Tribunal de grande instance de Paris, 4e chambre, 21 février 2013

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Sur la décision

Référence :
TGI Paris, 4e ch., 21 févr. 2013
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris

Sur les parties

Texte intégral

La société Sarenza créée en 2005, a pour activité la vente d’articles de maroquinerie par l’intermédiaire de son site internet www.sarenza.com. Elle déclare posséder un fichier comprenant 4,7 millions d’adresses électroniques de clients et prospects qui est géré par une société extérieure la société Experian CheetahMail située à Roubaix. Ce fichier n’est pas commercialisé et comprend des adresses pièges destinées à détecter des intrusions extérieures.

La société Sarenza a fait constater par huissier de justice le 23 juin 2010 la réception à ces adresses pièges de courriels destinés à la promotion du site www.e-vingroom.com ou adressés par des partenaires de ce site.

La société Sarenza a établi que le site www.e-vingroom.com était exploité par la société NA2J media ayant pour activité la vente de meubles par internet. Elle a également pu déterminer que le transfert des informations contenues dans son fichier d’adresses avait été réalisé par une de ses salariées entretenant des relations personnelles avec le gérant de la société NA2J, M. X.

Au mois de juillet 2010, la société Sarenza a fait procéder à une saisie-contrefaçon dans les locaux de la société NA2J, dans ceux de la société Experian CheetahMail gérant également des données de la société Vivaki Performance, dans ceux de la société Vivaki Performance et dans ceux de la société de routage Emailvision, et elle a adressé des lettres de mise en demeure à plusieurs agences d’e-mailing ayant utilisé ses données.

Les 4 et 5 août 2010, la société Sarenza a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Paris M. X., la société NA2J, les sociétés Vivaki Performance et Vivaki Communication, Capdécision, Effidata, R et Webreflexe sur le fondement de la contrefaçon de sa base de données. Elle a sollicité la condamnation in solidum de :

– M. X. et de la société NA2J à lui payer la somme de 2 500 000 €,

– la société NA2J et des sociétés Vivaki Performance et Vivaki Communication à lui payer la somme de 1 000 000 €,

– la société NA2J et de la société Effidata à lui payer la somme de 500 000 €,

– la société NA2J et de la société Capdécision à lui payer la somme de 500 000 €,

– la société NA2J et de la société R. à lui payer la somme de 500 000 €,

– la société NA2J et de la société Webreflexe à lui payer la somme de 500 000 €,

outre des mesures d’interdiction et de destruction ainsi que de publication du jugement.

Elle réclame également la somme de 50 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que le remboursement des frais de constat et de saisie-contrefaçon.

Parallèlement la société Sarenza a fait diligenter des procédures de référé à l’encontre de M. X. et de la société NA2J afin d’obtenir des mesures d’interdiction et le paiement de provisions. Des ordonnances ont été rendues les 30 novembre et 14 décembre 2010.

Un jugement du tribunal de commerce de Paris du 21 octobre 2010 a prononcé la liquidation judiciaire de la société NA2J et a désigné la société MJA en qualité de liquidateur. Le 15 novembre 2010, la société Sarenza a fait assigner la société MJA en sa qualité de mandataire liquidateur de la société NA2J. La jonction avec l’instance précédente a été prononcée le 16 décembre 2010.

Le 2 décembre 2010, la société Effidata a appelé en intervention forcée la société MJA en sa qualité de liquidateur de la société NA2J afin qu’elle soit condamnée à la garantir des éventuelles condamnations prononcées à son encontre. La jonction avec l’instance précédente a été prononcée le 10 février 2011.

Le 23 décembre 2010, la société Webreflexe a appelé en intervention forcée la société MJA en sa qualité de liquidateur de la société NA2J afin qu’elle soit condamnée à la garantir des éventuelles condamnations prononcées à son encontre. La jonction avec l’instance précédente a été prononcée le 17 mars 2011.

La société Sarenza s’est ensuite désistée de son instance et de son action à l’égard des sociétés Effidata, Capdécision, Webreflexe, R respectivement les 12 mars 2011, 12 mars, 16 mai et 19 juin 2012 et ces sociétés ont accepté ce désistement selon des conclusions du 12 juillet 2011, 22 mars, 29 mai et 26 juin 2012.

