Tribunal de grande instance de Grenoble, 6e chambre, 28 septembre 2000

  • Article l 712-1 code de la propriété intellectuelle·
  • Article l 712-6 code de la propriété intellectuelle·
  • Annulation de tous les actes juridiques·
  • Action en revendication de propriété·
  • Numero d'enregistrement 92 437 073·
  • Marque anterieure enregistree·
  • Revendication de propriété·
  • Situation de concurrence·
  • Transfert de propriété·
  • Connaissance de cause

Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TGI Grenoble, 6e ch., 28 sept. 2000
Juridiction : Tribunal de grande instance de Grenoble
Domaine propriété intellectuelle : MARQUE
Marques : EXPLORER
Numéro(s) d’enregistrement des titres de propriété industrielle : 92437073
Classification internationale des marques : CL12
Liste des produits ou services désignés : Bateaux pneumatiques
Référence INPI : M20000623
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Texte intégral

FAITS ET PROCEDURE La Société ZODIAC créa et fait commercialiser sous la marque « BOMBARD » des bateaux pneumatiques à coque semi-rigide. Chacun de ces bateaux, ou catégorie de bateaux, se singularise par un signe distinctif constituant une dénomination commerciale particulière. En décembre 1988, la Société ZODIAC a, pour la première fois, crée et fait commercialiser, notamment en France, un bateau pneumatique semi-rigide sous la dénomination « EXPLORER ». Parallèlement, la firme americano-canadienne BOMBARDIER, propriétaire de la marque SEA-DOO, lançait en 1992 un concept de bateau pneumatique semi-rigide dotée d’une propulsion par double turbine, sous la dénomination « SEA-DOO EXPLORER ». La commercialisation et la distribution de ce bateau s’effectuent, en France, par l’intermédiaire de la société S21, société anonyme dont Pierre L est le Président du conseil d’administration. Le 15 novembre 1996, la Société BOMBARD, filiale de la Société ZODIAC, chargée de la distribution des bateaux pneumatiques semi-rigides, est avisée que P.LAMOUILLE est propriétaire de la marque « EXPLORER », déposée auprès de l’INPI le 1er octobre 1992 sous le numéro 92437073 dans la classe 12 pour les bateaux pneumatiques. Pierre L, estimant que l’utilisation par la Société ZODIAC, à travers sa filiale BOMBARD, de la dénomination « EXPLORER », constituait une contrefaçon de sa marque enregistrée, exigeait dans ce même courrier la cessation de cette utilisation, sans préjudice de toute action visant à la réparation du préjudice subi. Par acte d’huissier en date du 30 novembre 1998, enregistré à l’INPI le 28 décembre 1998, la Société ZODIAC assignait Pierre L devant ce Tribunal aux fins de voir : « Dire et juger que la Société ZODIAC SA détient un droit d’usage, à titre de marque, sur le signe »EXPLORER« , antérieur au dépôt de la marque »EXPLORER« , effectué par Monsieur L le 1er octobre 1992 à l’INPI sou le numéro 92437073, dans la classe 12 pour bateaux pneumatiques. Dire et juger que le dépôt de la marque »EXPLORER" a été effectué de mauvaise foi, en fraude des droits de la Société ZODIAC SA. En conséquence, Au principal,

Substituer à Monsieur Pierre L la Société ZODIAC SA en tant que propriétaire de la marque « EXPLORER ». Subsidiairement, Prononcer la nullité de l’enregistrement de la marque « EXPLORER ». Plus subsidiairement, Prononcer la déchéance des droits de Monsieur L sur la marque « EXPLORER » à compter du 27 novembre 1997. Condamner Monsieur Pierre L à régler à la Société ZODIAC SA la somme de 50.000F à titre de dommages et intérêts. Ordonner en tout état de cause l’exécution provisoire du jugement à intervenir sans caution ni garantie. Condamner Monsieur Pierre L à verser à la Société ZODIAC SA la somme de 20.000F sur le fondement de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile." Dans ses conclusions récapitulatives signifiées le 10 février 2000 elle demande en outre :

