Tribunal de grande instance de Nanterre, 1re chambre, 9 mars 2017, n° 15/01318

  • Domicile·
  • Plainte·
  • Violence·
  • Police·
  • Alcool·
  • Enquête de flagrance·
  • Faute lourde·
  • Service public·
  • Interpellation·
  • Garde à vue

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
TGI Nanterre, 1re ch., 9 mars 2017, n° 15/01318
Juridiction : Tribunal de grande instance de Nanterre
Numéro(s) : 15/01318

Texte intégral

TRIBUNAL

DE GRANDE

INSTANCE

DE NANTERRE

[…]

1re Chambre

[…]

09 Mars 2017

N° R.G. : 15/01318

N° Minute :

AFFAIRE

Z Y

C/

M. B DE LA REPUBLIQUE, L’ETAT FRANCAIS

Copies délivrées le :

DEMANDEUR

Monsieur Z Y

[…]

[…]

représenté par Maître Philippe PERICAUD de la SCP JEAN-FRANCOIS PERICAUD ET PHILIPPE PERICAUD, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : P0219

DÉFENDEURS

L’ETAT FRANÇAIS

pris en la personne de Madame l’Agent Judiciaire du Trésor, Ministère de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi, Direction des Affaires Juridiques

[…]

[…]

représentée par Maître Alain FRICAUDET de la SCP FRICAUDET & LARROUMET, avocats au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 706

EN PRÉSENCE DE :

M. B DE LA RÉPUBLIQUE

Tribunal de Grande Instance de Nanterre

[…]

[…]

En application des dispositions des articles 786 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 Janvier 2017 en audience publique devant :

Anne BEAUVOIS, 1re Vice-Présidente

Agnès COCHET-MARCADE, Vice-Présidente

magistrats chargés du rapport, les avocats ne s’y étant pas opposés.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries au tribunal composé de :

Anne BEAUVOIS, 1re Vice-Présidente

Estelle MOREAU, Vice-Présidente

Agnès COCHET-MARCADE, Vice-Présidente

qui en ont délibéré.

Greffier lors du prononcé : Gabrielle TOUATI, Greffier.

JUGEMENT

prononcé en premier ressort, par décision contradictoire et mise à disposition au greffe du tribunal conformément à l’avis donné à l’issue des débats.

EXPOSE DU LITIGE

Le 4 février 2014, à 7 heures15, les services de police de Meudon étaient invités à se rendre avenue de Verdun à Meudon par une femme venant d’être victime de violences conjugales. Ils découvraient sur place Mme X en larmes, dégageant une odeur d’alcool, qui leur déclarait avoir été frappée au visage par son compagnon, M. Y, et avoir une dent cassée du fait de ces violences.

Mme X était alors accompagnée au commissariat de police, où elle déclarait ne plus souhaiter déposer plainte, craignant un risque pour sa vie, mais acceptait d’être auditionnée. Alors qu’elle était invitée à patienter à l’accueil, elle quittait les lieux précipitamment et regagnait le domicile de M. Y.

Sur instruction du magistrat de permanence du parquet de Nanterre, les services de police se présentaient au domicile de M. Y à 10 heures 45 afin de procéder à son interpellation. Celui-ci refusait de les accompagner au commissariat aux fins de procéder à son audition ainsi qu’à celle de Mme X, prétendait que les policiers n’avaient pas le droit de pénétrer chez lui et s’opposait verbalement et physiquement à son interpellation. Il était finalement menotté et interpellé à 10h55, placé en garde à vue pour des faits de violences volontaires aggravées et rébellion commis le jour-même et conduit au commissariat.

Mme X déclarait au fil de ses auditions ne pas être la compagne de M. Y mais une simple amie, et l’avoir accusé de faits de violences sous l’emprise de l’alcool. Aucune lésion n’était constatée sur sa personne par le médecin qui l’examinait à 17h40.

Le magistrat de permanence du parquet de Nanterre donnait pour instruction aux services de police de procéder à une perquisition au domicile de M. Y, en présence de ce dernier, afin d’établir une éventuelle communauté de vie avec Mme X.

