Tribunal administratif de Poitiers, 3ème chambre, 30 décembre 2022, n° 2100882

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TA Poitiers, 3e ch., 30 déc. 2022, n° 2100882
Juridiction : Tribunal administratif de Poitiers
Numéro : 2100882
Type de recours : Excès de pouvoir
Dispositif : Satisfaction totale
Date de dernière mise à jour : 8 septembre 2023

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 1er avril 2021 et le 11 mai 2022, la commune de Garat, représentée par Me Merlet-Bonnan, demande au tribunal :

1°) d’annuler l’arrêté interministériel du 15 septembre 2020 en tant qu’il rejette sa demande de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle au titre des mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols pour la période courant du 1er juin au 31 août 2019 ;

2°) d’enjoindre au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, au ministre de l’intérieur et des Outre-mer et au ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics de prendre une nouvelle décision portant reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle sur son territoire au titre des mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols du 1er juin au 31 août 2019, dans un délai d’un mois à compter de la notification du jugement à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

— la décision attaquée a été signée par des autorités incompétentes ;

— l’instruction de la demande de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle est irrégulière ;

— l’avis de la commission interministérielle relative à l’indemnisation des victimes des catastrophes naturelles est irrégulier dès lors, d’une part, que la composition de cette commission méconnaît la circulaire du 27 mars 1984 et, d’autre part, que les dossiers qui lui ont été transmis étaient incomplets ;

— la décision notifiée est entachée d’un défaut de motivation ;

— l’administration s’est estimée à tort en situation de compétence liée par l’avis de la commission interministérielle ;

— la décision attaquée est entachée d’une erreur d’appréciation dès lors que les critères retenus ne sont pas pertinents et comportent des biais ;

— la décision attaquée est entachée d’une erreur de fait dès lors que les indices d’humidité des sols publiés sur le site Publithèque de Météo France ne correspondent pas aux données apparaissant dans le tableau communiqué par le ministre de l’intérieur ;

— la décision a été guidée par des raisons essentiellement budgétaires.

Par un mémoire en défense enregistré le 16 décembre 2021, le ministre de l’intérieur et des Outre-mer, représenté par la SELAS Arco-Legal, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la commune de Garat une somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient qu’aucun des moyens soulevés par la commune de Garat n’est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— le code des assurances ;

— la circulaire du 10 mai 2019 portant révision des critères permettant de caractériser l’intensité des épisodes de sécheresse-réhydratation des sols à l’origine des mouvements de terrain différentiels ;

— le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

— le rapport de Mme A,

— les conclusions de Mme Bréjeon, rapporteure publique,

— et les observations de Me Merlet-Bonnan représentant la commune de Garat.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite des épisodes de sécheresse survenus au cours de l’année 2019, la commune de Garat a présenté à la préfète de la Charente une demande de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle au titre du phénomène de « sécheresse/réhydratation des sols » sur la période du 1er juin au 31 août 2019. Par un arrêté conjoint du 15 septembre 2020, le ministre de l’économie, des finances et de la relance, le ministre de l’intérieur et le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics ont fixé la liste des communes pour lesquelles a été constaté l’état de catastrophe naturelle au titre des mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols pour l’année 2019, au nombre desquelles ne figure pas la commune de Garat qui en demande l’annulation en tant qu’il rejette sa demande de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle pour la période en cause.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

2. Aux termes de l’article L. 125-1 du code des assurances : « Les contrats d’assurance, souscrits par toute personne physique ou morale autre que l’État et garantissant les dommages d’incendie ou tous autres dommages à des biens situés en France, ainsi que les dommages aux corps de véhicules terrestres à moteur, ouvrent droit à la garantie de l’assuré contre les effets des catastrophes naturelles, dont ceux des affaissements de terrain dus à des cavités souterraines et à des marnières sur les biens faisant l’objet de tels contrats. / En outre, si l’assuré est couvert contre les pertes d’exploitation, cette garantie est étendue aux effets des catastrophes naturelles, dans les conditions prévues au contrat correspondant. / Sont considérés comme les effets des catastrophes naturelles, au sens du présent chapitre, les dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l’intensité anormale d’un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n’ont pu empêcher leur survenance ou n’ont pu être prises. / L’état de catastrophe naturelle est constaté par arrêté interministériel qui détermine les zones et les périodes où s’est située la catastrophe ainsi que la nature des dommages résultant de celle-ci couverts par la garantie visée au premier alinéa du présent article. Cet arrêté précise, pour chaque commune ayant demandé la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, la décision des ministres. Cette décision est ensuite notifiée à chaque commune concernée par le représentant de l’État dans le département, assortie d’une motivation. ( ) ».

