CJCE, n° C-306/99, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Banque internationale pour l'Afrique occidentale SA (BIAO) contre Finanzamt für Großunternehmen in Hamburg, 15 novembre 2001

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 15 nov. 2001, BIAO, C-306/99
Numéro(s) : C-306/99
Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 15 novembre 2001. # Banque internationale pour l'Afrique occidentale SA (BIAO) contre Finanzamt für Großunternehmen in Hamburg. # Demande de décision préjudicielle: Finanzgericht Hamburg - Allemagne. # Quatrième directive 78/660/CEE - Comptes annuels de certaines formes de sociétés - Compétence de la Cour pour interpréter le droit communautaire dans un contexte où il n'est pas applicable directement - Provisions pour le risque résultant d'une garantie de crédit - Prise en compte de la situation individuelle du débiteur et de l'État où celui-ci est établi - Date à laquelle le risque doit ou peut être évalué et inscrit au bilan. # Affaire C-306/99.
Date de dépôt : 13 août 1999
Précédents jurisprudentiels : 25 juin 1992, Federconsorzi, C-88/91
Cour ( voir, notamment, arrêts du 18 octobre 1990, Dzodzi, C-297/88 et C-197/89
Kleinwort Benson ( C-346/93
Solution : Renvoi préjudiciel
Identifiant CELEX : 61999CC0306
Identifiant européen : ECLI:EU:C:2001:608
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Sur les parties

Texte intégral

Avis juridique important

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61999C0306

Conclusions de l’avocat général Jacobs présentées le 15 novembre 2001. – Banque internationale pour l’Afrique occidentale SA (BIAO) contre Finanzamt für Großunternehmen in Hamburg. – Demande de décision préjudicielle: Finanzgericht Hamburg – Allemagne. – Quatrième directive 78/660/CEE – Comptes annuels de certaines formes de sociétés – Compétence de la Cour pour interpréter le droit communautaire dans un contexte où il n’est pas applicable directement – Provisions pour le risque résultant d’une garantie de crédit – Prise en compte de la situation individuelle du débiteur et de l’État où celui-ci est établi – Date à laquelle le risque doit ou peut être évalué et inscrit au bilan. – Affaire C-306/99.


Recueil de jurisprudence 2003 page I-00001


Conclusions de l’avocat général


1. Le présent recours préjudiciel, formé par le Finanzgericht Hamburg (juridiction compétente en matière fiscale) (Allemagne), soulève une question importante, relative au domaine de compétence de la Cour de justice pour statuer sur les questions qui lui sont soumises par les juridictions nationales, et fournit à la Cour l’occasion de revenir sur sa jurisprudence Leur-Bloem et Giloy .

2. La juridiction a quo pose une série de questions détaillées relatives à l’interprétation de certaines dispositions techniques de la quatrième directive concernant les comptes de certaines sociétés . Toutefois, ces questions sont posées dans le cadre d’une procédure concernant le traitement comptable, à des fins fiscales – non couvertes par la directive – d’une provision inscrite au bilan d’un commerçant qui ne relève pas du champ d’application de la directive. Dans ces conditions, les dispositions de la directive ne sont applicables qu’en vertu d’une série de renvois complexes et de suppositions en droit national.

3. La procédure au principal concerne le calcul de l’impôt dû au titre de l’exercice 1989 par une succursale d’une banque française située à Hambourg. Ni les succursales ni les banques ne relèvent du champ d’application de la quatrième directive. Le montant de la taxe professionnelle due dépend de l’évaluation correcte d’une provision inscrite au bilan du 31 décembre 1989. Le cadre juridique national déterminant le revenu imposable du commerçant est pour l’essentiel le suivant:

— la loi allemande relative à la taxe professionnelle renvoie (sauf dispositions spécifiques) aux lois allemandes relatives à l’impôt sur le revenu et à l’impôt sur les sociétés;

— la loi allemande relative à l’impôt sur les sociétés renvoie (sauf dispositions spécifiques) à la loi allemande relative à l’impôt sur le revenu;

— la loi allemande relative à l’impôt sur le revenu renvoie (sauf dispositions spécifiques) aux «principes d’une comptabilité régulière du droit commercial»;

— on suppose que ce concept renvoie aux principes en matière de bilan figurant dans le code de commerce, communs à tous les commerçants;

— on suppose que certaines de ces règles ont été adoptées en transposition en droit national des dispositions litigieuses de la quatrième directive, s’agissant non seulement des commerçants rentrant dans le champ d’application de la directive, mais également en ce qui concerne tous les autres commerçants.

4. À nos yeux, il convient de se demander – et la juridiction nationale a explicitement déféré à la Cour trois questions concernant la recevabilité – si, dans ce contexte, la Cour est compétente pour interpréter certaines dispositions de la quatrième directive.

Les questions posées à la Cour

5. Les questions soumises par le Finanzgericht Hamburg à la Cour se lisent comme suit:

«I. Compétence de la Cour de justice

La Cour de justice est-elle compétente, dans le cadre de la procédure préjudicielle instituée à l’article 177 du traité CE (devenu article 234 CE dans la version du traité d’Amsterdam du 2 octobre 1997, entré en vigueur le 1er mai 1999), pour interpréter la quatrième directive du Conseil, du 25 juillet 1978, concernant les comptes annuels de certaines formes de sociétés (directive 78/660/CEE; JO L 222, p. 11) non seulement en cas de doutes quant à l’application conforme à la directive de la législation nationale en matière de bilan des sociétés de capitaux (en l’occurrence les articles 264 et suivants du Handelsgesetzbuch: code de commerce allemand, ci-après HGB), mais également

1) dans la mesure où, lors de sa transposition en droit allemand (par le Bilanzrichtlinien-Gesetz: loi de transposition de la quatrième directive), des contenus de la quatrième directive ont été intégrés dans la législation nationale en matière de bilan commune à tous les commerçants (articles 238 et suivants du HGB), même si le texte de la loi n’a pas repris, en ce qui les concerne, le principe de l’image fidèle consacré dans le préambule et l’article 2 de la directive (contrairement au cas des sociétés de capitaux: voir les articles 264, paragraphe 2, et 289, paragraphe 1, du HGB);

2) dans la mesure où la législation fiscale nationale [en l’occurrence l’article 5, paragraphe 1, première phrase, de l’Einkommensteuergesetz (loi allemande relative à l’impôt sur le revenu, ci-après l’Estg) lu en combinaison avec l’article 8, paragraphe 1, du Körperschaftsteuergesetz (loi relative à l’impôt sur les sociétés, ci-après le Kstg) et l’article 7 du Gewerbesteuergesetz (loi relative à la taxe professionnelle, ci-après le GewStG)] admet l’applicabilité, aux fins de la détermination du bénéfice des commerçants qui établissent leur bilan, des principes d’une comptabilité régulière du droit commercial et

a) dans la mesure où ces principes sont régis par les dispositions harmonisées (par la loi de transposition de la quatrième directive) communes à tous les commerçants (articles 238 et suivants du HGB), ou

b) dans la mesure où les règles spéciales en matière de bilan des sociétés de capitaux (articles 264 et suivants du HGB) sont applicables;

3) dans la mesure où le droit fiscal interne se réfère, dans un autre contexte, à des concepts ou à des critères relevant de la législation en matière de bilan?

