Tribunal de grande instance de Paris, 5e chambre 1re section, 7 novembre 2011, n° 10/02243

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TGI Paris, 5e ch. 1re sect., 7 nov. 2011, n° 10/02243
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
Numéro(s) : 10/02243

Sur les parties

Texte intégral

T R I B U N A L

D E GRANDE

I N S T A N C E

D E P A R I S

5e chambre 1re section

N° RG :

10/02243

N° MINUTE :

Assignation du :

03 Février 2010

(footnote: 1)

JUGEMENT

rendu le 07 Novembre 2011

DEMANDERESSE

Société CABINET PLASSERAUD

[…]

[…]

représentée et plaidant par Me François HERPE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0098

DÉFENDERESSE

S.A.R.L. ICOSA

[…]

[…]

représentée et plaidant par Me Philippe COURTOIS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0044

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Christian HOURS, vice-président ayant fait rapport à l’audience

Jeanne DREVET, vice-président

C D, juge

assisté de Anne LOREAU, Greffier,

DÉBATS

A l’audience du 10 Octobre 2011 tenue en audience publique devant , Christian HOURS, vice-président, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 786 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT

Prononcé en audience publique par mise à disposition au greffe

Contradictoire

en premier ressort

Le litige :

La société cabinet Plasseraud, exerçant l’activité de conseil en propriété industrielle, a embauché Madame M E-L, le 1er avril 2004, en qualité d’ingénieur brevet, spécialisée dans le domaine de la chimie et des biotechnologies. Madame E-L supervisait une équipe composée de Madame F X, également ingénieur brevet et de Madame K I-J, assistante.

Par lettre du 12 juin 2009, Madame E-L a démissionné de ses fonctions pour raisons personnelles et quitté le cabinet Plasseraud, le 15 septembre 2009.

Affirmant avoir découvert que Madame E-L avait constitué un cabinet de conseil en propriété industrielle, la société Icosa, au sein de laquelle travaillait également Madame X, en tant qu’associée et Madame I-J, la société cabinet Plasseraud a fait assigner la société Icosa, le 3 février 2010.

Par ordonnance du 7 février 2011, le juge de la mise en état a rejeté la demande de communication de pièces présentée par la société cabinet Plasseraud.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives en date du 6 juin 2011, la société cabinet Plasseraud demande au tribunal, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, de :

— juger, sur le fondement de l’article 1382 du code civil, que la société Icosa s’est rendue coupable d’actes de concurrence déloyale à son encontre,

— réserver ses demandes contre Madame E-L et Madame F X,

— ordonner sous astreinte à la société Icosa de cesser ses agissements déloyaux,

— condamner la société Icosa à lui payer la somme de 550.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

— ordonner la publication du jugement à intervenir dans deux journaux ou revues de son choix,

— condamner la société Icosa à lui payer la somme de 20.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

aux motifs que :

