Tribunal administratif de Versailles, 8ème chambre, 9 novembre 2023, n° 2103216

  • Rayonnement ionisant·
  • Indemnisation de victimes·
  • Expertise·
  • Justice administrative·
  • Comités·
  • Maladie·
  • Préjudice esthétique·
  • Déficit·
  • Barème·
  • Contamination

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
TA Versailles, 8e ch., 9 nov. 2023, n° 2103216
Juridiction : Tribunal administratif de Versailles
Numéro : 2103216
Type de recours : Excès de pouvoir
Décision précédente : Tribunal administratif de Versailles, 14 décembre 2022
Dispositif : Satisfaction partielle
Date de dernière mise à jour : 22 novembre 2023

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par un jugement du 15 décembre 2022, le tribunal administratif de Versailles, avant dire droit sur les conclusions de la requête de M. C A tendant à la condamnation du comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) à lui verser une somme de 174 221 euros en réparation des préjudices subis en raison de son exposition aux rayonnements ionisants, assortie des intérêts au taux légal à compter du 1er juin 2020, date de sa demande, et de leur capitalisation, dans l’hypothèse où le tribunal ordonnerait une expertise à prendre à sa charge les frais de celle-ci et à lui verser une provision de 10 000 euros, et à lui verser la somme de 3 000 euros au titres de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, a reconnu le droit à indemnisation de M. A institué par la loi du 5 janvier 2010, a ordonné une expertise médicale afin notamment de prendre connaissance de son dossier médical et de tous documents concernant son état de santé, décrire la pathologie cancéreuse dont il a été atteint et permettre au tribunal d’apprécier l’étendue du préjudice indemnisable, a accordé à M. A une provision de 8 000 euros et a réservé les conclusions et moyens des parties jusqu’en fin d’instance.

Par ordonnance du 30 décembre 2022, le docteur D B a été désigné

en qualité d’expert pour procéder à la mission définie au jugement précité.

Le rapport d’expertise a été déposé au greffe du tribunal le 28 avril 2023.

Par ordonnance du 22 mai 2023, les frais et honoraires de l’expertise ont été taxés et

liquidés à la somme de 1 740 euros.

Par un mémoire enregistré le 11 mai 2023, M. A, représenté par Me Labrunie, demande au tribunal de condamner le CIVEN à lui verser une indemnité d’un montant de

174 221 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 1er juin 2020 et de leur capitalisation, de mettre à la charge du CIVEN les frais d’expertise, les frais de déplacement de

M. A au rendez-vous d’expertise pour un montant de 93 euros, ainsi qu’une somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient qu’il est fondé à réclamer des indemnités à hauteur de 2 809 euros au titre des frais divers, de 3 780 euros au titre de l’assistance à tierce personne avant consolidation, de 6 204 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, de 20 000 euros au titre des souffrances endurées, de 15 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire, de 15 290 euros au titre du préjudice fonctionnel permanent, de 20 000 euros au titre du préjudice d’agrément, de 5 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent et de 30 000 euros au titre du préjudice moral lié à l’anxiété.

Par un mémoire enregistré le 6 juin 2023, le comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), conclut à ce que le montant de l’indemnisation soit fixé à la somme de 17 205 euros.

Par une ordonnance du 11 mai 2023, la clôture de l’instruction a été fixée au 15 juin

2023.

Par un mémoire enregistré le 16 octobre 2023, la caisse primaire d’assurance maladie Pau-Pyrénées, agissant pour le compte de la caisse primaire d’assurance maladie des Yvelines, a produit des observations.

Vu :

— l’ordonnance du 22 mai 2023 liquidant et taxant les frais de l’expertise ordonnée par jugement avant dire droit en date du 15 décembre 2022, à la somme de 1 740 euros.

— les autres pièces du dossier.

