CJCE, n° T-177/95, Arrêt du Tribunal, Patrick Barraux et Klaus Kammerichs et Vittorino Tebaldi contre Commission des Communautés européennes, 11 décembre 1996

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CJUE, Tribunal de première instance, 11 déc. 1996, Barraux e.a. / Commission, T-177/95
Numéro(s) : T-177/95
Arrêt du Tribunal de première instance (quatrième chambre) du 11 décembre 1996. # Patrick Barraux et Klaus Kammerichs et Vittorino Tebaldi contre Commission des Communautés européennes. # Fonctionnaires - Coefficient correcteur spécifique. # Affaire T-177/95.
Date de dépôt : 28 septembre 1995
Solution : Recours de fonctionnaires : rejet sur le fond
Identifiant CELEX : 61995TJ0177
Identifiant européen : ECLI:EU:T:1996:187
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Texte intégral

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

11 décembre 1996 ( *1 )

«Fonctionnaires – Coefficient correcteur spécifique»

Dans l’affaire T-177/95,

Patrick Barraux, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Karlsruhe (Allemagne),

Klaus Kammerichs, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Stutensee (Allemagne),

Vittorino Tebaldi, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Marxzell-Burbach (Allemagne),

représentés par Mes Jean-Noël Louis, Thierry Demaseure, Véronique Leclercq et Ariane Tornei, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la fiduciaire Myson SARL, 1, rue Glesener,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. Gianluigi Valsesia, conseiller juridique principal, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse.

soutenue par

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. Yves Cretien, conseiller juridique, Antonio Lucidi et Diego Canga Fano, membres du service juridique, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Bruno Eynard, directeur général de la direction des affaires juridiques de la Banque européenne d’investissement, 100, boulevard Konrad Adenauer,

et

République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. Ernst Röder, Ministerialrat au ministère fédéral de l’Économie, et Bernd Kloke, Oberregierungsrat au même ministère, et Mme Sabine Maass, Regierungsrätin au même ministère, en qualité d’agents, ministère fédéral de l’Économie, Bonn,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande d’annulation des bulletins de rémunération portant rappel pour la période comprise entre le 1er juillet et le 31 décembre 1994 en vertu du règlement (CECA, CE, Euratom) no 3161/94 du Conseil, du 19 décembre 1994, adaptant, à partir du 1er juillet 1994, les rémunérations et les pensions des fonctionnaires et autres agents des Communautés européennes ainsi que les coefficients correcteurs dont sont affectées ces rémunérations et pensions (JO L 335, p. 1), pour autant que ces bulletins font application rétroactive d’un coefficient correcteur spécifique pour Karlsruhe fixé à 99,8,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de M. K. Lenaerts, président, Mme P. Lindh et M. J. D. Cooke, juges,

greffier: M. J. Palacio Gonzalez, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 24 octobre 1996,

rend le présent

Arrêt

Faits et procédure

1

L’article 63, premier alinéa, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «statut») dispose: «La rémunération du fonctionnaire est exprimée en francs belges. Elle est payée dans la monnaie du pays où le fonctionnaire exerce ses fonctions.»

2

Afin que tous les fonctionnaires bénéficient, indépendamment de leur lieu d’affectation, d’un pouvoir d’achat équivalent pour la rémunération qu’ils perçoivent, l’article 64, premier alinéa, du statut prévoit que «la rémunération du fonctionnaire exprimée en francs belges […] est affectée d’un coefficient correcteur supérieur, inférieur ou égal à 100 %, selon les conditions de vie aux différents lieux d’affectation». L’article 64, deuxième alinéa, du statut précise que ces coefficients sont fixés par le Conseil statuant sur proposition de la Commission.

3

L’article 65 du statut concerne le niveau des rémunérations. Il prévoit, dans son paragraphe 1, la procédure et les modalités de l’examen annuel de ce niveau et, le cas échéant, de son adaptation. Aux termes de l’article 65, paragraphe 2, du statut, «en cas de variation sensible du coût de la vie, le Conseil décide, dans un délai maximal de deux mois, des mesures d’adaptation des coefficients correcteurs et, le cas échéant, de leur effet rétroactif».

4

L’article 9 de l’annexe XI du statut prévoit que «sur la base d’un rapport de l’Office statistique et lorsque des éléments objectifs font apparaître une distorsion sensible du pouvoir d’achat dans un lieu déterminé par rapport à celui constaté dans la capitale de l’État membre concerné, le Conseil, sur proposition de la Commission et conformément à l’article 64, deuxième alinéa, du statut, décide la fixation d’un coefficient correcteur pour ce lieu» (ci-après «coefficient correcteur spécifique»).

