Cour nationale du droit d'asile, 13 novembre 2023, n° 22022604

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Sur la décision

Référence :
CNDA, 13 nov. 2023, n° 22022604
Numéro(s) : 22022604

Sur les parties

Texte intégral

COUR NATIONALE DU DROIT D’ASILE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE 22022604
___________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS M. X Y
___________
La Cour nationale du droit d’asile Mme Gosselin
Présidente
___________ (2ème section, 4ème chambre)
Audience du 23 octobre 2023 Lecture du 13 novembre 2023 ___________
Vu la procédure suivante :
Par un recours enregistré le 26 février 2022, M. X Y, représenté par Me Z, demande à la Cour :
1°) d’annuler la décision du 31 décembre 2021 par laquelle le directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté sa demande d’asile et de lui reconnaître la qualité de réfugié ou, à défaut, de lui accorder le bénéfice de la protection subsidiaire ;

2°) de mettre à la charge de l’OFPRA la somme de 1 800 (mille huit cents) euros à verser à Me Z en application de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
M. Y, qui se déclare de nationalité ukrainienne, né le […], soutient qu’il craint d’être exposé à des persécutions ou à une atteinte grave du fait d’élus de sa localité et des autorités ukrainiennes, en cas de retour dans son pays d’origine, en raison des opinions politiques qui lui sont imputées, de son objection de conscience et du conflit en cours en Ukraine.
Un mémoire a été produit le 17 octobre 2023 par Me Z et communiqué le 19 octobre 2023 au directeur général de l’OFPRA qui a été informé de la réouverture de l’instruction et de sa nouvelle clôture le 23 octobre 2023, date de l’audience, après que les parties ou leurs mandataires auront formulé leurs observations.
Vu :
- la décision attaquée ;
- la décision du bureau d’aide juridictionnelle du 8 mars 2022 accordant à M. Y le bénéfice de l’aide juridictionnelle ;
- les autres pièces du dossier.


