CJCE, n° C-358/01, Arrêt de la Cour, Commission des Communautés européennes contre Royaume d'Espagne, 6 novembre 2003

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  • Inadmissibilité·
  • Justification

Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 6 nov. 2003, Commission / Espagne, C-358/01
Numéro(s) : C-358/01
Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 6 novembre 2003. # Commission des Communautés européennes contre Royaume d'Espagne. # Manquement d'État - Article 28 CE - Interdiction de commercialiser sous l'appellation 'limpiador con lejía' ('nettoyant avec eau de Javel') des produits légalement fabriqués et commercialisés dans d'autres États membres lorsque leur contenu en chlore actif est inférieur à 35 g/l. # Affaire C-358/01.
Date de dépôt : 19 septembre 2001
Précédents jurisprudentiels : 16 janvier 2003, Commission/Italie, C-14/00
arrêt du 16 septembre 1997, Commission/Italie, C-279/94
arrêt du 29 septembre 1998, Commission/Allemagne, C-191/95
arrêts du 13 janvier 2000, Estée Lauder, C-220/98
Commission/Allemagne, C-228/00
Commission ( voir, notamment, arrêts du 15 janvier 2002, Commission/Italie, C-439/99
Solution : Recours en constatation de manquement : obtention
Identifiant CELEX : 62001CJ0358
Identifiant européen : ECLI:EU:C:2003:599
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Sur les parties

Texte intégral

Affaire C-358/01

Commission des Communautés européennes
contre
Royaume d’Espagne

«Manquement d’État – Article 28 CE – Interdiction de commercialiser sous l’appellation 'limpiador con lejía’ ('nettoyant avec eau de Javel') des produits légalement fabriqués et commercialisés dans d’autres États membres lorsque leur contenu en chlore actif est inférieur à 35 g/l»

Conclusions de l’avocat général M. S. Alber, présentées le 22 mai 2003
Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 6 novembre 2003

Sommaire de l’arrêt

Libre circulation des marchandises – Restrictions quantitatives – Mesures d’effet équivalent – Réglementation nationale interdisant la commercialisation sous la dénomination «nettoyant avec eau de Javel» des produits présentant une teneur en chlore actif inférieure à 35 grammes par litre – Inadmissibilité – Justification – Protection de la santé publique – Absence – Protection des consommateurs – Caractère disproportionné
(Art. 28 CE et 30 CE)

Manque aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE un État membre qui refuse l’accès sur son territoire de produits légalement fabriqués et commercialisés dans d’autres États membres sous la dénomination «nettoyant avec eau de Javel» ou une dénomination similaire, lorsque leur teneur en chlore actif est inférieure à 35 grammes par litre.
La protection de la santé publique ne saurait justifier une telle entrave, dans la mesure où moins un produit contient de chlore actif, substance dangereuse, moins il est susceptible de nuire à la santé publique. Le risque qui pourrait être lié à un tel produit résulte plutôt des dangers qui peuvent se présenter lorsqu’un consommateur l’utilise de manière inappropriée ou à des fins autres que celles pour lesquelles il a été conçu.
Une telle réglementation est cependant disproportionnée par rapport à l’objectif de la protection des consommateurs, dès lors qu’il est suffisant, pour informer ces derniers des qualités et de la composition du produit, d’apposer une étiquette qui comporte des informations sur la nature et les caractéristiques principales de celui-ci, y compris sa teneur en chlore actif.
La circonstance que les consommateurs d’un État membre ont des idées bien déterminées quant à la composition ou aux caractéristiques d’un produit donné n’est pas, en principe, susceptible de justifier des entraves à la libre circulation des marchandises lorsque les caractéristiques de ce produit peuvent être correctement appréciées par les consommateurs lors de la lecture de l’étiquette.

(cf. points 46, 48-50, 52, 54, 61 et disp.)

