Conseil de prud'hommes de Versailles, 15 juin 2021, n° F 19/00562

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
Cons. prud’h. Versailles, 15 juin 2021, n° F 19/00562
Juridiction : Conseil de prud'hommes de Versailles
Numéro(s) : F 19/00562

Sur les parties

Texte intégral

Conseil de Prud’Hommes

[…]

[…]

[…]

JUGEMENT

CONTRADICTOIRE

PREMIER RESSORT

N° RG F 19/00562 – N° Portalis

DCZR-X-B7D-BOPH

[…]

AFFAIRE

C X

contre

SASU BOUYGUES ES

MAINTENANCE

INDUSTRIELLE

Notification le : 6 JUIN 2021 1

Date de la réception

par le demandeur :

par le défendeur :

Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée

à :

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

JUGEMENT

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION AU GREFFE

LE 15 Juin 2021

Débats à l’audience publique du 18 Mai 2021

Bureau de Jugement composé lors des débats et du délibéré de : Madame Cécile VIGNAT, Président Juge départiteur Monsieur I-Louis VERNISSE, Assesseur Conseiller (E) Monsieur Geoffroy DE FAUTEREAU-VASSEL, Assesseur Conseiller (E)
Monsieur Abd-Malik BAOUZ, Assesseur Conseiller (S) Monsieur H-Louis ROUIX, Assesseur Conseiller (S) Assistés lors des débats de Madame Sabine MARÉVILLE, Greffier

ENTRE
Monsieur C X […]

Comparant Assisté de Me Mélanie GSTALDER, avocat au barreau de PARIS

DEMANDEUR

ET

SASU BOUYGUES ES MAINTENANCE INDUSTRIELLE

[…]

Représentée par Me Sofiane COLY, avocat au barreau de LYON

DEFENDERESSE

Pour copie conforme

Le Greffier

PRUD’HON


Saisine du 27 septembre 2019.

Convocation des parties par le greffe en date du 04 octobre 2019.

Audience de conciliation du 14 janvier 2020 puis renvoi au 11 février 2020 et au 10 mars

2020. Les parties ont comparu.

Echec de la tentative de conciliation.

Renvoi de l’affaire devant le bureau de conciliation et de mise en état du 16 juin 2020, 1er septembre 2020 et 17 novembre 2020, date à laquelle une ordonnance de clôture a été prononcée.

Renvoi de l’affaire devant le bureau de jugement du 26 janvier 2021, et au vu de la fermeture des services du conseil de céans due à un cas positif au sein du greffe, renvoi devant

le bureau de jugement du 30 mars 2021. Affaire mise en délibéré pour prononcé à la date du 1er juin 2021, avancé au 13 avril 2021.

Ce jour, le conseil se déclare en partage de voix.

L’affaire a été renvoyée à l’audience de bureau de jugement du 18 mai 2021 présidée par le juge départiteur, les parties dûment convoquées.

Ce jour, les parties ont comparu comme indiqué en première page du présent jugement.

Dernier état de la demande :

144 375,00 euros

- Rappel d’astreinte 14 437,50 euros Indemnité de congés payés y afférents 19 105,81 euros

- Indemnité pour travail dissimulé 1 033,65 euros

- Rappel de salaire sur mise à pied. 103,36 euros.

- Indemnité de congés payés y afférents 6 368,60 euros

- Indemnité compensatrice de préavis 636,86 euros Indemnité de congés payés sur préavis

- Indemnité conventionnelle de licenciement 18 150,00 euros L

Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse 63 000,00 euros

2 000,00 euros

- Article 700 du code de procédure civile.

- Intérêts légaux avec capitalisation ou anatocisme

- Exécution provisoire du jugement à intervenir

Demande reconventionnelle : 3 000,00 euros

- Article 700 du code de procédure civile

- Dépens. Affaire mise en délibéré pour prononcé à la date indiquée en première page.