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Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés ;
- la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;
- le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique modifiée.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique du 23 octobre 2023 :
- le rapport de M. AA ;
- les explications de M. Y, entendu en ukrainien et assisté de Mme Shevaga, interprète assermentée ;
- et les observations de Me Z.
Considérant ce qui suit :
Sur la demande d’asile :
1. Aux termes de l’article 1er, A, 2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».
2. Aux termes de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « Le bénéfice de la protection subsidiaire est accordé à toute personne qui ne remplit pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié mais pour laquelle il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’elle courrait dans son pays un risque réel de subir l’une des atteintes graves suivantes : 1° La peine de mort ou une exécution ; 2° La torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants ; 3° S’agissant d’un civil, une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence qui peut s’étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle et résultant d’une situation de conflit armé interne ou international ».
3. M. Y, de nationalité ukrainienne, né le […] en République socialiste et soviétique d’Ukraine, soutient qu’il craint d’être exposé à des persécutions du fait d’élus de sa localité et des autorités ukrainiennes, en cas de retour dans son pays d’origine, en raison des opinions politiques qui lui sont imputées et de son objection de conscience et d’être exposé à des atteintes graves du fait du conflit en cours en Ukraine. Il fait valoir qu’il est originaire de la municipalité d'[…] dans l'oblast de […] et qu’il travaille dans le secteur du bâtiment. Il a exercé comme salarié pendant dix ans avant de devenir autoentrepreneur. Il a eu accès à des marchés publics. En 2014, il a été convoqué dans le cadre de la mobilisation partielle des réservistes avant d’être finalement déclaré inapte au combat. En 2015, il s’est présenté à l’élection des membres du conseil municipal d'[…] en tant que candidat de la formation politique Nas Krai (« Notre pays ») mais il n’a pas été élu. Par la suite, les différents directeurs généraux des services municipaux qui se sont succédés lui ont réclamé des commissions illégales. Il a refusé et a été partiellement évincé des marchés publics au profit
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d’entrepreneurs ayant accepté de payer. Lorsqu’il était sélectionné, il était victime de contrôles arbitraires émanant d’inspecteurs du travail. En 2017, il a ouvert une société à responsabilité limitée. La même année, un litige pour des motifs fallacieux est survenu lors de l’exécution d’un marché public qui lui avait été attribué et une procédure judiciaire pour détournement de fond public a été ouverte contre lui. Lors de l’hiver 2017, son domicile a été perquisitionné et il a été conduit au poste de police. Il a été placé sous contrôle judiciaire en ayant notamment l’interdiction de quitter le territoire ukrainien et de conclure de nouveaux marchés publics avec des collectivités publiques. Le 22 janvier 2021, une audience a eu lieu sans que les juges ne prononcent leur jugement. Craignant pour sa sécurité, il a quitté son pays le 1er février 2021 et il est arrivé en France le 4 février 2021.
4. En premier lieu, les informations fournies par M. Y lors de l’instruction ont permis à la Cour de tenir pour établi sa nationalité ukrainienne et sa provenance de l'oblast de […], compte tenu notamment de la production de sa carte et des déclarations précises et circonstanciées qu’il a apportées sur la localité d'[…] dont il est originaire.
5. En second lieu, si ses propos sur son activité professionnelle dans le bâtiment sont apparus cohérentes et précises, ses déclarations confuses sur le conflit politique qui l’avait opposé à des directeurs de services et des élus de sa municipalité n’ont pas permis à la Cour de tenir ces faits pour établis. Il n’a ainsi pas été capable de démontrer le lien entre sa candidature aux élections de 2015 sous l’étiquette du parti Nas Krai et l’acharnement dont il aurait été victime par la suite de la part d’élus et de directeurs de services appartenant aux autres partis représentés dans sa municipalité. De même, s’agissant des procédures judiciaires le concernant pour détournement de fonds dans le cadre de l’exécution d’un marché public, il n’a pas été capable de démontrer qu’elles avaient été diligentées par les directeurs de services auxquels il avait refusé de verser des commissions illégales. La Cour relève que le requérant a déclaré avoir néanmoins remporté certains appels d’offres et s’il affirme avoir fait l’objet de contrôles intempestifs de la part d’inspecteurs du travail, ses déclarations sommaires sur le sujet ne reposent sur aucun élément concret et déterminant.
6. En troisième lieu, s’agissant de son objection de conscience, il n’a pas été en capacité de démontrer l’actualité de cette crainte pour ce motif dès lors, notamment, qu’il a été déclaré inapte au combat par les autorités militaires ukrainiennes en 2014, ce qu’il a confirmé lors de l’audience.