- de condamner P.LAMOUILLE à lui restituer toutes les sommes qu’il a pu percevoir notamment de la Société S21 mais également de toute personne physique ou morale et qui avaient pour objet ou pour cause la licence de la marque « EXPLORER »
- d’annuler tous les contrats que P.LAMOUILLE a pu octroyer à des tiers concernant l’utilisation de cette marque Enfin elle porte sa demande de dommages et intérêts à 100.000F et sa demande d’indemnité pour frais irrépétibles à 30.000F. A l’appui de sa demande la société ZODIAC fait valoir en substance que :

- Le nom « EXPLORER » est un signe distinctif au sens de l’article L711-2 du Code Propriétaire Intellectuelle
- Nonobstant l’absence d’enregistrement de cette dénomination commerciale « EXPLORER », elle a néanmoins acquis, à partir de 1988, des droits privatifs par l’usage qu’elle en a fait à titre de marque ; que ce droit privatif rendait indisponible la dénomination « EXPLORER » s’agissant de son enregistrement postérieur par un tiers ;

- Pierre L ne pouvait ignorer l’usage qu’elle faisait, depuis 1988, de la dénomination commerciale « EXPLORER », puisqu’il suffisait pour ce faire, d’une part, de se référer aux salons nautiques, aux revues destinées au grand public et aux professionnels, ainsi qu’au catalogue BOMBARD, et d’autre part, de rappeler que Pierre L P de la Société S21 est un

concurrent indirect de ZODIAC elle même présentée comme étant l’utilisatrice, à titre gratuit, de la marque « EXPLORER » et comme étant le titulaire exclusif du contrat d’importation des produits de la société BOMBARDIER, concurrente directe de ZODIAC ;

- Pierre L a ainsi agi en fraude des droits de la société ZODIAC en enregistrant en connaissance de cause et avec intention de nuire, la dénomination commerciale « EXPLORER » utilisée antérieurement à titre de marque par elle, et en lui interdisant par la suite la poursuite de cette utilisation ainsi que la commercialisation des produits désignés « EXPLORER » ;

- Les conditions d’enregistrement et d’exploitation de la marque « EXPLORER » par P.LAMOUILLE sont suspectes ;

- Son action en revendication est donc recevable au delà du délai de 3 ans institué par l’article L 712 alinéa 2 du C.P.I. Pierre L, conclut au rejet de la demande de la Société ZODIAC et réclame reconventionnellement :

- la condamnation de celle-ci pour actes de contrefaçon au détriment de la société S21 ;

- l’interdiction sous astreinte de 1000F par infraction constatée, de toute utilisation par la Société ZODIAC du signe « EXPLORER » pour désigner les produits dépendant de la classe 12 de la classification internationale des marques ;

- la désignation d’un Expert ayant pour mission de déterminer la masse contrefaisante afin de fixer le préjudice subi par la société S21 ;

- et la condamnation de la demanderesse au paiement de 10.000F au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile outre les entiers dépens. À cet effet, il expose que :

- L’action en revendication ne peut porter que sur un droit actuel et disponible et ne peut donc se cumuler avec une action en nullité ou une action en déchéance.

- Depuis l’adoption de la loi de 1964, l’usage avéré d’une dénomination commerciale à titre de marque, ne confère aucun droit à l’usager et ne peut avoir pour effet d’affecter la validité d’une marque postérieurement enregistrée par un tiers ; L’intention délibérée de nuire aux intérêts d’un tiers, caractérisant la fraude, ne peut lui être imputée dès lors que la société qu’il dirige, et qui utilise à titre gratuit la marque « EXPLORER », procède depuis 1993 à l’exploitation effective, sérieuse et continue de la dite marque sur l’ensemble du territoire national sans avoir introduit une action en

contrefaçon en vue d’empêcher l’exploitation par la société ZODIAC de la dénomination commerciale « EXPLORER » ;

- Pour échapper à la prescription triennale de l’article 712-16 relatif à l’action en revendication, la société ZODIAC prétend, de mauvaise foi, ne pas avoir eu connaissance de l’exploitation de la marque « EXPLORER » qu’à compter du mois de novembre 1996, alors même que la société S21 était sa principale concurrente et exploite cette marque depuis 7 ans ;

- Il n’existe aucun risque de confusion entre les produits respectivement vendus par les sociétés concernées au litige, les bateaux pneumatiques semi-rigides fabriqués par ZODIAC étant commercialisés sous la marque « BOMBARD » alors que ceux fabriqués par la société BOMBARDIER sont distribués sous les marques « SEADOO EXPLOITER » ;

- Le demandeur à l’action en nullité doit justifier d’un droit antérieur déterminé et en vigueur au moment où il est invoqué ;

- La Société S21 a fait un usage sérieux et continu de la marque EXPLORER pour les produits et services objet de l’enregistrement, au sens de l’article L 714-5 du CPI ;

- Il est prouvé, par les pièces produites par la Société ZODIAC elle même, que cette dernière s’est rendue coupable de contrefaçon par reproduction du signe appartenant à Pierre L.