Ce jour, le conseil après en avoir délibéré, prononça le jugement suivant :

LES FAITS ET LA PROCEDURE
Monsieur C X a été engagé le 9 mars 1998 en qualité de technicien de maintenance par la société Somepost Logistique aux termes d’un contrat de travail à durée indéterminée en date du 5 mars 1998. Cette société a été reprise par la société Bouygues ES

Maintenance Industrielle (ci-après BYES MI).

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La société BYES MI est spécialisée dans la maintenance industrielle, le transfert d’usines ou de lignes productions et la création de machines sur demande spécifique. La société BYES MI intervient principalement chez ses clients.

La société BYES MI est missionnée pour assurer la maintenance du système de tri des bagages mis en place par l’aéroport Charles de Gaulle au sein du terminal 2G.

Dans le dernier état de la relation contractuelle et à compter du 15 avril 2013, Monsieur X occupait les fonctions de responsable de site sur le site de l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle et encadrait une équipe assurant la maintenance globale des convoyeurs au sein du terminal 2G.

Dans son dernier état, la rémunération brute mensuelle moyenne de Monsieur X était de 3 184,30 euros.

Par lettre du 6 juin 2019, Monsieur X était mis à pied à titre conservatoire.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 7 juin 2019, Monsieur X était convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, entretien fixé au 17 juin 2019.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 25 juin 2019, la société BYES MI notifiait à Monsieur X son licenciement pour faute grave, lui reprochant d’avoir installé à l’insu de la direction un dispositif de caméra enregistreuse à des fins de surveillance des équipes.
Monsieur X a saisi le conseil de prud’hommes de Versailles le 27 septembre 2019 aux fins de voir condamner son ancien employeur, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, à lui payer les sommes suivantes, avec capitalisation des intérêts : 144 375,00 euros à titre de rappel d’astreinte, M

F14 437,50 euros à titre de congés payés y afférents,

- 19 105,81 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé,

- 1 033,65 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied,

- 103,36 euros au titre des congés payés y afférents,

- 6 368,60 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

- 636,86 euros au titre des congés payés y afférents, 18 150,00 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement, 63 000,00 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 2 000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La société BYES MI demande au conseil de dire et juger le licenciement de Monsieur X parfaitement fondé, de dire et juger qu’il n’a jamais effectué la moindre astreinte et par conséquent, de le débouter de l’intégralité de ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Les conseillers s’étant mis en partage de voix, l’affaire a été évoquée à l’audience du 18 mai 2021 sous la présidence du juge départiteur..

Les parties sont présentes et assistées par leur conseil respectif.

A l’appui de ses demandes, Monsieur X soutient que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse en application du principe « non bis in idem » dans la mesure où la société BYES MI l’a convoqué le lendemain de sa mise à pied, donc de manière différée, ce qui lui a fait perdre son caractère conservatoire.

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Monsieur X explique qu’il encadre une équipe de 6 techniciens sur le site de l’aéroport Charles de Gaulle sans être toutefois leur supérieur hiérarchique. Depuis la fin de l’année 2018, Monsieur X a constaté régulièrement à ses retours de congés, la disparition d’outillages, de cadeaux destinés aux clients et des fouilles de son bureau. Parfaitement informée, la direction ne s’est jamais déplacée sur le site. Monsieur X n’a pu avoir accès aux vidéos de l’aéroport pour savoir qui fouillait et volait et son supérieur hiérarchique a refusé de déposer plainte. Monsieur X était donc volé sans aucune réaction de la direction. C’est dans ce contexte qu’il a décidé de placer une caméra dans son tiroir de bureau uniquement pour savoir qui. fouillait son tiroir et non pour enregistrer les conversations. Une personne a fouillé son tiroir, pris la caméra, copié les fichiers et replacé la caméra. Monsieur X explique avoir toujours été très bien évalué et n’avoir jamais reçu la moindre sanction dans son travail. Cela faisait six mois qu’il était confronté à des vols sans réaction de son employeur. Il estime que compte tenu du contexte dans lequel elle est intervenue, la sanction est disproportionnée.
Monsieur X indique par ailleurs avoir été d’astreinte tout le temps, 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 hormis pendant ses périodes de congés sans jamais avoir de déconnexion avec le travail. Il précise que la rémunération des astreintes a été fixée unilatéralement par l’employeur. A compter du jour où il est devenu responsable de site, Monsieur X indique qu’il n’a plus perçu de salaire au titre de ses astreintes alors que cette astreinte était permanente. Il était désigné comme astreinte décisionnelle. Il pouvait ainsi être appelé à 4h30 du matin dans l’hypothèse où le technicien ne prenait pas son poste ce qui l’obligeait à intervenir immédiatement. Il est intervenu également en pleine nuit à la demande du client constatant une odeur suspecte sur l’installation. Le cahier des charges aéroport de Paris sollicitait expressément une astreinte 24 heures sur 24 et toute l’année. Monsieur X s’estime bien fondé à réclamer ses astreintes outre la condamnation de la société BYES MI à lui payer une indemnité pour travail dissimulé.

