenait des participations dans des sociétés avec lesquelles il était en relation d’affaires dans le cadre de ses fonctions ; par conséquent, le tribunal estima que les éléments constitutifs du délit susvisé étaient réunis. En ce qui concerne le délit de faux et usage de faux, le tribunal constata, pour considérer l’infraction réalisée, que le requérant avait lui-même reconnu avoir faussement facturé un travail non réalisé d’un montant de 77 000 FRF, et admit avoir établi des fausses factures en modifiant le libellé des prestations. Le requérant se vit infliger une peine de 3 mois d’emprisonnement avec sursis et d’une amende d’un montant de 50 000 FRF (soit environ 7 621 euros).

10.  Le 16 octobre 2000, la cour d’appel de Paris confirma le jugement entrepris sur la déclaration de culpabilité pour les faits de prise illégale d’intérêts et de faux et usage portant sur l’unique facture d’un montant de 77 000 FRF adressée à l’association « Arcole Formation ». Elle relaxa le requérant du chef de faux et usage concernant l’ensemble des autres factures visées à la prévention et, sur la peine, le condamna à 3 mois d’emprisonnement avec sursis et 100 000 FRF d’amende.

11.  Le requérant, représenté par un avocat à la Cour de cassation et au Conseil d’Etat, forma un pourvoi en cassation, dans lequel il discuta le délit de prise illégale d’intérêts et fit grief à la cour d’appel de Paris de n’avoir pas caractérisé l’existence d’un préjudice causé par le faux poursuivi.

12.  Par un arrêt du 13 juin 2001, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta le pourvoi, en motivant ainsi sa décision :

« Sur le second moyen de cassation (...) ;

(...) ;

Attendu que, pour déclarer Michel Louis coupable de faux et usage, la cour d’appel énonce qu’il a faussement facturé à la société Arcole SA, au nom de son cabinet Michel Conseil, un travail non réalisé (...) ; que les juges ajoutent que la facture a été adressée à la société concernée qui l’a inscrite en comptabilité et payée ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations, l’arrêt attaqué n’encourt pas le grief allégué ;

D’où il suit que le moyen ne saurait être admis ;

Et attendu que la peine prononcée étant justifiée par la déclaration de culpabilité du chef précité, il n’y a pas lieu d’examiner le premier moyen qui discute le délit de prise illégale d’intérêts ;

(...) »

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

L’application de la théorie de la peine justifiée

13.  Se fondant sur les articles 411 et 414 du code d’instruction criminelle puis sur l’article 598 du code de procédure pénale, la chambre criminelle de la Cour de cassation, depuis un ancien arrêt du 30 mars 1847, sauve de la cassation la décision qui lui est soumise comportant une erreur de droit, lorsque la peine prononcée est « justifiée » par d’autres éléments de la décision attaquée. Il en résulte que les moyens visant les erreurs ainsi commises par les juges du fond sont déclarés inopérants, la chambre criminelle indiquant même parfois qu’il n’y a pas lieu de les examiner. Aux termes de l’article 598 du code de procédure pénale :

   « Lorsque la peine prononcée est la même que celle portée par la loi qui s’applique à l’infraction, nul ne peut demander l’annulation de l’arrêt sous le prétexte qu’il y aurait erreur dans la citation du texte de la loi. »

a) L’erreur matérielle dans la citation du texte de loi

14.  L’erreur dans la citation du texte de la loi sur laquelle est fondée une condamnation pénale n’est pas une cause de nullité, si la loi qui aurait dû être appliquée prononce la même peine que celle qui a été appliquée (Cass. crim., 26 janvier 1965, Bull. crim. no 27).

b) L’erreur de qualification

15.  Lorsqu’une seule infraction a été commise, la qualification erronée sous laquelle les juges ont prononcé une condamnation ne donne pas ouverture à cassation, dès lors que les faits relevés par eux à la charge du prévenu constituaient une autre infraction et que la peine prononcée entrait dans les prévisions des deux textes de répressions (Cass. crim., 9 novembre 1993, Bull. crim. no 330). La même solution a été adoptée dans le cas où les juges du fond ont par erreur condamné le prévenu en qualité d’auteur ou de coauteur de l’infraction, alors que les faits relevés par eux faisaient apparaître qu’il avait agi en qualité de complice (Cass. crim., 21 décembre 1960, Bull. crim. no 599), ou encore dans le cas où les juges avaient condamné un prévenu pour avoir commis une infraction alors qu’il était l’auteur d’une simple tentative (Cass. crim., 9 mars 1983, Bull. crim. no 76).