5

Les requérants sont des fonctionnaires de la Commission affectés à l’Institut européen des transuraniens à Karlsruhe (Allemagne).

6

Par arrêt du 27 octobre 1994, Chavane de Dalmassy e.a./Commission (T-64/92, RecFP p. II-723), le Tribunal a annulé des bulletins de rémunération de fonctionnaires affectés à Karlsruhe pour autant qu’ils faisaient application du règlement (CECA, CEE, Euratom) no 3834/91 du Conseil, du 19 décembre 1991, adaptant à compter du 1er juillet 1991 les rémunérations et les pensions des fonctionnaires et autres agents des Communautés européennes ainsi que les coefficients correcteurs dont sont affectées ces rémunérations et pensions (JO L 361, p. 13). Le Tribunal a constaté que l’article 6, paragraphe 2, de ce règlement violait le principe, énoncé à l’annexe XI du statut, d’une fixation du coefficient correcteur d’un État membre par référence au coût de la vie dans la capitale, dans la mesure où il fixait un coefficient correcteur provisoire pour l’Allemagne sur la base du coût de la vie à Bonn bien que Berlin soit devenue la nouvelle capitale depuis le 1er octobre 1990.

7

A la suite d’une proposition de la Commission du 14 novembre 1994, le Conseil a adopté le règlement (CECA, CE, Euratom) no 3161/94, du 19 décembre 1994, adaptant, à partir du 1er juillet 1994, les rémunérations et les pensions des fonctionnaires et autres agents des Communautés européennes ainsi que les coefficients correcteurs dont sont affectées ces rémunérations et pensions (JO L 335, p. 1, ci-après «règlement no 3161/94»). Il est entré en vigueur le 24 décembre 1994. Il a remplacé le règlement (Euratom, CECA, CE) no 3608/93 du Conseil, du 20 décembre 1993, adaptant, à partir du 1er juillet 1993, les rémunérations et les pensions des fonctionnaires et autres agents des Communautés européennes ainsi que les coefficients correcteurs dont sont affectées ces rémunérations et pensions (JO L 328, p. 1, ci-après «règlement no 3608/93»), qui avait établi par référence au coût de la vie à Bonn un coefficient correcteur de 99,8 pour l’Allemagne et des coefficients correcteurs spécifiques de 113 pour Berlin et de 110,6 pour Munich.

8

L’article 6, paragraphe 1, du règlement no 3161/94 fixe, avec effet au 1er juillet 1994 et par référence au coût de la vie à Berlin, un coefficient correcteur pour l’Allemagne de 111,4. Le même article prescrit un coefficient correcteur spécifique de 99,8 applicable à la rémunération des fonctionnaires affectés à Karlsruhe.

9

Le 29 décembre 1994, la Commission a établi, en application du règlement no 3161/94, les bulletins de rémunérations des requérants portant rappel pour la période comprise entre le 1er juillet et le 31 décembre 1994.

10

Ces bulletins ont été transmis aux requérants au début du mois de janvier 1995.

11

Par lettre du 28 mars 1995, les requérants ont introduit une réclamation au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut, à l’encontre desdits bulletins.

12

Par décision du 19 juillet 1995, communiquée aux requérants par lettre du 24 juillet 1995, le directeur général du personnel et de l’administration de la Commission a rejeté cette réclamation.

13

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 septembre 1995, les requérants ont introduit le présent recours.

14

Par requêtes déposées au greffe du Tribunal respectivement le 29 novembre 1995 et le 9 février 1996, le Conseil et la République fédérale d’Allemagne ont demandé à intervenir à l’appui des conclusions de la Commission, ce que le président de la quatrième chambre du Tribunal a admis par ordonnances du 28 mars 1996.

Conclusions des parties

15

Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal:

annuler les bulletins de rémunération des requérants pour la période comprise entre le 1er juillet et le 31 décembre 1994;

condamner la partie défenderesse à payer aux requérants la rémunération à laquelle ils ont droit, majorée des intérêts moratoires calculés au taux de 8 % l’an depuis la date d’exigibilité jusqu’au paiement à intervenir;

condamner la partie défenderesse aux dépens.

16

La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal:

rejeter le recours comme non fondé;

statuer comme de droit sur les dépens.

