Tribunal administratif de Dijon, 15 décembre 2020, n° 2001758

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TA Dijon, 15 déc. 2020, n° 2001758
Juridiction : Tribunal administratif de Dijon
Numéro : 2001758

Sur les parties

Texte intégral

lc

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE DIJON

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE N° 2001758

PREFET DE L’YONNE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
M. Y Z

Rapporteur Le tribunal administratif de Dijon

(2ème chambre) M. A B

Rapporteur public

Audience du 8 décembre 2020

Décision du 15 décembre 2020

135-01-015-02

36-08-03

с

Vu la procédure suivante :

Par un déféré, enregistré le 15 juillet 2020, le préfet de l’Yonne demande au tribunal d’annuler la délibération n° 2019/25 du 16 octobre 2019 par laquelle le conseil d’administration du centre communal d’action sociale de la commune de Sens a instauré un complément

d’indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise pour départ à la retraite.

Il soutient que :

- le déféré n’est pas tardif, dès lors qu’en l’espèce, le délai de recours contentieux expirait le 24 août 2020;

- la modulation de l’indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise en fonction de

l’ancienneté est dépourvue de base légale ;

- le versement de ce complément d’indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise en une seule fois, en fin de carrière, est illégal et méconnaît le principe de parité avec le régime indemnitaire applicable dans la fonction publique de l’Etat.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 septembre 2020, le centre communal d’action sociale de la commune de Sens, représenté par Me Bertrand, conclut au rejet du déféré.

Il soutient que : aucune disposition législative ou réglementaire n’impose que les critères retenus pour

- déterminer le régime indemnitaire d’une collectivité territoriale ou de l’un de ses établissements publics soient communs à ceux retenus pour la fonction publique d’Etat ;


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- le principe de libre administration des collectivités territoriales permet à chaque collectivité et à ses établissements publics de déterminer librement les critères de versement de

l’indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise ;

- le complément d’indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise qu’il a mis en place se distingue à la fois du complément indemnitaire annuel et de l’avancement d’échelon, en valorisant l’engagement, le parcours et les savoirs acquis par l’agent durant l’ensemble de sa carrière et sa mission de transmission de ces savoirs et compétences à son successeur ;

- le principe de parité ne s’impose aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics que dans la détermination des plafonds indemnitaires et non dans la fixation de la périodicité du versement de l’indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise.

Les parties ont été informées par une lettre du 2 septembre 2020 que cette affaire était susceptible, à compter du 5 octobre 2020, de faire l’objet d’une clôture d’instruction à effet immédiat en application des dispositions de l’article R. 611-11-1 du code de justice administrative.

La clôture de l’instruction a été fixée au 7 octobre 2020 par ordonnance du même jour.

Un mémoire a été présenté par le préfet de l’Yonne le 7 octobre 2020, postérieurement à la clôture de l’instruction.

Les parties ont été informées le 9 octobre 2020, de ce que le tribunal était susceptible de prévoir une modulation des effets d’une éventuelle annulation contentieuse de la délibération attaquée et a invité les parties à produire, d’une part, leurs observations sur ce point, et, d’autre part, les arrêtés individuels pris sur le fondement de cette délibération.

Le centre communal d’action sociale de la commune de Sens a présenté des observations, en réponse à cette information, par un mémoire enregistré le 23 octobre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu:

- la Constitution;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984;

- le décret n° 91-875 du 6 septembre 1991; le décret n° 2014-513 du 20 mai 2014 ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

- le rapport de M. Y Z,

- les conclusions de M. A B, rapporteur public, et les observations de Me Bertrand, représentant le centre communal d’action sociale de la commune de Sens.

Considérant ce qui suit :


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1. Le conseil d’administration du centre communal d’action sociale de la commune de Sens a adopté le 16 octobre 2019 une délibération instaurant notamment un « complément '>

d’indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise < valorisant l’expertise et l’expérience acquise au sein de la fonction publique », consistant en un versement, en une seule fois, lors du départ en retraite de l’agent, d’une prime d’un montant de base de 1 000 euros, auxquels s’ajoutent 50 euros par année d’ancienneté au sein de la fonction publique. Par son déféré, le préfet de l’Yonne doit être regardé comme demandant l’annulation de cette délibération, en tant qu’elle instaure ce complément d’indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

2. Aux termes des six premiers alinéas de l’article 88 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale: «Les organes délibérants des collectivités territoriales et de leurs établissements publics fixent les régimes indemnitaires, dans la limite de ceux dont bénéficient les différents services de l’Etat. / Ces régimes indemnitaires peuvent tenir compte des conditions d’exercice des fonctions, de