c) Condamnation erronée en cas de pluralité d’infractions

16.  Par une interprétation extensive de l’article 598 précité, la chambre criminelle, en cas de condamnation pour plusieurs infractions, tient pour inopérant un moyen critiquant la déclaration de culpabilité concernant l’une d’elles dès lors que les autres infractions commises justifient la peine prononcée ; il suffit que cette dernière soit applicable aux délits non contestés pour que le moyen visant l’infraction contestée soit écartée comme inopérant ou même ne soit pas examiné (Cass. crim., 14 décembre 1994, Bull. crim. no 415). Ainsi, il n’y a pas lieu d’examiner le moyen critiquant la disposition d’un arrêt qui déclare le demandeur coupable d’usage de faux, dès lors que la peine prononcée est justifiée par une infraction au code de la construction et de l’habitation (Cass. crim., 21 mai 1997, Bull. crim. no 1993).

d) Les limites

17.  La théorie de la peine justifiée est écartée lorsqu’elle conduit à méconnaître les règles d’ordre public relatives à l’organisation et à la compétence des juridictions pénales (Cass. crim., 1er juillet 1997, Bull. crim. no 261), et ne s’applique pas aux dommages-intérêts (Cass. crim., 17 juin 1926, Bull. crim. no 518). Elle est également inapplicable lorsque la circonstance aggravante de récidive a été retenue à tort, la Cour de cassation considérant dans cette hypothèse que la constatation injustifiée de l’état de récidive a pu exercer une influence sur l’application de la peine et préjudicier ainsi au condamné (Cass. crim., 5 janvier 1965, Bull. crim. no 3). Enfin, en cas de condamnation pour plusieurs infractions dont l’une est amnistiée, la déclaration de culpabilité et les peines prononcées peuvent être justifiées du chef des autres infractions, mais dans ce cas, il y a lieu à cassation partielle et sans renvoi, en ce que la cour d’appel a déclaré le prévenu coupable du délit qui était amnistié (Cass. crim., 9 décembre 1997, Bull. crim no 419).

e) Les critiques doctrinales

18.  La théorie de la peine justifiée fait l’objet de nombreuses critiques (voir, entre autres, J. Pradel, in « Procédure pénale », Cujas, 8ème édition 1995 ; G. Stéfani, G. Levasseur et B. Bouloc, in « Procédure pénale », Dalloz, 16ème édition 1996 ; R. Merle et A. Vuitu, in « Traité de droit criminel », Tome 1, Cujas, 7ème édition 1997 ; voir également Emmanuel Piwnica, « L’égalité devant la chambre criminelle », in Rapport annuel de la Cour de cassation pour l’année 2003, deuxième partie : études et documents), qui font toutes valoir qu’elle porte atteinte à l’intérêt du condamné en ce que, tout en dénonçant les erreurs commises par les juges du fond ou en passant ces erreurs sous silence, elle aboutit à maintenir le dispositif de leur décision, avec toutes les conséquences qui en résultent quant à l’inscription au casier judiciaire, aux suites disciplinaires éventuelles, à la prise en compte de la condamnation erronée pour l’application des textes sur la détention provisoire, sur le sursis ou sur la récidive, alors que les juges ont retenu à tort une qualification inapplicable, voire une qualification qui n’était pas constituée.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

19.  Le requérant se plaint de ce que la Cour de cassation, en appliquant la théorie dite de « la peine justifiée », a refusé de statuer sur le premier moyen de cassation relatif au délit de prise illégale d’intérêts. Rappelant que le droit pénal est d’interprétation stricte, il estime qu’il est en droit de se voir déclaré coupable ou innocent pour chaque infraction qui lui est reprochée. Le requérant invoque l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

20.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse pour les raisons développées ci-dessous.