En défense, la société BYES MI maintient que la mise à pied était bien conservatoire et qu’elle a été concomitante à la procédure disciplinaire.

S’agissant de la faute grave, la société BYES MI rappelle que la jurisprudence est sévère à l’égard des salariés qui espionnent leurs collègues de travail, estimant qu’il s’agit là d’une violation inacceptable de leur vie privée. La société BYES MI reproche à Monsieur X d’avoir adopté un comportement déloyal à l’égard des collaborateurs de la société en enregistrant les conversations des uns et des autres sans les avoir prévenus au préalable. La société a découvert le 5 juin 2019 que son salarié avait mis en place un dispositif de caméra-enregistreuse placé dans le tiroir de son bureau à des fins de surveillance de l’équipe. Monsieur X ne conteste pas les faits mais tente de les justifier au motif qu’il était victime de membres de l’équipe qui fouillaient ses affaires. Cette mise en place d’un système d’espionnage est totalement disproportionnée et démesurée par rapport à l’objectif prétendument poursuivi par Monsieur X. En ce qui concerne les vols, la société BYES MI ne les a jamais considérés comme tels et Monsieur X n’a jamais été inquiété avec cette difficulté. Monsieur X n’a jamais été victime de vols de ses effets personnels. Il a souhaité avoir accès aux caméras de vidéosurveillance de l’aéroport, client de la société BYES MI, sans informer cette dernière de cette démarche. La société BYES MI estime que Monsieur X s’est cru investi d’une mission et a complètement perdu pied. La société BYES MI conteste toute volonté de suppression de poste et précise que Monsieur X a bien ensuite été remplacé.

S’agissant des astreintes, la société BYES MI rappelle que c’est au salarié qu’il appartient de déterminer le principe de l’astreinte et les temps d’astreinte. Il faut établir que le salarié était obligé constamment de rester à son domicile ou à proximité. La société BYES MI précise que l’astreinte décisionnelle s’entend de la nécessité de donner un référent au client sur la gestion du contrat de maintenance ce qu’elle appelle la procédure d’escalade, à savoir que le responsable du site doit se référer au chargé d’affaire et ainsi de suite en cas de difficulté avec le client. Le chargé d’affaire restait l’interlocuteur privilégié d’aéroport de Paris. Il n’a jamais été question d’imposer à Monsieur X des astreintes puisqu’il n’était pas chargé d’intervenir sur les machines. Les techniciens étaient toujours présents sur le site si ce n’est pendant les heures de fermeture de

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l’aéroport. Le fait que Monsieur X ait pu être appelé en dehors de son temps de travail relève de la problématique du droit à la déconnexion et non de l’astreinte. La société BYES MI rappelle les outils mis en place pour contrôler le temps de travail. Monsieur X disposait d’une totale liberté pour déclarer les astreintes qu’il faisait et c’est lui qui contrôlait le temps de travail des techniciens de maintenance.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à écritures et à leurs observations orales conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