Le 5 février 2014 à 10h20, le magistrat de permanence prolongeait la mesure de garde à vue. Il était mis fin à cette mesure à 18 heures 55.

M. Y, estimant avoir été arrêté de manière arbitraire et avoir subi une violation de son domicile le 4 février 2014 par personne dépositaire de l’autorité publique, a fait assigner l’Etat français devant le tribunal de grande instance de Nanterre par acte du 29 janvier 2015 au visa de l’article L. 141 du code de l’organisation judiciaire, des articles 5 § 5, 6-1 et 8 de la convention européenne des droits de l’homme et de sauvegarde des libertés fondamentales, de l’article 12 de la déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, de l’article 17 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, de l’article 432-8 du code pénal et des articles 56 et 73 du code de procédure pénale, pour voir engager sa responsabilité pour fonctionnement défectueux du service public de la justice et obtenir la réparation de son préjudice.

Il sollicite ainsi la condamnation de l’Etat français, avec exécution provisoire :

— à lui payer une somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral outre une indemnité de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— à faire publier à ses frais le jugement à intervenir dans trois journaux quotidiens à tirage national.

— aux dépens.

Par dernières écritures signifiées le 11 septembre 2015, M. Y se prévalant du droit à l’inviolabilité du domicile, fait valoir qu’il a été arrêté de façon arbitraire et contre son gré à son domicile par une personne dépositaire de l’autorité publique et hors les cas expressément prévus par la loi, alors que les conditions de la flagrance prévues à l’article 53 du code de procédure pénale n’étaient pas réunies, aucune plainte n’ayant été déposée à son encontre et les policiers s’étant rendus à son domicile sans indice apparent d’un fait délictueux près de quatre heures après l’appel téléphonique de Mme X, dans un temps non voisin des faits reprochés.

Il indique que le seul témoignage de Mme X, alors ivre et ne présentant aucune trace de coups et de blessures, à six heures du matin, ne peut justifier son arrestation quatre heures plus tard, alors qu’entre-temps elle a refusé de porter plainte et a regagné son domicile pour y dormir.

Il soutient que son arrestation arbitraire et la violation de son domicile par personne dépositaire de l’autorité publique sont de nature à engager la responsabilité de l’Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice du fait d’une faute lourde, laquelle est définie par la cour de cassation comme toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi.

Au titre de son préjudice, il invoque qu’il a été “embastillé” (sic) pendant 32 heures, la large couverture médiatique de la mesure dont il a fait l’objet, portant atteinte à son honneur et à sa réputation, les répercussions sur son entourage, notamment sa mère âgée de 84 ans, enfin la perquisition abusive réalisée à son domicile le lendemain de son placement en garde à vue.

Dans ses dernières écritures régularisées le 17 septembre 2015, l’Agent judiciaire de l’Etat rappelle que seule une faute lourde ou un déni de justice peuvent engager la responsabilité de l’Etat en application de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, et conteste l’existence d’une quelconque faute.

Il relève que les officiers de police judiciaires sont intervenus à la suite de l’appel de Mme X, en pleurs, leur indiquant qu’elle avait été victime de violences de la part de son compagnon, déclarations qu’elle réitérait à l’arrivée des policiers, leur précisant en outre qu’elle refusait de déposer plainte car cela présentait un risque pour sa vie mais qu’elle acceptait d’être auditionnée pour ces faits. Il soutient que ces circonstances caractérisent les indices de l’existence d’un délit de violences aggravées de la part de M. Y et justifient l’intervention des policiers à son domicile dans le cadre de l’enquête de flagrance.

A titre subsidiaire, sur le préjudice, il fait valoir que la couverture médiatique des événements liée à la personnalité du requérant et les répercussions sur sa famille ne peuvent être imputées à l’Etat, et qu’il n’apporte au demeurant aucun élément pour justifier son préjudice.

Il conclut en conséquence au débouté de M. Y de l’ensemble de ses demandes.