Vu :

— le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

— le rapport de M. Perez, rapporteur,

— et les conclusions de M. Connin, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par jugement du 15 décembre 2022, le tribunal a annulé la décision du 23 février 2021 du président du CIVEN rejetant la demande d’indemnisation des préjudices présentée par

M. A, et condamné le CIVEN à réparer intégralement les conséquences dommageables de la maladie de l’intéressé résultant de son exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires menés en Polynésie française pendant la période de déploiement de M. A. Le tribunal a par ailleurs ordonné une expertise aux fins d’apprécier la réalité et l’étendue des préjudices directement liés à la pathologie de M. A. Le rapport d’expertise ayant été déposé

le 28 avril 2023 et communiqué aux parties, il y a lieu pour le tribunal de statuer sur le surplus des conclusions de M. A.

Sur la réparation :

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

S’agissant des dépenses de santé actuelles et futures :

2. Il résulte de l’instruction que M. A a payé sur factures du 20 avril et du 13 juillet 2017 des compléments d’honoraires chirurgicaux, d’un montant de 90 euros et de 150 euros. Il y a donc lieu d’indemniser ce préjudice à hauteur de 240 euros.

3. Le requérant demande l’indemnisation de l’achat de 3,5 produits dermatologiques de type « crème solaire » par an pour un montant annuel non contesté de 86,5 euros à compter de 2012. Si le CIVEN conteste la prise en compte des achats antérieurs à 2015 au motif qu’ils seraient antérieurs à la date de diagnostic de son premier cancer cutané, il résulte du rapport d’expertise que le requérant a été traité pour des cancers baso-cellulaires dès 2012. Il sera donc fait une juste appréciation de ce préjudice en lui allouant la somme de 954 euros.

4. En outre, pour la capitalisation du montant relatif à l’achat de crèmes solaires à compter du présent jugement, et en se référant au taux édité par la Gazette du palais le 31 octobre 2022 selon le barème « homme taux zéro » pour un homme de 72 ans, soit 13,874, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en allouant à M. A la somme de 1 202 euros.

S’agissant des frais de déplacement :

5. Le requérant demande l’indemnisation de 220 euros de frais de déplacement supportés pour se rendre à ses rendez-vous médicaux, notamment chez des dermatologues, de 2012 à la date du présent jugement. Si le CIVEN conteste la prise en compte des seuls déplacements antérieurs à 2015 au motif qu’ils seraient antérieurs à la date de diagnostic de son premier cancer cutané, il y a lieu de prendre en compte les déplacements ayant été réalisés dès 2012, pour le même motif que celui exposé au point 3 du présent jugement. Il y a donc lieu d’allouer à M. A la somme de 220 euros au titre de ce préjudice.

6. En outre, pour l’indemnisation du préjudice résultant des déplacements de

M. A à compter du présent jugement, il résulte de l’instruction qu’une visite de contrôle annuelle au centre hospitalier Loire Vendée Océan, situé à deux kilomètres de son domicile, sera nécessaire. Le coût d’un trajet annuel de 4 kilomètres pour un véhicule d’une puissance de quatre chevaux s’élève à 2,4 euros auquel il convient d’appliquer le coefficient précité de 13,874. Par suite, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en allouant à M. A la somme de 33 euros.

S’agissant de l’assistance par tierce personne :

7. Il résulte de l’instruction que M. A a eu besoin de l’assistance d’une tierce personne pour l’application de pommades, le rapport d’expertise retenant l’application de pommades par l’épouse de M. A à raison d’une heure par jour. Il a fixé par ailleurs les périodes d’application de pommades à deux périodes de trois semaines et d’un mois en 2018, puis à deux périodes de six semaines et huit semaines en 2021. Le CIVEN admet une période

1.

d’application de 24 semaines, soit 168 jours. Ainsi, sur la base d’un taux horaire de 10 euros pour une assistance par tierce personne active non spécialisée, qu’il convient de porter 11,29 euros pour tenir des jours fériés et congés payés auxquels peut prétendre l’assistant, il sera fait une juste évaluation de chef de préjudice en le fixant à 1896 euros.