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
6 novembre 2003(1)

«Manquement d’État – Article 28 CE – Interdiction de commercialiser sous l’appellation ‘limpiador con lejía’ (‘nettoyant avec eau de Javel’) des produits légalement fabriqués et commercialisés dans d’autres États membres lorsque leur contenu en chlore actif est inférieur à 35 g/l»

Dans l’affaire C-358/01,

Commission des Communautés européennes , représentée par M. G. Valero Jordana, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Royaume d’Espagne , représenté par M me N. Díaz Abad, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet de faire constater que, en refusant l’accès au marché espagnol sous la dénomination «limpiador con lejía» («nettoyant avec eau de Javel») ou une dénomination similaire de produits légalement fabriqués et commercialisés dans d’autres États membres lorsque leur teneur en chlore actif est inférieure à 35 grammes par litre, le royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE,

LA COUR (cinquième chambre),,

composée de M. D. A. O. Edward (rapporteur), faisant fonction de président de la cinquième chambre, MM. A. La Pergola et P.
Jann, juges, avocat général: M. S. Alber,
greffier: M. R. Grass,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 22 mai 2003,

rend le présent

Arrêt

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 19 septembre 2001, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l’article 226 CE, un recours visant à faire constater que, en refusant l’accès au marché espagnol sous la dénomination «limpiador con lejía» («nettoyant avec eau de Javel») ou une dénomination similaire de produits légalement fabriqués et commercialisés dans d’autres États membres lorsque leur teneur en chlore actif est inférieure à 35 grammes par litre, le royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE.

Le cadre juridique La réglementation communautaire 2 L’article 28 CE interdit les restrictions quantitatives à l’importation ainsi que toutes mesures d’effet équivalent entre les États membres.
3 Selon l’article 1 er de la décision n° 3052/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 1995, établissant une procédure d’information mutuelle sur les mesures nationales dérogeant au principe de libre circulation des marchandises à l’intérieur de la Communauté (JO L 321, p. 1), les États membres sont tenus de notifier à la Commission certaines mesures qui font obstacle à la libre circulation ou à la mise sur le marché d’un certain modèle ou d’un certain type de produit légalement fabriqué ou commercialisé dans un autre État membre.
La réglementation nationale 4 L’article 2, paragraphe 2, du décret royal n° 3360/1983, dans sa version résultant du Real Decreto n° 349/1993, por el que se modifica la Reglamentación técnico-sanitaria de la lejía (décret royal portant modification de la réglementation technico-sanitaire de l’eau de Javel), du 5 mars 1993 (BOE n° 94, du 20 avril 1993, p. 1251, ci-après le «décret royal»), définit la «lejía» (eau de Javel) comme étant une solution d’hypochlorite alcaline présentant une concentration en chlore actif qui ne peut être inférieure à 35 g/l ou supérieure à 100 g/l.
5 L’article 5 du décret royal établit que la teneur en chlore doit se situer entre 35 g/l et 60 g/l pour que l’eau de Javel puisse porter la mention «apte à la désinfection de l’eau potable».
6 L’article 17 dudit décret royal contient une clause de reconnaissance mutuelle selon laquelle «les exigences en matière de composition ne s’appliquent pas aux produits provenant d’échanges intracommunautaires, légalement fabriqués et commercialisés dans l’État membre d’origine. Tant qu’ils ne présentent pas de risque pour la santé humaine et n’affectent pas l’application de l’article 36 du traité instituant la Communauté européenne, les produits en question pourront être commercialisés en Espagne avec la dénomination légale en vigueur dans le pays de production ou, à défaut, avec une dénomination consacrée par l’usage légal et constant dans l’État membre de production, accompagnée d’une mention descriptive suffisamment précise pour permettre à l’acquéreur de connaître sa véritable nature.» 7 La première «disposition complémentaire» du décret royal comporte des dispositions pour le cas où l’«eau de Javel» est un composant d’un produit. Son premier alinéa est ainsi libellé:
«[L]’expression ‘eau de Javel’ pourra figurer sur l’étiquette d’un produit comme un composant, en sus des autres substances formant ce produit, à condition que la concentration de chlore actif de son hypochlorite soit égale à la concentration fixée pour l’eau de Javel par la loi, et devra être accompagnée de la mention ‘inapte à la désinfection de l’eau potable’.» 8 Dans une note datant du 7 avril 1998, l’Instituto nacional del consumo (Institut national de la consommation, ci-après l’«Institut national») a déclaré que, si le responsable de la commercialisation de ces produits voulait bénéficier de la clause de reconnaissance mutuelle, il devait mettre à la disposition de l’administration les éléments suivants:
– une étiquette indiquant clairement la véritable concentration en chlore actif; – des preuves suffisantes du fait que les produits ont un pouvoir désinfectant analogue à celui des eaux de Javel réglementaires; – un certificat prouvant la commercialisation de ces produits dans le pays d’origine. 9 En se fondant sur cette note, la Consejería de Economia y Empleo de la Comunidad de Madrid (Conseil de l’économie et de l’emploi de la communauté autonome de Madrid) a imposé des sanctions à des entreprises qui commercialisaient des produits dont l’étiquette portait la mention «nettoyant avec eau de Javel», mais dont la concentration en chlore actif était inférieure à 35 g/l. Cet organisme a estimé que, bien qu’étant légalement commercialisés dans l’État membre d’origine, ces produits ne pouvaient mentionner le terme «eau de Javel» sur l’étiquette puisqu’ils ne respectaient pas les critères de concentration minimale en chlore actif imposés par la législation espagnole pour l’eau de Javel.