L’affaire a été mise en délibéré par mise à disposition au greffe au 15 juin 2021.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la mise à pied conservatoire

Conformément aux dispositions de l’article L 1332-3 du code du travail, l’employeur peut faire précéder le licenciement d’une mise à pied conservatoire. Il ne s’agit pas d’une sanction disciplinaire à condition toutefois que la procédure de licenciement soit engagée immédiatement. Si l’employeur n’est pas en mesure de justifier le délai écoulé entre la mise à pied conservatoire et la convocation à l’entretien préalable au licenciement, la mise à pied, peu important sa qualification, revêt le caractère de sancțion qui épuise le pouvoir disciplinaire de l’employeur et empêche de procéder au licenciement du salarié pour le même motif en vertu du principe de non cumul des sanctions.

La rupture intervenant au mépris de cette règle est sans cause réelle et sérieuse.

En l’espèce, Monsieur X a été mis à pied à titre conservatoire à compter du 6 juin 2019 par lettre remise en main propre contre décharge. Il était précisé sur ce courrier que « Cette mise à pied à titre conservatoire durera pendant la durée de la procédure d’enquête et jusqu’à votre convocation à l’entretien préalable en vue d’une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement ».

Dès le lendemain, soit le 7 juin 2019, la société BYES MI convoquait son salarié à un entretien préalable fixé au 17 juin 2019.

Le délai de 24h entre les deux courriers ne saurait avoir pour conséquence de faire perdre à la mise à pied son caractère conservatoire, Monsieur X étant parfaitement informé dès la remise de la mise à pied qu’il serait convoqué à l’entretien préalable à une sanction disciplinaire.

Il convient dès lors de débouter Monsieur X de sa demande de requalification de la mise à pied en mise à pied disciplinaire et par voie de conséquence de licenciement sans cause réelle et sérieuse à ce titre.

Sur le licenciement pour faute grave

La faute grave résulte de faits imputables au salarié constituant une violation des obligations du contrat de travail, d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, même pendant la durée du préavis. Il appartient à l’employeur seul, lorsqu’il allègue la faute grave, d’en apporter la preuve. En cas de doute, celui-ci profite au salarié.

Aux termes de la lettre de licenciement particulièrement étayée en date du 25 juin 2019 qui fixe les limites du litige, les faits reprochés à Monsieur X sont exposés dans les termes suivants :

"Vous êtes engagé depuis le 9 mars 1998 par notre groupe et occupiez en dernière fonction le poste de Responsable de site sur notre site client ADP Roissy T2G. Vos fonctions vous ont amené

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à superviser les équipes Byes MI Tri bagages ainsi que d’assurer un rôle de coordinateur avec les équipes BYES FM qui assurent également des prestations de service pour ce même client. A ce titre, vous garantissez le bon fonctionnement des équipements dont vous avez la charge en assurant une réponse appropriée aux attentes de notre client. Vous êtes manager d’une équipe pluridisciplinaire et êtes garant de son activité. Vous êtes référent en termes d’éthiqué et

d’exemplarité professionnelle. Aussi, nous avons été particulièrement choqués par les faits rapportés par nos collègues de BYES FM en date du 5 juin 2019 faisant état de la découverte par les membres de l’équipe d’un dispositif de caméra-enregistreuse placée dans le tiroir de votre bureau à des fins de surveillance

Après échanges avec vous dès le 6 juin 2019, une enquête interne, une réunion avec les équipes des équipes. BYES FM le 12 juin 2019 et comme vous l’avez reconnu lors de notre entretien du 17 juin, vous avez effectivement, à votre seule initiative, mis en place un système d’enregistrement des membres

.

de l’équipe lorsque ceux-ci étaient présents dans le local d’activité BYES FM où était situé votre