l’engagement professionnel et, le cas échéant, des résultats collectifs du service. / Lorsque les services de l’Etat servant de référence bénéficient d’une indemnité servie en deux parts, l’organe délibérant détermine les plafonds applicables à chacune de ces parts et en fixe les critères, sans que la somme des deux parts dépasse le plafond global des primes octroyées aux agents de l’Etat. / Ces régimes indemnitaires sont maintenus dans les mêmes proportions que le traitement durant les congés mentionnés au 5° de l’article 57, sans préjudice de leur modulation en fonction de l’engagement professionnel de l’agent et des résultats collectifs du service. / Après avis du comité social territorial, l’organe délibérant peut décider d’instituer une prime d’intéressement tenant compte des résultats collectifs des services, selon les modalités et dans les limites définies par décret en Conseil d’Etat. / Les organes délibérants des collectivités territoriales et de leurs établissements publics peuvent décider de maintenir, à titre individuel, au fonctionnaire. concerné, le montant indemnitaire dont il bénéficiait en application des dispositions réglementaires antérieures, lorsque ce montant se trouve diminué soit par l’application ou la modification des dispositions réglementaires applicables aux services de l’Etat servant de référence, soit par l’effet d’une modification des bornes indiciaires du grade dont il est

titulaire. »>.

3. Aux termes de l’article premier du décret du 6 septembre 1991 pris pour l’application du premier alinéa de l’article 88 de la loi du 26 janvier 1984: «Le régime indemnitaire fixé par les assemblées délibérantes des collectivités territoriales et les conseils

d’administration des établissements publics locaux pour les différentes catégories de fonctionnaires territoriaux ne doit pas être plus favorable que celui dont bénéficient les fonctionnaires de l’Etat exerçant des fonctions équivalentes. (…)». L’article 2 du décret précité dispose: «L’assemblée délibérante de la collectivité ou le conseil d’administration de

l’établissement fixe, dans les limites prévues à l’article 1er, la nature, les conditions d’attribution et le taux moyen des indemnités applicables aux fonctionnaires de ces collectivités ou établissements. L’organe compétent fixe, notamment, la liste des emplois dont les missions impliquent la réalisation effective d’heures supplémentaires ouvrant droit aux indemnités horaires pour travaux supplémentaires versées dans les conditions prévues pour leur corps de référence figurant en annexe au présent décret. (…) ».

4. D’une part, il résulte de ces dispositions qu’il revient au conseil d’administration d’un établissement public local d’une collectivité territoriale de fixer lui-même la nature, les conditions d’attribution et le taux moyen des indemnités bénéficiant aux fonctionnaires de

l’établissement, sans que le régime ainsi institué puisse être plus favorable que celui dont


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bénéficient les fonctionnaires de l’Etat d’un grade et d’un corps équivalents au grade et au cadre d’emplois de ces fonctionnaires territoriaux et sans que l’établissement soit tenu de faire bénéficier ses fonctionnaires de régimes indemnitaires identiques à ceux des fonctionnaires de

l’Etat.

5. D’autre part, les dispositions précitées de l’article 88 de la loi du 26 janvier 1984, modifiées par la loi du 20 avril 2016, prévoient que les établissements publics locaux, qui souhaitent mettre en oeuvre un régime indemnitaire lié aux fonctions, lorsque les services de

l’Etat servant de référence bénéficient d’une indemnité servie en deux parts, le fassent en décomposant l’indemnité en deux parts, l’une tenant compte des conditions d’exercice des fonctions et l’autre de l’engagement professionnel des agents. Les établissements publics locaux qui décident de mettre en place un tel régime demeurent libres de fixer les plafonds applicables à chacune des parts, sous la réserve que leur somme ne dépasse pas le plafond global des primes accordées aux agents de l’Etat servant de référence, et de déterminer les critères d’attribution des primes correspondant à chacune de ces parts.

6. En premier lieu, si comme le soutient le centre communal d’action sociale de la commune de Sens en défense, l’établissement pouvait déterminer les critères d’attribution de

l’indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise, sans être lié par les critères fixés pour la fonction publique de l’Etat définis par le décret susvisé 20 mai 2014 portant création d’un régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel dans la fonction publique de l’Etat, il ne pouvait, sans méconnaître les dispositions précitées de l’article 88 de la loi du 26 janvier 1984, choisir que des critères tenant aux conditions d’exercice des fonctions, c’est-à-dire au niveau de responsabilité et d’expertise requis dans l’exercice des fonctions. Si le centre communal d’action sociale défendeur soutient que la part litigieuse d’indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise est fondée sur

< l’engagement, le parcours et les savoirs acquis par l’agent durant l’ensemble de sa carrière au service du public et de sa mission de transmission de ces savoirs et compétences à son successeur », il résulte des termes mêmes de la délibération attaquée, que le montant de cette part, versée à tous les agents partant en retraite, est exclusivement calculé en fonction de

l’ancienneté de l’agent dans la fonction publique, critère qui ne ressortit pas aux conditions d’exercice des fonctions. Par suite, le préfet de l’Yonne est fondé à soutenir que le conseil d’administration du centre communal d’action sociale de la commune de Sens a commis une erreur de droit en retenant ce critère au nombre des critères permettant de déterminer le montant de l’indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise de chaque agent.