II. Inscription au bilan des risques de crédit

1) Lorsque des crédits extérieurs sont consentis, faut-il procéder, dans le bilan, à une correction de valeur afférente à un risque pays (risque de change ou de transfert) – et ce tant à l’actif par des amortissements de créances sur l’étranger [articles 19 et 39, paragraphe 1, sous b) et c), de la quatrième directive; article 253, paragraphes 3 et 4, du HGB] qu’au passif par des provisions (article 20, paragraphe 1, de la quatrième directive; article 249, paragraphe 1, première phrase, du HGB) – en ce qui concerne des engagements éventuels inscrits hors bilan découlant d’avals ou de garanties relatifs à des créances sur l’étranger détenues par des tiers (article 14 de la quatrième directive; article 251 du HGB; Risk Subparticipation Agreement)?

2) Est-il compatible avec la règle de l’évaluation séparée des postes du bilan [article 31, paragraphe 1, sous e), de la quatrième directive; article 252, paragraphe 1, point 3, du HGB], de tenir compte des risques non pas au moyen de pures et simples corrections de valeur ou de provisions séparées, mais de corrections de valeur ou de provisions globales, même si, dans un cas donné, un non-paiement du crédit n’est pas très probable:

a) le risque d’insolvabilité non manifeste, mais simplement latent peut-il être pris en compte au moyen d’une correction de valeur globale, et cela non seulement sous forme d’un amortissement de créance, mais également d’une provision pour engagement éventuel (découlant d’un aval ou d’une garantie)?

b) Un risque pays qui n’est pas très probable peut-il être pris en compte au moyen d’une correction de valeur globale par pays (correction de valeur séparée globalisée), et cela non seulement sous forme d’un amortissement de créance, mais également d’une provision pour engagement éventuel (découlant d’un aval ou d’une garantie)?

3) Est-il licite ou prescrit de déterminer le risque pays sur la base de relations personnelles, d’expériences et d’informations ou au moyen de données sectorielles ou de tableaux de notation financière, ou en recourant à une combinaison de ces méthodes ou à une autre méthode d’estimation?

4) Un risque peut-il être pris en compte également,

a) lorsqu’il existait déjà au moment de la conclusion de l’opération sous-jacente, et

b) qu’il est plusieurs fois supérieur au bénéfice ou aux revenus pouvant être retirés de cette opération (en l’occurrence la commission d’aval pour une période inférieure à un an)?

5) Le risque pays et le risque d’insolvabilité doivent-ils être, le cas échéant, pris en compte simultanément en ce qui concerne le même crédit au moyen d’une correction de valeur ou d’une provision, que ce soit en un seul montant ou séparément?

6) Une prise en compte combinée des risques est-elle admissible même lorsqu’un risque est évalué séparément et l’autre globalement?

7) Une double prise en compte des risques est-elle évitée de manière appropriée lorsque, après avoir tenu compte de l’un des risques, seul le montant du crédit diminué de ce risque est pris pour base de calcul de l’autre risque?

III. Réévaluation [Wertaufhellung]

1) Au-delà du libellé de l’article 31, paragraphe 1, sous c), bb), de la quatrième directive (article 252, paragraphe 1, point 4, premier membre de phrase du HGB), faut-il prendre en compte, aux fins de réévaluation, non seulement les augmentations, mais également les réductions de risque?

2) Le remboursement d’un crédit entre la date de clôture du bilan et la date d’établissement du bilan constitue-t-il un fait entraînant (rétroactivement) une réévaluation, et non un simple fait ayant une incidence sur la valeur seulement au cours de l’année de remboursement?

3) Peut-on se référer, lors de la réévaluation de risques relativement mineurs pour l’entreprise concernée, plutôt qu’à la période allant jusqu’à la signature du bilan ou jusqu’à l’arrêté des comptes annuels, à la date de clôture de l’évaluation du poste de bilan concerné?»

La quatrième directive sur le droit des sociétés

6. À l’origine , la quatrième directive devait être transposée dans l’ordre juridique allemand pour trois types de sociétés: l’Aktiengesellschaft (société anonyme), la Kommanditgesellschaft auf Aktien (société en commandite par actions) et la Gesellschaft mit beschränkter Haftung (société à responsabilité limitée) . La République fédérale d’Allemagne n’est pas tenue de transposer la directive en ce qui concerne les autres commerçants, en ce compris les succursales de sociétés enregistrées dans d’autres États membres . Par conséquent, la directive ne trouve pas application à la présente affaire.

7. En outre, la quatrième directive ne s’applique pas aux banques ni aux autres établissements financiers , qui relèvent d’une directive de coordination postérieure, la directive 86/635/CEE , non transposée en Allemagne à l’époque pertinente . En vertu de la directive 86/635/CEE, et sauf disposition contraire , certaines dispositions de la quatrième directive, dont celles en cause dans la présente affaire, s’appliquent aux banques et aux autres établissements financiers. Les succursales des établissements financiers ne relèvent pas du champ d’application de la directive 86/635 bien que, en vertu de la directive 89/117/CEE , qui devait être transposée avant le 1er janvier 1991 , elles soient tenues de publier les comptes de leur établissement financier . Les succursales ne peuvent être tenues de publier des comptes se rapportant à leur propre activité .

8. Le quatrième considérant du préambule de la quatrième directive dispose:

«Considérant que les comptes annuels doivent donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière ainsi que des résultats de la société […]»

9. L’article 2, paragraphe 3, se lit comme suit:

«Les comptes annuels doivent donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière ainsi que des résultats de la société.»

10. La Cour a dit pour droit que le respect du principe de l’image fidèle est l’objectif primordial de la quatrième directive .

11. La directive contient des dispositions concernant notamment le traitement comptable des engagements pris au titre d’une garantie (article 14), les corrections de valeur des éléments du bilan [articles 19 et 39, paragraphe 1, sous b) et sous c)], les provisions pour risques et charges (articles 20, paragraphe 1, et 42), l’évaluation séparée des postes de l’actif et du passif [article 31, paragraphe 1, sous e)] et l’évaluation des risques et des pertes connus après la date de clôture du bilan [article 31, paragraphe 1, sous c), bb)]. Certains, sinon la totalité des domaines couverts par ces dispositions sont concernés par la procédure au principal, même si leur utilité aux fins de la solution du litige est contestée.

