Tribunal administratif de Mayotte, 29 janvier 2020, n° 2000140

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TA Mayotte, 29 janv. 2020, n° 2000140
Juridiction : Tribunal administratif de Mayotte
Numéro : 2000140
Sur renvoi de : Conseil d'État, 12 novembre 2012, N° 363742

Sur les parties

Texte intégral

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

am DE MAYOTTE

N° 2000140

REPUBLIQUE FRANÇAISE ___________

Sociétés SANDAWANA et IBS

___________ AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
M. Couturier Le tribunal administratif de Mayotte, Juge des référés

Le juge des référés ___________

Ordonnance du 29 janvier 2020 54-035-03 C

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 24 janvier 2020 présentée par Me Belloteau, avocat, les sociétés Sandawana et IBS-Préfa-Blocs demandent au juge des référés saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

- de faire cesser l’atteinte grave et manifestement illégale, portée par l’Etat, à la société Sandawana dans l’exercice de son droit de propriété ;

- de faire cesser la même atteinte, portée par l’Etat à la société Ibs-Préfa-Blocs dans l’exercice de la liberté d’entreprendre, du commerce et de l’industrie ;

- de prononcer à cet effet, toutes les mesures nécessaires à l’encontre de l’Etat et en particulier en ordonnant la cessation « des troubles à chaque liberté violée », et en condamnant l’Etat au paiement d’une astreinte de 30 000 euros par jour tant que l’Etat n’aura pas mis fin « aux troubles aux libertés fondamentales » ;

- de condamner l’Etat à leur verser à chacune la somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- la condition d’urgence est remplie dès lors que l’Etat a apporté de manière continue depuis le 22 janvier 2020 « le concours de la force publique à un intérêt privé totalement illégal », avec force matériel et personnel, créant pour elles un préjudice très important ;

- l’ intervention de l’Etat a porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit de propriété de la société Sandawana dès lors notamment que la société Vinci a requis le concours de la force publique, laquelle est intervenue dans des conditions violentes, et ne dispose d’aucun droit de passage sur la parcelle privée n° AR 167 ; cette intervention a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’entreprendre et à celle du commerce et de l’industrie exercée sur le terrain par la société Ibs-Préfa-blocs, dans la mesure où notamment l’activité de cette dernière s’en est trouvée paralysée.

Vu le mémoire enregistré le 27 janvier 2020 à 19h33 par lequel le préfet de Mayotte conclut au rejet de la requête.



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Il soutient que :

- la condition de l’urgence n’est pas remplie dès lors que les opérations d’intervention des forces de l’ordre critiquées par les requérantes ont cessé ;

- ces interventions destinées au rétablissement de la libre circulation rue B ont eu lieu dans un cadre légal comme s’inscrivant dans le cadre de l’exécution de différentes décisions de justice qu’elles soient judiciaire ou administrative.

Vu les mémoires complémentaires enregistrés le 28 janvier 2020 à 7h36 et 9h57 (heure locale) présenté par Me Belloteau, par lesquels les sociétés requérantes concluent aux mêmes fins.

Vu l’ordonnance n° 1901607 en date du 16 août 2019 du juge des référés du tribunal.

Vu :

- les pièces du dossier.

Vu :

- le code de justice administrative.

Vu la décision par laquelle le président du Tribunal a désigné M. Couturier, vice- président, en qualité de juge des référés.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience publique qui a eu lieu le 28 janvier 2020 à 10h30, Mme Z A étant greffière d’audience au Tribunal administratif de Mayotte.

Après avoir, lors de l’audience publique, présenté son rapport et entendu :

- Les observations de Me Idriss substituant Me Belloteau représentant les sociétés requérantes ;

- M. X gérant des sociétés requérantes ;

- M. Y représentant le préfet de Mayotte ;

- La société Vinci Dom Tom, intervenante forcée n’est ni présente ni représentée.

La clôture de l’instruction a été fixée à 12h45 à l’issue de l’audience.