17

Le Conseil, partie intervenante, soutient les conclusions de la Commission.

18

La République fédérale d’Allemagne, partie intervenante, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal rejeter le recours.

Sur le fond

Arguments des parties

19

Les requérants invoquent en substance un moyen unique tiré de l’illégalité du règlement no 3161/94, en ce qu’il violerait, d’une part, les articles 64 et 65 du statut et l’article 9 de l’annexe XI du statut, qui consacrent le principe d’égalité de traitement et de non-discrimination entre fonctionnaires, et, d’autre part, les principes de sécurité juridique, de confiance légitime et de respect des droits acquis, ainsi que le principe «nemo auditur propriam turpitudinem allegans» (nul n’est recevable à invoquer sa propre turpitude).

20

Le règlement no 3161/94 serait entaché d’une illégalité dans la mesure où il a établi, avec effet rétroactif au 1er juillet 1994, un coefficient correcteur spécifique de 99,8 applicable aux rémunérations des fonctionnaires affectés à Karlsruhe, alors qu’il ressortirait du principe de l’équivalence du pouvoir d’achat énoncé à l’article 64 du statut que le Conseil est tenu, dès qu’il constate une distorsion du coût de la vie dans le lieu d’affectation d’un fonctionnaire par rapport à celui de la capitale du pays de l’affectation, de fixer immédiatement un coefficient correcteur spécifique. Le Conseil ne disposerait à cet égard d’aucune marge d’appréciation quant à l’opportunité d’une telle mesure (arrêt de la Cour du 23 janvier 1992, Commission/Conseil, C-301/90, Rec. p. I-221).

21

Le délai maximal de deux mois dont le Conseil dispose en vertu de l’article 65, paragraphe 2, du statut pour décider des mesures d’adaptation des coefficients correcteurs et de leur effet rétroactif en cas de variation sensible du coût de la vie ne serait applicable, en vertu de l’article 85 du statut et du principe de confiance légitime, que dans la mesure où une telle adaptation n’entraîne pas de réduction de rémunération pour les fonctionnaires concernés.

22

De la même manière, les principes de sécurité juridique et de respect des droits acquis s’opposeraient à ce que le coefficient correcteur spécifique, lorsqu’il entraîne une réduction des rémunérations des fonctionnaires concernés, soit appliqué avec un effet rétroactif. Or, en l’espèce, l’application du règlement no 3161/94 aurait provoqué une telle réduction, dans la mesure où les requérants n’ont pas perçu des rémunérations calculées par rapport au coût de la vie à Berlin. La Commission se serait pourtant engagée par lettre du 21 février 1992 de son directeur général du personnel et de l’administration à M. Chavane de Dalmassy, président de l’Union syndicale à Karlsruhe, à étendre les effets de l’arrêt du Tribunal Chavane de Dalmassy e.a./Commission, précité, à tous les bulletins de rémunération établis entre le 1er janvier 1992 et le 1er janvier 1995. A défaut d’un coefficient correcteur spécifique pour Karlsruhe, lequel n’a été établi qu’au moment de l’adoption du règlement no 3161/94, les requérants auraient ainsi eu droit à l’application du coefficient correcteur pour l’Allemagne, établi par référence au coût de la vie à Berlin.

23

Enfin, le principe de droit «nemo auditur propriam turpitudinem allegans» aurait dû empêcher le Conseil de fixer un coefficient correcteur spécifique pour Karlsruhe le 19 décembre 1994 avec effet rétroactif à partir du 1er juillet 1994. En effet, le Conseil aurait disposé au plus tard le 4 septembre 1991, date d’établissement par la Commission d’une proposition de règlement SEC (91) 1612 final prévoyant la fixation d’un coefficient correcteur spécifique pour Karlsruhe, de tous les éléments objectifs qui lui auraient permis de constater la distorsion sensible du coût de la vie à Karlsruhe par rapport à Berlin.

24

La Commission rétorque que, à partir du moment où le coefficient correcteur de l’Allemagne était fixé par référence au coût de la vie à Berlin par le règlement no 3161/94, il était indispensable de déterminer en même temps un coefficient correcteur spécifique pour Karlsruhe, eu égard à la distorsion sensible du coût de la vie entre les deux villes et à l’exigence du maintien d’un pouvoir d’achat équivalent pour tous les fonctionnaires, conformément au principe de l’égalité de traitement (arrêt Commission/Conseil, précité). De cette façon, il serait satisfait, à la fois aux dispositions de l’article 9 de l’annexe XI du statut et aux considérations exprimées par le Tribunal dans l’arrêt Chavane de Dalmassy e.a./Commission (précité, point 56).