La procédure précontentieuse et la procédure devant la Cour 10 La Commission indique que c’est par le dépôt d’une plainte qu’elle a appris les difficultés rencontrées par certains opérateurs souhaitant importer en Espagne des produits de nettoyage contenant de l’eau de Javel et provenant d’autres États membres dans lesquels ils sont légalement fabriqués et commercialisés. Ces difficultés seraient causées par la manière dont les autorités espagnoles, notamment l’Institut national et la communauté autonome de Madrid, interprètent le décret royal.
11 L’instruction de cette plainte a abouti à l’envoi, le 4 novembre 1999, d’une lettre de mise en demeure au royaume d’Espagne, dans laquelle la Commission soutenait que ce dernier avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 28 CE et suivants en refusant l’accès au marché espagnol sous la dénomination «limpiador con lejía» («nettoyant avec eau de Javel») ou une dénomination similaire de produits légalement fabriqués et commercialisés dans d’autres États membres.
12 Dans sa réponse du 28 décembre 1999, le royaume d’Espagne a communiqué à la Commission un rapport du Ministerio de Sanidad y Consumo (ministère de la Santé et de la Consommation). Ce rapport précisait que la commercialisation d’eau de Javel ou de produits contenant de l’eau de Javel, mais qui ne respectaient pas la teneur minimale en hypochlorite prévue par la réglementation espagnole, n’était autorisée que si ces produits étaient légalement fabriqués, si les consommateurs étaient informés quant à leur teneur réelle en chlore actif et si lesdits produits avaient le même pouvoir désinfectant que les produits avec eau de Javel respectant ladite teneur.
13 Le 17 février 2000, la Commission a envoyé une seconde lettre de mise en demeure au royaume d’Espagne dans laquelle, après avoir rappelé que les décisions de refus d’accès au marché espagnol adoptées par la communauté autonome de Madrid constituaient des mesures dérogeant au principe de libre circulation des marchandises dans la Communauté, elle constatait que le royaume d’Espagne avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la décision n° 3052/95 en ne lui communiquant pas ces décisions.
14 En l’absence d’une réponse des autorités espagnoles à cette dernière lettre, la Commission, estimant que le manquement persistait, a, le 24 juillet 2000, envoyé un avis motivé au royaume d’Espagne, l’invitant à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à cet avis dans un délai de deux mois à compter de sa notification. Dans cet avis motivé, la Commission faisait référence à des procédures de sanction entamées par la communauté autonome de Madrid à l’encontre de certains opérateurs souhaitant importer des produits nettoyants contenant de l’eau de Javel.
15 Cet avis motivé conclut que «le royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 du traité CE en adoptant des mesures, comme (‘como’) les sanctions imposées dans les procédures jointes 28/802/97-A et 28/063/98-A et dans l’affaire 28/801/97-A et la note du 7 avril 1998 de l’Institut national de la consommation, qui refusent l’accès au marché espagnol sous la dénomination ‘limpiador con lejía’ (‘nettoyant avec eau de Javel’) ou une dénomination similaire de produits légalement fabriqués et commercialisés dans un autre État membre, et en vertu de la décision 3052/95 pour ne pas avoir notifié lesdites mesures à la Commission».
16 Par lettre transmise par un courriel du 1 er août 2000, les autorités espagnoles ont communiqué à la Commission les mesures qu’elles ont prises en application de la décision n° 3052/95 en ce qui concerne l’eau de Javel.
17 Puis, par lettre du 30 novembre 2000, le gouvernement espagnol a répondu à l’avis motivé, en réitérant les arguments relatifs à la protection des consommateurs et en indiquant qu’il considérait la notification exigée par la décision n° 3052/95 comme accomplie puisque la mesure nationale relative aux produits contenant de l’eau de Javel était justifiée par l’objectif de protection des consommateurs et n’était pas disproportionnée.
18 Estimant que le royaume d’Espagne n’avait pas mis fin au manquement relatif à l’article 28 CE, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.