La réglementation nationale relative aux comptes et la première question relative à la compétence

12. Dans son ordonnance de renvoi, la juridiction a quo expose que les dispositions de la législation allemande obligeant les commerçants à établir des comptes annuels sont divisées entre, d’une part, celles qui sont communes à tous les commerçants, et donc également aux succursales des sociétés (banques apparemment comprises) immatriculées dans d’autres États, et, d’autre part, celles qui trouvent application aux seules sociétés de capitaux.

13. Ces dispositions figurent dans le troisième livre du Handelsgesetzbuch (ci-après le «HGB», code de commerce) qui transpose la quatrième directive de telle sorte que certains éléments en sont incorporés à la première section (articles 238 à 263), commune à tous les commerçants, et d’autres à la deuxième section (articles 264 à 365), applicable de manière spécifique aux sociétés de capitaux.

14. Le principe de l'«image fidèle» consacré dans le préambule et à l’article 2 de la directive n’est pas repris expressément dans la première section du troisième livre du HGB, commune à tous les commerçants.

15. Les dispositions pertinentes de l’article 238, paragraphe 1, du HGB se lisent comme suit:

«Tout commerçant est tenu de tenir des livres de commerce et d’y retracer ses opérations commerciales ainsi que la situation de son patrimoine dans le respect des principes d’une comptabilité régulière. La comptabilité doit être tenue de manière à donner à un expert étranger à l’entreprise, dans un délai raisonnable, un aperçu de la situation de l’entreprise.»

16. L’article 239, paragraphe 2, du HGB énonce:

«Les inscriptions dans les livres et les indications requises par ailleurs doivent être effectuées de manière complète, exacte, ponctuelle et régulière.»

17. Aux termes des dispositions pertinentes de l’article 242, paragraphe 1, du HGB:

«Le commerçant doit, au début de son activité commerciale et à la fin de chaque exercice, établir des comptes (bilan d’ouverture, bilan) présentant son actif et ses dettes.»

18. L’article 243, paragraphes 1 et 2, du HGB prévoit:

«1) Les comptes annuels doivent être établis conformément aux principes d’une comptabilité régulière.

2) Ils doivent être clairs.»

19. La juridiction de renvoi expose que, quand bien même le principe de l'«image fidèle» n’aurait pas été repris expressément, les dispositions communes à tous les commerçants doivent être comprises comme signifiant que, en vertu de la première phrase de l’article 242, paragraphe 1, du HGB, le bilan doit donner une image exacte de l’actif et du passif.

20. Les dispositions spéciales relatives aux comptes annuels des sociétés de capitaux commencent à l’article 264 du HGB et adoptent explicitement le principe de l'«image fidèle».

21. L’article 264, paragraphe 2, du HGB dispose:

«Les comptes annuels des sociétés de capitaux doivent donner une image fidèle (ein den tatsächlichen Verhältnissen entsprechendes Bild) du patrimoine, de la situation financière ainsi que des résultats de la société, conformément aux principes d’une comptabilité régulière. Lorsque, du fait des circonstances particulières, les comptes annuels ne donnent pas une image fidèle au sens de la première phrase, des indications complémentaires doivent être fournies dans l’annexe.»

22. L’article 289, paragraphe 1, du HGB, dispose, dans la mesure pertinente en l’espèce:

«Le rapport de gestion doit présenter au moins la marche des affaires et la situation de la société de capitaux de manière à en donner une image fidèle (ein den tatsächlichen Verhältnissen entsprechendes Bild); à cet égard, il y a lieu également d’indiquer les risques pouvant surgir à l’avenir.»

23. La juridiction de renvoi relève l’existence de certains commentaires selon lesquels l’intention du législateur allemand était de transposer la quatrième directive dans le cadre de la seule deuxième section du troisième livre du HGB. Il n’en est pas moins admis que certaines règles de comptabilité, auparavant communes à tous les commerçants et également reflétées dans la directive, ont été intégrées à la première section du troisième livre du HGB. Ces règles incluent les dispositions spécifiques de la directive présentement litigieuse .

24. La juridiction a quo ajoute que la Cour s’est en conséquence reconnue compétente, dans le cas d’une société de capitaux, pour interpréter la directive dans le contexte de l’application conforme à la directive d’une disposition de la première section du troisième livre du HGB . Toutefois, la présente affaire concerne l’application de la première section du troisième livre du HGB aux autres commerçants ne relevant pas du champ d’application de la quatrième directive, mais traités de la même manière que les sociétés de capitaux par la législation nationale.

25. La première question de la juridiction nationale concernant la compétence de la Cour pour statuer à titre préjudiciel en interprétation de la quatrième directive survient dans ce contexte. Plus précisément, la juridiction a quo demande si la Cour est compétente lorsque, dans le cadre de la transposition de la directive, certains de ses éléments ont été incorporés dans la législation nationale en matière de bilan commune à tous les commerçants, même si cette législation n’impose pas le principe de l'«image fidèle», consacré dans le préambule et à l’article 2 de la directive, à tous les commerçants (alors que les sociétés de capitaux y sont toutes soumises).

26. Aux yeux de la juridiction a quo, la jurisprudence existante de la Cour milite en faveur de la compétence de cette dernière. En vertu de cette jurisprudence (arrêts Leur-Bloem et Giloy ), la Cour est compétente dans le cadre d’un recours préjudiciel pour interpréter le droit communautaire lorsque la situation litigieuse n’est pas régie directement par le droit communautaire, mais que le législateur national, en transposant une directive dans son ordre juridique, a traité des situations purement internes de la même façon que des situations réglementées par la directive, en sorte d’aligner sa législation interne sur le droit communautaire. Lorsqu’elle saisit la Cour à titre préjudiciel, la juridiction nationale doit déterminer l’étendue précise du renvoi qu’opère le droit national au droit communautaire.

La législation fiscale nationale et les deuxième et troisième questions relatives à la compétence

27. L’article 7 du GewStG dispose, dans la mesure pertinente en l’espèce:

«Le bénéfice d’exploitation est le bénéfice, calculé conformément aux dispositions de la loi relative à l’impôt sur le revenu [Estg] ou de la loi relative à l’impôt sur les sociétés [Kstg], résultant d’une activité industrielle ou commerciale, qui doit être pris en considération lors du calcul du revenu correspondant […] à la période d’imposition.»

28. L’article 8, paragraphe 1, du Kstg (loi relative à l’impôt sur les sociétés) énonce:

«La notion de revenu et son mode de calcul sont régis par les dispositions de la loi relative à l’impôt sur le revenu [Estg] et de la présente loi.»