Sur la recevabilité du grief

1.  Thèses des parties

21.  En tout premier lieu, le Gouvernement souhaite préciser les limites qui encadrent le recours à la théorie de la peine justifiée. Il cite à cet égard un arrêt de la Cour de cassation rendu le 8 juillet 2005 en assemblée plénière, dans lequel l’accusé était poursuivi pour deux séries d’actes de pénétrations sexuelles sous la qualification de viols aggravés – avec la circonstance aggravante de minorité de moins de quinze ans pour la première série, et celle d’autorité (le requérant étant l’ascendant légitime de la victime) pour la seconde. La question posée aux jurés pour établir la culpabilité de l’intéressé, en ce qui concerne la première série d’actes, ne contenait pas l’un des éléments constitutifs du viol, à savoir les circonstances de violence, contrainte ou surprise dans lesquelles le viol s’était déroulé. L’avocat général, relevant que la peine encourue pour les deux séries d’actes reprochés au demandeur (dont il avait été reconnu coupable de manière tout à fait régulière pour la seconde) était strictement identique, conclut en faveur du recours à la théorie de la peine justifiée. Dans cet arrêt, la Haute juridiction cassa et annula la décision qui lui était déférée, au motif que la question litigieuse ne caractérisait pas tous les éléments constitutifs du crime de viol. Le Gouvernement déduit de cette affaire que la Cour de cassation refuse de recourir à la théorie de la peine justifiée dès lors qu’un doute apparaît sur la réalité d’une appréciation complète et non faussée des faits reprochés.

Le Gouvernement fait observer ensuite que cette théorie est exclue lorsque la circonstance aggravante de récidive a été retenue à tort par les juges du fond, et en conclut qu’elle ne s’applique pas quand l’erreur de droit commise a exercé une influence sur l’application de la peine. De plus, il expose que depuis un arrêt de la Cour de cassation du 16 mai 2001, rendu postérieurement à l’arrêt Pélissier et Sassi c. France du 25 mars 1999, un prévenu ne peut être condamné par les juges du fond sur le fondement d’une qualification à l’égard de laquelle il n’a pas été en mesure de s’expliquer ; ainsi, l’application de la théorie de la peine justifiée ne peut conduire au maintien d’une condamnation prononcée sur le fondement d’une qualification relevée d’office, et n’enfreint donc pas les droits de la défense des prévenus ou accusés. S’agissant de la réparation civile, le Gouvernement estime que ladite théorie ne porte pas atteinte aux droits des victimes, et affirme que la cassation est prononcée lorsqu’un requérant fait l’objet de poursuites pour plusieurs infractions et que l’erreur de droit portait sur l’une d’elles. Enfin, en ce qui concerne les problèmes que cette théorie pourrait poser en termes de récidive, le Gouvernement relève que dans de nombreux cas, la récidive est caractérisée quelle que soit la qualification de la nouvelle infraction commise ; il importe donc peu que soit inscrite au casier judiciaire une infraction non constituée en sus de celle justifiant la condamnation, n’importe quelle infraction pouvant constituer le premier terme de la récidive.

22.  En second lieu, le Gouvernement, au vu de l’ensemble de la procédure, estime que le requérant a pu librement exercer ses droits qui découlent de l’article 6 § 1 de la Convention, dans la mesure où, assisté de son avocat, il a eu l’occasion de présenter sa défense en première instance puis devant la cour d’appel de Paris. Il considère également qu’il n’appartient pas à la Cour de faire un examen plus approfondi de l’étendu des pouvoirs de contrôle de la Cour de cassation, et cite à cet égard l’affaire Gragnic c. France (no 15312/89, déc. du 5 mai 1993), dans laquelle la Commission déclara irrecevable le grief tiré de la violation de l’article 6 § 1 résultant du rejet du pourvoi en cassation du requérant en application de la théorie de la peine justifiée.

23.  Enfin, le Gouvernement estime que le grief du requérant est dépourvu de fondement, en tout état de cause, le recours à la théorie en litige n’ayant porté aucunement atteinte aux droits du requérant. En ce qui concerne le quantum de la peine, il relève que l’intéressé encourrait les mêmes peines à raison des faits reprochés, que ceux-ci soient jugés sous la double qualification des délits de faux et usage de faux et de prise illégale d’intérêts, ou sous le seul chef de prise illégale d’intérêts. Il rappelle sur ce point que si le délit de prise illégale d’intérêts est puni par l’article L. 432-12 du nouveau code pénal de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, le délit de faux et usage de faux est puni par l’article L. 441-1 du même code de 3 ans d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende, et observe que le requérant a été condamné à des peines très largement inférieures au maximum prévu en répression du délit de faux et usage dont la qualification ne prêtait pas à discussion. Le Gouvernement en déduit que le préjudice résultant pour le prévenu de ce que les limites extrêmes de la peine ont été déplacées est plus théorique que pratique, puisque le juge fixe la peine moins en considération du maximum édicté par la loi que de la gravité intrinsèque des faits reprochés et des antécédents du prévenu. La probabilité, en l’espèce, qu’une exclusion de la seule qualification de prise illégale d’intérêts aurait conduit les juges à modérer davantage la peine prononcée est si minime qu’elle relève de la réflexion théorique. Dès lors, le Gouvernement est d’avis que le requérant n’a pas été privé d’une appréciation objective de sa situation, et que les droits qu’il invoque, de nature purement théorique, n’entrent pas dans les garanties de l’article 6 § 1.