En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux :

S’agissant des préjudices extrapatrimoniaux avant consolidation :

Quant au déficit fonctionnel temporaire :

8. Il résulte de l’instruction, particulièrement du rapport d’expertise, que M. A a subi un déficit fonctionnel temporaire total pour une période de 104 jours qui n’est pas contestée par le CIVEN. Le rapport relève en outre un déficit de fonctionnel de classe II pour une période non contestée de six mois, soit 182 jours, et un déficit fonctionnel temporaire de classe I pour une période non contestée de 61 jours. A raison d’une indemnisation journalière de 25 euros telle que celle retenue par le barème du CIVEN pour un déficit fonctionnel temporaire total, et en l’absence de tout élément de nature à justifier une base plus élevée, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi en allouant à M. A la somme de 3 891 euros.

Quant aux souffrances endurées :

9. Il résulte de l’instruction, notamment du rapport d’expertise, que M. A a enduré en raison de son cancer cutané des souffrances évaluées à 2 sur une échelle pouvant aller jusqu’à 7, sur une période de quatre mois. Au regard notamment du barème d’indemnisation retenu par le CIVEN, et en l’absence de tout élément dans la situation de M. A justifiant une indemnisation plus élevée, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en lui allouant la somme de 1 500 euros.

Quant au préjudice esthétique temporaire :

10. Il résulte de l’instruction, particulièrement du rapport de l’expert, que M. A a subi un préjudice esthétique temporaire évalué à 2 sur une échelle pouvant aller jusqu’à 7. Au regard notamment du barème d’indemnisation appliqué par le CIVEN, et en l’absence de tout élément dans la situation de M. A justifiant une indemnisation plus élevée, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en allouant à M. A la somme de 2 000 euros.

S’agissant des préjudices patrimoniaux après consolidation :

Quant au déficit fonctionnel permanent :

11. Il résulte de l’instruction, notamment de l’expertise, que M. A subit un déficit fonctionnel permanent de 5 %. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en appliquant à ce pourcentage une valeur du point de 1 050 euros pour un homme âgé de 72 ans, retenue notamment par le barème d’indemnisation du CIVEN renvoyant à la valeur du point du barème judiciaire, Par suite, M. A peut prétendre à une indemnisation de ce chef de préjudice à hauteur de 5 300 euros.

Quant au préjudice d’agrément :

12. Il ne résulte pas de l’instruction que le requérant, au regard des pratiques de loisir dont il se prévaut, aurait subi un préjudice d’agrément spécifique résultant de ses pathologies et de nature à ouvrir droit à une indemnisation distincte de celle du préjudice fonctionnel permanent. Les conclusions présentées par M. A à ce titre doivent être rejetées.

Quant au préjudice esthétique permanent :

13. Il résulte de l’instruction, particulièrement du rapport d’expertise, que M. A subit un préjudice esthétique permanent évalué à 0,5 sur une échelle pouvant aller jusqu’à 7. Au regard notamment du barème d’indemnisation appliqué par le CIVEN, et en tenant compte des cicatrices disgracieuses provoquées par les lésions cutanées, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en allouant à M. A la somme de 700 euros.

Quant au préjudice d’anxiété :

14. Il résulte de l’instruction, particulièrement du rapport d’expertise, que M. A subit un préjudice d’anxiété en raison d’une crainte de rechute de sa pathologie. Au regard notamment du barème d’indemnisation appliqué par le CIVEN prévoyant une indemnisation entre 3 000 euros et 10 000 euros et en l’absence de tout élément justifiant l’allocation d’une somme plus élevée, il y a lieu d’allouer au requérant la somme de 3 000 euros.

15. Il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat (CIVEN) la somme de 20 936 euros dont il y a lieu de déduire, si elle a déjà été versée, la provision de 8 000 euros ordonnée par le jugement du tribunal administratif de Versailles du 15 décembre 2022 visé ci-dessus.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

16. M. A a droit aux intérêts au taux légal sur les sommes qui lui sont accordées à compter du 1er juin 2020, avec capitalisation à compter du 1er juin 2021, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les dépens :

17. Les frais de l’expertise judiciaire ont été taxés et liquidés à la somme de 1 740 euros par une ordonnance du 22 mai 2023. Ces frais doivent être mis à la charge définitive de l’État (CIVEN).

