Tribunal administratif de Nancy, Reconduites à la frontière, 9 février 2023, n° 2300292

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TA Nancy, reconduites à la frontière, 9 févr. 2023, n° 2300292
Juridiction : Tribunal administratif de Nancy
Numéro : 2300292
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Dispositif : Rejet
Date de dernière mise à jour : 15 février 2023

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 26 janvier 2023, M. B E, représenté par Me Pialat, demande au tribunal :

1°) de l’admettre au bénéfice de l’aide juridictionnelle à titre provisoire ;

2°) d’annuler, d’une part, l’arrêté du 24 janvier 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin a ordonné son transfert vers l’Italie et, d’autre part, l’arrêté du même jour par laquelle elle a prononcé son assignation à résidence ;

3°) d’enjoindre à la préfète du Bas-Rhin d’enregistrer sa demande d’asile en lui délivrant une attestation de demande d’asile et le formulaire destiné à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides dans un délai de huit jours à compter de la notification du jugement à intervenir ou, à défaut de réexaminer sa situation ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

— l’arrêté portant transfert aux autorités italiennes a été signé par une autorité incompétente ;

— il n’a pas reçu l’information prévue par l’article 4 du règlement UE n°604/2013 ;

— il n’est pas établi qu’il a bénéficié de l’entretien prévu par l’article 5 du règlement UE n°604/2013 ;

— il n’est pas démontré que les autorités italiennes ont effectivement été saisies ;

— compte tenu des défaillances dans le traitement des demandes d’asile en Italie, la préfète du Bas-Rhin aurait dû décider que l’examen de sa demande d’asile relevait de la France en application de l’article 17 du règlement et la décision de transfert est entachée d’erreur manifeste d’appréciation ;

— en application de l’article 12-4 du règlement UE n°604/2013, l’examen de sa demande d’asile ne relevait pas de l’Italie.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 février 2023, la préfète du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. E ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

— le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

— le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

— la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

— le décret n°2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

— le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné Mme Kohler, première conseillère, pour exercer les pouvoirs qui lui sont attribués par les articles L. 572-5 et L. 614-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Le rapport de Mme C a été entendu au cours de l’audience publique.

La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience, en application de l’article R. 776-26 du code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. M. E, de nationalité arménienne, est entré sur le territoire français en vue de demander l’asile. A l’occasion de l’enregistrement de sa demande, la consultation du fichier Vis a révélé que M. E était en possession d’un visa délivré par les autorités italiennes, périmés depuis moins de six mois. La France a alors saisi les autorités de ce pays d’une demande de prise en charge qu’elles ont acceptée implicitement le 24 novembre 2022 sur le fondement de l’article 12-4 du règlement n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Par deux arrêtés du 4 janvier 2023, notifiés le 24 janvier suivant, la préfète du Bas-Rhin a, d’une part, ordonné le transfert de M. E aux autorités italiennes et, d’autre part, ordonné son assignation à résidence dans le département des Vosges. M. E demande au tribunal d’annuler ces deux arrêtés.

Sur l’aide juridictionnelle :

2. Aux termes de l’article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique : « Dans les cas d’urgence (), l’admission provisoire à l’aide juridictionnelle peut être prononcée par la juridiction compétente ou son président ».

3. En raison de l’urgence résultant de l’application des dispositions de l’article L. 572-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, et alors qu’il n’a pas encore été statué sur sa demande d’aide juridictionnelle, il y a lieu d’admettre M. E au bénéfice de l’aide juridictionnelle à titre provisoire, sur le fondement de ces dispositions.

Sur les autres conclusions :

4. En premier lieu, Mme A D, cheffe du pôle régional Dublin, a reçu délégation l’autorisant à signer l’arrêté portant transfert aux autorités italiennes en litige par arrêté de la préfète du Bas-Rhin du 4 octobre 2022 publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du 7 octobre suivant. Le moyen tiré de l’incompétence de l’auteur doit, dès lors, être écarté.

5. En deuxième lieu, il résulte des dispositions de l’article 4 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, que le demandeur d’asile auquel l’administration entend faire application de ce règlement doit se voir remettre, dès le début de la procédure, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu’il comprend. Cette information doit comprendre l’ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l’article 4 du règlement du 26 juin 2013 précité. Eu égard à leur nature, la délivrance de ces informations constitue une garantie pour le demandeur d’asile.