3. Il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu confier aux ministres concernés la compétence pour se prononcer sur les demandes des communes tendant à la reconnaissance sur leur territoire de l’état de catastrophe naturelle. Il leur appartient, à cet effet, d’apprécier l’intensité et l’anormalité des agents naturels en cause sur le territoire des communes concernées. Ils peuvent légalement, même en l’absence de dispositions législatives ou réglementaires le prévoyant, s’entourer, avant de prendre les décisions relevant de leurs attributions, des avis qu’ils estiment utile de recueillir et s’appuyer sur des méthodologies et paramètres scientifiques, sous réserve que ceux-ci apparaissent appropriés, en l’état des connaissances, pour caractériser l’intensité des phénomènes en cause et leur localisation, qu’ils ne constituent pas une condition nouvelle à laquelle la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle serait subordonnée ni ne dispensent les ministres d’un examen particulier des circonstances propres à chaque commune. Il incombe enfin aux ministres concernés de tenir compte de l’ensemble des éléments d’information ou d’analyse dont ils disposent, le cas échéant à l’initiative des communes concernées.

4. Il appartient au juge de l’excès de pouvoir de former sa conviction sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties sans aller jusqu’à exiger de l’auteur du recours d’apporter la preuve des faits qu’il avance.

5. Pour apprécier, afin de mettre en application les dispositions précitées de l’article L. 125-1 du code des assurances, si la sécheresse constatée en 2019 sur le territoire de la commune de Garat présentait un caractère anormal et intense, conditions nécessaires à la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, l’administration s’est fondée sur deux critères cumulatifs, l’un géotechnique, élaboré à partir des données techniques et des études cartographiques établies par le bureau de recherche géologique et minière et l’autre météorologique, établi à partir des données météorologiques et hydrologiques collectées et modélisées par Météo France. Selon cette nouvelle méthode, exposée par la circulaire du ministre de l’intérieur n° INTE1911312C du 2 mai 2019 susvisée, le critère géologique est rempli lorsqu’au moins 3% du territoire communal est composé de sols sensibles au phénomène de sécheresse-réhydratation des sols. S’agissant du critère météorologique, il revient à analyser, à partir des données hydrométéorologiques collectées et modélisées par Météo France, la teneur en eau des sols et ainsi établir un indice d’humidité des sols superficiels couramment appelé SWI (Soil Wetness Index), visant à évaluer la réserve en eau d’un sol à un niveau superficiel de deux mètres de profondeur, intégrant l’humidité de la zone racinaire et de la zone profonde, par rapport à sa réserve optimale par mailles géographiques. Chaque maille géographique numérotée recouvre une zone de soixante-quatre kilomètres carrés, correspondant au découpage du territoire de la France métropolitaine en carrés de huit kilomètres carrés de côté, soit un total de 8 981 mailles géographiques, le territoire d’une commune pouvant être couvert par plusieurs mailles.

6. Ce modèle hydrométéorologique, établi par Météo-France sous la dénomination Safran/Isba/Modcou (SIM), combine à la fois des observations météorologiques dont les précipitations mesurées à partir des 3 189 points de mesures pluviométriques sur le territoire de la France et des outils de modélisation permettant de simuler différents phénomènes climatiques. Le modèle Safran est un système d’analyse à méso échelle de variables atmosphériques qui utilise des observations de surface, combinées à des données d’analyse de modèles météorologiques pour produire les paramètres horaires nécessaires au fonctionnement d’ISBA au pas de temps horaire. Ces paramètres (température, humidité, vent, précipitations solides et liquides, rayonnement solaire et infrarouge incident), sont analysés par pas de 300 mètres d’altitude puis interpolés sur une grille de calcul régulière (8 x 8 km). Le modèle Isba (Interaction sol-biosphère-atmosphère) simule les échanges d’eau et d’énergie entre le sol et l’atmosphère en tenant compte de trois couches de sol (surface, zone racinaire, zone profonde) et de deux températures (température de surface globale du continuum sol-végétation et température profonde) pour modéliser les flux d’eau avec l’atmosphère (interception, évaporation, transpiration) et avec le sol (ruissellement des précipitations et drainage dans le sol). Son pas de temps est de 5 minutes. Le modèle Modcou est un modèle hydrologique distribué qui utilise en entrée les données de ruissellement et de drainage d’ISBA pour calculer l’évolution des nappes et le débit des rivières. Sa maille de calcul varie en fonction de la limite des bassins versants et du réseau hydrographique et son pas de temps est de trois heures.