18. Il y a lieu, de même, de mettre à la charge de l’État (CIVEN) les frais exposés par

M. A et dont il justifie pour se rendre en train au rendez-vous d’expertise, pour un total de 93 euros.

Sur les frais liés à l’instance :

19. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la

somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. A et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : L’Etat (CIVEN) versera à M. A la somme de totale de 20 936 euros, dont il sera déduit si elle a déjà été versée la provision de 8 000 euros alloués par le jugement avant dire droit du 15 décembre 2022, en réparation des préjudices subis et imputables à son exposition aux radiations ionisantes. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 1er juin 2020, avec capitalisation à compter du 1er juin 2021, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Article 2 : Les frais et honoraires d’expertise liquidés et taxés à la somme de 1 740 euros et les frais de déplacement de M. A d’un montant de 93 euros pour se rendre à l’expertise, sont mis à la charge définitive de l’Etat (CIVEN).

Article 3 : L’Etat versera à M. A la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par les parties est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. C A et au comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires.

Copie en sera adressé à la ministre des armées, à la caisse primaire d’assurance maladie des

Yvelines et au docteur D B, expert.

Délibéré après l’audience du 19 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Mauny, président,

M. Bélot, premier conseiller,

M. Perez, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 novembre.

Le rapporteur, Signé

J-L. Perez

Le président, Signé

O. Mauny

La greffière, Signé

S. Lamarre

La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE VERSAILLES

M. C A

M. Nicolas Connin Rapporteur

Mme Emmanuelle Marc Rapporteure publique

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le tribunal administratif de Versailles (8ème chambre)

Audience du 1er décembre 2022 Décision du 15 décembre 202Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 19 avril 2021, M. C A, représenté par Me Labrunie, demande au tribunal :

1°) d’annuler la décision du 23 février 2021 par laquelle le président du comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires a rejeté sa demande d’indemnisation présentée sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

2°) de condamner l’État à lui verser une indemnité de 174 221 euros en réparation de ses préjudices, ainsi que les intérêts au taux légal et la capitalisation de ces intérêts à compter du 1er juin 2020 ;

3°) dans l’hypothèse où une expertise médicale serait ordonnée, de mettre à la charge de l’État les frais d’expertise et de condamner l’État à lui verser une indemnité provisionnelle de 10 000 euros ;

4°) de mettre à la charge de l’État une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

— il n’est pas établi que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français qu’il a reçue lorsqu’il servait à bord du croiseur anti-aérien De Grasse en Polynésie française entre les 20 mars et 9 septembre 1970 et les 21 avril et 3 octobre 1971 ait été inférieure à la limite de 1 millisievert (mSv) ;

— 

— ses préjudices patrimoniaux sont constitués par des frais d’assistance par une tierce personne, à hauteur d’une heure par jour entre les 2 et 17 septembre 2015, 27 avril et 12 mai 2017 et 10 et 25 juillet 2020, d’un montant de 810 euros ;

— ses préjudices extrapatrimoniaux temporaires sont constitués par des souffrances endurées évaluées à 30 000 euros et un préjudice esthétique temporaire évalué à 15 000 euros ;

— ses préjudices extrapatrimoniaux permanents sont constitués par un déficit fonctionnel permanent de 20% évalué à 58 411 euros, un préjudice d’agrément lié à l’impossibilité de pratiquer des activités de loisirs en plein soleil et évalué à 10 000 euros, un préjudice esthétique permanent évalué à 10 000 euros et un préjudice d’anxiété évalué à 50 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 mai 2021, le président du comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires conclut, à titre principal, au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, à ce qu’une expertise médicale soit ordonnée pour évaluer les préjudices subis par M. A.

Il soutient que :

— les mesures de surveillance dont a bénéficié M. A étaient suffisantes compte tenu de ses conditions concrètes d’exposition ;

— il est établi que le requérant n’a pu recevoir une dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français supérieure à la limite de 1 mSv à l’occasion de son affectation en qualité de mécanicien embarqué à bord du croiseur anti-aérien De Grasse en Polynésie française entre les 20 mars et 9 septembre 1970 et les 21 avril et 3 octobre 1971.