Le désistement d’instance et d’action de la société Sarenza à l’égard de la société Effidata a été déclaré parfait par une ordonnance du juge de la mise en état du 5 avril 2012.

Les sociétés Webreflexe et la société R se sont également désistées de leur instance à l’égard de la société MJA es qualités selon des conclusions signifiées par huissier de justice le 23 mai 2012 et le 10 juillet 2012.

Dans ses dernières écritures du 13 décembre 2012, la société Sarenza soutient en premier lieu que les sociétés Vivaki ont commis une faute de négligence en n’opérant aucune vérification sur l’origine des données que lui transmettait la société NA2J alors que cette jeune société exerçant son activité dans le commerce du meuble ne pouvait pas avoir constitué par ses propres moyens une base de données opt-in de cette importance. Elle fait valoir que les sociétés Vivaki qui ont acquis les adresses à vil prix, ne justifient d’aucune demande sur leur origine pendant la période précontractuelle avec la société NA2J. La société Sarenza relève également que les défenderesses ne produisent aucun contrat comprenant des garanties sur l’origine des données et qu’elles n’ont procédé à aucune déclaration auprès de la Cnil. Elle ajoute que les sociétés Vivaki ont reçu un nombre important de demandes de désabonnement ou de retour, ce qui signifiait que les destinataires des courriers électroniques n’avaient pas accepté de recevoir les sollicitations commerciales, ce qui était contraire à une base de données opt-in et qu’elles ont néanmoins continué de l’exploiter.

En deuxième lieu, la société déclare qu’elle a la qualité de producteur d’une base de données à raison des investissements qu’elle y a consacrés pour collecter les informations et effectuer leur mise à jour et leur vérification. Elle conteste avoir fait preuve de négligence pour en assurer la sécurité et déclare qu’elle a mis en œuvre un ensemble de mesures mais qu’elle a été victime d’une faute d’une salariée qui a remis les codes et identifiant à un tiers.

La société Sarenza considère que la société NA2J et M. X. se sont livrés à une extraction frauduleuse et quantitativement substantielle de sa base de données. Elle déclare que la saisie-contrefaçon a fait apparaître un taux d’adresses identiques de 94,40% entre sa base de données et celle transmise par la société NA2J à la société Vivaki. Elle recherche également la responsabilité de la société NA2J, de M. X. et des sociétés Vivaki pour avoir réutilisé une partie quantitativement substantielle de sa base de données.

A titre subsidiaire, si la qualité de producteur d’une base de données ne lui était pas reconnue, la société Sarenza invoque l’existence d’actes de concurrence déloyale commis par la société NA2J et M. X. ainsi que par les sociétés Vivaki. Elle fait valoir que ses clients et prospects ont pu croire qu’elle était partenaire des annonceurs qui leur avaient adressés des sollicitations commerciales ou qu’elle-même avait vendu sa base de données en violant ses engagements, ce qui suscite un doute sur son sérieux. La société conclut en toutes hypothèses au caractère parasitaire des agissements des défendeurs.

La société Sarenza invoque une perte de valeur de sa base de données, un manque à gagner de ce qu’elle aurait pu percevoir si elle avait exploité celles-ci auprès d’annonceurs ainsi que les bénéfices réalisés par les sociétés Vivaki. Elle fait également état d’un préjudice moral tenant aux conséquences judiciaires résultant des agissements des défendeurs. Elle réclame désormais :

– à la société NA2J et M. X. la somme de 2 500 000 € en réparation des actes d’extraction et de réutilisation frauduleuse de sa base de données,

– aux sociétés Vivaki Performance et Communication la somme de 150 000 € en réparation de la faute commise par elles lors de l’acquisition de la base de données,

– à la société NA2J, M. X. et aux sociétés Vivaki, la somme de 1 000 000 € en réparation des actes de réutilisation de sa base de données,

– à la société NA2J la somme de 250 000 € en réparation des actes de réutilisation de la base de données par la société Effidata,

– à la société NA2J la somme de 250 000 € en réparation des actes de réutilisation de la base de données par la société Webreflexe,

– à la société NA2J la somme de 250 000 € en réparation des actes de réutilisation de la base de données par la société Capdécision,

– à la société NA2J la somme de 250 000 € en réparation des actes de réutilisation de la base de données par la société R

et elle maintient ses autres demandes.