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l’instruction et ressort des pièces du dossier, notamment de l’ordonnance susvisée du 16 août 2019, que M. C B était propriétaire depuis 1960 pour certaines d’entre elles, de parcelles cadastrées section AR n° 272, 276 et 277, BS n° 120 et 210 situées à Kangani commune de Koungou, pour une surface totale de 25 ha 03 ca 82 ca. Ces parcelles à usage de carrière avaient été données à bail à la société IBS (Ingénierie Béton Système) et exploitées par celle-ci ou d’autres filiales de la société mère Hold Invest. Plusieurs procédures judiciaires ont opposé M. B aux sociétés IBS et HOLD INVEST notamment. Par jugement du 29 août 2008 le tribunal de grande instance de Mamoudzou a prononcé la résiliation du bail liant les parties et ordonné l’expulsion des parcelles



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occupées par la société IBS et tous occupants de son chef. Ce jugement a été confirmé, si ce n’est la date de prise d’effet de l’expulsion ordonnée et simplement différée de deux mois après la notification de l’arrêt, par un arrêt n° 174/2010 en date du 5 octobre 2010 devenu définitif rendu par le tribunal supérieur d’appel de Mamoudzou. Par un jugement du 7 avril

2011 le tribunal de première instance de Mamoudzou a rejeté la demande des sociétés IBS et HOLD INVEST tendant à obtenir un délai de grâce de deux années pour évacuer les lieux. Ce jugement a été confirmé par la Cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion le 13 décembre 2011. M. B a demandé les 29 avril 2011, puis les 13 juin et 16 août 2012 au préfet de Mayotte de lui apporter le concours de la force publique. Ces demandes étant restées sans succès, il a saisi le juge du référé liberté, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, afin d’obtenir qu’il soit enjoint sous astreinte au préfet de Mayotte de lui prêter main forte pour l’exécution notamment de l’arrêt précité n° 174/2010 du 5 octobre 2010. Sa requête a été rejetée par une ordonnance du juge des référés du tribunal sous le n°

1200545 en date du 27 septembre 2012 qui a été confirmée par une ordonnance n° 363742 du 13 novembre 2012 prise par le juge des référés du Conseil d’Etat, aux motifs tirés d’une part de l’absence d’urgence au sens du fondement juridique invoqué et, d’autre part, de l’absence d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale compte tenu des circonstances de l’espèce et notamment des risques de troubles sociaux pouvant localement exister ainsi que des recherches de solutions dont avait justifié alors le préfet de Mayotte. Le 22 juillet 2013 M. B, a de nouveau requis sans succès du préfet de Mayotte qu’il lui apporte le concours de la force publique pour assurer l’expulsion judiciairement ordonnée des parcelles illégalement occupées. Cette demande ayant été implicitement rejetée il a saisi le tribunal d’une requête au fond, enregistrée le 21 décembre 2013 sous le n° 1300603, tendant à l’annulation du refus implicite opposé par le préfet de Mayotte à sa demande du 22 juillet 2013. Entre-temps, le 9 juillet 2012, M. B a signé une promesse de vente des parcelles en faveur de la société Vinci Construction Dom-Tom. L’acte notarié définitif de cette vente en viager a été signé le 15 septembre 2015. A la suite de ce transfert de propriété, M. B s’est désisté le 25 mars 2016 de la procédure précitée n° 1300603 au cours de laquelle la société Vinci avait manifesté son intention d’intervenir accessoirement. Une ordonnance en date du 21 avril 2016 donne acte à M. B du désistement de son action principale. En 2017, la société Vinci Construction Dom-Tom a cru devoir saisir le juge des référés judiciaire pour demander à nouveau l’expulsion de la Sté IBS et tous occupants de son chef, mais sa prétention a été rejetée par une ordonnance n° 18/00003 en date du 16 février 2018 dans laquelle le juge judiciaire a relevé le caractère « inopportun » d’une telle demande aux motifs que les décisions judiciaires antérieures, notamment l’arrêt précité n° 174/2010 du 5 octobre 2010 prononçant déjà l’expulsion des parcelles dont la société Vinci-Construction Dom-Tom est devenue propriétaire en 2015, ont l’autorité de la chose jugée. Le 20 décembre 2018 la société Vinci Construction Dom-Tom a saisi, en vain, un huissier de justice pour tenter d’expulser la société IBS. Le même huissier a tout aussi vainement, le 26 décembre suivant, demandé au préfet de Mayotte qu’il apporte à la société Vinci Construction Dom-Tom le concours de la force publique pour prendre possession des parcelles dont elle est propriétaire depuis 2015. Dans l’ordonnance précitée du 16 août 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte a fait partiellement droit à la requête de la société Vinci