DECISION I – SUR L’USAGE ANTERIEUR DE LA MARQUE NON ENREGISTREE Attendu que la Loi du 31 décembre 1964, dans un souci de sécurité juridique, a introduit en France le mécanisme de l’acquisition de la marque par le dépôt ; Que l’article 4 alinéa 3 de cette Loi disposait que « …. le seul usage à titre de marque de l’un des signes prévus à l’article 1er ne confère aucun droit à l’usager ». Qu’en énonçant dans l’article L 712-1 du Code de Propriétaire Industrielle que « la propriété de la marque s’acquiert par l’enregistrement », la Loi du 4 janvier 1991 entend incontestablement maintenir la règle selon laquelle seul le dépôt, à l’exclusion de l’usage, fait naître le droit privatif à la marque ; Qu’ainsi, l’utilisation à titre de marque de la dénomination commerciale « EXPLORER » par la société ZODIAC, bien que créant un état de fait antérieur au dépôt effectué par

Pierre L le 1er octobre 1992, n’est pas de nature à fonder un droit privatif antérieur, au sens de l’article L 711-4, et n’est donc pas source d’indisponibilité ; II – SUR L’EXISTENCE D’UNE FRAUDE Mais attendu qu’il est constant que, s’agissant du droit des marques, la fraude, fondant l’action en revendication telle qu’elle est prévue à l’article L 712-6, se caractérise notamment par le fait de commettre un acte d’apparence régulière, mais dans le but de nuire aux intérêts d’un tiers ; que tel est le cas de celui qui, sachant qu’un tiers utilise une marque sans l’avoir déposée, dépose cette marque à son nom pour l’opposer à un usager antérieur ; Qu’il résulte en effet des pièces fournies par les deux parties (publications et catalogues de 1989 à 1999 pour la Société ZODIAC, de 92 à 98 pour la firme BOMBARDIER) ainsi que des relations concurrentielles existantes entre la Société ZODIAC spécialiste des bateaux pneumatiques à moteur et la Société SEA-DOO spécialiste des « jet-boats » et des motomarines, toutes deux ayant une réputation internationale en matière de sport nautique, que Pierre L ne pouvait ignorer, au moment du dépôt de la marque « EXPLORER », que la Société ZODIAC utilisait antérieurement le même signe distinctif à titre de marque bien que non déposé comme tel, pour le vente de" produits identiques ou similaires ; Qu’en effet le catalogue BOMBARD a offert à la vente dès 1989 (avec tarif d’avril 1988) la gamme BOMBARD EXPLORER semi rigide 360 – 440 – 480 – qu’il en est de même pour les catalogues de 1990 à 1997 qui offrent à la vente une gamme toujours plus élargie de bateaux semi-rigides BOMBARD EXPLORER : Attendu que de nombreuses revues de sport et moteurs nautiques ont fait la promotion de la gamme BOMBARD EXPLORER, en déc. 1888 : la revue italienne Nautica sur EXPLORER 360-440-480 Pour le salon international nautique de Genève Déc. 1988 : revue « Neptune » sur EXPLORER 480 Avril 1989 : revue « Océans » sur EXPLORER 440 avec étude comparative des modèles concurrents. revue « Bateau » spécial salon 2 décembre 1989 sur EXPLORER 480 Nov. déc. 1989 : revue « Fluvial » salon nautique Déc. 1989 : « l’Action automobile » sur EXPLORER 360-440 et le nouvel EXPLORER 425