29. D’après l’article 5, paragraphe 1, première phrase, de l’EStG:

«Les artisans, commerçants et industriels légalement obligés de tenir une comptabilité et d’établir régulièrement des comptes, ainsi que ceux qui, bien que n’étant pas tenus à cette obligation, tiennent une comptabilité et établissent régulièrement des comptes, doivent, en fin d’exercice, évaluer le patrimoine de l’entreprise (article 4, paragraphe 1, première phrase) en se conformant aux principes d’une comptabilité régulière du droit commercial.»

30. La juridiction de renvoi expose que, en vertu de cette disposition, les «principes d’une comptabilité régulière» du droit commercial sont applicables en l’absence de règles fiscales de rang supérieur relatives à l’établissement du bilan.

31. Elle expose encore que, en vertu des renvois légaux décrits plus haut, les principes d’une comptabilité régulière valent non seulement pour l’impôt sur le revenu des personnes physiques, mais également pour l’assiette de l’impôt sur les sociétés de capitaux et de la taxe professionnelle, objet du présent litige. La référence aux principes d’une comptabilité régulière faite par l’article 5, paragraphe 1, de l’EStG s’étend aux principes d’une comptabilité régulière obligatoires pour tous les commerçants, ainsi que le prévoient les articles 238, paragraphe 1, première phrase , et 243, paragraphe 1 , du HGB, tels que codifiés dans la première section du troisième livre du HGB. Ces principes comprennent, outre les exigences formelles, également les règles matérielles des comptes annuels et les dispositions en matière de comptabilisation et d’évaluation, qui figurent également dans la première section du troisième livre du HGB . Les principes d’une comptabilité régulière s’appliquent donc à l’imputation des provisions et (sauf règle plus spécifique figurant à l’article 6 de l’EStG, sur lequel il sera revenu plus loin ) à leur évaluation.

32. La juridiction nationale ajoute qu’il y a contestation sur le point de savoir si et dans quelle mesure, au-delà des principes d’une comptabilité régulière communs à tous les commerçants, le principe de l'«image fidèle» trouve également application en vertu de l’article 5, paragraphe 1, première phrase, de l’EStG.

33. La deuxième question de la juridiction nationale porte sur le point de savoir si la Cour est compétente pour interpréter la directive lorsque la législation fiscale nationale est fondée sur l’idée que les principes d’une comptabilité régulière du droit commercial sont applicables pour déterminer le bénéfice des commerçants qui établissent leur bilan, et

a) dans la mesure où ces principes sont régis par les dispositions harmonisées (par la loi de transposition de la quatrième directive) communes à tous les commerçants (première section du troisième livre du HGB), ou

b) dans la mesure où les règles spéciales en matière de bilan des sociétés de capitaux (deuxième section du troisième livre du HGB) sont applicables.

34. S’agissant de la question sous a), la juridiction nationale estime que la Cour est compétente pour interpréter la quatrième directive dans le cadre de l’applicabilité, en droit fiscal, des principes d’une comptabilité régulière du droit commercial, dans la mesure où les dispositions de la première section du troisième livre du HGB, communes à tous les commerçants, d’une part, i) sont incluses dans le renvoi opéré par le droit fiscal et, d’autre part, ii) transposent des éléments de la quatrième directive de la même manière pour les sociétés de capitaux et pour les autres commerçants.

35. Pour ce qui a trait à la question sous b), la Cour est également compétente aux yeux de la juridiction nationale, qui renvoie au raisonnement tenu par l’avocat général Léger dans ses conclusions relatives à l’affaire DE + ES Bauunternehmung .

36. Enfin, la juridiction a quo indique dans son ordonnance de renvoi que la législation nationale en matière de traitement comptable des provisions, objet du litige au principal, opère une distinction entre les provisions pour pertes et les provisions pour dettes.

37. Dans le cas d’une provision pour pertes, les principes d’une comptabilité régulière, applicables en vertu de l’article 5, paragraphe 1, première phrase, de EStg, comprennent le principe selon lequel les provisions ne doivent pas excéder le montant nécessaire selon une appréciation commerciale raisonnable. Ce principe est consacré aux articles 253, paragraphe 1, du HGB et 42 de la directive.

38. Toutefois, la situation est différente dans le cas d’une provision pour dettes. Comme indiqué plus haut , les principes d’une comptabilité régulière s’appliquent en vertu de l’article 5, paragraphe 1, première phrase, de l’EStG, seulement en l’absence de règles fiscales spécifiques de rang supérieur. L’EStG contient de telles règles spécifiques réglementant l’évaluation d’une provision pour dettes. En substance, ces règles requièrent une appréciation commerciale raisonnable. Selon la juridiction a quo, la jurisprudence reconnaît que, dans le contexte de ces règles également, il convient de recourir aux principes d’une comptabilité régulière.

39. Par sa troisième question, la juridiction nationale demande à la Cour si elle est compétente pour interpréter la quatrième directive lorsque le droit fiscal national se réfère, dans un autre contexte (à savoir autrement que par le biais de l’article 5, paragraphe 1, première phrase, de l’EStG), à des concepts ou à des critères relevant de la législation en matière de bilan.

La compétence de la Cour

40. La question de la compétence de la Cour a fait l’objet d’une argumentation extensive de la part de toutes les parties ayant présenté des observations – écrites en ce qui concerne le Finanzamt für Großunternehmen in Hamburg (défendeur au principal), le gouvernement allemand et la Commission, et lors de l’audience s’agissant du gouvernement allemand et de la Commission.

41. En substance, le gouvernement allemand et la Commission estiment tous deux que la Cour est compétente sur la base des arrêts Leur-Bloem et Giloy , sur lesquels on reviendra plus loin. En revanche, le Finanzamt für Großunternehmen in Hamburg soutient que l’interprétation de la quatrième directive n’est pas pertinente aux fins de la résolution du litige au principal. En effet, les États membres seraient seuls compétents pour déterminer dans quelle mesure les provisions sont déductibles fiscalement. Le renvoi aux principes en matière de bilan figurant à l’article 5, paragraphe 1, de l’EStG avait été inséré pour la première fois dans cette loi en 1934; cette version serait toujours en vigueur à ce jour. En tout état de cause, ni la quatrième directive ni le droit commercial allemand ne réglementeraient le mode d’évaluation des «coûts d’acquisition» des provisions . Pour cette raison, le lien entre bilans commercial et fiscal ne résoudrait aucune difficulté s’agissant d’une telle évaluation. Les règles spéciales de l’EStG relatives à l’évaluation des provisions établissent un critère autonome en droit fiscal national; cette autonomie existe même lorsque, dans son résultat, ce critère coïncide largement, voire totalement, avec les principes du droit communautaire.

42. C’est dans les arrêts Leur-Bloem et Giloy que la question de la compétence de la Cour pour interpréter des dispositions de droit national ayant pour effet de rendre la législation communautaire applicable à des situations auxquelles elle n’a pas lieu d’être appliquée en vertu du droit communautaire a été étudiée de manière extrêmement exhaustive.

