Tribunal administratif de Rennes, 10 novembre 2023, n° 2306036

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Sur la décision

Référence :
TA Rennes, 10 nov. 2023, n° 2306036
Juridiction : Tribunal administratif de Rennes
Numéro : 2306036
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Dispositif : Satisfaction totale
Date de dernière mise à jour : 11 novembre 2023

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 10 novembre 2023 à 12h55, l’association Comité 56 France Palestine Solidarité et la Libre Pensée du Morbihan (LP 56) doivent être regardées comme demandant au juge des référés :

1°) d’ordonner, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, la suspension de l’exécution de l’arrêté du préfet du Morbihan du 9 novembre 2023 portant interdiction de la manifestation prévue le samedi 11 novembre de 15 heures à 17 heures à Vannes et comportant l’itinéraire suivant : départ de l’esplanade Simone Veil, rue Thiers, arrêt Mairie, rue du Mené, arrêt Préfecture et retour par les remparts au port ;

2°) de mettre à la charge de l’État la somme de 1 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

— la condition tenant à l’urgence est remplie, compte tenu de l’imminence de la manifestation prévue ;

— l’arrêté litigieux porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifester et repose sur des éléments généraux et stéréotypés repris au niveau national sans tenir compte des circonstances locales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 novembre 2023 à 14 h 46, le préfet du Morbihan conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

— le caractère urgent et impératif de sa décision est incontestable compte-tenu du contexte de menace terroriste particulièrement aigüe et du niveau « urgence attentat » du plan Vigipirate ;

— la décision contestée est motivée et fondée en droit et en fait.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— la Constitution, notamment son Préambule ;

— la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

— le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

— le règlement d’exécution 2023/1505 du Conseil du 20 juillet 2023 mettant en œuvre l’article 2, paragraphe 3, du règlement (CE) no 2580/2001 concernant l’adoption de mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, et abrogeant le règlement d’exécution (UE) 2023/420 ;

— le code pénal ;

— le code de la sécurité intérieure ;

— la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;

— le décret n° 2023-664 du 26 juillet 2023 ;

— le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné Mme Plumerault, première conseillère, pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique du 10 novembre 2023 :

— le rapport de Mme Plumerault,

— les observations de M. le Guennec, président de la LP56, qui soutient que la manifestation de la semaine dernière, également initialement interdite, s’est déroulée sans incident et que d’ailleurs l’arrêté préfectoral contesté ne relève aucun problème en lien avec les précédentes manifestations, qui souligne que la notification de l’arrêté est intervenue tardivement de telle sorte qu’elle a rendu l’exercice d’un recours effectif difficile.

L’association Comité 56 France Palestine Solidarité et le préfet du Morbihan n’étaient ni présents ni représentés.

La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. L’association Comité 56 France Palestine Solidarité a souhaité organiser un rassemblement le 11 novembre 2023 de 15 heures à 17 heures à Vannes et a déposé une déclaration à la préfecture du Morbihan le 5 novembre 2023. Par un arrêté du 9 novembre 2023, notifié le 10 novembre à 9 h 48, le préfet du Morbihan a interdit le rassemblement ainsi déclaré. L’association Comité 56 France Palestine Solidarité et la Libre Pensée du Morbihan doivent être regardées comme demandant au juge des référés, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l’exécution de cet arrêté.

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

2. L’article L. 211-1 du code de la sécurité intérieure soumet à l’obligation de déclaration préalable « tous cortèges, défilés et rassemblements de personnes, et, d’une façon générale, toutes manifestations sur la voie publique ». Il résulte des articles L. 211-4 et R. 211-1 de ce code qu’il appartient au représentant de l’État dans le département d’interdire par arrêté toute manifestation projetée de nature à troubler l’ordre public.

3. Le respect de la liberté de manifestation et de la liberté d’expression, qui ont le caractère de libertés fondamentales au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, doit être concilié avec l’exigence constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public. Il appartient à l’autorité investie du pouvoir de police, lorsqu’elle est saisie de la déclaration préalable prévue à l’article L. 211-1 du code de la sécurité intérieure ou en présence d’informations relatives à un ou des appels à manifester, d’apprécier le risque de troubles à l’ordre public et, sous le contrôle du juge administratif, de prendre les mesures de nature à prévenir de tels troubles, au nombre desquelles figure, le cas échéant, l’interdiction de la manifestation, si une telle mesure présente un caractère adapté, nécessaire et proportionné aux circonstances, en tenant compte des moyens humains, matériels et juridiques dont elle dispose. Une mesure d’interdiction, qui ne peut être prise qu’en dernier recours, peut être motivée par le risque de troubles matériels à l’ordre public, en particulier de violences contre les personnes et de dégradations des biens, et par la nécessité de prévenir la commission suffisamment certaine et imminente d’infractions pénales susceptibles de mettre en cause la sauvegarde de l’ordre public même en l’absence de troubles matériels.