La requête a été communiquée à la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) des Yvelines qui n’a pas produit d’observations.

Par une ordonnance du 30 août 2022, la clôture de l’instruction a été fixée au 30 septembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier. Vu :

— le code de la santé publique ;

— la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;

— le décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 ;

— le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience. Ont été entendus au cours de l’audience publique :

— le rapport de M. Connin, conseiller,

— et les conclusions de Mme Marc, rapporteure publique.

— 

Considérant ce qui suit :

1. M. C A, né le 18 septembre 1951, a été affecté en qualité de mécanicien embarqué à bord du croiseur anti-aérien De Grasse en Polynésie française entre les 20 mars et 9 septembre 1970 et les 21 avril et 3 octobre 1971, périodes durant lesquelles treize essais nucléaires ont été réalisés. Il est atteint d’un cancer cutané, diagnostiqué en 2015. M. A a présenté le 1er juin 2020 une demande d’indemnisation sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français. Par une décision du 23 février 2021, le président du comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires a rejeté cette demande. M. A demande au tribunal d’annuler cette décision et de condamner l’État à réparer les préjudices résultant de sa maladie.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

2. Aux termes du I de l’article 1er de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, dans sa rédaction applicable au présent litige : « Toute personne souffrant d’une maladie radio- induite résultant d’une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d’Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi. ». L’article 2 de la même loi dispose que : « La personne souffrant d’une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné : () / 2° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 en Polynésie française. () ». L’article 4 de la même loi, dans sa rédaction applicable au présent litige, prévoit que :

« I.- Les demandes d’indemnisation sont soumises au comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires, qui se prononce par une décision motivée dans un délai de huit mois suivant le dépôt du dossier complet. () / V.- Ce comité examine si les conditions sont réunies. Lorsqu’elles le sont, l’intéressé bénéficie d’une présomption de causalité, à moins qu’il ne soit établi que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l’intéressé a été inférieure à la limite de dose efficace pour l’exposition de la population à des rayonnements ionisants fixée dans les conditions prévues au 3° de l’article L. 1333-2 du code de la santé publique. () ». Le I de l’article R. 1333-11 du code de la santé publique énonce que : « Pour l’application du principe de limitation défini au 3° de l’article L. 1333-2, la limite de dose efficace pour l’exposition de la population à des rayonnements ionisants résultant de l’ensemble des activités nucléaires est fixée à 1 mSv par an, à l’exception des cas particuliers mentionnés à l’article R. 1333-12. ».

3. Il résulte des dispositions précitées de la loi 5 janvier 2010 que le législateur a entendu que, dès lors qu’un demandeur satisfait aux conditions de temps, de lieu et de pathologie prévues par l’article 2 de la loi du 5 janvier 2010, il bénéficie de la présomption de causalité entre l’exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et la survenance de sa maladie. Cette présomption ne peut être renversée que si l’administration établit que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l’intéressé a été inférieure à la limite de 1 millisievert (mSv). Si, pour le calcul de cette dose, l’administration peut utiliser les résultats des mesures de surveillance de la contamination tant interne qu’externe des personnes exposées, qu’il s’agisse de mesures individuelles ou collectives en ce qui concerne la contamination externe, il lui appartient de vérifier, avant d’utiliser ces résultats, que les mesures de surveillance de la contamination

1.

interne et externe ont, chacune, été suffisantes au regard des conditions concrètes d’exposition de l’intéressé. En l’absence de mesures de surveillance de la contamination interne ou externe et en l’absence de données relatives au cas des personnes se trouvant dans une situation comparable à celle du demandeur du point de vue du lieu et de la date de séjour, il appartient à l’administration de vérifier si, au regard des conditions concrètes d’exposition de l’intéressé précisées ci-dessus, de telles mesures auraient été nécessaires. Si tel est le cas, l’administration ne peut être regardée comme rapportant la preuve de ce que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l’intéressé a été inférieure à la limite de 1 mSv.

4. Il résulte de l’instruction que M. A a séjourné dans des lieux et pendant une période définis à l’article 2 de la loi du 5 janvier 2010. La pathologie dont il souffre figure sur la liste annexée au décret du 15 septembre 2014 relatif à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français. Il bénéficie donc d’une présomption de causalité entre l’exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et la survenue de sa maladie.