Par conclusions notifiées aux avocats des parties le 23 novembre 2015 et reçues par le greffe le 26 novembre 2015, B près le tribunal de grande instance de Nanterre conclut également au débouté de M. Y de ses demandes, considérant que les officiers de police judiciaire ont agi dans le respect des dispositions légales et de la définition de la flagrance prévue par l’article 53 du code de procédure pénale, une plainte de la victime n’étant pas nécessaire et aucune violation de domicile n’étant caractérisée.

MOTIFS

Sur la demande principale :

La responsabilité de l’Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice peut être engagée sur le fondement des dispositions de l’article L. 414-1 du code de l’organisation judiciaire, lequel dispose que “L’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice. Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n’est engagée que pour une faute lourde ou pour déni de justice”.

La faute lourde se définit comme toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi.

Il incombe donc à M. Y, qui entend voir engager la responsabilité de l’Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice, de démontrer que l’interpellation dont il a fait l’objet à son domicile caractérise une faute lourde des services de police en lien causal avec son préjudice.

M. Y soutient qu’il a fait l’objet d’une arrestation arbitraire et qu’il a subi une violation de son domicile, dès lors que les circonstances de son interpellation ne remplissaient pas les conditions requises pour permettre aux policiers d’agir dans le cadre d’une enquête de flagrance.

Selon l’article 53 alinéa 1 du code pénal, “Est qualifié crime ou délit flagrant le crime ou le délit qui se commet actuellement, ou qui vient de se commettre. Il y a aussi crime ou délit flagrant lorsque, dans un temps très voisin de l’action, la personne soupçonnée est poursuivie par la clameur publique, ou est trouvée en possession d’objets, ou présente des traces ou indices, laissant penser qu’elle a participé au crime ou au délit”.

Il ressort des procès-verbaux d’enquête versés aux débats que :

— Le 4 février 2014 à 7 heures 15, les fonctionnaires de police du commissariat de Meudon ont reçu pour instruction du TN92/17 de se rendre Avenue de Verdun à Meudon pour une femme qui venait d’être victime de violences conjugales. Se transportant sur les lieux, ils ont constaté la présence d’une femme accroupie, en train de pleurer, qui sentait l’alcool mais tenait des propos cohérents, marchait normalement et n’était pas agressive, qui leur a déclaré que son compagnon depuis deux ans, M. Y, l’avait frappée au visage à leur domicile et lui avait cassé une dent et qu’elle souhaitait déposer plainte à son encontre. Les policiers, agissant alors sur flagrance, ont rendu compte des faits à TN92 et à l’officier de police judiciaire. Mme X hésitant alors à déposer plainte, a été invitée à suivre les policiers au commissariat pour être au chaud, dans l’attente de sa décision. Sur place, elle n’a plus souhaité déposer plainte, invoquant un risque pour sa vie, mais a accepté d’être auditionnée. Invitée à patienter à l’accueil quelques instants, elle est sortie précipitamment du commissariat.

— A 10 heures, les policiers ont reçu pour instruction du magistrat de permanence au parquet de Nanterre de se transporter au domicile de M. Y afin de procéder à son interpellation, de retrouver la victime, de l’entendre et de vérifier si elle ne se trouvait pas au domicile de M. Y.

— Les policiers, poursuivant l’enquête de flagrance, se sont présentés au domicile de M. Y à 10 heures 45, lequel s’est montré agressif, a refusé que lui et Mme X, présente à son domicile, soient entendus et que les policiers pénètrent dans son appartement et s’est opposé verbalement et physiquement à son interpellation. Il a été difficilement menotté, interpellé et placé en garde à vue à 10 heures 55 pour violences volontaires aggravées et rébellion. Il s’en est alors pris verbalement à Mme X et l’a menacée, conduisant les policiers à l’extraire immédiatement de l’appartement.

— Il a déclaré à plusieurs reprises lors de sa garde à vue que Mme X n’était pas sa compagne, qu’il ne l’avait jamais frappée, qu’elle n’avait pas déposé plainte et que les policiers n’avaient aucun droit de l’interpeller à son domicile.