  • la société Icosa a organisé, par l’intermédiaire de Madame E-L le pillage organisé et systématique d’informations privilégiées et du savoir faire de la demanderesse (copie du mandat utilisé dans les relations avec ses clients, transfert avec son départ d’un document compilant diverses décisions concernant le droit de priorité en matière de brevets, accompagnées de commentaires sur le traitement des dossiers en interne, présentations Power Point sur les changements de procédure devant l’Office européen des brevets, tous documents comprenant une valeur ajoutée certaine),
  • Mme E-L s’est appropriée, de façon déloyale, pour le compte de la société Icosa, en cours de formation, des informations stratégiques (conditions de remises annuelles 2008-2009), documents de travail concernant les clients du Cabinet Plasseraud, encours de facturations du client Novagali, le budget 2009 Novagali, des offres commerciales de prestataires, la fiche formation Lola, le tableau récapitulatif des familles de brevet Essilors, ainsi que des changements de responsables chez Essilor, informations stratégiques sur des brevets détenus par le client Gene Signal, portant notamment sur les correspondants étrangers dans les pays où un brevet a été déposé,
  • il a été retrouvé dans les locaux de la société Icosa un fichier désigné comme un répertoire ayant les propriétés caractéristiques Plasseraud, à savoir un listing de clients et de contacts de la demanderesse,
  • la responsabilité de la société Icosa peut être recherchée pour les faits commis pour son compte, par Madame E-L,
  • la société Icosa a démarché systématiquement les clients de la demanderesse, dont Madame E-L avait la charge (demandes de transfert de dossiers simultanément avec le départ de Madame E-L, des sociétés Gene Signal International SA, Novagali Pharma SA, Université d’Angers et Aterovax) puis après le départ de Madame E-L (Hemarina, Pelvipharm, G H, Osseomatrix) ; les demandes de transfert sont rédigés non manuscritement et dans des termes identiques ; Madame E-L cite, dans une proposition d’assurance du mois d’août 2009, alors qu’elle est encore chez la demanderesse, des clients du Cabinet Plasseraud comme ses propres clients ; avant même leur départ les fondatrices d’Icosa utilisaient des adresses professionnelles d’Icosa avec des clients du Cabinet Plasseraud créant une confusion entre les deux structures pour la période à suivre sur laquelle un planning était parfois prévu,
  • la société Icosa a détourné des commandes ou encours de la demanderesse (étude de brevetabilité de la société Ifremer, gestion des annuités et prestations en cours de Novagali, étude Overview of vaccine patents pour le client Aterovax),
  • la société Icosa a débauché des anciens salariés de la demanderesse, recréant en son sein la business unit existant au Cabinet Plasseraud, dédiée spécialement aux clients du secteur biotechnologies,
  • le préjudice réclamé correspond à une année du chiffre d’affaires avec les clients détournés,
  • les reproches qui lui sont adressés par la société Icosa sont infondés (entrave au développement de la société Icosa, relations contractuelles entre Ordipat et Icoxa, courrier adressé par le Cabinet Plasseraud à la CNPI, opérations de constat sur requêtes, opposition au transfert de dossier, reproches infondés, dénigrement imaginaire, prétendue filature).

Dans ses écritures récapitulatives en date du 1er juillet 2011, la société Icosa conclut au débouté de la demanderesse et réclame sa condamnation à une amende civile de 3.000 euros, en application de l’article 32-1 du code de procédure civile, ainsi qu’à lui verser la somme de 20.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

aux motifs que :

  • il n’y a pas eu de détournement de clientèle, les dirigeants des sociétés concernées attestant du fait qu’ils ont pris personnellement la décision de confier certains de leurs dossiers à la société Icosa, à raison des compétences professionnelles de Mme E-L, une relation de confiance existant parfois en outre, née des liens personnels entretenus,
  • aucune faute n’est imputable à la société Icosa, tous les griefs étant dirigés contre Mme E-L,
  • il n’y a jamais eu de copie servile du mandat de la demanderesse,
  • les informations soit-disant pillées n’avaient rien de stratégique,
  • la dizaine de mails transférés sur sa boîte mail personnelle l’ont été pour terminer les missions qui lui avaient été confiées par la demanderesse et ne contenaient aucune information sensible,
  • il n’y a pas eu détournement de clientèle par détournement d’information et confusion : les courriers de démandatement ne sont pas identiques, les clients ont attestés des raisons de leur départ ; seuls 6 sociétés sont en cause, ce qui n’a rien d’un démarchage systématique, alors que les deux associées de la société Icosa étaient en relation avec 33 clients sur les 1.400 du Cabinet Plasseraud ; il n’y a pas eu préméditation du détournement de clientèle car il n’est pas établi que des messages auraient été envoyées sous l’adresse Icosa alors que Mme E-L était encore chez la demanderesse,
  • il n’y a jamais eu de détournement de commandes ou d’encours,
  • il n’y a pas eu de débauchage de salariés mais seulement l’exercice du principe de liberté du travail,
  • subsidiairement, le préjudice réclamé est démesuré, certains des clients d’Icosa étant restés clients du Cabinet Plasseraud pour une partie de leurs dossiers ; seule la marge brute pourrait être prise en compte et non la totalité du chiffre d’affaires,
  • le Cabinet Plasseraud s’est livré à un certain nombre d’agissements fautifs (cf supra) pour empêcher l’entrée d’un concurrent sur le marché, en la personne de la société Icosa, ce qui justifie l’octroi de dommages et intérêts.