25

Par ailleurs, la fixation d’un tel coefficient correcteur spécifique de 99,8 pour Karlsruhe n’aurait causé aucune réduction abusive du coefficient correcteur applicable aux fonctionnaires concernés, puisqu’il correspondait au niveau précédemment applicable pour l’Allemagne sur la base du règlement no 3608/93. Ainsi, les bulletins de rémunération qui font l’objet du présent recours ne constitueraient pas une mesure de récupération. Au contraire, ils démontreraient que les requérants ont perçu, comme rappel, des montants variables selon leur position individuelle, au titre des adaptations salariales afférentes au deuxième semestre 1994.

26

La Commission rappelle également que le Conseil, en adoptant le règlement en cause, devait respecter le cadre temporel imposé par l’article 3, paragraphe 1, de l’annexe XI du statut, de sorte qu’il ne pouvait fixer des coefficients correcteurs que pour la seule période annuelle qui lui était ouverte, en l’occurrence l’aimée 1994, prenant effet au 1er juillet 1994.

27

Selon elle, en l’absence d’une rupture d’un engagement quelconque de la part des institutions communautaires, les requérants ne sauraient se prévaloir d’une violation de leur confiance légitime par le Conseil. Dans ce contexte, la lettre du directeur général du personnel et de l’administration de la Commission, à laquelle se réfèrent les requérants dans leur réplique, se limiterait à confirmer que la Commission prenait l’engagement, dans le cadre d’une procédure précontentieuse, d’étendre les effets de sa réponse à une réclamation relative à l’application du coefficient correcteur dans les bulletins de rémunération de janvier 1992 aux bulletins des mois suivants, afin d’éviter le dépôt de réclamations répétitives dans l’attente d’une prise de position de la Commission. Un tel engagement aurait dès lors été limité à l’aboutissement de la procédure précontentieuse. En tout état de cause, la Commission insiste sur le fait que l’objet du présent litige ne concerne pas l’application éventuelle du coefficient correcteur, établi par référence au coût de la vie à Berlin, aux rémunérations des requérants pour la période comprise entre le 1er janvier 1992 et le 1er janvier 1995, mais a seulement trait au contrôle de la légalité du règlement no 3161/94 en ce qu’il introduit, avec effet au 1er juillet 1994, un coefficient correcteur spécifique applicable aux rémunérations des fonctionnaires affectés à Karlsruhe.

28

Quant à la méconnaissance des droits acquis, la Commission fait valoir que les requérants n’ont pas démontré en quoi elle consisterait, étant souligné que le présent recours concerne un domaine qui comporte une constante adaptation en fonction des variations de la situation économique (voir arrêt du Tribunal du 22 juin 1994, Di Marzio et Lebedef/Commission, T-98/92 et T-99/92, RecFP p. II-541). A cet égard, l’argument des requérants selon lequel l’application rétroactive d’un coefficient correcteur spécifique ne se justifie que dans le cas où ses effets sont favorables aux fonctionnaires concernés manquerait de tout fondement. Une telle règle ne ressortirait pas de l’arrêt Commission/Conseil, précité. Au surplus, les requérants n’auraient subi aucune réduction de leur rémunération ni aucune récupération rétroactive de montants déjà liquidés. Au cas où les requérants allégueraient qu’ils auraient subi un préjudice salarial dans la mesure où, en l’absence de coefficient spécifique pour Karlsruhe, ils auraient dû bénéficier du coefficient correcteur déterminé par référence à Berlin si le Conseil l’avait déterminé en 1990, la Commission fait valoir qu’un tel argument constituerait un abus de droit caractérisé. A cet égard, elle souligne que, si le Conseil avait à l’époque fixé le coefficient correcteur en cause par référence à Berlin, il aurait simultanément fixé un coefficient correcteur spécifique pour Karlsruhe, compte tenu de la distorsion du coût de la vie entre les deux villes.

29

La Commission est dès lors d’avis que le règlement no 3161/94 n’est entaché d’aucune illégalité, le dispositif de son article 6, paragraphe 1, étant conforme aux articles 64 et 65 du statut ainsi qu’aux dispositions pertinentes de son annexe XI.