5. Le CIVEN fait valoir que la dosimétrie d’ambiance à bord du croiseur anti-aérien De Grasse pendant les campagnes 1970 et 1971 révèle une dose constamment nulle de rayonnements ionisants, et qu’il n’était pas nécessaire que M. A soit soumis à une surveillance radiologique individuelle compte tenu de son poste de travail ne le conduisant pas à intervenir dans des zones dans lesquelles il aurait pu être exposé aux rayonnements ionisants et de la distance du navire par rapport aux atolls de Mururoa et de Fangataufa pendant les essais de 1970 et 1971. Il ajoute que le requérant n’a pu subir une contamination interne par ingestion eu égard aux conditions d’alimentation et d’approvisionnement en eau à bord du croiseur anti-aérien De Grasse. Il précise enfin que M. A n’a pas été affecté sur le poste de bouilleur chargé du processus de traitement de l’eau de mer.

6. Il résulte de l’instruction que lors des treize essais nucléaires effectués alors que

M. A servait à bord du croiseur anti-aérien De Grasse, ce navire se trouvait à une distance variant, selon la puissance des tirs, entre 13 et 70 kilomètres, et circulait ou stationnait en dehors des zones des retombées des tirs, à l’exception de celles consécutives à l’essai Phoebé réalisé le 8 août 1971. Par ailleurs, le navire était de retour en zone Kathie à Mururoa, le plus souvent quelques heures seulement après chaque tir. Il résulte des attestations produites par des personnels ayant également servi à bord du croiseur anti-aérien De Grasse à la même époque que le requérant et n’est pas sérieusement contesté en défense que les personnels embarqués pratiquaient des activités nautiques dans le lagon sans protection particulière contre les risques radiologiques. Ainsi, eu égard aux conditions concrètes d’exposition de l’intéressé, compte tenu des circonstances qui viennent d’être rappelées, les seuls résultats de la dosimétrie d’ambiance à bord du croiseur anti-aérien De Grasse concernant les mois de juillet et août 1971 ne peuvent suffire à établir que M. A aurait reçu, lors de ses deux affectations en 1970 et 1971 à bord du croiseur anti-aérien De Grasse, une dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français inférieure à la limite de 1 mSv par an, en l’absence, d’une part, d’autres mesures de surveillance individuelle de la contamination interne ou externe et, d’autre part, de données relatives au cas de personnes se trouvant dans une situation comparable à celle du demandeur du point de vue du lieu et de la date de séjour.

7. Il résulte de ce qui précède que M. A est fondé à demander l’annulation de la décision du 23 février 2021 du président du comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires.

1.

Sur les conclusions indemnitaires :

8. Aux termes de l’article R. 621-1 du code de justice administrative : « La juridiction peut, soit d’office, soit sur la demande des parties ou de l’une d’elles, ordonner, avant dire droit, qu’il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. L’expert peut se voir confier une mission de médiation. Il peut également prendre l’initiative, avec l’accord des parties, d’une telle médiation. Si une médiation est engagée, il en informe la juridiction. Sous réserve des exceptions prévues par l’article L. 213-2, l’expert remet son rapport d’expertise sans pouvoir faire état, sauf accord des parties, des constatations et déclarations ayant eu lieu durant la médiation. ».

9. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que M. A est fondé à obtenir la réparation intégrale des préjudices résultant de la maladie qu’il a contractée en raison de son exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français. Toutefois, l’état du dossier ne permet pas au tribunal d’apprécier la réalité et l’étendue des préjudices directement liés à la pathologie dont il souffre. Dès lors, il y a lieu, avant d’évaluer le montant de la réparation, d’ordonner une expertise sur ce point et, dans les circonstances de l’espèce, de mettre provisoirement à la charge du CIVEN les frais et honoraires de cette expertise.

Sur la demande de provision :

10. Il résulte de ce qui précède que le CIVEN est tenu de réparer les conséquences dommageables de la maladie de M. A. En l’état de l’instruction, il y a lieu de condamner le CIVEN à verser au requérant une allocation provisionnelle de 8 000 euros.