43. Dans l’affaire Leur-Bloem, il était demandé à la Cour d’interpréter la notion «échange d’actions» figurant à l’article 2, sous d), de la directive sur les fusions . Cette directive a pour objet la suppression des obstacles fiscaux aux fusions, scissions, apports d’actifs et échanges d’actions intracommunautaires. Elle s’applique seulement aux «échanges d’actions qui concernent les sociétés de deux ou de plusieurs États membres» . L’opération litigieuse au principal ne concernait pas des sociétés de plusieurs États membres, mais était strictement interne aux Pays-Bas, et, partant, ne relevait pas du champ d’application matériel de la directive. Toutefois, la juridiction de renvoi était d’avis que le législateur néerlandais avait souhaité que les dispositions de la législation nationale concernant, d’une part, les fusions internes et, d’autre part, les fusions intracommunautaires devaient recevoir la même interprétation. Elle a abouti à cette conclusion sur la base du libellé desdites dispositions, qui était le même pour les opérations nationales et intracommunautaires, et de leur genèse législative, notamment des travaux préparatoires du ministère des Finances aux termes desquels, bien que le droit communautaire n’ait pas expressément requis que les fusions nationales devaient bénéficier des mêmes conditions que les fusions intracommunautaires, il était cependant souhaitable, aux fins de l’achèvement du marché unique, de réserver un traitement identique aux deux catégories d’opérations.

44. Dans l’arrêt Leur-Bloem, la Cour a dit pour droit:

«Selon une jurisprudence constante, la procédure prévue à l’article 177 du traité est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales. Il en découle qu’il appartient aux seules juridictions nationales qui sont saisies du litige et doivent assumer la responsabilité de la décision judiciaire à intervenir d’apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu’elles posent à la Cour (voir, notamment, arrêts du 18 octobre 1990, Dzodzi, C-297/88 et C-197/89, Rec. p. I-3763, points 33 et 34, et Gmurzynska-Bscher, précité, points 18 et 19).

En conséquence, dès lors que les questions posées par les juridictions nationales portent sur l’interprétation d’une disposition de droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir arrêts Dzodzi et Gmurzynska-Bscher, précités, respectivement points 35 et 20). En effet, il ne ressort ni des termes de l’article 177 ni de l’objet de la procédure instituée par cet article que les auteurs du traité aient entendu exclure de la compétence de la Cour les renvois préjudiciels portant sur une disposition communautaire dans le cas particulier où le droit national d’un État membre renvoie au contenu de cette disposition pour déterminer les règles applicables à une situation purement interne à cet État (voir arrêts Dzodzi et Gmurzynska-Bscher, précités, respectivement points 36 et 25).

En effet, le rejet d’une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît que la procédure de l’article 177 du traité a été détournée de son objet et tend, en réalité, à amener la Cour à statuer par le biais d’un litige construit ou s’il est manifeste que le droit communautaire ne saurait trouver à s’appliquer, ni directement ni indirectement, aux circonstances de l’espèce (voir, en ce sens, arrêts Dzodzi et Gmurzynska-Bscher, précités, respectivement points 40 et 23).

En application de cette jurisprudence, la Cour s’est à maintes reprises déclarée compétente pour statuer sur des demandes préjudicielles portant sur des dispositions communautaires dans des situations dans lesquelles les faits au principal se situaient en dehors du champ d’application du droit communautaire, mais dans lesquelles lesdites dispositions de ce droit avaient été rendues applicables soit par le droit national, soit en vertu de simples dispositions contractuelles (voir, en ce qui concerne l’application du droit communautaire par le droit national, arrêts Dzodzi et Gmurzynska-Bscher, précités; du 26 septembre 1985, Thomasdünger, 166/84, Rec. p. 3001; du 24 janvier 1991, Tomatis et Fulchiron, C-384/89, Rec. p. I-127, et, en ce qui concerne l’application du droit communautaire par les dispositions contractuelles, arrêts du 25 juin 1992, Federconsorzi, C-88/91, Rec. p. I-4035, et du 12 novembre 1992, Fournier, C-73/89, Rec. p. I-5621, ci-après la jurisprudence Dzodzi). En effet, dans ces arrêts, les dispositions tant nationales que contractuelles reprenant les dispositions communautaires n’avaient manifestement pas limité l’application de ces dernières.

En revanche, la Cour s’est déclarée, dans l’arrêt Kleinwort Benson, précité, incompétente pour statuer sur une demande préjudicielle portant sur la convention.

Dans cet arrêt, la Cour a souligné, au point 19, que, à la différence de la jurisprudence Dzodzi, les dispositions de la convention soumises à l’interprétation de la Cour n’avaient pas été rendues applicables en tant que telles par le droit de l’État contractant concerné. En effet, la Cour a relevé, au point 16 de cet arrêt, que la loi nationale concernée se bornait à prendre la convention pour modèle et n’en reproduisait que partiellement les termes. En outre, elle a constaté, au point 18, que la loi prévoyait expressément la possibilité pour les autorités de l’État contractant concerné d’adopter des modifications destinées à produire des divergences entre les dispositions de celle-ci et les dispositions correspondantes de la convention. De surcroît, la loi opérait encore une distinction expresse entre les dispositions applicables aux situations communautaires et celles applicables aux situations internes. Dans le premier cas, lors de l’interprétation des dispositions pertinentes de la loi, les juridictions nationales étaient tenues par la jurisprudence de la Cour relative à la convention, alors que, dans le second cas, elles ne devaient qu’en tenir compte de sorte qu’elles pouvaient l’écarter.

Or, tel n’est pas le cas en l’espèce.

Le juge national estime que l’interprétation de la notion de fusion par échange d’actions, prise dans son contexte communautaire, est nécessaire à la solution du litige qui lui est soumis, que cette notion figure dans la directive, qu’elle a été reprise dans la loi nationale la transposant et qu’elle a été étendue aux situations similaires purement internes.

En effet, lorsqu’une législation nationale se conforme pour les solutions qu’elle apporte à des situations purement internes à celles retenues en droit communautaire afin, notamment, d’éviter l’apparition de discriminations à l’encontre des ressortissants nationaux ou, comme en l’espèce au principal, d’éventuelles distorsions de concurrence, il existe un intérêt communautaire certain à ce que, pour éviter des divergences d’interprétation futures, les dispositions ou les notions reprises du droit communautaire reçoivent une interprétation uniforme, quelles que soient les conditions dans lesquelles elles sont appelées à s’appliquer (voir, en ce sens, arrêt Dzodzi, précité, point 37).