Dans ses dernières écritures du 22 novembre 2012, M. X. expose qu’il a créé la société NA2J qui avait pour activité principale la vente d’ameublement intérieur par internet et qu’il a obtenu par l’intermédiaire d’une salariée de la société Sarenza les codes d’accès à une interface permettant de gérer les e-mailing. Il explique que face aux difficultés financières rencontrées par la société NA2J, il a utilisé la liste des clients de la société Sarenza pour adresser des publicités et qu’il a, au surplus, fourni une partie de cette base de données à des agences de publicité. Il déclare qu’il ne conteste pas la matérialité des faits mais que la société Sarenza ne peut s’exonérer de toute responsabilité dans la mesure où l’affaire a pour origine une salariée de la demanderesse qui n’a pas bien protégé ses données. Il demande que les demandes indemnitaires de la société Sarenza soient ramenées à de plus justes proportions à son égard compte tenu de sa situation financière. Il précise qu’il a détruit les fichiers litigieux. Il s’oppose également aux demandes de garantie des sociétés Vivaki qui n’ont exercé aucun contrôle sur l’origine des données qui leur étaient transmises.

Dans leurs dernières écritures du 4 janvier 2013, les sociétés Vivaki Performance et Communications exposent qu’elles font partie du groupe Publicis et qu’elles ont pour activité la publicité sous toutes ses formes et notamment la réalisation de campagnes publicitaires par envoi de courriers électroniques. Elles expliquent qu’elles utilisent les adresses électroniques provenant de leurs propres bases de données ou de celles de leurs clients ou encore de sociétés tierces qui commercialisent les leurs. Elles indiquent qu’entre mai et juillet 2010, elles ont été en relation avec e-vingroom spécialisé dans la vente de meubles par internet aux fins de location de tout ou partie de sa base de données d’adresses électroniques de ses clients ou des clients de ses partenaires. Elles précisent qu’elles ont réalisé neuf campagnes publicitaires pour huit clients différents à partir de ces adresses.

Les défenderesses font tout d’abord valoir que la société Sarenza ne peut se voir reconnaître la qualité de producteur d’une base de données car elle ne démontre pas que son fichier clients constitue une base de données et ne justifie d’aucun investissement destinés à réaliser sa présentation.

Elles ajoutent que la demanderesse n’établit pas l’existence d’investissements consacrés à la constitution de sa base de données, qui doivent porter sur les moyens consacrés à la recherche d’éléments existants et non pas à la constitution de ces éléments ainsi que l’existence d’investissements consacrés à sa vérification qui doivent porter sur les moyens consacrés à assurer la fiabilité de l’information contenue dans la base. Elles expliquent ainsi que la circonstance que la constitution d’une base de données soit la conséquence d’une activité principale dans laquelle la personne qui constitue cette base, est aussi le créateur des éléments qui y sont contenus, ne la prive pas de la possibilité de revendiquer la qualité de producteur de bases de données dès lors qu’elle est en mesure de justifier de l’existence d’investissements pour l’obtention des éléments, leur présentation et leur vérification autonomes des investissements réalisés pour la création de ces mêmes éléments. Elles contestent la pertinence des investissements mentionnés par la société Sarenza au regard de ces critères.

Les sociétés Vivaki font ensuite valoir qu’elles n’ont pas commis d’actes d’extraction ou de réutilisation fautifs au sens de l’article L342-1 du code de la propriété intellectuelle puisqu’elles ont fait un usage personnel des données qui leur ont été fournies et ne les ont pas mis à disposition du public. Elles ajoutent que la société Sarenza ne démontre pas que les adresses qu’elles ont utilisées pour leurs campagnes publicitaires aient constitué une part substantielle qualitativement ou quantitativement du contenu de sa base de données alors que les défenderesses déclarent avoir utilisé en grande majorité des bases de données fournies par d’autres prestataires.