24.  Le requérant ne produit pas d’observations en réplique à celles du Gouvernement. Il invite néanmoins la Cour à conclure à une violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

2.  Appréciation de la Cour

25.  La Cour rappelle qu’elle a pour tâche, aux termes de l’article 19 de la Convention, d’assurer le respect des engagements résultant de la Convention pour les Etats contractants. Il incombe au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux cours et aux tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne (voir, parmi beaucoup d’autres, Rotaru c. Roumanie [GC], no 28341/95, § 53, CEDH 2000-V ; Kopp c. Suisse, arrêt du 25 mars 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, § 59), et il n’appartient pas à la Cour d’apprécier elle-même les éléments de fait ou de droit ayant conduit une juridiction nationale à adopter telle décision plutôt que telle autre, sous réserve de l’examen de compatibilité avec les dispositions de la Convention de pareille interprétation. Elle a donc pour seule fonction, au regard de l’article 6 de la Convention, d’examiner les requêtes alléguant que la conduite de la procédure dans son ensemble n’a pas garanti un procès équitable (Sarkisova c. Géorgie (déc.), no 73239/01, 6 septembre 2005). La Cour rappelle également que le droit à un procès équitable, qui englobe entre autres le droit des parties au procès à présenter les observations qu’elles estiment pertinentes pour leur affaire, ne peut passer pour effectif que si les observations présentées sont véritablement « entendues », c’est-à-dire dûment examinées par le tribunal saisi. Autrement dit, l’article 6, vu sous cet angle, implique à la charge du « tribunal » l’obligation de se livrer à un examen effectif des moyens, arguments et offres de preuve des parties (voir notamment les arrêts Van de Hurk c. Pays-Bas du 19 avril 1994, série A no 288, p. 19, § 59, Dulaurans c. France du 21 mars 2000, no 34553/97, § 33, Goktepe c. Belgique, no 50372/99, § 25, 2 juin 2005 ; Donadzé c. Géorgie, no 74644/01, § 31, 7 mars 2006). En outre, il incombe aux juridictions de répondre aux moyens de défense essentiels, sachant que l’étendue de ce devoir peut varier selon la nature de la décision et doit donc s’analyser à la lumière des circonstances de l’espèce (voir, entre autres, Hiro Balani c. Espagne, arrêt du 9 décembre 1994, série A no 303-B, p. 29, § 27, sous l’angle de l’obligation de motivation des décisions de justice).

26.  En la présente cause, la Cour de cassation décida de ne pas examiner le premier moyen de cassation relatif au délit de prise illégale d’intérêts pour lequel le requérant fut condamné. Pour ce faire, la Haute juridiction appliqua la théorie dite de la « peine justifiée » ou du « support légal », laquelle consiste, en cas de pluralité d’infractions comme en l’espèce, à ne pas examiner le moyen critiquant la déclaration de culpabilité portant sur l’une d’elles, au motif que l’autre ou les autres infractions légalement constatées justifient la peine prononcée à bon droit. Le Gouvernement souligne que cette technique juridique, résultant d’un ancien arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 30 mars 1847, est d’application peu fréquente, qu’elle n’a lieu que lorsque sa mise en œuvre s’avère indispensable pour éviter le réexamen d’une affaire dont l’issue n’est pas douteuse, et qu’elle ne porte aucun préjudice au droit du plaignant à un procès équitable.