7. Ainsi, les craintes énoncées par le requérant ne peuvent être tenues pour fondées ni au regard du 2 du A de l’article 1er de la convention de Genève, ni au regard des 1° et 2° de l’article L.512- du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
8. Cependant, le bien-fondé de la demande de protection de M. Y, dont la qualité de civil est établie, doit également être apprécié au regard du contexte prévalant dans son pays d’origine, l’Ukraine, et plus particulièrement dans l'oblast de […], dont il a démontré être originaire.
9. Il résulte du 3° de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile que l’existence d’une menace grave, directe et individuelle contre la vie ou la personne d’un demandeur de la protection subsidiaire n’est pas subordonnée à la condition qu’il rapporte la preuve qu’il est visé spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle dès lors que le degré de violence généralisée caractérisant le conflit armé atteint un niveau si élevé qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil renvoyé dans le
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pays ou la région concernés courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire, un risque réel de subir ces menaces. Le bénéfice de la protection subsidiaire peut aussi résulter, dans le cas où la région que l’intéressé a vocation à rejoindre ne connaît pas une telle violence, de la circonstance qu’il ne peut s’y rendre sans nécessairement traverser une zone au sein de laquelle le degré de violence résultant de la situation de conflit armé est tel qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé se trouverait exposé, du seul fait de son passage, même temporaire, dans la zone en cause, à une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne.
10. Il résulte des mêmes dispositions, qui assurent la transposition de l’article 15, sous c), de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, tel qu’interprété par l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 10 juin 2021, CF, DN c/ Bundesrepublik Deutschland (C-901/19), que la constatation de l’existence d’une telle menace ne saurait être subordonnée à la condition que le rapport entre le nombre de victimes dans la zone concernée et le nombre total d’individus que compte la population de cette zone atteigne un seuil déterminé mais exige une prise en compte globale de toutes les circonstances du cas d’espèce, notamment de celles qui caractérisent la situation du pays d’origine du demandeur, par exemple, outre des critères quantitatifs relatifs au nombre de victimes, l’intensité des affrontements armés, le niveau d’organisation des forces armées en présence, la durée du conflit, l’étendue géographique de la situation de violence, ou l’agression éventuellement intentionnelle contre des civils exercée par les belligérants.
11. En novembre 2013, le président de la République d’Ukraine a renoncé à signer l’accord d’association entre son pays et l’Union européenne au profit d’un rapprochement avec la Fédération de Russie, provoquant une crise politique majeure de novembre 2013 à février 2014 connue sous le nom d'« Euromaïdan », aboutissant à sa fuite puis à sa destitution par le Parlement. Le 28 février 2014, l’intégrité territoriale de l’Ukraine a été rompue par la sécession de l’entité autonome de Crimée, ensuite intégrée à la Fédération de Russie par un référendum du 16 mars 2014, dont le résultat n’a pas été reconnu internationalement. À la suite d’une insurrection armée contre le nouveau gouvernement ukrainien pro-occidental, les « Républiques populaires » de Donetsk et de AF, qui constituent une partie du Donbass ukrainien, ont proclamé leur indépendance le 11 mai 2014. Si le protocole conclu à Minsk le 5 septembre 2014 et les accords postérieurs ont permis la mise en œuvre d’un cessez-le-feu, ils n’ont cependant pas mis un terme définitif aux combats et n’ont pas eu pour effet de consacrer la reconnaissance de l’autonomie de ces deux territoires. Par deux décrets présidentiels du 21 février 2022, le président de la Fédération de Russie a reconnu l’indépendance des régions séparatistes et a ordonné trois jours plus tard l’envoi des forces russes dans le cadre d’une vaste « opération spéciale » en Ukraine. Le 30 septembre 2022, à la suite de référendums dont les résultats n’ont pas été reconnus par la communauté internationale, la Russie a annexé les oblasts ukrainiens de Donetsk et AF, ainsi que ceux de AD et AE, violant à nouveau les frontières territoriales de l’Ukraine telles que définies par les mémorandums de Budapest du 5 décembre 1994.
12. Le conflit déclenché par l’offensive des troupes russes initiée le 24 février 2022 implique, d’une part, l’armée russe, et d’autre part, l’ensemble des forces armées ukrainiennes. Il résulte de ce qui précède que les combats actuels en Ukraine opposant les forces russes aux forces ukrainiennes constituent un conflit armé international au sens des quatre conventions de Genève de 1949 et du premier protocole additionnel de 1977.