Par l’intermédiaire d’un petit bloc caméra dissimulé dans votre bureau et « qui se déclenchait bureau. avec les mouvements devant le tiroir », vous avez enregistré depuis la mi-mai 2019 (selon vos dires) vos collègues de travail ainsi que chaque visiteur pénétrant dans le local. Les conversations étaient enregistrées sur une carte mémoire que vous réécoutiez chez vous ou au bureau les jours suivants l’enregistrement. Certains enregistrements étaient conservés et d’autre effacés de manière aléatoire selon ce que vous nous avez indiqué. Vos enregistrements pirates vous ont permis d’écouter des conversations à caractère personnel et professionnel des salariés, ainsi que des membres de la direction, comme le prouvent les enregistrements conservés sur votre carte mémoire et par la suite diffusés par les représentants syndicaux à tous, une fois votre système découvert. Selon vos dires, vous justifiez la mise en place de cet appareil « non dans un souci d’espionnage mais de défense » car vous estimiez que vous étiez « victime » de membres de l’équipe qui « fouillaient vos affaires ». Lors de l’entretien, vous nous avez confirmé qu’aucun objet personnel ne vous a pourtant été dérobé sauf peut-être une clé USB mais sans garantie que celle-ci n’ait pas été simplement égarée. Vous étiez persuadé que vos tiroirs avaient été ouverts et fouillés car vous "preniez des photos du dit tiroir avant de partir et constatiez à votre retour que des choses

Vous avez également signalé à votre direction des vols d’outillage technique et estimiez que les avaient bougé« . mesures prises par les chargés d’affaires de l’époque étaient insuffisantes au regard du préjudice pour l’entreprise ». Vous estimiez avoir également été "abandonné par votre direction

Aussi, après vous avoir entendu et reçu vos justifications écrites, nous vous confirmons qu’en face à ces actes.11 aucun cas, nous ne légitimons cette prise d’initiative tout à fait disproportionnée face aux actes dont vous vous dites victime. Il est inconcevable de légitimer la mise en place d’un tel système d’espionnage à l’insu des salariés. Votre direction ainsi que la direction de BYES FM n’ont jamais estimé que cela s’avérait nécessaire. Si elles l’avaient souhaité, un système de vidéo-surveillance aurait pu être mis en place à condition de le faire dans les règles légales, ce qui n’a jamais été envisagé et à raison. Nous déplorons vivement vos agissements dont le caractère de gravité semble pourtant vous échapper et ne retenons pas votre justification « d’acte de défense ».

Il convient d’emblée de souligner que Monsieur X ne conteste pas les faits reprochés mais tente de les expliquer par le contexte professionnel.

Selon les explications données par Monsieur X à l’audience, une pièce était mise à disposition de la société BYES MI par le client aéroport de Paris dans laquelle se trouvait le bureau de Monsieur X ainsi que celui du technicien de permanence de telle sorte que cette pièce était accessible à Monsieur X et à l’ensemble de son équipe, chaque technicien

disposant de la clé d’accès.

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S’il a pu être constaté que des outillages mis à disposition des techniciens n’apparaissaient plus dans l’inventaire, la direction leur a adressé un courriel le 6 mars 2019 leur demandant leur besoin et s’étonnant que certains matériels puissent être « oubliés ». Il n’était nullement fait état de vols et la responsabilité de Monsieur X n’était à aucun moment mise en cause, celui-ci étant simplement mis en copie de ce courriel.
Monsieur X indiquait par courriel du 6 mai 2019 à son supérieur hiérarchique Monsieur Y, chargé d’affaires maintenance industrielle, avoir constaté un vol dans le bureau FM (bouteilles de vin). Monsieur Y lui répondait être « surpris de la fréquence des vols en si peu de temps » et Monsieur E F, responsable agence, BYES FM, dans un courriel du 6 mai 2019 adressé à l’ensemble des techniciens et à Monsieur X indiquait également être surpris de ces disparitions en moins de 4 mois rappelant que le bureau devait systématiquement être fermé à clé et donc accessible uniquement au personnel de BYES.

Interrogé par Monsieur X sur un dépôt de plainte le 7 mai 2019, Monsieur Z lui répondait le même jour « Non… on ne va pas jusque là ».