Déc. 1990 : revue « Bateaux Moteurs » sur BOMBARD EXPLORER 525 Déc. 1990 Janv. 1991 : revue, « Moteur Boat » sur BOMBARD EXPLORER 525 1991 : hors série « Bateau Moteurs » « EXPLORER 495 élu de la revue Neptune » 1992 : revue « Moteur Boat » sur EXPLORER 410 – 471 – 495 – 525 Attendu donc que cette information largement diffusée dans la presse spécialisée ne pouvait échapper à un professionnel avisé et attentif à des articles de revues qui font également la promotion de ses propres produits et notamment de « Sea-Doo Explorer » 1er semi-rigide à turbine distribuée en France par S21 – Pierre L ; Que dans ces conditions la connaissance présumée par Pierre L de l’usage du signe distinctif « EXPLORER » est largement établie ; que point n’est besoin d’y ajouter une condition de malignité qui se déduit naturellement de cette connaissance ; Que finalement l’objectif de P.LAMOUILLE qui est d’interdire à ZODIAC de continuer à utiliser le terme EXPLORER se manifestera quatre ans plus tard, par la lettre du 15 novembre 1996, remétant ainsi son intention de nuire. Qu’il convient de constater que Pierre L a déposé frauduleusement le 1er octobre 1992 la marque EXPLORER à l’INPI pour les bateaux pneumatiques dans la classe 12. Que la mauvaise foi ainsi caractérisée de Pierre L empêche, conformément à l’alinéa 2 de l’article L716-2, l’application de la prescription triennale à l’encontre de l’action en revendication ; Qu’ainsi, il sera fait droit à la demande de la société ZODIAC, de transférer au profit de cette dernière la propriété de la marque « EXPLORER » enregistrée frauduleusement par Monsieur L. III – SUR LES CONSEQUENCES DE L’ACTION EN REVENDICATION Attendu que l’effet de l’action en revendication est de transférer la propriété de la marque au profit du demandeur ; Que ce transfert a la nature d’une subrogation prenant rétroactivement effet au jour de la demande ; Qu’en réparation du préjudice ainsi subi par la Société ZODIAC Pierre LAMOUILLE devra lui payer 60 000F à titre de dommages et intérêts. Attendu qu’en outre le fraudeur, succombant dans l’action en revendication, doit restituer les fruits et revenus provenant de la marque ; que les contrats, autorisations, et de manière

générale tous les actes juridiques qu’a pu accomplir le fraudeur et dont l’enregistrement a été la cause, sont annulés ; or attendu qu’en l’espèce, la Société ZODIAC ne rapporte pas la preuve de contrats de licence de la marque EXPLORER, régulièrement enregistrés à l’INPI et susceptibles de procurer des revenus à Pierre L ; que cette demande sera rejetée ; IV – SUR L’EXECUTION PROVISOIRE Attendu qu’eu égard à la nature du litige, il y a lieu d’ordonner l’exécution provisoire. V – SUR L’ARTICLE 700 DU NOUVEAU CODE DE PROCEDURE CIVILE ET LES DEPENS Attendu qu’il apparait inéquitable de laisser à la charge de la Société ZODIAC les sommes exposées par elle à l’occasion de la présente instance et non comprises dans les dépens ; qu’il lui sera dès lors allouée la somme de 10.000 F en application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; que Pierre L succombera aux dépens ; PAR CES MOTIFS Le Tribunal, statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort. DIT que Pierre L a agi de mauvaise foi en enregistrant en connaissance de cause- et donc frauduleusement la marque « EXPLORER » au préjudice de la société ZODIAC qui faisait antérieurement usage de ce signe distinct sans l’avoir déposé ; ORDONNE le transfert de la propriété de la marque « EXPLORER » au profit de la société ZODIAC ; ORDONNE l’annulation de tous les contrats et, de manière générale, de tous les actes juridique que Pierre L a pu consentir à des co-contractants et dont l’enregistrement a été la cause ; CONDAMNE Pierre L à payer à la Société ZODIAC une somme de 60.000 F (soixante mille francs) à titre de dommages et intérêts ; ORDONNE l’exécution provisoire ; CONDAMNE Pierre L à payer à la SA ZODIAC 10.000 F (dix mille francs) sur le fondement de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; LE CONDAMNE aux dépens dont distraction au profit de la SCP PETIT LIGAS- RAYMOND ; Le jugement a été prononcé par V.KLAJNBERG, Vice-Président, qui l’a signé en l’empêchement légitime du Président, et en application des dispositions de l’article 456 du nouveau code de procédure civile.

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