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13. Les belligérants mobilisent un arsenal militaire particulièrement important. Les méthodes et tactiques de guerre employées ont impacté l’intégralité du territoire ukrainien. Les troupes russes envahissant l’Ukraine le 24 février 2022 dans le but de prendre Kiev ont été mises en déroute de la capitale ainsi qu’au Nord du pays à la fin du mois de mars 2022 et ont ensuite réorienté leur offensive principalement à l’Est de l’Ukraine. D’avril à juillet 2022, d’intenses combats ont été observés, en particulier à Marioupol et dans l'oblast de Kharkiv. Après une courte période d’enlisement du conflit, la contre-offensive ukrainienne initiée fin août 2022 a permis la reprise, entre autres, de la quasi-totalité de l'oblast de Kharkiv et de la ville de AE. La ligne de front s’est depuis en grande partie déplacée du Sud à l’Est du pays. À cet égard, au 16 juin 2023, l’organisation non gouvernementale The Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED) a recensé 55 883 incidents de sécurité et 78 465 victimes sur l’ensemble du territoire ukrainien entre le 24 février et le 16 juin 2023. Si le seul oblast de Donetsk en compte 22 830 pour cette période, de nombreux incidents similaires ont été constatés sur l’ensemble du territoire : ainsi, par exemple, les oblasts de Kiev, de Tchernihiv et de Soumy ont connu un nombre élevé d’incidents de sécurité dans les premiers mois de l’invasion russe, respectivement 861 pour Kiev, 1 119 pour Tchernihiv et 2 917 pour Soumy entre fin février 2022 et mi-juin 2023. Les populations civiles ont été frappées : selon le Haut- Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (OHCHR), au 22 mai 2023, 24 012 victimes civiles ont été recensées pour l’ensemble de l’Ukraine, dont 12 920 pour les seuls oblasts de Donetsk et AF, bien que ces données soient à l’heure actuelle sous-estimées en raison des difficultés à procéder à des recensements précis du fait des combats. La Mission de surveillance des droits de l’homme des Nations unies en Ukraine (HRMMU) recense pour sa part un minimum de 17 994 victimes civiles pour l’année 2022. Les populations civiles ont par ailleurs été victimes d’exactions. Selon la coordinatrice humanitaire des Nations unies en Ukraine, AB AC, au 30 juin 2022 près de 16 millions d’Ukrainiens avaient besoin d’une aide humanitaire, notamment dans la ville de Marioupol « en proie à une grave pénurie alimentaire ». Or, le Programme alimentaire de l’ONU n’a permis d’apporter une aide alimentaire et économique qu’à 1,28 million de personnes.
14. Il ressort des informations publiées le 24 mars 2023 sur le site internet du Haut- commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) que le conflit a entraîné le déplacement d’au minimum 8 156 960 Ukrainiens à l’extérieur du pays. Pour sa part, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) estimait, dans sa communication du 2 février 2023 (OIM, « Ukraine — Internal Displacement Report — General Population Survey Round 12 (16
- 23 January 2023) », 2 février 2023), le nombre de déplacés internes à 5 352 000 personnes, soit près de 12% de la population ukrainienne, et à 5 562 000 le nombre de personnes rapatriées. Les « macro-régions », terme utilisé par l’OIM désignant des ensembles régionaux d’oblast, de l’Est d’une part, comprenant les oblasts de Donetsk, AF, Kharkiv, AD et Dnipropetrovsk et la macro-région du Sud du pays d’autre part, comprenant ceux de […], AE et Odessa, comptabilisent plus de 4,4 millions de personnes déplacées, soit 84 % du total. L’OIM estime que 19 % des déplacés internes proviennent de l’oblast de Donetsk, 27 % de celui de Kharkiv, 13 % de AD, 10 % de AE, 8 % de AF, les 23% restant provenant des autres oblasts.
15. Ainsi, si la situation sécuritaireprévalant actuellement en Ukraine se caractérise par un niveau significatif de violence, celle-ci est cependant marquée par des disparités régionales en termes d’étendue ou de niveau de violence ainsi que d’impact sur les populations civiles. Par suite, la seule invocation de la nationalité ukrainienne ne peut suffire, à elle seule, à établir le bien-fondé d’une demande de protection internationale. Il y a lieu, dès lors, de prendre en compte la situation qui prévaut dans la région où le requérant a vocation à se réinstaller en cas de retour puis d’apprécier si cette personne court, dans cette région ou sur le trajet pour
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l’atteindre, un risque réel de subir des atteintes graves au sens des dispositions précitées. En outre, dans la mesure où la totalité du territoire de l’Ukraine se trouve dans une situation de conflit armé international à l’origine d’une violence aveugle, il n’y a pas lieu d’user, pour les personnes exposées avec raison à une crainte de persécution au sens de la convention de Genève ou à une atteinte grave au sens de l’article L. 512-1 du code de la faculté prévue par l’article L. 513-5 du même code permettant de rejeter la demande d’une personne au motif qu’elle aurait accès légalement et en toute sécurité à une protection sur une partie du territoire de son pays d’origine et si on peut raisonnablement attendre à ce qu’elle s’y établisse.