— Pour sa part, Mme X, entendue à 17 heures 55, a confirmé être en couple avec M. Y depuis deux ans mais précisé résider au Canada. Elle a déclaré n’avoir aucun souvenir des faits, ayant consommé beaucoup d’alcool. Dans une audition ultérieure à 22 heures 10, elle a indiqué n’être qu’une amie de M. Y en vacances chez lui, que celui-ci ne l’avait jamais frappée et qu’elle avait “fait une surdose d’alcool”.

— Entre temps, à 18 heures 45, le magistrat de permanence du parquet de Nanterre a donné pour instruction aux enquêteurs de se transporter au domicile de M. Y aux fins de perquisition afin d’établir la communauté de vie avec Mme X, de procéder éventuellement à une enquête de voisinage et d’entendre les fonctionnaires de police s’étant rendus sur les lieux afin de prendre en charge Mme X. Les opérations de perquisition se sont déroulées à 20 heures 15 en présence de M. Y.

— M. C D, fonctionnaire de police s’étant transporté avenue de Meudon, a déclaré avoir constaté sur place une femme en larmes, accroupie le long d’un bâtiment, sentant l’alcool mais s’exprimant et marchant normalement, tenant des propos cohérents, se plaignant d’avoir été frappée par son compagnon en lui montrant ses incisives et lui précisant qu’elle avait une dent cassée.

— Enfin, M. E F, gardien de la paix, a précisé avoir reçu un appel téléphonique le 4 novembre 2014 à 7 heures 15 d’une personne féminine en pleurs et paniquée, l’informant qu’elle avait été victime de violences de la part de son conjoint ou de son ex-compagnon qui lui avait cassé une dent en la frappant. Il a ajouté que cet appel provenait du téléphone portable d’un livreur du magasin Franprix situé rue de Verdun à Meudon auprès duquel l’intéressée s’était présentée en pleurs.

Il apparaît ainsi que les policiers ont ouvert une enquête de flagrance à l’issue d’un transport sur les lieux faisant suite à l’appel téléphonique de Mme X en pleurs souhaitant déposer plainte contre son compagnon pour violences volontaires, au cours duquel Mme X, toujours en pleurs, sentant l’alcool sans présenter les signes d’une ivresse manifeste, leur a déclaré que son compagnon depuis deux ans, M. Y, l’avait frappée au visage à leur domicile, lui avait cassé une dent, voulant en justifier en montrant ses incisives, et qu’elle souhaitait déposer plainte à son encontre.

Les déclarations réitérées de Mme X, lors de son appel téléphonique et du transport sur les lieux par les policiers puis dans les locaux du commissariat de police, sa vive émotion, sa volonté de déposer plainte puis ses hésitations et son refus de le faire par crainte pour sa vie, caractérisent les indices apparents d’un délit de violences aggravées de la part de M. Y, peu important l’absence de dépôt de plainte à son encontre. Son départ précipité du commissariat, alors qu’elle n’avait pas de possibilité d’hébergement et qu’elle avait manifesté des craintes pour sa vie, justifiaient l’intervention des policiers au domicile de M. Y, conformément aux instructions reçues du magistrat de permanence de Nanterre et toujours dans le temps de la flagrance, ce nonobstant le fait qu’il n’ait pu être matériellement procédé à l’examen médical de Mme X.

L’intervention des policiers au domicile de M. Y dans le cadre de l’enquête de flagrance est donc régulière et aucune violation de domicile n’est caractérisée.

M. Y ne démontrant pas l’existence d’une faute lourde, sera débouté de l’ensemble de ses demandes.

Sur l’article 700 du code de procédure civile :

M. Y échouant dans ses prétentions, sa demande au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile sera rejetée.

Sur l’exécution provisoire :

Il n’y a pas lieu au prononcé de l’exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal,

Déboute M. Y de l’ensemble de ses demandes à l’encontre de l’Etat français,

Dit n’y avoir lieu au prononcé de l’exécution provisoire,

Condamne M. Y aux dépens.

signé par Anne BEAUVOIS, 1re Vice-Présidente et par Gabrielle TOUATI, Greffier présent lors du prononcé.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Tribunal de grande instance de Nanterre, 1re chambre, 9 mars 2017, n° 15/01318