27.  Sur le recours à une telle technique, la Cour, tout d’abord, ne peut suivre le Gouvernement lorsqu’il fait valoir qu’il n’appartient pas à la Cour d’examiner l’étendue du pouvoir de contrôle de la Cour de cassation. Elle souligne à cet égard le rôle crucial de l’instance en cassation, qui constitue une phase particulière de la procédure pénale, et rappelle que s’il est vrai que l’article 6 de la Convention n’astreint pas les Etats contractants à créer des cours d’appel ou de cassation, un État qui se dote de juridictions de cette nature a l’obligation de veiller à ce que les justiciables jouissent auprès d’elles des garanties fondamentales de l’article 6 (Delcourt c. Belgique, arrêt du 17 janvier 1970, série A no 11, p. 14, § 25 ; Omar c. France, arrêt du 29 juillet 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998‑V, § 41 ; Vaturi c. France, no 75699/01, § 53, 13 avril 2006).

28.  La Cour rappelle ensuite le principe bien établi dans sa jurisprudence selon lequel le but de la Convention consiste à protéger des droits non pas théoriques ou illusoires mais, à l’inverse, des droits concrets et effectifs (Artico c. Italie, arrêt du 13 mai 1980, série A no 37, p. 16, § 33). Le rôle qui est le sien n’est donc pas d’examiner in abstracto la technique de contrôle juridictionnel en cause, mais de rechercher, concrètement, si la manière dont elle a été appliquée au requérant a enfreint la Convention (Kaufmann c. Italie, no 14021/02, § 33, 19 mai 2005).

29.  Or, dans la présente affaire, il n’apparaît pas, aux yeux de la Cour, que l’application et l’interprétation faites par la Cour de cassation de la théorie de la peine justifiée ait réduit de manière plus que conséquente le droit du requérant à un procès équitable en général, et son droit de faire dûment examiner ses moyens de défense en particulier.

En effet, elle relève tout d’abord que le requérant a eu amplement l’occasion de présenter ses arguments et d’exercer pleinement ses droits de la défense devant les juges du fond, tant en première instance qu’en appel, jouissant ainsi d’une procédure contradictoire ayant abouti à des décisions motivées. Elle relève ensuite que la Cour de cassation, organe de régulation du droit national en tant que juge de la légalité, s’est en fait prononcée – certes de manière lapidaire – sur le premier moyen de cassation litigieux puisqu’elle l’a expressément visé dans son arrêt de rejet pour estimer ne pas devoir l’examiner. Par ailleurs, la Cour prend acte des précisions apportées par le Gouvernement quant aux limites qui encadrent le recours à la théorie de la peine justifiée par la Cour de cassation française, et se réjouit de l’arrêt rendu par celle-ci en assemblée plénière le 8 juillet 2005, lequel démontre que la Haute juridiction se refuse à recourir à ladite théorie s’il existe un doute sur la réunion de l’un ou des éléments constitutifs de l’infraction reprochée. A cet égard, la Cour ne peut que constater, avec le Gouvernement, que le requérant se vit infliger en cause d’appel des peines bien inférieures à celle encourue pour chacun des délits qui lui étaient reprochés (voir supra § 23), de sorte qu’il ne peut être valablement soutenu que la situation pénale réelle du requérant se soit trouvée affectée par l’application de la théorie de la peine justifiée. En outre, la Cour constate que le requérant ne conteste pas les arguments avancés par le Gouvernement concernant la récidive (voir supra, § 21 in fine). Enfin, à titre surabondant, la Cour estime que le recours à ladite théorie peut trouver une justification, tenant à la bonne administration de la justice et, notamment, à l’obligation de juger dans un délai raisonnable afin d’éviter un nouveau procès en cas de cassation (voir par exemple, mutatis mutandis, Varela Assalino c. Portugal (déc.), no 64336/01, 25 avril 2002 pour ce qui est de l’absence de débats publics devant une juridiction supérieure).

30.  En définitive, la Cour, au vu de la globalité de la procédure pénale et dans les circonstances de l’espèce, considère que l’application de la théorie de la peine justifiée n’a pas porté atteinte au droit du requérant à un procès équitable. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

II.  SUR L’AUTRE VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

31.  Sur le même fondement de la Convention, le requérant, d’une part, se plaint de la violation du principe du contradictoire dans le cadre de la procédure devant la chambre criminelle de la Cour de cassation, en raison de ce que ni lui ni son conseil ne reçurent communication, avant l’audience, du rapport du conseiller rapporteur alors que ce document aurait été fourni à l’avocat général. Il renvoie sur ce point à la jurisprudence de la Cour (Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France, arrêt du 31 mars 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II). D’autre part, il soutient que l’élément matériel du délit de faux et usage de faux n’était pas établi et que, par conséquent, les juridictions internes ont commis une erreur de droit, violant ainsi son droit à un procès équitable.