16. Au vu tant des données chiffrées précitées que de l’évolution du conflit, il apparaît que les oblasts des « macro-régions » de l’Est et du Sud de l’Ukraine sont les régions les plus touchées du pays. En effet, selon l’ACLED, la période de référence comprise entre le 24 février 2022 et le 31 mars 2023, la « macro-région » du Sud et la « macro-région » de l’Est concentrent environ 40 377 incidents de sécurité pour 185 dans les « macro-régions » du Centre et de l’Ouest.
17. L'oblast de […], dans lequel réside le requérant, est situé dans la macro-région du Sud de l’Ukraine et est hautement stratégique pour les belligérants, en raison notamment de la position de sa capitale administrative éponyme, ville portuaire et industrielle située sur le Boug oriental, à proximité de AE. L'oblast de […] est limitrophe de cet oblast du même nom, sur lequel se concentre actuellement une partie de la ligne de front. Il constitue aussi un obstacle vers la ville d’Odessa sur la Mer Noire, où sont fabriqués les navires militaires ukrainiens. Au début de l’invasion, les forces armées russes ont tenté, en vain, de prendre le contrôle de la ville de […] au cours d’une opération militaire menée entre le 26 février et le 8 avril 2022, avant d’en être repoussées. Depuis, la ville de […] a été la cible de bombardements réguliers et demeure sous alerte constante. Depuis le début des affrontements, de nombreuses infrastructures ont subi des attaques russes, dont l’administration régionale détruite par des missiles en mars 2022 et le chantier naval de […] touché en juillet 2022 par des bombardements aériens. La ville, qui comptait environ un demi-million d’habitants avant le conflit, a vu la moitié d’entre eux partir depuis lors. Selon un article du journal Le Parisien du 1er janvier 2023 « Guerre en Ukraine : les frappes russes du 31 décembre 2022 ont visé des fabriques de drones, selon Moscou », les forces russes ont bombardé un hôpital près de […], à l’origine de l’évacuation de plusieurs blessés. Selon le journal Le Point du 27 avril 2023, durant la nuit du 26 au 27 avril 2023, les forces armées russes ont effectué des frappes meurtrières faisant un mort et vingt-trois blessés, ces bombardements ayant atteint des immeubles d’habitation ainsi qu’un bâtiment historique. Enfin, selon les données de l’ACLED, 277 incidents de sécurité ont été recensés entre le 5 novembre 2022 et le 16 juin 2023. Sur la même période, l’ACLED dénombre encore 32 décès, civils et combattants confondus. Il résulte de l’ensemble de ces éléments qu’il y a lieu de considérer que le conflit armé international en cours en Ukraine engendre, à la date de la présente décision, dans l'oblast de […], dont M. Y est originaire, une situation de violence aveugle d’intensité exceptionnelle.
18. Ainsi, M. Y, dont la qualité de civil n’est pas contestée, courrait, en cas de retour dans son pays et plus précisément dans l'oblast de […], du seul fait de sa présence sur ce territoire, un risque réel de subir une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence qui peut s’étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle et résultant d’une situation de conflit armé international, au sens du 3° de l’article L. 512-1 du code précité, sans pouvoir se prévaloir de la protection effective des autorités. Dès lors, M. Y est fondé à se voir accorder le bénéfice de la protection subsidiaire.
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Sur l’application de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
19. M. Y ayant obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle, son conseil peut se prévaloir des dispositions de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans les circonstances de l’espèce, et sous réserve que Me Z renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat, il y a lieu de mettre à la charge de l’OFPRA la somme globale de 1 000 (mille) euros à verser à son profit.

D E C I D E :
Article 1er : La décision du directeur général de l’OFPRA du 31 décembre 2021 est annulée.
Article 2 : Le bénéfice de la protection subsidiaire est reconnue à M. X Y.
Article 3 : L’OFPRA versera à Me Z la somme de 1 00 (mille) euros en application du deuxième alinéa de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. X Y, à Me Z et au directeur général de l’OFPRA.


Délibéré après l’audience du 23 octobre 2023 à laquelle siégeaient :
- Mme Gosselin, présidente ;
- Mme AG, personnalité nommée par le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés ;
- Mme AH, personnalité nommée par le vice-président du Conseil d’Etat.
Lu en audience publique le 13 novembre 2023.
La présidente : Le chef de chambre :
C. Gosselin G. Cambrezy
La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
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Si vous estimez devoir vous pourvoir en cassation contre cette décision, votre pourvoi devra être présenté par le ministère d’un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation dans un délai de deux mois, devant le Conseil d’Etat. Le délai ci-dessus mentionné est augmenté d'un mois, pour les personnes qui demeurent en Guadeloupe, en Guyane, à la Martinique, à La Réunion, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, à Mayotte, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises et de deux mois pour les personnes qui demeurent à l’étranger.
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