Motifs de la décision :

Il appartient à la société Cabinet Plasseraud, qui fonde son action en concurrence déloyale sur l’article 1382 du code civil, de rapporter la preuve d’une faute des défenderesses, d’un préjudice et d’un lien de causalité direct entre la faute invoquée et le préjudice prétendu ;

La défenderesse ne donne pas d’explications sur les circonstances du départ de Madame E-L du Cabinet Plasseraud et ne répond pas aux allégations de la demanderesse, selon lesquelles elle aurait menti sur les prétendues circonstances personnelles mises en avant;

Si le mensonge reproché à Madame E-L ne peut être imputé à la société Icosa et ne prouve rien en lui-même, il reste qu’il était de nature à faire soupçonner par la société Cabinet Plasseraud, se rendant compte que la vérité ne lui avait pas été dite, des faits de concurrence déloyale et à la conduire à se défendre vigoureusement ;

La société Cabinet Plasseraud reproche à la société Icosa le détournement de son savoir-faire et d’informations stratégiques, le démarchage systématique de clients, le débauchage d’anciens salariés;

S’agissant de son savoir- faire, la demanderesse reproche à la société Icosa d’utiliser le même modèle de mandat qu’elle ;

Il n’est toutefois pas établi que ce mandat se distinguerait d’un mandat-type et présenterait une quelconque plus-value, d’autant qu’il est particulièrement succinct, ne comprenant que quelques paragraphes;

Il est fait grief à Madame E-L d’avoir emporté, par transfert du 14 septembre 2009 à son adresse personnelle, soit la veille de son départ, une note de synthèse élaborée par un collaborateur du Cabinet Plasseraud, concernant le droit de priorité en matière de brevet, accompagnée de commentaires sur le traitement des dossiers en interne ;

Si la compilation ne représentait pas nécessairement d’originalité, il reste qu’il s’agissait d’un investissement intellectuel du Cabinet Plasseraud et que Madame de L ne pouvait pas se l’approprier, au profit de la société Icosa, sans autorisation de la demanderesse ;

Il en va de même d’autres transferts de documents techniques réalisés au mois d’août 2009, c’est à dire peu avant le départ de Madame E-L, à savoir les tableaux récapitulatifs des étapes à suivre pour les dépôts en ligne de brevets, les présentations Power Point sur les changements de procédure devant l’Office européen des brevets, le vademecum sur les procédures en interne de dépôt de demandes de brevets, les trames pour l’établissement de compte-rendus d’entretiens annuels destinés à la gestion des ressources humaines ;

S’agissant des informations stratégiques dont le détournement est reproché, les conditions des remises annuelles 2008-2009 consenties aux clients du Cabinet Plasseraud ont été transférées par Madame E-L à son adresse personnelle peu de temps avant son départ, sans qu’une explication satisfaisante soit donnée par elle à cette manoeuvre ;

Il n’est pas sérieusement contestable que la connaissance des tarifs pratiqués par une entreprise est essentielle pour ses concurrents, car elle est de nature à leur de positionner leurs tarifs en conséquence, pour attirer la clientèle ;

D’autres documents relatifs au client Novagali ont été transférés dans le mois précédant le départ de Madame E-L, voire la veille (encours de facturation, budget 2009, projet de brevet d’une solution huileuse, informations relatives à la gestion du portefeuille de brevets et aux demandes de brevet de la société Novagali), de même que le tableau récapitulatif des familles de brevets Essilor, ainsi que des changements de responsable, les informations sur les correspondants étrangers dans les pays où un brevet a été déposé par la société Gene Signal, les coordonnées du nouvel interlocuteur au Commissariat à l’énergie atomique, qui n’avaient pas lieu d’être emportés, car ils présentaient un caractère confidentiel, sinon stratégique ;

Le transfert d’offres commerciales de prestataires au Cabinet Plasseraud et de la fiche de formation Lola concernant la création et la gestion des portefeuilles web des clients du cabinet Plasseraud, s’il présente un intérêt stratégique faible, apparaît encore critiquable ;