Nonobstant la réponse claire de la direction de la société et alors même que sa responsabilité n’a jamais été mise en cause dans les différents échanges qu’il a pu avoir, Monsieur X a, à l’insu de la direction, pris contact avec aéroport de Paris pour essayer d’avoir accès à la vidéo-surveillance de l’aéroport ce qui lui a été évidemment refusé en l’absence de réquisition judiciaire.
Monsieur X n’obtenant pas satisfaction a de sa propre initiative et à l’insu de son employeur, installé une caméra vidéo dissimulée dans le tiroir de son bureau – caméra GoPro – se déclenchant par les mouvements devant le tiroir.

La société BYES MI verse aux débats un procès-verbal de constat d’huissier en date du 27 août 2020 aux termes duquel l’huissier a décrit le contenu de la clé USB remise par Monsieur X au moment de sa mise à pied à titre conservatoire. L’huissier a étudié les fichiers contenus sur cette clé en procédant par sondage. Il a ainsi pu constater que

- certaines conversations pouvaient être entendues plus ou moins clairement,

- avoir pu distinguer une personne bouger la caméra et la placer dans le tiroir du bureau, personne identifiée comme étant Monsieur X,

- les captations ont été réalisées entre le 30 mai et le 5 juin 2019.

La société BYES MI produit également l’attestation de Monsieur H-I J, responsable travaux IDF et délégué syndical FO aux termes de laquelle celui-ci indique avoir "été sollicité par l’équipe confiée à M. X à l’aéroport. Ils venaient de découvrir dans un tiroir du bureau où tout le monde se réunit pour échanger ou passer des appels téléphoniques personnels (voire très personnels), plusieurs enregistrements des salariés pris à leur insu. Ce qui les a conduits à porter plainte contre M. X! (…) Cette découverte a également permis à tout le monde de comprendre comment M. X semblait toujours au courant de tous les échanges qu’ils avaient entre eux (en dehors de sa présence). Cela a expliqué les petites phrases et remarques désagréables qu’il avait à leur encontre (…) pour résumer, le mal-être des salariés a disparu à la sortie des effectifs de M. X".

Il est manifeste qu’en agissant ainsi, Monsieur X a adopté à l’insu de son employeur un comportement illégal dans la mesure où toute installation d’un dispositif de vidéosurveillance nécessite de respecter une réglementation rigoureuse dans la mesure où un tel système est susceptible de porter atteinte à la vie privée des salariés.
Monsieur X s’est permis d’enregistrer des conversations de ses techniciens, de les surveiller à leur insu, sans en informer sa direction, sans respecter la réglementation et de surcroît sans respecter la charte éthique de l’entreprise versée aux débats rappelant les valeurs

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fondamentales du groupe parmi lesquelles le respect des personnes et la nécessité d’assurer la dignité de chacun.

Les tentatives de justifications de Monsieur X sont totalement inopérantes mais ne font que mettre en évidence le caractère disproportionné de ses agissements au regard des faits qu’il souhaitait éclaircir et pour lesquels sa responsabilité n’était nullement recherchée.

Le grief allégué par la société BYES MI à l’appui du licenciement de Monsieur X est parfaitement établi et constitue une faute grave qui ne permettait pas à l’employeur de maintenir le contrat de travail de son salarié même pendant le temps du préavis.

Le licenciement pour faute grave de Monsieur X avec mise à pied à titre conservatoire est parfaitement fondé.

Sur la demande de paiement des astreintes

Selon l’article L 3121-9 du code du travail, « La période d’astreinte s’entend comme une période pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur, doit être en mesure d’intervenir pour accomplir un travail au service de l’entreprise. La durée de cette intervention est considérée comme un temps de travail effectif. La période d’astreinte fait l’objet d’une contrepartie, soit sous forme financière, soit sous forme de repos. Les salariés concernés par des périodes d’astreinte sont informés de leur programmation individuelle dans un délai raisonnable ».