7. L’indice d’humidité des sols superficiels est ainsi établi de manière journalière puis mensuelle sur chacune des 8 981 mailles géographiques couvrant le territoire de la France métropolitaine avec un découpage par saisons. Afin de tenir compte de la cinétique lente des phénomènes de sécheresse géotechnique qui se manifestent sur plusieurs mois, la circulaire ministérielle précitée prévoit le recours à un SWI uniforme, chaque indicateur mensuel étant calculé en s’appuyant sur la moyenne des indices journaliers d’humidité des sols superficiels du mois concerné et des deux mois qui le précèdent. Si l’indice est proche de 1, le sol est considéré comme saturé d’eau tandis qu’une valeur d’indice proche de 0 révèle un sol très sec. Ces indicateurs établis mensuellement sont comparés à ceux du même mois des cinquante dernières années afin de déterminer la durée de retour. Si cette durée atteint 25 ans, dans une maille et pour un mois, la sécheresse est regardée comme présentant une intensité anormale sur l’ensemble du trimestre saisonnier, chaque année donnant lieu au découpage saisonnier suivant : période de sécheresse hivernale du 1er janvier au 31 mars, sécheresse printanière du 1er avril au 30 juin, sécheresse estivale du 1er juillet au 30 septembre et sécheresse automnale du 1er octobre au 31 décembre.

8. Le tableau accompagnant le courrier de la préfète de la Charente destiné à notifier l’arrêté litigieux à la commune requérante révèle que, pour chacune des quatre saisons étudiées au cours de l’année 2019, aucun des indices d’humidité des sols superficiels relevés ne présente une « durée de retour » supérieure ou égale au seuil de 25 ans à partir duquel le phénomène de sécheresse est considéré comme caractérisé. Il ressort toutefois des pièces du dossier, en particulier des données météorologiques obtenues auprès de Météo France par la commune requérante que, pour parvenir à ce résultat, l’administration a tenu compte d’indices SWI mensuels uniformes substantiellement différents de ceux publiés par Météo France sur sa publithèque. Ces derniers chiffres, pour la plupart, révèlent mensuellement une sécheresse du sol supérieure à celle retenue par l’administration. Si le ministre de l’intérieur soutient que cette différence résulte de la modélisation des données, en application du modèle SIM, il ne produit aucune pièce, notamment établie par Météo France, de nature à justifier de l’origine et de l’exactitude des données brutes utilisées dans le cadre de cette modélisation, comme des données nettes reproduites dans le tableau joint à la notification de l’arrêté. Par conséquent, et en dépit de la faiblesse des écarts constatés, la prise en compte des chiffres dont fait état la commune requérante au lieu de ceux retenus par l’administration ne permet pas d’exclure, en l’état du dossier que, pour l’un au moins des trimestres de l’année 2019, la commune de Garat aurait pu bénéficier de la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle alors que la méthode susrappelée prévoit qu’une durée de retour supérieure à 25 ans pour au moins l’un des trois mois constituant la période saisonnière ouvre droit à la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle pour l’ensemble de la saison. Dans ces conditions, la commune requérante est fondée à soutenir que l’arrêté attaqué est entaché, en ce qui la concerne, d’inexactitude matérielle quant aux données ayant servi au calcul de l’humidité de ses sols superficiels.

9. Il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de se prononcer les autres moyens de la requête, l’arrêté interministériel du 15 septembre 2020 refusant de reconnaître la commune de Garat en état de catastrophe naturelle pour la période du 1er juin au 31 août 2019 doit être annulé.

Sur les conclusions à fin d’injonction :

10. Compte tenu du motif d’annulation retenu, l’exécution du présent jugement implique seulement que la demande de la commune de Garat soit réexaminée après avoir consulté la commission interministérielle compétente. Il y a lieu, par suite, d’enjoindre au ministre de l’intérieur et des Outre-mer, au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics de procéder à ce réexamen dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent jugement.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Garat, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que l’Etat demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 300 euros au titre des frais exposés par la commune de Garat et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : L’arrêté du 15 septembre 2020 portant reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle est annulé en tant qu’il refuse de reconnaître la commune de Garat en état de catastrophe naturelle au titre des mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols pour la période courant du 1er juin au 31 août 2019.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, au ministre de l’intérieur et des Outre-mer et au ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics de procéder au réexamen de la demande de la commune de Garat dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent jugement.

Article 3 : L’Etat versera à la commune de Garat une somme de 1 300 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à la commune de Garat, au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, au ministre de l’intérieur et des Outre-mer et au ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.

Délibéré après l’audience du 15 décembre 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Bruston, présidente,

Mme Thèvenet-Bréchot, première conseillère,

Mme Gibson-Théry, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 décembre 2022.

La rapporteure,

Signé

A. THEVENET-BRECHOTLa présidente,

Signé

S. BRUSTON

La greffière,

Signé

N. COLLET

La République mande et ordonne aux ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, au ministre de l’intérieur et des Outre-mer en ce qui les en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef par intérim,

La greffière,

N. COLLET

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