Constructions en suspendant la décision implicite intervenue le 26 février 2019 par laquelle le préfet de Mayotte a refusé de lui prêter le concours de la force publique et, sans prononcer d’astreinte, a enjoint au préfet de Mayotte de prendre une nouvelle décision dans un délai de trois mois.

2. Le 22 janvier 2020 des représentants de la société Vinci Constructions Dom Tom ont tenté d’accéder aux parcelles dont la société est propriétaire depuis 2015, afin notamment



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d’effectuer les relevés altimétriques, géologiques et environnementaux nécessaires à l’instruction du dossier de demande ICPE confié au bureau d’études Artélia. Il ressort notamment du procès verbal du même jour dressé par Me Merle, huissier de justice qui avait été requis par Vinci Construction, que l’accès aux parcelles a été bloqué au niveau de la parcelle AR 167, propriété de la société Sandawana, par une partie de la population du village de Kangani, traversé par la voie de desserte dénommée « Rue d’Archery », ainsi que par des salariés d’IBS et des engins de cette société. Lors de l’audience, le gérant commun des société IBS et Sandawana reconnaît que ce blocage est en partie le fait des salariés de la société IBS, dont il indique que bon nombre vivent dans le village de Kangani. Le même jour le préfet de Mayotte a ordonné l’intervention de la gendarmerie pour disperser l’attroupement et rétablir la circulation sur la rue d’Archery. Le 24 janvier 2020 à 11h28, la société Sandawana, propriétaire de la parcelle AR 167 et la société IBS-préfa-blocs dont l’activité s’exerce sur cette parcelle ont, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, saisi le juge des référés pour lui demander d’enjoindre sous astreinte au préfet de Mayotte, de cesser de porter atteinte à leurs libertés respectives que constituent leur droit de propriété, et leur liberté d’entreprendre et d’exercer le commerce et l’industrie.

3. Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ».

4. Le juge des référés ne peut, au titre de la procédure particulière prévue par l’article L. 521-2 précité, qu’ordonner les mesures d’urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale. La condition de l’urgence s’apprécie globalement, en tenant compte de l’ensemble des intérêts en présence, et à la date à laquelle le juge statue.

5. En premier lieu, il ressort de l’acte d’achat par Vinci Constructions signé le 15 septembre 2015 (page 13) des parcelles auxquelles elle a voulu accéder, que le vendeur, M. B « déclare que l’accès aux parcelles objet des présentes s’effectue par un chemin depuis plus de trente ans situé sur les parcelles cadastrées section AR 67, 272, 276, 277 et section BS n°120 et 210… il déclare qu’il est à ce jour propriétaire des parcelles faisant l’objet de la servitude de passage ci-dessous. La parcelle ayant appartenu au Vendeur, cadastrée section AR 167 a toujours desservi les parcelles, objet des présentes. Le chemin d’accès, existant depuis plus de trente ans et ayant été créé par le propriétaire d’origine Vendeur aux présentes, le notaire informe les parties que même s’il n’est pas possible de garantir l’accès sur cette parcelle par une garantie réelle, la servitude d’accès bénéficie de l’application de l’article 692 du code civil concernant la destination du père de famille. L’Acquéreur est informé de ce qu’il ne peut obtenir de garantie réelle concernant l’inscription de la servitude mais peut néanmoins se prévaloir au profit des parcelles cédées de cette servitude légale sur la parcelle cadastrée section AR numéro 167… ». De son côté, la société Sandawana qui a le même gérant que la société IBS-Préfa-Blocs et dont le siège social est situé dans le […] dans les locaux de cette dernière société a opportunément fait l’acquisition, les 22 et 24 février 2016, soit après le prononcé en 2008 et 2010 des mesures définitives d’expulsion visées au point 1, de la parcelle AR 167 d’une surface de 55 700 m2 traversée à son extrémité Nord-Est par la « rue