19 La Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour:
– constater que le royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE en refusant l’accès au marché espagnol sous la dénomination «limpiador con lejía» («nettoyant avec eau de Javel») ou une dénomination similaire de produits légalement fabriqués et commercialisés dans d’autres États membres lorsque leur concentration en chlore actif est inférieure à 35 g/l;
– condamner le royaume d’Espagne aux dépens. 20 Le royaume d’Espagne conclut à ce qu’il plaise à la Cour:
– [ce point des conclusions, relatif à une demande de déclaration de confidentialité de certaines données, n’est plus pertinent]; – déclarer la demande irrecevable et, à titre subsidiaire, limiter celle-ci aux procédures de sanction engagées par la communauté autonome de Madrid et la rejeter;
– à titre subsidiaire, rejeter la demande; – condamner la Commission aux dépens.
Sur la recevabilité Arguments des parties 21 Le gouvernement espagnol soulève une exception d’irrecevabilité en raison d’un défaut de concordance entre les phases précontentieuse et juridictionnelle.
22 En effet, la Commission aurait modifié et élargi l’objet du litige au cours de la procédure contentieuse. Dans la lettre de mise en demeure complémentaire et dans l’avis motivé, la Commission aurait concentré son attention sur les procédures de sanction engagées par la communauté autonome de Madrid à l’encontre de certaines entreprises, tandis que, dans la requête, les conclusions de la Commission ne se limiteraient pas à ces procédures (y compris les décisions prises dans le cadre desdites procédures), mais seraient formulées dans des termes vagues et d’une très grande généralité. Le gouvernement espagnol ajoute que la référence à la quantité minimale de chlore actif par litre d’eau de Javel n’apparaît que dans la requête.
23 À titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la Cour considérerait que le recours est recevable, le gouvernement espagnol demande que le grief relatif au non-respect de l’article 28 CE soit limité aux sanctions imposées par la communauté autonome de Madrid dans le cadre des procédures mentionnées au point précédent.
24 La Commission estime que l’argumentation du gouvernement espagnol est fondée sur une mauvaise compréhension de l’avis motivé.
Elle soutient que celui-ci porte, de manière générale, sur le fait que les autorités espagnoles refusent l’accès au marché espagnol sous la dénomination «limpiador con lejía» («nettoyant avec eau de Javel») ou une dénomination similaire à des produits légalement fabriqués et commercialisés dans d’autres États membres lorsque leur teneur en chlore actif est inférieure à 35 g/l, et que la procédure précontentieuse ne s’est pas limitée aux sanctions administratives infligées par la communauté autonome de Madrid. Ces sanctions ainsi que la note du 7 avril 1998 ne seraient citées qu’à titre d’exemple, ce qui ressortirait clairement du libellé même de l’avis motivé.
25 Les différences de formulation entre le dispositif de l’avis motivé et les conclusions de la requête n’auraient, selon la Commission, entraîné aucune modification de l’objet du litige. Par ailleurs, la Commission fait valoir que le résultat de cette reformulation est conforme à une pratique fréquemment observée par la Cour, qui consiste, pour cette dernière, à rédiger le dispositif de ses arrêts en termes abstraits, sans que soit nécessairement mentionné la disposition ou le cas concret qui est à l’origine du litige.
Appréciation de la Cour 26 Selon une jurisprudence constante, la procédure précontentieuse a pour but de donner à l’État membre concerné l’occasion, d’une part, de se conformer à ses obligations découlant du droit communautaire et, d’autre part, de faire utilement valoir ses moyens de défense à l’encontre des griefs formulés par la Commission (voir, notamment, arrêts du 15 janvier 2002, Commission/Italie, C-439/99, Rec. p. I-305, point 10, et du 13 février 2003, Commission/Allemagne, C-228/00, Rec. p. I-1439, point 25).