A.  Sur la recevabilité

32.  La Cour constate que la première branche du grief n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

33.  Pour autant que la deuxième branche du grief du requérant puisse être compris comme visant l’interprétation du droit interne et le résultat de la procédure menée devant les juridictions internes de jugement, la Cour rappelle, comme elle vient de le faire, qu’il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne (voir Garcia Ruiz c. Espagne précité).

34.  Le requérant se bornant à dénoncer une erreur de droit qu’aurait commise la Cour de cassation dans l’interprétation du droit national positif, la Cour considère que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

B.  Sur le fond

35.  Le Gouvernement indique que la Cour de cassation française a modifié les modalités d’instruction et de jugement des affaires qui lui sont soumises, afin notamment de prendre en compte les conclusions de la Cour dans son arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France précité. Il précise cependant que ces mesures n’étaient pas en vigueur à l’époque où le requérant s’est pourvu en cassation, et constate qu’en l’espèce, le rapport du conseiller rapporteur comprenant son avis sur le mérite du pourvoi a effectivement été communiqué à l’avocat général et non à son conseil. Vu le déséquilibre ainsi crée, le Gouvernement déclare « s’en remet[tre] à la sagesse de la Cour pour apprécier le bien de ce grief ».

36.  Le requérant ne produit pas d’observations en réplique à celles du Gouvernement. Il invite néanmoins la Cour à conclure à une violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

37. La Cour rappelle qu’elle a déjà jugé qu’étant donné l’importance du rapport du conseiller rapporteur, le rôle de l’avocat général et les conséquences de l’issue de la procédure pour les intéressés, le déséquilibre créé, faute d’une communication identique du rapport au conseil du prévenu, ne s’accorde pas avec les exigences du procès équitable (Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France précité, § 105). La Cour ne distingue en l’espèce aucune raison de s’écarter de cette jurisprudence : en effet le rapport du conseiller rapporteur n’a pas été communiqué, avant l’audience, au requérant ou à son conseil, alors que l’avocat général s’est vu communiquer l’intégralité du dossier. Les principes du contradictoire et de l’égalité des armes ont ainsi été méconnus.

38.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

39.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

40.  La Cour note que le requérant n’a présenté aucune demande de satisfaction équitable dans le délai imparti.

Selon sa jurisprudence constante (voir, notamment, Andrea Corsi c. Italie, no 42210/98, 4 juillet 2002, Andrea Corsi c. Italie (révision), no 42210/98, 2 octobre 2003, Willekens c. Belgique, no 50859/99, 24 avril 2003, et Mancini c. Italie, no 44955/98, CEDH 2001-IX), la Cour n’octroie aucune somme à titre de satisfaction équitable dès lors que les prétentions chiffrées et les justificatifs nécessaires n’ont pas été soumis dans le délai imparti à cet effet par l’article 60 § 1 du règlement.

Dans ces circonstances, la Cour estime que le requérant n’a pas satisfait aux obligations qui lui incombaient aux termes de l’article 60 du règlement. Aucune demande de satisfaction équitable n’ayant été valablement formulée, la Cour considère qu’il n’y a pas lieu d’octroyer au requérant une indemnité à ce titre.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1.  Déclare, à l’unanimité, la requête recevable quant au grief tiré de la violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait de la non-communication au requérant ou à son conseil du rapport du conseiller rapporteur, avant l’audience publique devant la Cour de cassation, alors que ce document a été fourni à l’avocat général ;

2.  Déclare, à la majorité, la requête irrecevable pour le surplus ;

3.  Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de ce que ni le requérant ni son conseil ne reçurent communication, avant l’audience devant la Cour de cassation, du rapport du conseiller rapporteur alors que ce document a été fourni à l’avocat général ;

4.  Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’appliquer l’article 41 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 novembre 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. NaismithA.B. Baka
Greffier adjointPrésident

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Textes cités dans la décision

  1. Code pénal
  2. Code de procédure pénale
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CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE LOUIS c. FRANCE, 14 novembre 2006, 44301/02