Il convient toutefois de préciser que, dans un tel cas, et dans le cadre de la répartition des fonctions juridictionnelles entre les juridictions nationales et la Cour prévue par l’article 177, il appartient au seul juge national d’apprécier la portée exacte de ce renvoi au droit communautaire, la compétence de la Cour étant limitée à l’examen des seules dispositions de ce droit (arrêts Dzodzi et Federconsorzi, précités, respectivement points 41 et 42, et 10). En effet, la prise en considération des limites que le législateur national a pu apporter à l’application du droit communautaire à des situations purement internes relève du droit interne et, par conséquent, de la compétence exclusive des juridictions de l’État membre (arrêts Dzodzi, précité, point 42, et du 12 novembre 1992, Fournier, C-73/89, Rec. p. I-5621, point 23).

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de répondre à la première question que la Cour est compétente, au titre de l’article 177 du traité, pour interpréter le droit communautaire lorsque celui-ci ne régit pas directement la situation en cause, mais que le législateur national a décidé, lors de la transposition en droit national des dispositions d’une directive, d’appliquer le même traitement aux situations purement internes et à celles régies par la directive, en sorte qu’il a aligné sa législation interne sur le droit communautaire» .

45. Dans l’affaire Giloy, la Cour a été invitée à interpréter une disposition du code des douanes . Toutefois, la procédure au principal avait trait non pas à des droits à l’importation, mais à la TVA, à laquelle le code des douanes avait été rendu applicable par un renvoi du droit allemand en matière de TVA qui établissait une règle générale selon laquelle les dispositions relatives aux droits de douane s’appliquaient mutatis mutandis à la TVA à l’importation.

46. Dans son arrêt Giloy, la Cour a repris les points 24 à 29 de son arrêt Leur-Bloem (les six premiers points de l’extrait repris ci-dessus) . Elle a ensuite poursuivi comme suit:

«En l’espèce, aucun élément du dossier ne laisse supposer que le litige au principal ne sera pas tranché par application des normes de droit communautaire.

En effet, il ressort précisément de ce dossier que les dispositions en cause du droit national s’appliquent indistinctement – et parfois même simultanément – à des situations relevant, d’une part, du droit national et, d’autre part, du droit communautaire. Selon le droit national, ces dispositions doivent être interprétées et appliquées de manière uniforme, que le droit applicable soit national ou communautaire. Aux fins de leur application aux situations relevant du droit communautaire, ces dispositions doivent être interprétées et appliquées conformément à l’article 244 du code. Par conséquent, le droit national exige que les dispositions nationales en cause soient toujours appliquées conformément à cet article.

Dans ces conditions, lorsqu’une législation nationale se conforme pour les solutions qu’elle apporte à une situation interne à celles retenues en droit communautaire, afin d’assurer une procédure unique dans des situations comparables, il existe un intérêt communautaire certain à ce que, pour éviter des divergences d’interprétation futures, les dispositions ou les notions reprises du droit communautaire reçoivent une interprétation uniforme, quelles que soient les conditions dans lesquelles elles sont appelées à s’appliquer (voir, en ce sens, arrêt Dzodzi, précité, point 37).

Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la Cour est compétente pour statuer sur les questions qui lui ont été posées» .

47. Dans la présente affaire, la Cour a une occasion rêvée – selon les termes employés par la Commission lors de l’audience – de revenir sur sa jurisprudence Leur-Bloem et Giloy: la juridiction nationale demande en effet expressément à la Cour si elle est compétente pour statuer dans un contexte analogue. La Cour, qui a décidé de statuer sur la présente affaire dans sa formation plénière, devrait selon nous faire bon usage de cette occasion et résister à toute tentation d’éluder la question brûlante de la recevabilité.

48. Il est vrai que la Cour s’est déclarée compétente à plusieurs reprises depuis les arrêts Leur-Bloem et Giloy pour interpréter la législation communautaire appliquée par le droit national à des situations ne relevant pas du champ d’application de cette législation. On peut donc penser que ces arrêts ont été confirmés et ils peuvent sembler avoir formé une jurisprudence constante. Cependant, cette constance est à nos yeux plus apparente que réelle. L’arrêt Schoonbroodt a été rendu par la première chambre, et l’arrêt Adam par la deuxième chambre; dans les deux cas, les juges se sont contentés de se fonder sur les arrêts plus anciens, sans s’interroger sur leurs mérites, pour déclarer la Cour compétente. Dans l’arrêt DE + ES Bauunternehmung, la cinquième chambre n’a pas du tout examiné le problème et a simplement statué sur le fond. C’est seulement dans l’affaire Kofisa Italia que la Cour a réfléchi sur le point de savoir si elle était compétente. Il est à noter toutefois que cette affaire a elle aussi été jugée par une chambre (à nouveau la cinquième), qui a très bien pu se sentir liée par les arrêts précédents. En outre, l’arrêt Kofisa Italia reprend largement des passages de l’arrêt Giloy; pour autant qu’il cherche à s’attaquer à la question, il se limite à reprendre des arguments dont l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer avait démontré de façon persuasive qu’ils n’étaient pas convaincants, tout en ignorant en bloc les arguments sérieux militant contre la compétence de la Cour. De la même façon, l’arrêt Adam ne se réfère aucunement à l’analyse réfléchie et convaincante de l’avocat général Tizzano, qui avait conclu à l’incompétence de la Cour.

49. Abstraction faite, même, des réserves ci-dessus, nous n’estimons pas qu’il faille considérer que la jurisprudence de la Cour est totalement constante. Il ne faut pas oublier que dans l’arrêt du 28 mars 1995, Kleinwort Benson (C-346/93, Rec. p. I-615), la Cour s’est déclarée incompétente pour interpréter la convention de Bruxelles dans un cas où cette dernière avait été prise pour modèle par la loi nationale, et reproduite seulement en partie, plutôt que d’avoir été rendue applicable en tant que telle par cette loi. Il résulte clairement de cet arrêt que la Cour a considéré les deux caractéristiques de la loi nationale litigieuse comme des obstacles insurmontables à sa compétence. Tout d’abord, la loi en question n’opérait pas de «renvoi direct et inconditionnel au droit communautaire par lequel celui-ci serait rendu applicable dans l’ordre juridique interne» et, en second lieu, elle ne faisait pas obligation aux juridictions nationales de trancher les litiges dont elles sont saisies «en appliquant, de façon absolue et inconditionnelle, l’interprétation» fournie par la Cour .