Pour constituer une astreinte, il doit y avoir obligation imposée au salarié par l’employeur et cette obligation doit consister à se tenir prêt à intervenir au profit de l’employeur pour accomplir un travail au service de l’entreprise.

La société BYES MI soutient que Monsieur X n’était nullement soumis à une astreinte, expliquant que l’astreinte décisionnelle n’est pas une astreinte au sens des dispositions précitées mais la nécessité imposée par le cahier des charges de donner au client le nom d’un référent sur la gestion du contrat de maintenance. Cette interprétation est contestée par Monsieur X qui indique qu’il pouvait être contacté à toute heure du jour et de la nuit et être amené à intervenir sur site.

Si la preuve des astreintes effectuées est partagée entre les parties, il incombe toutefois à Monsieur X, demandeur, de rapporter la preuve qu’il était bien soumis à une obligation d’astreinte au sens des dispositions de l’article L. 3121-9 du code du travail.
Monsieur X verse aux débats ::

- un document commercial de présentation de la maintenance de la société BYES MI à destination d’aéroport de Paris sur lequel est précisé, dans l’organisation, l’existence d’une astreinte décisionnelle avec un numéro correspondant à celui du responsable de site donc celui de Monsieur X. Sur ce document, apparaît également une astreinte technicien ;

- le cahier des clauses techniques particulières sur lequel est indiqué s’agissant de la gestion des astreintes que « le déclenchement des astreintes, disponible 24h/24 et 365j/365, est à l’initiative du technicien de quart. Le technicien informera le chef de quart du PC bagages du déclenchement de l’astreinte et de l’heure de son arrivée sur site. En fin d’intervention et avant de quitter le site, l’astreinte doit systématiquement réaliser un débriefing avec le chef de quart du PC bagages afin de lui rendre compte des actions réalisées »;

- une attestation de Monsieur G B, ancien chargé d’affaires, indiquant que Monsieur X était d’astreinte décisionnelle tous les jours 24h/24 et 365j/365 hors périodes de congés.

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Il convient de rappeler qu’en sa qualité de responsable de site, Monsieur X avait pour mission générale ainsi que cela résulte de sa fiche de poste de « garantir le fonctionnement. des équipements du ou des sites dont il a la charge en assurant, avec son ou ses équipes des prestations de maintenance en conformité avec les normes de qualité et de sécurité et les attentes clients. Assurer la gestion opérationnelle et financière du contrat de maintenance dont il a la charge ». Monsieur X devait ainsi s’assurer notamment de la mise à disposition de son équipe pour satisfaire le client, planifier les activités des équipes, manager son équipe de techniciens, organiser des réunions.

Il n’est nullement indiqué dans sa fiche de poste que Monsieur X pouvait être amené à effectuer des travaux techniques sur le site ce qui est conforté par l’existence d’une astreinte technicien à savoir l’astreinte d’un salarié capable d’effectuer un travail pour l’employeur sur son temps d’astreinte.

Pour démontrer l’existence d’une astreinte, Monsieur X verse aux débats des échanges de courriels datant d’octobre 2016: le premier message émane du client, aéroport de Paris, en date du 27 octobre à 13h51, message adressé à Monsieur X lui demandant de lui fournir les effectifs pour le week-end à venir comprenant le pont du 31. Constatant que Monsieur X ne lui répondait pas, Monsieur A du pôle bagage aéroport de Paris transfère le 28 octobre ce message à Monsieur B, chargé d’affaires, ne sachant pas si Monsieur X est en congés ou non. Ce dernier lui répond que Monsieur X n’est pas en congés et qu’il le relance, ce qu’il fait en demandant à son responsable de site s’il est d’astreinte ce week-end – 31/10 et 01/11 Monsieur X répond le 28 octobre 2016 qu’il est d’astreinte décisionnelle.