6. Il ressort des pièces du dossier, et en particulier de sa signature apposée sur la première page des documents produits par la préfète, que M. E s’est vu remettre le 21 septembre 2022, le guide du demandeur d’asile ainsi que deux brochures intitulées « A. J’ai demandé l’asile dans l’UE – quel pays sera responsable de ma demande d’asile ' », et « B. Je suis sous procédure Dublin – qu’est-ce que cela signifie ' », documents rédigés en langue arménienne qu’il a déclaré comprendre. Ces documents contiennent l’intégralité des informations prévues par les dispositions précitées de l’article 4 du règlement n° 604/2013. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté.

7. En troisième lieu, en application de l’article 5 du règlement (UE) n° 604/2013, l’Etat membre qui procède à la détermination de l’Etat membre responsable doit mener un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité et doit être mené par une personne qualifiée en vertu du droit national.

8. Il ressort des pièces du dossier que M. E a bénéficié d’un entretien individuel le 21 septembre 2022, jour du dépôt de sa demande d’asile au guichet unique des demandeurs d’asile de la préfecture de la Moselle. Cet entretien, qui s’est tenu en langue arménienne, que l’intéressé a déclaré comprendre, avec le concours d’un interprète, et a été réalisé par un agent qualifié de la préfecture, a permis de faire bénéficier l’intéressé d’une information complète sur ses droits. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article 5 du règlement doit être écarté.

9. En quatrième lieu, il ressort des éléments transmis par la préfète que les autorités italiennes ont effectivement été saisies d’une demande de prise en charge de M. E le 23 septembre 2022.

10. En cinquième lieu, l’article 17 du règlement 604/2013 permet à l’Etat membre dans lequel est déposée une demande d’asile de se déclarer responsable de son examen alors même que cet examen ne lui incomberait pas.

11. L’Italie est partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu’à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il doit dès lors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d’asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu’à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cette présomption est toutefois réfragable lorsque qu’il y a lieu de craindre qu’il existe des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans l’Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il appartient à l’administration d’apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités italiennes répondent à l’ensemble des garanties exigées par le respect du droit d’asile.

12. En l’espèce, en se bornant à invoquer des défaillances systémiques en Italie et à indiquer que les autorités de cet Etat n’ont pas donné leur accord explicite pour sa prise en charge, M. E n’établit pas que les autorités italiennes ne seraient pas en mesure de traiter sa demande d’asile dans des conditions conformes à l’ensemble des garanties exigées par le respect du droit d’asile, ni que la préfète a commis une erreur manifeste dans l’appréciation de sa situation en ne décidant pas de déclarer la France responsable de l’examen de sa demande d’asile.

13. En sixième lieu, aux termes de l’article 12-4 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 : « 1. Si le demandeur est titulaire d’un titre de séjour en cours de validité, l’État membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. / 2. Si le demandeur est titulaire d’un visa en cours de validité, l’État membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection internationale () 4. Si le demandeur est seulement titulaire d’un ou de plusieurs titres de séjour périmés depuis moins de deux ans ou d’un ou de plusieurs visas périmés depuis moins de six mois lui ayant effectivement permis d’entrer sur le territoire d’un État membre, les paragraphes 1, 2 et 3 sont applicables aussi longtemps que le demandeur n’a pas quitté le territoire des États membres () ».

14. Il ressort des pièces du dossier et en particulier des relevés du système Visabio produits en défense que M. E était en possession d’un visa délivré par les autorités italiennes et valable jusqu’au 2 septembre 2022. Ce visa étant périmé depuis moins de six mois au moment du dépôt en France de sa demande d’asile, le 21 septembre 2022, le requérant entrait dans les prévisions du point 4 de l’article 12 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 permettant de considérer l’Italie comme étant l’Etat responsable de l’examen de sa demande d’asile. Par suite, la préfète n’a pas commis d’erreur de droit en ordonnant son transfert aux autorités italiennes sur le fondement de ces dispositions.

15. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions tendant à l’annulation des arrêtés du 4 janvier 2023 doivent être rejetées. Par voie de conséquence, les conclusions à fin d’injonction ainsi que celles tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, doivent également être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : M. E est admis au bénéfice de l’aide juridictionnelle à titre provisoire.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. E est rejeté.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. B E et à la préfète du Bas-Rhin.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 février 2023.

La magistrate désignée,

J. C

La greffière,

L. Bourée

La République mande et ordonne à la préfète du Bas-Rhin en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

N°230029

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