50. La Cour n’a pas mentionné l’arrêt Kleinwort Benson dans son arrêt Schoonbroodt. Elle a préféré ne pas appliquer cette jurisprudence dans l’arrêt Kofisa Italia – ainsi que dans les arrêts Leur-Bloem et Giloy – aux motifs que, dans l’affaire Kleinwort Benson, la loi nationale litigieuse prévoyait la possibilité de se voir apporter une modification «destinée à produire des divergences» entre cette loi et les dispositions correspondantes de la convention, et que les juridictions nationales n’étaient pas liées par la jurisprudence de la Cour relative à la convention. Toutefois, il nous semble qu’un législateur national sera toujours en mesure de modifier une loi interne allant au-delà du niveau de transposition requis par la directive, qu’il y soit ou non expressément habilité dans la loi elle-même. S’agissant de l’effet obligatoire des arrêts de la Cour sur la législation communautaire parallèle sur les juridictions nationales tranchant des litiges survenant dans le cadre d’une telle loi, les parties ayant présenté des observations orales dans la présente affaire n’ont pas été en mesure d’avancer d’explication satisfaisante de la position des juridictions allemandes, bien que la Cour les ait expressément invitées à se concentrer sur ce point lors de l’audience. Le caractère controversé de la question semble être corroboré par l’arrêt récemment rendu par le Bundesfinanzhof, cité par la Commission au cours de l’audience , par lequel cette juridiction – dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours – a estimé n’avoir pas été tenue dans une telle affaire de demander à la Cour de statuer à titre préjudiciel sur l’interprétation de la législation communautaire, puisque c’était l’application du droit national qui était en cause.

51. Toutefois, même à supposer que le principe établi dans les arrêts Leur-Bloem et Giloy constitue une jurisprudence constante, la présente affaire illustre bien à nos yeux les problèmes qu’une telle jurisprudence soulève.

52. En matière d’interprétation, comme la Cour l’a généralement admis, le contexte est d’une importance primordiale.

53. La Cour a été invitée à interpréter des dispositions hautement techniques de la quatrième directive, adoptées par le législateur communautaire en vue de contraindre (à cette époque) les sociétés, succursales et banques non incluses , à publier leurs comptes. Ces dispositions sont transposées en Allemagne dans la loi obligeant tous les commerçants, et donc également les succursales de banques établies dans un autre État membre, à préparer et à publier des comptes, conformément à certaines exigences. Ces exigences ne requièrent pas expressément des comptes des commerçants autres que les sociétés de donner une «image fidèle» de leur situation financière; la quatrième directive et d’autres dispositions allemandes prises pour sa transposition exigent cela des comptes des sociétés. La législation fiscale allemande oblige les commerçants à évaluer leurs actifs fiscalement conformément aux principes d’une comptabilité régulière du droit commercial. Elle admet toutefois des exceptions importantes à l’application de ces principes .

54. Il semble ne pas exister d’accord sur le point de savoir si ces principes d’une comptabilité régulière comprennent, en ce qui concerne les commerçants qui ne sont pas des sociétés, le principe d'«image fidèle» de leur situation financière. La juridiction nationale estime – contre l’avis du Finanzamt – que ces principes comprennent les obligations légales auxquelles tous les commerçants doivent se conformer lorsqu’ils établissent une comptabilité commerciale.

55. En outre, le Finanzamt conteste le point de vue de la juridiction de renvoi selon lequel le renvoi aux principes d’une comptabilité régulière est un lien suffisant avec la législation transposant la quatrième directive, faisant remarquer que ce renvoi était antérieur à l’adoption de la directive de plusieurs décennies; il apparaît également des observations présentées par la Commission lors de l’audience que le Bundesfinanzhof est d’avis que, dans le présent type d’affaire, le lien avec le droit communautaire n’est pas suffisant pour justifier la saisine de la Cour à titre préjudiciel . Le Finanzamt expose également que, selon lui, la directive ne résout en aucun cas le problème de fond devant la juridiction nationale. Enfin, la législation fiscale nationale établit ses propres règles d’évaluation d’une provision pour dette; la jurisprudence nationale admet apparemment que l’application de ces règles impose le recours aux principes d’une comptabilité régulière; cette jurisprudence n’a cependant pas été entièrement expliquée à la Cour.

56. Le contexte dans lequel les dispositions litigieuses s’appliquent au litige ayant donné lieu à la procédure au principal est donc manifestement – très – éloigné de celui envisagé par la quatrième directive. Cette directive est fondée sur l’article 54, paragraphe 3, sous g), du traité CE [devenu, après modification, article 44, paragraphe 2, sous g), CE] qui – dans le contexte de la liberté d’établissement des sociétés – habilite le Conseil et la Commission à coordonner, «en vue de les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les États membres, des sociétés, pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers». Son préambule reprend le thème de la protection des associés et des tiers en prescrivant la publication d’informations comparables . La directive n’a pas pour objectif de réglementer le contenu et la présentation des bilans fiscaux, et la législation régissant les bilans fiscaux est susceptible, comme nous l’indiquerons , d’avoir des objectifs très différents de ceux de la législation en matière de bilan en ce qui concerne les sociétés.

57. En outre, il nous semble que des difficultés similaires sont susceptibles de survenir dès lors qu’une directive est transposée par la loi nationale en dehors du contexte qu’elle envisage: il sera nécessaire de vérifier, par exemple, si la directive est transposée dans sa totalité, d’examiner avec soin le contexte législatif national et de voir si l’arrêt de la Cour de justice liera les juridictions nationales en vertu du droit national. Cet exercice exigera fréquemment de la Cour de s’intéresser aux questions de droit national susceptibles d’être – comme dans la présente affaire – à la fois complexes et controversées.

58. La Cour est maintenant libre de remettre en cause la décision prise dans les arrêts Leur-Bloem et Giloy – ou à tout le moins sa portée – à la lumière de la présente affaire; selon nous, les éléments susmentionnés montrent qu’un tel exercice est nécessaire. Dans la mesure où les arguments militant contre la compétence de la Cour dans ce type d’affaire sont exposés dans leur intégralité dans les conclusions que nous avons présentées dans les affaires Leur-Bloem et Giloy, et sont renforcées de façon convaincante par les conclusions de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer dans l’affaire Kofisa Italia , nous ne les présenterons pas une nouvelle fois dans le cadre des présentes conclusions. Toutefois, nous nous permettons de souligner que, à nos yeux, la présente affaire met davantage en relief certains des arguments militant contre la compétence de la Cour qui y sont exposés. En particulier, nous souhaitons mentionner les points suivants.

59. Premièrement, il est difficile de voir en quoi il serait utile à l’objectif de l’article 234 CE, qui donne compétence à la Cour pour statuer à titre préjudiciel en validité et en interprétation des actes des institutions de la Communauté, que celle-ci interprète les dispositions communautaires en tant qu’elles sont reprises en droit national et s’appliquent à une situation manifestement extérieure à leur champ d’application et, partant, ont une portée plus grande que celle qu’elles auraient dû avoir. Pour la Cour, se déclarer compétente reviendrait dangereusement à assumer des missions non imposées par les traités, particulièrement dans des domaines tels que la fiscalité directe qui, pour l’heure, peut être considérée comme relevant de la compétence des États membres.