27 La lettre de mise en demeure adressée par la Commission à l’État membre concerné et l’avis motivé émis par la Commission délimitent l’objet du litige et celui-ci ne peut plus, dès lors, être étendu. Par conséquent, l’avis motivé et le recours de la Commission doivent reposer sur les mêmes griefs que ceux de la lettre de mise en demeure qui engage la procédure précontentieuse (arrêt du 29 septembre 1998, Commission/Allemagne, C-191/95, Rec. p. I-5449, point 55).
28 Cette exigence ne saurait toutefois aller jusqu’à imposer en toute hypothèse une coïncidence parfaite entre l’énoncé des griefs dans la lettre de mise en demeure, le dispositif de l’avis motivé et les conclusions de la requête, à condition que l’objet du litige n’ait pas été étendu ou modifié (arrêt du 29 septembre 1998, Commission/Allemagne, précité, point 56).
29 La Cour a également jugé que, si l’avis motivé doit contenir un exposé cohérent et détaillé des raisons ayant amené la Commission à la conviction que l’État intéressé a manqué à l’une des obligations qui lui incombent en vertu du traité, la lettre de mise en demeure ne saurait être soumise à des exigences de précision aussi strictes, celle-ci ne pouvant nécessairement consister qu’en un premier résumé succinct des griefs. Rien n’empêche donc la Commission de détailler, dans l’avis motivé, les griefs qu’elle a déjà fait valoir de façon plus globale dans la lettre de mise en demeure (arrêt du 16 septembre 1997, Commission/Italie, C-279/94, Rec. p. I-4743, point 15).
30 Or, en l’espèce, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir, dans son recours, défini l’objet du litige d’une manière plus étendue qu’elle ne l’avait fait au cours de la procédure précontentieuse.
31 En effet, dans la lettre de mise en demeure tout d’abord, la Commission avait clairement indiqué que la procédure concernait le refus de l’accès au marché espagnol des produits étrangers, un tel refus découlant de la manière dont les autorités espagnoles interprètent le décret royal. Les décisions de la communauté autonome de Madrid sont mentionnées dans la lettre de mise en demeure complémentaire. Cette dernière lettre constate en outre le grief relatif au non-respect de l’obligation de notification prévue à l’article 1 er de la décision n° 3052/95.
32 Ensuite, dans l’avis motivé, la Commission parvient à la conclusion selon laquelle le royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE, d’une part, en adoptant des mesures qui refusent l’accès au marché espagnol sous la dénomination «limpiador con lejía» («nettoyant avec eau de Javel») ou une dénomination similaire de produits légalement fabriqués et commercialisés dans un autre État membre et, d’autre part, en vertu de la décision n° 3052/95 en ne lui ayant pas notifié lesdites mesures. Ce n’est qu’à titre d’exemple («como») qu’elle mentionne les sanctions imposées dans les procédures jointes 28/802/97-A et 28/063/98-A, et dans la procédure 28/801/97-A, ainsi que la note du 7 avril 1998 de l’Institut national.
33 Enfin, s’il est vrai que les conclusions de la requête sont rédigées d’une manière qui diffère légèrement de la rédaction des lettres de mise en demeure et de l’avis motivé, elles reprennent néanmoins les affirmations faites dans la phase précontentieuse.
Lesdites conclusions ne font plus référence aux décisions de la communauté autonome de Madrid, mais précisent, ce qui ressort effectivement desdites décisions, que la concentration minimale en chlore actif au-dessous de laquelle l’accès au marché espagnol est refusé est de 35 g/l.
34 Il s’ensuit que la Commission n’a pas élargi ou altéré l’objet du litige au cours de la procédure contentieuse, mais s’est bornée à renoncer au grief tiré du défaut de notification, au titre de l’article 1 er de la décision n° 3052/95, des mesures nationales en cause.
35 En outre, il n’y a aucun indice de nature à révéler que les autorités espagnoles n’ont pas pu disposer de toutes les informations nécessaires pour leur permettre de faire valoir utilement leur argumentation en défense.
36 Étant donné que la Commission a utilisé les sanctions imposées par la communauté autonome de Madrid uniquement à titre d’exemple, il n’y a pas lieu pour la Cour de limiter la portée de la requête à ces sanctions.
37 L’exception d’irrecevabilité doit donc être rejetée dans son ensemble et le recours déclaré recevable.