30

Le Conseil, partie intervenante, sans formuler une conclusion à cet égard, invite le Tribunal à examiner d’office la question de savoir si le présent recours n’est pas irrecevable en ce qu’il tend à titre principal à faire constater l’illégalité du règlement no 3161/94, alors qu’une exception d’illégalité ne pourrait être soulevée que de manière incidente (voir arrêts de la Cour du 16 juillet 1981, Albini/Conseil et Commission, 33/80, Rec. p. 2141, points 14 à 17, du 11 juillet 1985, Salerno e.a./Commission et Conseil, 87/77, 130/77, 22/83, 9/84 et 10/84, Rec. p. 2523, point 36).

31

Il fait également valoir qu’il n’a pas adopté la proposition de la Commission du 4 septembre 1991 pour des raisons autres qu’un refus de fixer un coefficient correcteur spécifique pour Karlsruhe et que cette proposition de la Commission avait un objet différent de la proposition de la Commission qui a donné lieu au règlement no 3161/94. En conséquence, l’argument tiré du principe «nemo auditur propriam turpitudinem allegans» ne vaudrait pas en l’espèce. En effet, la thèse implicite contenue dans cet argument impliquerait que, une fois que le Conseil n’a pas adopté une proposition A, il ne peut plus adopter une proposition B différente, ce qui irait à l’encontre du pouvoir de décision que le traité lui confère.

Appréciation du Tribunal

Sur l’objet du recours

32

Le présent recours en annulation est dirigé contre les bulletins de rémunération des requérants portant rappel pour la période comprise entre le 1er juillet et le 31 décembre 1994 (voir ci-dessus point 9), même si les conclusions des requérants se réfèrent aux «bulletins de rémunération des requérants pour la période comprise entre le 1er juillet et le 31 décembre 1994» (voir ci-dessus point 15). En effet, ces derniers bulletins n’ont pas fait l’objet d’une réclamation et, lors de l’audience, en réponse à une question du Tribunal, le représentant des requérants a déclaré qu’il les considérait comme légaux, dans la mesure où ils avaient été établis en conformité avec la législation applicable à l’époque. Cette lecture des conclusions des requérants est, en outre, confirmée par les points 20 et 21 de la requête, rédigés dans les termes suivants: «C’est en application [du] règlement [no 3161/94] que la Commission a établi les bulletins de rémunération des requérants portant rappel poutia période comprise entre le 1er juillet et le 31 décembre 1994. Les bulletins de rémunération attaqués font pour la première fois application, avec effet rétroactif au 1er juillet 1994, d’un coefficient correcteur spécifique pour Karlsruhe fixé à 99,8.» La réclamation des requérants (voir ci-dessus point 11) avait d’ailleurs le même objet.

33

Au vu de cette précision de l’objet du recours, il n’apparaît pas nécessaire de s’interroger sur la recevabilité du recours, ainsi que le Conseil l’a suggéré au Tribunal.

Sur le moyen unique invoqué par les requérants

34

Le principe de l’équivalence du pouvoir d’achat s’impose au titre de l’article 64 du statut. Il vise à assurer à tous les fonctionnaires une rémunération comportant le même pouvoir d’achat, quel que soit le lieu d’affectation (arrêt de la Cour du 13 juillet 1978, Jacquemart/Commission, 114/77, Rec. p. 1697). A cette fin, la rémunération des fonctionnaires est affectée d’un coefficient correcteur supérieur, inférieur ou égal à 100 %, selon les conditions de vie aux différents lieux d’affectation.

35

La mise en œuvre de ce principe ne s’articule pas seulement sur la base de cet article, mais également sur la base des articles 63, 65 et 65 bis du statut, ce dernier prévoyant que les modalités d’application des articles 64 et 65 sont définies à l’annexe XL Ces articles sont tous situés au même niveau de la hiérarchie des normes que l’article 64 du statut et doivent donc également être pris en considération pour déterminer le contenu et la portée du principe de l’équivalence du pouvoir d’achat.

36

L’article 65, paragraphe 1, premier alinéa, du statut oblige le Conseil à procéder annuellement à un examen du niveau des rémunérations. Cet examen comporte non seulement une évaluation du niveau des rémunérations des fonctionnaires communautaires par rapport aux traitements des fonctionnaires nationaux, mais également une évaluation des équivalences du pouvoir d’achat entre les rémunérations des fonctionnaires communautaires affectés à des lieux différents. Il est effectué, aux termes du même article, sur la base d’un rapport présenté par la Commission et fondé sur la situation au 1er juillet. En vertu de l’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, de l’annexe XI du statut, ce rapport porte notamment sur l’évolution du coût de la vie à Bruxelles et sur les parités économiques entre Bruxelles et les autres lieux d’affectation dans les États membres. Il est établi chaque année avant la fin du mois de septembre par l’Office statistique des Communautés européennes (ci-après «Office statistique»).