Au regard du peu d’éléments transmis, cet échange de courriels démontre que le client a appliqué ce que la société BYES MI appelle la procédure d’escalade, à savoir, qu’il a contacté Monsieur X et en son absence, le lendemain Monsieur B, son supérieur hiérarchique, pour connaître les effectifs d’un week-end de pont donc particulièrement chargé. Monsieur X a précisé qu’il était d’astreinte décisionnelle, le qualificatif décisionnel permettant d’en déduire qu’il convenait de la distinguer de l’astreinte « normale ». En tout état de cause, dans la mesure où Monsieur X n’était pas en congés le 27 octobre 2016 selon les termes de son supérieur, il était d’astreinte décisionnelle ce qui ne l’a pas empêché de ne pas répondre au client immédiatement. Le fait que son supérieur direct lui demande si c’est lui ou quelqu’un d’autre qui est d’astreinte décisionnelle peut aussi laisser penser que cette astreinte était occasionnelle.

Des documents versés, il s’en déduit que l’astreinte décisionnelle est particulièrement souple puisqu’elle fonctionne selon une procédure dite « d’escalade » qui permet au client d’avoir des interlocuteurs successifs. Aucun document ne permet d’établir que la société BYES MI aurait obligé Monsieur X à se tenir prêt à intervenir que ce soit sur site ou pour prendre une décision importante par téléphone. La procédure de déclenchement des astreintes telle que décrite dans le cahier des clauses techniques particulières ne fait pas référence à une intervention quelconque du responsable de site.

Les seules interventions ne pouvaient être effectuées que par les techniciens de maintenance qui ont justement des astreintes selon une procédure précisément définie. Monsieur X le sait parfaitement puisque c’est lui qui non seulement organisait les plannings mais aussi déclarait les astreintes effectuées par ses techniciens à l’aide du logiciel PUMA. Monsieur X déclarait aussi son propre temps de travail effectif et n’a d’ailleurs jamais déclaré avoir effectué des astreintes.

En outre, l’aéroport est fermé, sauf retard de vols, entre 23 heures et 4 heures du matin ce qui permet de douter de la nécessité d’une astreinte décisionnelle effective toute la nuit.

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Aucun courriel n’est versé aux débats aux termes desquels la société BYES MI aurait rappelé à son salarié la nécessité de répondre au téléphone en dehors de ses heures de travail ou lui aurait reproché de ne pas avoir été joignable et cela sur une période de 6 ans.

Il ressort des pièces produites que Monsieur X est dans l’incapacité de démontrer qu’il devait effectuer des astreintes au sens de l’article L 3121-9 du code du travail.

Il convient dès lors de le débouter de l’intégralité de sa demande d’astreinte et de sa demande au titre du travail dissimulé en découlant.

Sur les autres demandes

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société BYES MI les frais qu’elle a dû engager pour assurer la défense de ses intérêts. Il convient de condamner Monsieur X à payer à la société BYES MI la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Les dépens seront à la charge de Monsieur X, partie succombante.

PAR CES MOTIFS

Le juge départiteur du conseil de prud’hommes, statuant par jugement contradictoire, en premier ressort, par décision mise à disposition au greffe,

Dit que la mise à pied de Monsieur C X est une mise à pied à titre conservatoire ;

Dit que le licenciement de Monsieur C X est fondé sur une faute grave;

Déboute en conséquence Monsieur C X de ses demandes au titre du rappel de salaire mise à pied conservatoire, de ses demandes au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement et de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Déboute Monsieur C X de sa demande de rappel de salaires au titre des astreintes et de sa demande de dommages intérêts pour travail dissimulé ;

. Condamne la Monsieur X à payer à la société Bouygues ES Maintenance Industrielle la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile;

Laisse les dépens à la charge de Monsieur C X.

Jugement prononcé par mise à disposition au greffe le 15 juin 2021, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Madame Cécile VIGNAT, président juge départiteur, et Madame

Sabine MARÉVILLE, greffier.

Le juge départiteur, Le greffier, aoghat Pour cople conforme te-Greffier

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code du travail
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Conseil de prud'hommes de Versailles, 15 juin 2021, n° F 19/00562