Sur le fond 38 Il n’est pas contesté entre les parties et, au demeurant, le gouvernement espagnol admet expressément que le refus de l’accès au marché espagnol sous la dénomination «limpiador con lejía» («nettoyant avec eau de Javel») ou une dénomination similaire de produits légalement fabriqués et commercialisés dans d’autres États membres lorsque leur teneur en chlore actif est inférieure à 35 g/l, constitue une mesure d’effet équivalent au sens de l’article 28 CE. Il est également constant que la teneur en chlore actif des produits de nettoyage n’a pas été harmonisée au niveau communautaire.
39 Les parties sont toutefois en désaccord en ce qui concerne la question de savoir si cette entrave à la libre circulation de marchandises pourrait être justifiée au regard de la protection de la santé publique ou des consommateurs.
Arguments des parties 40 Le gouvernement espagnol fait valoir que l’unique manière de contrôler d’une manière adéquate des micro-organismes tels que la salmonelle, le campylobacter et l’escherichia coli serait d’utiliser de bonnes mesures de nettoyage et de désinfection tant au niveau industriel que domestique. Cela serait d’autant plus important que, en Espagne, la température ambiante est relativement élevée durant une grande partie de l’année. Il serait donc indispensable au regard de la protection de la santé publique qu’un contenu minimal de 35 g/l de chlore actif soit garanti. Considérant que le décret royal s’applique indistinctement aux produits nationaux et aux produits importés, il n’y aurait ni discrimination arbitraire ni restriction déguisée dans le commerce entre les États membres.
41 S’agissant de la protection des consommateurs, ledit gouvernement fait valoir que les consommateurs espagnols connaissent les eaux de Javel traditionnellement pour leurs effets blanchissants et désinfectants. Il ajoute que l’apposition de la mention «eau de Javel» lorsque la concentration en chlore actif de la solution d’hypochlorite est substantiellement inférieure aux limites établies par la loi contrevient au droit du consommateur à être informé de manière claire et précise sur les caractéristiques du produit commercialisé au regard du choix dont dispose ce consommateur et de l’utilisation que ce dernier se propose d’en faire. En effet, un tel produit ne réunirait pas les caractéristiques établies par la réglementation applicable aux eaux de Javel. 42 La Commission soutient que la protection des consommateurs pourrait être assurée par des mesures autres que celle consistant à réserver certaines dénominations de vente, par exemple l’emploi du terme «eau de Javel», aux produits possédant certaines qualités déterminées. Ces mesures, telles que l’apposition d’une étiquette adéquate mentionnant la nature et les caractéristiques du produit vendu, restreindraient moins la commercialisation, dans un État membre, des produits provenant d’un autre État membre et répondant aux normes établies dans ce dernier État.
43 Elle ajoute que l’interprétation du décret royal préconisée par les autorités espagnoles enlève toute signification à la clause de reconnaissance mutuelle dont l’objectif serait justement de permettre la commercialisation en Espagne d’eaux de Javel et a fortiori de produits contenant de l’eau de Javel qui ne répondent pas aux spécifications de la réglementation espagnole, mais satisfont à celles d’autres États membres dans lesquels ils sont légalement fabriqués et commercialisés.
Appréciation de la Cour 44 Selon une jurisprudence constante, l’article 28 CE prohibe les obstacles à la libre circulation des marchandises résultant, en l’absence d’harmonisation des législations nationales, de l’application à des marchandises en provenance d’autres États membres, où elles sont légalement fabriquées et commercialisées, de règles relatives aux conditions auxquelles doivent répondre ces marchandises (telles que celles qui concernent leur dénomination, leur forme, leurs dimensions, leur poids, leur composition, leur présentation, leur étiquetage, leur conditionnement), même si ces règles sont indistinctement applicables aux produits nationaux et aux produits importés (arrêt du 16 janvier 2003, Commission/Italie, C-14/00, Rec. p. I-513, point 69, et la jurisprudence citée).