Madame Y a observé elle-aussi cette attitude d’appropriation de données appartenant au Cabinet Plasseraud en adressant à l’adresse personnelle de Madame E-L, d’autres données sensibles comme le répertoire des clients et prospects de la demanderesse, le fait que des contacts personnels de Madame Z aient figuré dans le fichier n’enlevant pas le caractère répréhensible de ce transfert ;

Tous ces faits ont été commis pour le compte de la société Icosa en cours de formation dont Madame E-L est la co-gérante, ce qui engage sa responsabilité ;

Ces éléments, la description faite dès le 28 août 2009, soit avant son départ du Cabinet Plasseraud, par Madame E-L de “sa clientèle” dans une proposition d’assurance AGF, où sont déjà nommées plusieurs entreprises qui vont effectivement la suivre, l’utilisation dès avant son départ de l’adresse Icosa dans des courriers à des clients Plasseraud, comme les sociétés Therapol et Aterovax, ou avec l’Afnor, ce qui était de nature à créer la confusion entre les deux structures, ainsi que le démandatement du Cabinet Plasseraud exactement concomitant au départ de Madame E-L, selon des lettres rédigées dans des termes très proches, de plusieurs des clients qu’elle suivait avec Madame A, témoignent d’une opération préméditée et concertée, visant à les amener, certes avec leur consentement comme ils en témoignent, à la société Icosa ;

Par ailleurs, la société Cabinet Plasseraud justifie que des travaux confiés à Madame E-L ou à Madame X, lorsqu’elles travaillaient chez la demanderesse, n’ont pas été réalisés par celle-ci (étude de brevetabilité de la société Ifremer, gestion des annuités et prestations en cours de la société Novagali, étude pour le client Aterovax) et que les documents trouvés dans la mémoire cache des ordinateurs de Mesdames E-L ou X tendent à démontrer qu’ils ont été effectués ultérieurement par la société Icosa ;

Enfin, l’équipe constituée par Mesdames E-L, X et I-J, cette dernière ayant tenté de se dissimuler à l’huissier constatant, a été reproduite au bénéfice de la société Icosa ;

Il résulte de ce qui précède que la société Icosa, qui a bénéficié des manoeuvres déloyales de Madame E-L et dans une bien moindre mesure de Madame B, a occasionné un préjudice certain à la société Cabinet Plasseraud, lui faisant perdre une chance de conserver des clients, dont Madame E-L avait amené certains d’entre-eux à la demanderesse, ce qui lui avait valu des commissions ;

Le tribunal dispose des éléments pour chiffrer le préjudice de la société Cabinet Plasseraud à la somme de 75.000 euros ;

Il n’y a pas lieu de donner acte à la société Cabinet Plasseraud de ses réserves, ni d’ordonner à la société Icosa de cesser ses agissements déloyaux, la preuve de leur continuation n’étant pas apportée, ni d’ordonner la publication de ce jugement qui n’apparaît pas nécessaire;

Eu égard au comportement fautif de la société Icosa, les mesures prises par la société Cabinet Plasseraud étaient justifiées, celles concernant les ordonnances sur requête n’ayant d’ailleurs pas fait l’objet de demandes de rétractation, de sorte qu’il n’y a pas lieu à l’octroi de dommages et intérêts de ce chef à la défenderesse ;

La société Icosa devra verser à la société Cabinet Plasseraud la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

L’exécution provisoire de ce jugement n’est pas opportune ;

Par ces motifs, le tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,

— condamne la société Icosa à payer à la société Cabinet Plasseraud la somme de 75.000 euros à titre de dommages et intérêts, ainsi que celle de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— déboute la société Cabinet Plasseraud du surplus de ses prétentions,

— déboute la société Icosa de sa demande de dommages et intérêts,

— condamne la société Icosa aux dépens,

— autorise la Selarl Cornet Vincent Segurel, avocats au barreau de Paris, à recouvrer directement contre elle ceux des dépens dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision.

Fait et jugé à Paris le 07 Novembre 2011

Le Greffier Le Président

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Textes cités dans la décision

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  2. Code civil
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