37

En application des articles 1er, paragraphe 3, sous a), et 9 de l’annexe XI du statut, un coefficient correcteur spécifique peut être fixé sur la base de ce rapport qui doit contenir à cette fin le calcul des parités économiques établissant les équivalences de pouvoir d’achat entre les rémunérations payées aux fonctionnaires des Communautés européennes en service à l’intérieur des États membres dans les capitales et dans certains autres lieux d’affectation, par référence à Bruxelles.

38

Les articles 65, paragraphe 1, premier alinéa, du statut et 1er, paragraphe 1, premier alinéa, et 3, paragraphe 1, de l’annexe XI du statut imposent un cadre temporel précis au Conseil pour procéder à cet examen annuel des rémunérations.

39

Ainsi, avant la fin de chaque année, il doit décider sur la base du rapport établi par l’Office statistique avant la fin du mois de septembre, s’il y a lieu de fixer ou d’adapter le niveau des rémunérations ou les coefficients correcteurs et les coefficients correcteurs spécifiques. Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de l’annexe XI du statut, cette décision prend effet le 1er juillet, parce que la période de référence sur laquelle le rapport de l’Office statistique se fonde est, en vertu de l’article 1er, paragraphe 1, deuxième alinéa, de l’annexe XI du statut, constituée par les douze mois précédant le 1er juillet de l’année au cours de laquelle l’examen est effectué.

40

Ce n’est qu’en cas de variation sensible du coût de la vie par rapport aux données disponibles au moment de l’examen annuel du niveau des rémunérations en septembre et en tenant compte d’une prévision de l’évolution du pouvoir d’achat durant la période de référence annuelle en cours, laquelle est établie au mois de mars de chaque année en vertu de l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de l’annexe XI, que le Conseil peut procéder à des adaptations intermédiaires en vertu de l’article 65, paragraphe 2, du statut. Dans une telle situation, la Commission doit transmettre une proposition en ce sens au Conseil, en vertu de l’article 4, paragraphe 2, de l’annexe XI du statut, au plus tard au cours de la deuxième quinzaine du mois d’avril. Le Conseil dispose d’un délai maximal de deux mois pour adopter lesdites mesures, lesquelles, conformément à l’article 4, paragraphe 1, de l’annexe XI du statut, prennent effet le 1er janvier.

41

Il ressort de tous ces éléments que la mise en œuvre du principe de l’équivalence du pouvoir d’achat se fait, en principe, par une adaptation annuelle des coefficients correcteurs et des coefficients correcteurs spécifiques et que ce n’est qu’exceptionnellement, en cas d’évolution sensible du coût de la vie, qu’une adaptation intermédiaire intervient.

42

Il résulte des articles 3, paragraphe 1, et 4, paragraphe 1, de l’annexe XI du statut, laquelle a été ajoutée à celui-ci par le règlement (CECA, CEE, Euratom) no 3830/91 du Conseil, du 19 décembre 1991, modifiant le statut des fonctionnaires des Communautés européennes et le régime applicable aux autres agents de ces Communautés en ce qui concerne les modalités d’adaptation des rémunérations (JOL 361, p. 1), que les coefficients correcteurs et les coefficients correcteurs spécifiques reçoivent, en principe, un effet rétroactif. En effet, l’article 3, paragraphes de l’annexe XI du statut prévoit que les mesures annuelles d’adaptation des rémunérations prennent effet le 1er juillet, alors qu’elles ne peuvent pas être adoptées, comme il vient d’être relevé, avant la fin du mois de septembre. Quant aux mesures d’adaptation intermédiaire, elles prennent effet, aux termes de l’article 4, paragraphe 1, de l’annexe XI du statut, le 1er janvier, alors qu’elles ne peuvent être adoptées qu’après établissement par l’Office statistique, au mois de mars, de la prévision de l’évolution du pouvoir d’achat et après transmission par la Commission d’une proposition en ce sens, au plus tard au cours de la deuxième quinzaine du mois d’avril.