45 Pour que la protection de la santé publique puisse justifier l’entrave constatée, il doit être établi que les produits légalement fabriqués et commercialisés dans des États membres autres que le royaume d’Espagne, sous la dénomination «nettoyant avec eau de Javel» ou une dénomination similaire, lorsque leur teneur en chlore actif est inférieure à 35 g/l, présentent un risque pour la santé publique.
46 Il ne saurait être soutenu qu’un produit nettoyant dont la teneur en chlore actif est inférieure à 35 g/l présente, en soi, un risque supérieur à celui des produits similaires ayant une teneur minimale en chlore actif de 35 g/l et dont la commercialisation est autorisée. En effet, le chlore actif étant une substance dangereuse, moins un produit en contient, moins il est susceptible de nuire à la santé publique.
47 Même à supposer qu’une teneur en chlore actif de 35 g/l ou une teneur supérieure soit nécessaire pour certains types de désinfection, il ne s’ensuit pas que tout produit ayant une teneur en chlore actif inférieure à ce chiffre constitue un danger pour la santé publique. Il conviendrait toutefois d’admettre que ces produits nettoyants ne sont pas aptes à être utilisés dans le cadre de telles désinfections.
48 Le risque qui pourrait être lié à un tel produit résulte donc plutôt des dangers qui peuvent se présenter lorsqu’un consommateur l’utilise de manière inappropriée ou à des fins autres que celles pour lesquelles il a été conçu.
49 À cet égard, il y a lieu de constater, ainsi que l’a fait valoir la Commission, que la réglementation espagnole telle qu’appliquée par les autorités nationales est disproportionnée par rapport à l’objectif de la protection des consommateurs.
50 En effet, apposer une étiquette qui comporte des informations sur la nature et les caractéristiques principales du produit, y compris la teneur en chlore actif de celui-ci, apparaît tout à fait suffisant pour informer les consommateurs des qualités et de la composition de produits tels que ceux en cause dans la présente affaire.
51 Le gouvernement espagnol objecte que, en Espagne, les consommateurs s’attendent à ce que la teneur en chlore actif de l’eau de Javel ne soit pas inférieure à 35g/l. Ils seraient donc induits en erreur si des produits de nettoyage ne répondant pas à cette attente pouvaient être commercialisés en Espagne.
52 Toutefois, la circonstance que les consommateurs d’un État membre ont des idées bien déterminées quant à la composition ou aux caractéristiques d’un produit donné n’est pas, en principe, susceptible de justifier des entraves à la libre circulation des marchandises.
53 Il ressort de la jurisprudence de la Cour que le «consommateur de référence» est un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé (voir, en ce qui concerne les denrées alimentaires, arrêt du 16 juillet 1998, Gut Springenheide et Tusky, C-210/96, Rec. p. I-4657, point 31). Ce critère, fondé sur le principe de proportionnalité, s’applique également dans le domaine de la commercialisation de produits cosmétiques lorsqu’une erreur sur les caractéristiques du produit ne saurait porter atteinte à la santé publique (arrêts du 13 janvier 2000, Estée Lauder, C-220/98, Rec. p. I-117, point 28, et du 24 octobre 2002, Linhart et Biffl, C-99/01, Rec. p. I-9375, point 31).
54 Or, le gouvernement espagnol n’a pas été en mesure d’établir qu’il existe des différences significatives entre la lisibilité et l’intelligibilité des étiquettes des produits alimentaires ou cosmétiques, d’une part, et des produits nettoyants, d’autre part, qui auraient pour effet que les caractéristiques désinfectantes de ces derniers ne sauraient être correctement appréciées par les consommateurs lors de la lecture de l’étiquette. En effet, en ce qui concerne les produits désinfectants, il est essentiel que le consommateur prenne en compte la teneur en chlore actif de ces produits, que celle-ci soit inférieure ou supérieure à 35 g/l.