4. D’une part, les hostilités dont le Proche-Orient est actuellement le théâtre, à la suite des attaques commises par des membres du Hamas sur le territoire israélien le 7 octobre 2023, sont à l’origine d’un regain de tensions sur le territoire français, qui s’est notamment traduit par une recrudescence des actes à caractère antisémite. Dans ce contexte, les manifestations sur la voie publique ayant pour objet, directement ou indirectement, de soutenir le Hamas, organisation inscrite sur la liste de celles qui font l’objet de mesures restrictives spécifiques dans le cadre de la lutte contre le terrorisme par le règlement d’exécution du Conseil du 20 juillet 2023 visé ci-dessus, de justifier ou de valoriser les exactions telles que celles du 7 octobre 2023 sont de nature à entraîner des troubles à l’ordre public, résultant notamment d’agissements relevant du délit d’apologie publique du terrorisme ou de la provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence contre un groupe de personnes à raison de son appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion.

5. D’autre part, il appartient à l’autorité préfectorale, compétente en la matière en vertu des dispositions mentionnées au point 2, d’apprécier, à la date à laquelle elle se prononce, la réalité et l’ampleur des risques de troubles à l’ordre public susceptibles de résulter de chaque manifestation déclarée ou prévue, en fonction de son objet, déclaré ou réel, de ses caractéristiques propres et des moyens dont elle dispose pour sécuriser l’événement. À ce titre, il revient au préfet compétent, sous le contrôle du juge administratif, de déterminer, au vu non seulement du contexte national décrit au point 4, mais aussi des circonstances locales, s’il y a lieu d’interdire une manifestation présentant un lien direct avec le conflit israélo-palestinien, quelle que soit du reste la partie au conflit qu’elle entend soutenir, sans pouvoir légalement motiver une interdiction par la seule référence à l’instruction reçue du ministre ni la prononcer du seul fait qu’elle vise à soutenir la population palestinienne.

6. Pour interdire la manifestation en litige, le préfet du Morbihan a estimé qu’elle intervenait dans un contexte géopolitique particulièrement tendu suite à l’attaque terroriste d’ampleur du 7 octobre 2023 lancée par le Hamas et que l’évolution de la situation et de la contre-offensive sur la bande de Gaza était de nature à amplifier les revendications et contestations, à radicaliser la mouvance pro-palestinienne sur la voie publique et à importer des tensions nées de ce conflit à l’étranger. Le préfet retient également que cette manifestation est susceptible d’être le théâtre d’attitudes, de propos et de gestes, principalement à caractère antisémite, incitant à la haine raciale et faisant l’apologie des attaques terroristes perpétrés ces derniers jours au Moyen-Orient et portant ainsi atteinte à la dignité de la personne humaine, en plus des graves risques d’affrontements et de troubles matériels qui en résulteraient. Il ajoute qu’elle s’inscrit dans un conteste de menace terroriste particulièrement aiguë qui sollicite à un niveau élevé les forces de sécurité intérieure dans le cadre du plan Vigipirate porté au niveau « urgence attentat » depuis le 13 octobre 2023.

7. Toutefois, ces différentes considérations se bornent à se rapporter à un contexte international sans que le préfet ne fasse état d’aucune circonstance locale permettant d’établir l’existence d’un risque de troubles à l’ordre public durant le rassemblement en cause, résultant notamment d’agissements relevant du délit d’apologie publique du terrorisme ou de la provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence contre un groupe de personnes à raison de son appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion. Le préfet du Morbihan n’apporte aucune précision de nature à démontrer l’existence de troubles susceptibles d’être causés par cette manifestation et il est d’ailleurs constant que la manifestation qui s’est tenue le samedi 4 novembre 2023 à Vannes sur le même parcours, à l’initiative des mêmes organisateurs, n’a été émaillée d’aucun incident.

8. Il résulte de ce qui précède que l’arrêté attaqué porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifester et que les requérantes justifient de la condition d’urgence. Il y a lieu, par suite, d’ordonner la suspension de l’exécution de l’arrêté du 9 novembre 2023 par lequel le préfet du Morbihan a interdit le rassemblement organisé par l’association Comité 56 France Palestine Solidarité le samedi 11 novembre 2023 de 15 heures à 17 heures à Vannes.

Sur les frais liés au litige :

9. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’État la somme que les requérantes demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

O R D O N N E :

Article 1er : L’exécution de l’arrêté du 9 novembre 2023 par lequel le préfet du Morbihan a interdit la manifestation prévue à Vannes le 11 novembre 2023 de 15 heures à 17 heures organisée par l’association Comité 56 France Palestine Solidarité est suspendue.

Article 2 : Les conclusions de l’association Comité 56 France Palestine Solidarité et la Libre Pensée du Morbihan (LP 56) tendant au bénéfice des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l’association Comité 56 France Palestine Solidarité, première dénommée pour l’ensemble des requérants en application de l’article R. 751-3 du code de justice administrative et au ministre de l’intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée pour information au préfet du Morbihan, au préfet d’Ille-et-Vilaine et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Vannes.

Fait à Rennes, le 10 novembre 2023.

Le juge des référés,

signé

F. PlumeraultLa greffière d’audience,

signé

J. Jubault

La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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