43

Il s’ensuit que l’argument des requérants selon lequel le principe de l’équivalence du pouvoir d’achat imposerait au Conseil l’obligation de fixer «immédiatement» le coefficient correcteur spécifique, après avoir constaté une distorsion sensible du coût de la vie, ne saurait être accueilli. De même, les requérants ne sauraient prétendre que le Conseil ne peut accorder un effet rétroactif à la fixation d’un nouveau coefficient correcteur que dans le cas où celui-ci conduit à une augmentation des rémunérations déjà perçues, car aucune disposition statutaire ne contient cette limitation.

44

Néanmoins, il convient encore d’examiner si, comme le prétendent les requérants, l’effet rétroactif au 1er juillet 1994 du règlement no 3161/94 ne porte pas atteinte en l’espèce aux principes de sécurité juridique, de confiance légitime et de respect des droits acquis.

45

Selon une jurisprudence constante, si, en règle générale, le principe de la sécurité des situations juridiques s’oppose à ce que la portée dans le temps d’un acte communautaire voie son point de départ fixé à une date antérieure à sa publication, il peut en être autrement, à titre exceptionnel, lorsque le but à atteindre l’exige et lorsque la confiance légitime des intéressés est dûment respectée (voir, notamment, arrêt de la Cour du 11 juillet 1991, Crispoltoni, C-368/89, Rec. p. I-3695, point 17).

46

En l’espèce, le but recherché par l’adoption du règlement litigieux, à savoir le respect du principe de l’équivalence du pouvoir d’achat, exige qu’il obtienne un effet rétroactif. En effet, il n’est possible de constater une évolution dans le coût de la vie qu’après que celle-ci a eu lieu, de sorte que le respect dudit principe ne peut être assuré que d’une manière rétroactive (voir arrêt Commission/Conseil, précité, point 29).

47

En ce qui concerne la confiance légitime, il convient de relever, comme l’a fait la Commission, que, selon une jurisprudence constante, un fonctionnaire ne peut se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime pour s’opposer à la légalité d’une disposition réglementaire nouvelle, surtout dans un domaine dont l’objet comporte une constante adaptation en fonction des variations de la situation économique (voir, entre autres, arrêt Di Marzio et Lebedef/Commission, précité, point 68).

48

En l’espèce, le caractère variable dans le temps des rémunérations des fonctionnaires communautaires ressort clairement des dispositions statutaires.

49

En outre, les mêmes dispositions annoncent le principe de l’effet rétroactif des mesures à prendre pour assurer le maintien de l’équivalence du pouvoir d’achat en ce qu’elles prévoient que l’adaptation annuelle du niveau des rémunérations prendra toujours effet le 1er juillet de l’année en cours alors même que le Conseil y procède après cette date.

50

Enfin, les requérants n’ont pas établi, comme l’exige la jurisprudence (voir, en dernier lieu, arrêt du Tribunal du 11 juillet 1996, Ortega Urretavizcaya/Commission, T-587/93, RecFP p. II-1027, point 57), que la Commission, en leur donnant des assurances précises, a fait naître dans leur esprit des espérances fondées d’obtenir pour la période concernée l’application du coefficient correcteur pour l’Allemagne établi par référence au coût de la vie à Berlin. En effet, la lettre du 21 février 1992 citée par les requérants (voir ci-dessus point 22) n’engage en aucun cas la Commission à appliquer à la rémunération des fonctionnaires affectés à Karlsruhe, pour la période litigieuse comprise entre le 1er juillet et le 31 décembre 1994, le coefficient correcteur pour l’Allemagne établi par référence au coût de la vie à Berlin à la suite de l’arrêt Chavane de Dalmassy e.a./Commission, précité.

51

D’ailleurs, les requérants ne peuvent pas tirer de cet arrêt le droit d’obtenir une rémunération fixée pour la période concernée sur la base du coefficient correcteur pour l’Allemagne établi par référence au coût de la vie à Berlin. En effet, au point 56 de cet arrêt, le Tribunal a observé que le Conseil aurait dû fixer, d’une part, un coefficient correcteur pour l’Allemagne sur la base du coût de la vie à Berlin et, d’autre part, des coefficients correcteurs spécifiques pour les différents lieux d’affectation dans ce pays où une distorsion sensible du pouvoir d’achat aurait été constatée par rapport au coût de la vie dans la capitale, Berlin.