55 Le gouvernement espagnol fait toutefois valoir que, dans le cas de l’eau de Javel, une erreur relative à la concentration d’hypochlorite de sodium peut avoir des conséquences préjudiciables pour la santé du consommateur puisque ce dernier compte sur un effet désinfectant du produit qu’il ne possède pas.
56 En admettant même que tel puisse être le cas, ledit gouvernement n’a pas établi la raison pour laquelle un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, risque de commettre une telle erreur s’agissant de l’eau de Javel, alors que ne seraient pas commises des erreurs de même nature, tout aussi préjudiciables pour la santé, qui résulteraient d’une lecture inappropriée des informations figurant sur les étiquettes d’autres produits.
57 À cet égard, la législation communautaire concernant la classification, l’emballage et l’étiquetage des préparations dangereuses établit quelles sont les exigences d’étiquetage des préparations dangereuses que les producteurs de produits nettoyants à base d’eau de Javel sont tenus de respecter s’ils veulent les commercialiser en Espagne [voir, notamment, les directives 88/379/CEE du Conseil, du 7 juin 1988, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la classification, à l’emballage et à l’étiquetage des préparations dangereuses (JO L 187, p. 14), et 1999/45/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mai 1999, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la classification, à l’emballage et à l’étiquetage des préparations dangereuses (JO L 200, p. 1), qui abroge et remplace la directive 88/379 à partir du 30 juillet 2002]. L’article 7 de la directive 88/379 précisait les indications qui doivent figurer de manière lisible et indélébile sur l’emballage et prévoyait de quelle manière la dénomination chimique de la ou des substances présentes dans la préparation concernée doit être indiquée.
58 Si ces exigences sont réunies, il n’y a aucune raison de mettre en doute le fait que le niveau de sécurité ainsi fixé suffit à assurer une protection adéquate et appropriée des consommateurs.
59 Le gouvernement espagnol soutient encore que les produits qui ont été légalement fabriqués et commercialisés sous la dénomination «nettoyant avec eau de Javel» dans d’autres États membres ne respectent pas les dispositions de la directive 84/450/CEE du Conseil, du 10 septembre 1984, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de publicité trompeuse (JO L 250, p. 17).
60 Cette argumentation ne saurait être retenue. En effet, les étiquettes apposées sur lesdits produits n’induisent pas en erreur le consommateur sur les propriétés réelles de ces produits, étant donné que ceux-ci portent la mention «avec eau de Javel».
La préposition «avec» («con») indique clairement au consommateur qu’il acquiert un produit qui se compose, notamment mais pas exclusivement, d’eau de Javel. La vraie nature du produit n’est donc pas cachée au consommateur.
61 Il convient dès lors de constater que, en refusant l’accès au marché espagnol sous la dénomination «limpiador con lejía» («nettoyant avec eau de Javel») ou une dénomination similaire de produits légalement fabriqués et commercialisés dans d’autres États membres lorsque leur teneur en chlore actif est inférieure à 35 g/l, le royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE.

Sur les dépens
62 En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du royaume d’Espagne et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre)

déclare et arrête:

1) En refusant l’accès au marché espagnol sous la dénomination «limpiador con lejía» («nettoyant avec eau de Javel») ou une dénomination similaire de produits légalement fabriqués et commercialisés dans d’autres États membres lorsque leur teneur en chlore actif est inférieure à 35 grammes par litre, le royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE.

2) Le royaume d’Espagne est condamné aux dépens.

Edward

La Pergola

Jann

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 novembre 2003.

Le greffier

Le président

R. Grass

V. Skouris


1 – Langue de procédure: l’espagnol.

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CJCE, n° C-358/01, Arrêt de la Cour, Commission des Communautés européennes contre Royaume d'Espagne, 6 novembre 2003