7. En deuxième lieu, il résulte des articles 34 et 72 de la Constitution que le législateur peut assujettir les collectivités territoriales et leurs établissements publics locaux à des obligations à condition que celles-ci répondent à des exigences constitutionnelles ou concourent à des fins d’intérêt général sans entraver la compétence propre des collectivités concernées ni leur libre administration. Le respect de la seule contrainte imposée par l’article 88 de la loi du 26 janvier 1984 aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics locaux dans la mise en place de ce régime indemnitaire, qui consiste à fixer des plafonds pour chacune des parts dont la somme n’excède pas le plafond global des primes octroyés aux agents de l’Etat, vise à garantir une certaine parité entre le régime indemnitaire applicable aux agents de l’Etat et celui applicable aux agents des collectivités territoriales. Cette obligation contribue ainsi à

l’harmonisation des conditions de rémunération au sein des fonctions publiques étatique et territoriale et poursuit donc un objectif d’intérêt général.

8. Si comme le soutient le centre communal d’action sociale de la commune de Sens, aucune disposition législative ou réglementaire n’impose aux collectivités et à leurs


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établissements publics une périodicité particulière pour le versement de chacune des deux parts du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de

l’engagement professionnel, la périodicité retenue ne saurait avoir pour conséquence de mettre en œuvre un régime pour l’agent plus favorable que celui dont bénéficient les fonctionnaires de

l’Etat d’un grade et d’un corps équivalents, ni de faire obstacle à l’appréciation du respect de principe de parité. Alors que tous les plafonds fixés pour les agents de la fonction publique d’Etat sont déterminés selon une périodicité annuelle, le fait de prévoir le versement d’une part de l’indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise seulement en fin de carrière, fait obstacle

à l’appréciation du respect du principe de parité et contrevient, ce faisant, à l’objectif d’intérêt général d’harmonisation des conditions de rémunération au sein des fonctions publiques. Par suite, le préfet de l’Yonne est également fondé à soutenir que le centre communal d’action sociale de la commune de Sens ne pouvait prévoir le versement en une seule fois, en fin de carrière, de la part litigieuse d’indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise.

9. En tout état de cause, il ressort des termes mêmes de la délibération attaquée qu’eu égard à l’unique critère de l’indemnité litigieuse, l’ancienneté, et à son versement en une seule fois, en fin de carrière, le centre communal d’action sociale de la commune de Sens ne peut qu’être regardé comme ayant instauré une prime de fin de carrière, dont ne bénéficient pas les fonctionnaires de l’Etat et ayant, de ce fait, méconnu les dispositions précitées de l’article premier du décret susvisé du 6 septembre 1991.

10. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de l’Yonne est fondé à demander l’annulation de la délibération n° 2019/25 du 16 octobre 2019 du conseil d’administration du centre communal d’action sociale de la commune de Sens, en tant qu’elle instaure un complément d’indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise, au bénéfice des agents de la

commune.

Sur la modulation des effets du jugement :

11. L’annulation d’un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n’être jamais intervenu. Toutefois, s’il apparaît que cet effet rétroactif de l’annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives, en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu’il était en vigueur que de l’intérêt général pouvant s’attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif, après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l’ensemble des moyens, d’ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l’acte en cause, de prendre en considération, d’une part, les conséquences de la rétroactivité de l’annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d’autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l’annulation. Il lui revient d’apprécier, en rapprochant ces éléments, s’ils peuvent justifier qu’il soit dérogé à titre exceptionnel au principe de l’effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l’affirmative, de prévoir dans sa décision d’annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de celle-ci contre les actes pris sur le fondement de l’acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l’annulation ne prendra effet qu’à une date ultérieure qu’il détermine.

12. Il ressort des pièces du dossier que la délibération attaquée a donné lieu au versement d’indemnités de fin de carrière à au moins un agent ayant fait valoir ses droits à la retraite et ayant quitté l’établissement concerné. Au regard de la rétroactivité de l’annulation de la délibération litigieuse, qui générerait des actions en répétition de l’indu à l’égard d’anciens


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agents publics, et emporterait, ce faisant, des conséquences manifestement excessives, il y a lieu de prévoir que l’annulation prononcée ne prendra effet qu’à la date du 1er janvier 2021, et sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision.

DECIDE:

Article 1 : La délibération n° 2019/25 du 16 octobre 2019 du conseil d’administration er

du centre communal d’action sociale de la commune de Sens est annulée en tant qu’elle instaure un complément d’indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise, au bénéfice des agents de

l’établissement.

Article 2 : L’annulation partielle de la délibération n° 2019/25 du 16 octobre 2019 du conseil d’administration du centre communal d’action sociale de la commune de Sens prendra effet à compter du 1er janvier 2021.

Article 3: Le surplus des conclusions du déféré est rejeté.

Article 4: Le présent jugement sera notifié au préfet de l’Yonne et au centre communal

d’action sociale de la commune de S’ens.

Copie en sera adressée pour information à la commune de Sens, à la ministre de la transformation et de la fonction publique et à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Délibéré après l’audience du 8 décembre 2020, à laquelle siégeaient :
M. Delespierre, président, M. Z, premier conseiller, M. X, conseiller.


N° 2001758 7

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2020.

Le président,

N. Delespierre

La République mande et ordonne au préfet de l’Yonne, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition,

Le greffier,

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