60. Il résulte clairement des développements ci-dessus que les objectifs et le champ d’application matériel et personnel de la quatrième directive sont radicalement différents de ceux de la législation fiscale litigieuse dans l’affaire au principal. Cette différence de contexte nous amène au deuxième point, à savoir que la présente affaire illustre parfaitement le principe selon lequel des dispositions apparemment identiques peuvent avoir des significations différentes dans des contextes différents. Les règles du droit des sociétés régissant les comptes sociaux – désormais harmonisées au niveau communautaire – visent à protéger les actionnaires et les tiers (par exemple, les créanciers actuels ou futurs et les employés) en prescrivant la publication obligatoire des informations requises. Les règles nationales concernant l’établissement fiscal des comptes visent, de leur côté, à améliorer et à protéger les revenus de l’État. Ces deux contextes sont donc manifestement différents; en effet, dans plusieurs États membres, des comptes totalement distincts sont établis aux fins, d’une part, de la fiscalité, et, d’autre part, des comptes sociaux.

61. Troisièmement, la juridiction de renvoi ne sera pas, en vertu du droit communautaire, liée par l’arrêt de la Cour, qui n’aura donc inévitablement (encore une fois, en droit communautaire) qu’une fonction purement consultative. Une telle conséquence modifie clairement la fonction de la Cour telle qu’envisagée par le traité CE . Elle soulève également des questions concernant l’allocation pertinente de ressources judiciaires .

62. Quatrièmement, la compétence de la Cour, loin de découler du traité CE, dépendrait entièrement de la loi nationale, dans la présente affaire, par le jeu de différents renvois dont la portée précise semble être controversée au niveau national. Ce lien ténu illustre parfaitement que l’applicabilité éventuelle du droit communautaire dans un tel contexte est en soi un problème de droit national, susceptible d’être polémique.

63. Cinquièmement, la présente affaire démontre que l’intérêt communautaire, lorsqu’il est invoqué pour justifier la compétence de la Cour dans des cas analogues, peut se révéler être à double tranchant. Dans ses arrêts Leur-Bloem et Giloy, la Cour a souligné qu’il «existe un intérêt communautaire certain à ce que, pour éviter des divergences d’interprétation futures, les dispositions ou les notions reprises du droit communautaire reçoivent une interprétation uniforme, quelles que soient les conditions dans lesquelles elles sont appelées à s’appliquer» . Toutefois, l’intérêt communautaire ne saurait s’accommoder de ce que la compétence de la Cour, dans une affaire donnée, quelle qu’elle soit, dépende seulement du droit national, ou bien que la Cour rende un arrêt que la juridiction nationale, qui en est destinataire, n’est pas obligée d’appliquer.

64. Enfin, les réflexions ci-dessus, conjointement avec les observations soumises par les parties dans la présente affaire, illustrent le fait que le critère établi par la Cour dans les arrêts Leur-Bloem et Giloy ne garantit pas la sécurité juridique. Lors de l’audience, la Commission a exposé que beaucoup d’incertitudes régnaient quant aux conditions dans lesquelles la Cour serait ou ne serait pas compétente dans ce type d’affaire, et a demandé à la Cour de lever cette incertitude en confirmant la décision prise dans l’arrêt Leur-Bloem. Étant donné, toutefois, que c’est précisément cet arrêt qui a créé cette incertitude, nous ne voyons pas en quoi sa simple confirmation pourrait être utile.

65. Nous restons donc convaincu que les objections à la compétence de la Cour pour interpréter les dispositions de la législation communautaire s’appliquant en vertu du droit national à des personnes ou à des situations ne relevant pas du champ d’application de cette législation ne peuvent pas être ignorées. En outre, ces objections semblent suffisamment fortes, sans même parler des difficultés pratiques que la revendication de compétence dans de tels cas ne manquerait pas de soulever, comme une plus grande difficulté à statuer, l’augmentation sensible de la charge de travail de la Cour et, partant, la mise sous pression de ressources judiciaires limitées.

66. On ajoutera encore que les objections ci-dessus trouvent l’appui de la doctrine: les arrêts Leur-Bloem et Giloy ont en effet généralement fait l’objet de critiques de la part des commentateurs .

67. Aussi, la Cour devrait selon nous saisir l’occasion offerte par la présente affaire pour remettre en cause sa jurisprudence Leur-Bloem et Giloy (ainsi que les arrêts associés) par laquelle elle s’est déclarée compétente pour interpréter des dispositions de droit communautaire s’appliquant, en vertu du droit national, à des personnes ou à des situations situées en dehors du champ d’application de la législation communautaire en question.

68. Si, toutefois, la Cour n’était pas convaincue de la nécessité d’aller aussi loin en revenant sur ces arrêts, il existe une approche alternative qui pourrait, à nos yeux, même si elle ne les résout pas, atténuer à tout le moins les difficultés entraînées par les arrêts précédents. Cette alternative consisterait pour la Cour à réaffirmer les critères établis dans l’arrêt Kleinwort Benson (et ignorés par la suite dans d’autres arrêts), à savoir que, pour permettre à la Cour de se déclarer compétente, la législation nationale en cause doit à la fois opérer un «renvoi direct et inconditionnel au droit communautaire» et obliger les juridictions nationales à trancher les litiges qui leur sont soumis en appliquant «de façon absolue et inconditionnelle» l’interprétation que leur a fournie la Cour. Cette solution, on s’en souvient, était l’approche préconisée par l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer dans l’affaire Kofisa Italia .

69. À l’évidence, il résulterait de cette approche également que la présente affaire n’était pas recevable, puisqu’aucune des conditions ci-dessus n’est réunie. Mais quand bien même la Cour déciderait de confirmer les arrêts Leur-Bloem et Giloy, il est à notre sens douteux, à la lumière de l’incertitude liée à leur champ d’application et à la pertinence en l’espèce de la directive en droit national, que ces arrêts trouvent en tout état de cause application à la présente affaire.

70. L’idée pourrait voir le jour selon laquelle il n’est donc pas nécessaire de revenir sur les arrêts Leur-Bloem et Giloy, mais qu’il pourrait être préférable de distinguer la présente affaire des affaires plus anciennes. Toutefois, le refus de la Cour de résoudre maintenant ce problème de façon univoque conduira à nos yeux à ce que l’incertitude subsiste dans des affaires futures. En outre, la présente affaire montre – encore une fois, pour les raisons développées plus haut – qu’il existe de bonnes raisons de revenir sur les arrêts précédents.

Conclusion

71. Aussi, nous concluons que la réponse correcte à apporter aux questions posées par le Finanzamt Hamburg serait pour la Cour de décliner sa compétence pour interpréter les dispositions de la législation communautaire s’appliquant en vertu du droit national à des personnes ou à des situations ne relevant pas de leur champ d’application.

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CJCE, n° C-306/99, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Banque internationale pour l'Afrique occidentale SA (BIAO) contre Finanzamt für Großunternehmen in Hamburg, 15 novembre 2001