D É C I D E :

Article 1er : La décision du 23 février 2021 du président du comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires est annulée.

Article 2 : Le comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires est condamné à réparer intégralement les conséquences dommageables de la maladie dont souffre M. A résultant de son exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français.

Article 3 : Il sera, avant d’évaluer le montant de la réparation, procédé par un expert désigné par le président du tribunal administratif à une expertise avec mission pour l’expert de :

1°) se faire communiquer tous documents relatifs à l’état de santé de M. A et procéder à l’examen sur pièces de son dossier médical ainsi qu’à son examen clinique, recueillir les doléances de M. A et, au besoin, de ses proches ;

2°) décrire l’état de santé de M. A à la date de l’expertise, l’évolution de sa pathologie, les soins, examens, traitements, actes médicaux et chirurgicaux qu’elle a nécessités ;

3°) dire si l’état de santé de M. A est consolidé et, le cas échéant, fixer la date de consolidation ; dire si l’état de santé de celui-ci est susceptible de modification, en aggravation ou en amélioration, et, dans l’affirmative, fournir toutes précisions utiles sur cette évolution et son degré de probabilité ; dans l’hypothèse où son état de santé ne serait pas consolidé, fixer l’échéance à l’issue de laquelle cette consolidation pourra intervenir ;

4°) préciser la nature et l’étendue des préjudices subis par M. A en lien direct avec sa maladie ;

5°) dire si cette pathologie a entraîné une incapacité temporaire ou permanente, totale ou partielle, et en préciser les dates de début et de fin, ainsi que le ou les taux ;

6°) dire si l’état de M. A en lien avec cette pathologie a nécessité et/ou nécessite l’assistance d’une tierce personne ; fixer les modalités, la qualification et la durée de cette assistance ;

7°) évaluer, le cas échéant, les préjudices patrimoniaux permanents de M. A ;

8°) décrire les frais et les dépenses de santé exposés par M. A en lien avec sa maladie, avant et après la consolidation de son état de santé ;

9°) donner son avis sur l’existence des préjudices extrapatrimoniaux en lien avec la pathologie dont souffre M. A, et, le cas échéant, en évaluer l’importance, s’agissant des souffrances endurées et du préjudice esthétique, en distinguant entre préjudices temporaires et permanents, ainsi que les préjudices d’agrément et d’anxiété ;

10°) fournir au tribunal tous les éléments utiles sur l’existence éventuelle d’autres préjudices et la réparation des préjudices subis par M. A.

Article 4 : L’expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles

R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit devant la greffière en cheffe du tribunal. L’expert déposera son rapport au greffe du tribunal en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé par le président du tribunal dans sa décision le désignant.

Article 5 : Le comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires fera l’avance des frais d’expertise, dont la charge définitive sera déterminée en fin d’instance.

Article 6 : Le comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires est condamné à verser à M. A la somme provisionnelle de 8 000 euros.

Article 7 : A tout moment au cours de sa mission, l’expert peut prendre l’initiative de procéder, avec l’accord des parties, à une médiation conformément aux dispositions de l’article R. 621-1 du code de justice administrative. Il devra, dans cette hypothèse, en informer le tribunal et préserver dans son rapport d’expertise la confidentialité de la médiation menée.

Article 8 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n’est pas expressément statué par le présent jugement, sont réservés jusqu’en fin d’instance.

Article 9 : Le présent jugement sera notifié à M. C A, au président du comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires, au ministre des armées et à la caisse primaire d’assurance maladie des Yvelines.

Délibéré après l’audience publique du 1er décembre 2022, à laquelle siégeaient : Mme Christine Grenier, présidente,

Mme Virginie Caron, première conseillère,

M. Nicolas Connin, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2022.

Le rapporteur,

signé

N. CONNIN

La présidente,

signé

C. GRENIER

La greffière,

signé

A. ESTEVES

La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Tribunal administratif de Versailles, 8ème chambre, 9 novembre 2023, n° 2103216