52

Par conséquent, dans son arrêt Chiavane de Dalmassy e.a./Commission, précité, le Tribunal avait déjà prévu que le principe de l’équivalence du pouvoir d’achat pouvait exiger que le Conseil, en exécutant ledit arrêt, adopte des coefficients correcteurs spécifiques à partir du moment où le coefficient correcteur pour l’Allemagne serait fixé par rapport au coût de la vie à Berlin. Les requérants ne sauraient donc se prévaloir de cet arrêt pour réclamer, pour la période litigieuse, la protection de leur confiance légitime en une fixation des rémunérations sur la base du coefficient correcteur pour l’Allemagne établi par référence au coût de la vie à Berlin. Le règlement no 3161/94 constitue en effet la mise en œuvre du point 56 de l’arrêt Chavane de Dalmassy e.a./Commission, précité, à partir de la date prévue par les dispositions statutaires applicables, à savoir le 1er juillet 1994. Ainsi, le Conseil a précisément appliqué le principe de l’équivalence du pouvoir d’achat, et donc de l’égalité de traitement. II a évité que les fonctionnaires affectés à Karlsruhe bénéficient d’un avantage indu, contraire à ce principe, en percevant des rémunérations affectées d’un coefficient correcteur pour l’Allemagne établi par référence au coût de la vie à Berlin, qui est sensiblement plus élevé que le coût de la vie à Karlsruhe.

53

Au surplus et en tout état de cause, les requérants ne peuvent prétendre que leurs droits acquis ont été violés par le règlement no 3161/94. En effet, les bulletins de rémunération portant rappel pour la période comprise entre le 1er juillet et le 31 décembre 1994 n’ont opéré aucun rappel négatif en raison de l’application du règlement no 3161/94. Celui-ci a effectivement fixé un coefficient correcteur spécifique pour Karlsruhe de 99,8, lequel correspond très exactement au coefficient correcteur pour l’Allemagne établi précédemment par référence au coût de la vie à Bonn, sur la base duquel les bulletins de rémunération des requérants pour la période du 1er juillet au 31 décembre 1994 avaient été établis, sans être contestés par eux (voir ci-dessus point 32). Il convient d’ajouter que, dans la mesure où les requérants prétendent en réalité, pour la période litigieuse, à l’application du coefficient correcteur pour l’Allemagne établi par référence au coût de la vie à Berlin, cette prétention méconnaît d’une manière flagrante le principe de l’équivalence du pouvoir d’achat, puisque les coûts de la vie à Karlsruhe sont considérablement moins élevés qu’à Berlin. Il s’ensuit qu’ils ne peuvent affirmer de bonne foi que le principe de l’équivalence du pouvoir d’achat tend à leur accorder le droit à l’application à leurs rémunérations du coefficient correcteur pour l’Allemagne établi par référence au coût de la vie à Berlin.

54

Dans ces conditions, le Conseil, en adoptant le règlement no 3161/94, n’a violé ni le principe de la sécurité des situations juridiques ni le principe du respect des droits acquis, mais a au contraire fait une juste application du principe de l’équivalence du pouvoir d’achat dans le cadre temporel tracé par les dispositions statutaires applicables.

55

Enfin, l’argument selon lequel le principe de droit «nemo auditor propriam turpitudinem allegane» empêcherait le Conseil d’adopter le règlement no 3161/94 avec effet rétroactif au 1er juillet 1994, n’est pas non plus pertinent. Ce règlement ne concerne que la période du 1er juillet 1994 au 1er juillet 1995. Le fait que le Conseil était déjà au courant de la distorsion du coût de la vie entre Berlin et Karlsruhe à partir de 1991, mais n’a pas adopté pour l’année 1991/1992 un coefficient correcteur spécifique, n’a aucune incidence sur son pouvoir de fixer pour l’année 1994/1995 un tel coefficient, qui, en tout état de cause, est fondé sur d’autres données.

56

Il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté.

Sur les dépens

57

Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il a été conclu en

ce sens. Toutefois, selon l’article 88 du même règlement, dans des litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. Enfin, aux termes de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du même règlement, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. Il y a donc lieu de décider que chacune des parties requérantes, défenderesse et intervenantes supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête:

1)

Le recours est rejeté.

2)

Chacune des parties requérantes, défenderesse et intervenantes supportera ses propres dépens.

Lenaerts

Lindh

Cooke

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 décembre 1996.

Le greffier

H. Jung

Le président

K. Lenaerts


( *1 ) Langue de procédure: le français.

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CJCE, n° T-177/95, Arrêt du Tribunal, Patrick Barraux et Klaus Kammerichs et Vittorino Tebaldi contre Commission des Communautés européennes, 11 décembre 1996