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B ». L’extrait (page 3) de l’acte notarié produit mentionne que la société Sandawana fera son affaire de l’occupation de cette parcelle, occupée sans droit ni titre par la SA IBS et par la SAS IBS-Préfa-Blocs, lesquelles ont édifié des constructions affectées à la production d’agglos et de buses en béton. Il ressort également d’une ordonnance rendue le 21 mai 2019 par le président du tribunal de Grande instance de Mamoudzou dans un litige opposant les sociétés IBS et MRE (toutes deux filiales de Hold Invest) à Vinci Constuction Dom Dom, procédure dans laquelle Sandawana a été intervenante volontaire, que le juge judiciaire a enjoint sous astreinte aux sociétés IBS SA et MRE de cesser de s’opposer à l’accès et à la libre circulation de la société Vinci Construction Dom Tom (et de toutes personnes autorisées par celle-ci) aux cinq parcelles acquises en 2015. Enfin, il ressort également des pièces produites par le préfet de Mayotte que le même juge judiciaire a ordonné le 21 mai 2019, dans une procédure contradictoire à la société Sandawana, une expertise afin de connaître les conditions de desserte des cinq parcelles propriété de Vinci Construction Dom Tom. Outre le fait que le rapport d’expertise déposé le 12 janvier 2020 mentionne que la première réunion d’expertise du 12 septembre 2019, réunissant les représentants de Vinci Construction et Sandawana a dû être déplacée en raison de la perturbation engendrée par les employés d’IBS, l’expert conclut à titre principal que la « rue B » est à ce jour l’unique voie de desserte existante permettant de relier à travers le village de Kangani et la parcelle AR 167, les parcelles propriété Vinci Construction à la nationale, que cette voie ouverte à la circulation dessert d’autres propriétés ainsi qu’un gite rural et existe depuis au moins l’année 1950, selon le plus ancien relevé IGN retrouvé. Dans ces conditions les sociétés requérantes dont les intérêts sont communs ne sont pas fondées à soutenir que l’intervention des forces de l’ordre envoyées par le préfet de Mayotte, pour rétablir la circulation sur la rue B et permettre à Vinci Construction d’accéder à ses parcelles, a porté une atteinte grave et manifestement illégale aux droit de propriété et libertés dont elles font état.

6. En second lieu il est constant que les interventions de la gendarmerie nationale qui se sont produites dans un premier temps les 22 et 23 janvier 2020 dans des conditions particulières de tensions et de violences relatées dans la presse, se sont achevées dans des conditions au demeurant plus apaisées le lundi 27 janvier 2020 au matin. Au regard des circonstances précitées et de ce qui a été rappelé au point 4, la condition de l’urgence n’est à ce jour pas remplie.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la requête des sociétés Sandawana et Ibs-Préfa- Blocs doit être rejetée.

ORDONNE :

Article 1er : La requête des sociétés Sandawana et Ibs-Préfa-Blocs est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Sandawana, à la société Ibs-Préfa- Blocs, au ministre de l’intérieur et à la société Vinci Construction Dom-tom.

Copie en sera transmise au préfet de Mayotte.

Fait à Mamoudzou, le 29 janvier 2020.



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Le juge des référés,

E. COUTURIER

La République mande et ordonne au préfet de Mayotte en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision. Pour expédition conforme, La greffière,

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