Les sociétés Vivaki contestent également avoir fait preuve d’une négligence fautive alors qu’elle n’est soumise à aucune obligation de vigilance a priori dans le cadre de l’obtention d’une base de données. Elle fait valoir que l’absence de clause de garantie inscrite dans un contrat est indifférente dès lors qu’elles bénéficient de la garantie légale d’éviction et elles relèvent que d’autres agences ont également été trompées.

Enfin les défenderesses écartent le grief de parasitisme en relevant qu’il ne s’agit pas de faits distincts de ceux de l’atteinte à la base de données. Elles ajoutent qu’elles ont agi de bonne foi. Elles contestent le risque de confusion invoqué par la demanderesse et une atteinte à ses investissements.

A titre subsidiaire, les défenderesses contestent la réalité et l’étendue des préjudices allégués par la société Sarenza et considèrent que ses demandes sont injustifiées et disproportionnées. Elles relèvent que la société Sarenza a elle-même commis de graves négligences dans la protection des données personnelles fournies par ses clients qui ont contribué au moins partiellement à la réalisation de son préjudice et qui sont de nature à les exonérer au moins partiellement de leur responsabilité.

En dernier lieu, les sociétés Vivaki sollicitent la garantie de la société NA2J sur le fondement de l’article 1726 du code civil et de M. X. sur le fondement de l’article 1382 du code civil. Elles sollicitent en outre leur condamnation à leur payer la somme de 20 000 € en réparation de leur préjudice moral, outre la somme de 912,26 € en remboursement des sommes perçues pour la location de la base de données et la somme de 15 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La société NA2J représentée par son mandataire liquidateur n’a pas constitué avocat. Il sera statué par jugement réputé contradictoire.

Sur la négligence fautive des sociétés Vivaki Performance et Communication

Les sociétés Vivaki sont de professionnels de la publicité et notamment de la publicité par e-mailing.

La société NA2J exploitant le site e-vingroom est une société immatriculée au registre du commerce le 20 juin 2007 qui a pour activité principale la vente en ligne de meubles.

Les premières relations avec la société NA2J ont eu lieu en mai 2010 et les données fournies par cette dernière ont été exploitées dans 9 campagnes publicitaires s’étant déroulées de mai à juillet 2010 :

– campagne Gemey du 29 avril au 31 mai 2010 :

La société NA2J a communiqué 1 587 732 adresses moyennant une rémunération de 0,60 € par internaute s’inscrivant à la newsletter Gemey Maybelline. Une facture de 447,78 € ttc a été émise et payée.

– campagne Crunch du 8 juin 2010 :

La société NA2J a communiqué 12 869 adresses moyennant une rémunération de 1,20 € par internaute inscrit. Une facture de 27,27 € ttc a été émise et non payée.

– campagne Whirpool du 15 au 18 juin 2010 :

La société NA2J a communiqué 800 017 adresses moyennant une rémunération de 1,20 € par clic donnant accès au lien publicitaire. Une facture de 465,18 € ttc a été émise et payée.

– campagne HD Assurance du 24 mai au 24 juin 2010 :

La société NA2J a communiqué 1 138 271 adresses moyennant une rémunération de 4 € par internaute inscrit. Un bon de commande de 168 € ht a été émis.

– campagne Chiens et chats du 24 mai au 24 juin 2010 :

La société NA2J a communiqué 1 417 651 adresses moyennant une rémunération de 3,50 € par internaute inscrit. Une facture de 510,69 € ttc a été émise et non payée.

– campagne TNS Sofres du 25 au 28 juin 2010 :

La société NA2J a communiqué 1 476 873 adresses moyennant une rémunération de 1,50 € par internaute inscrit. Un bon de commande de 955,80 € ht a été émis.

– campagne APRR du 29 juin 2010 :

La société NA2J a communiqué 452 994 adresses moyennant une rémunération de 5,00 € par internaute inscrit. Un bon de commande de 3355,00 € ht a été émis.

– campagne Universal mobile du juillet 2010 :

La société Vivakia a déclaré être intéressée par l’ensemble de la base de données de la société NA2J qui contenait 11 millions d’adresses. La rémunération prévue était de 0,40 € par internaute inscrit. Un bon de commande de 56,80 € ht a été émis. L’envoi a généré près de 20% de NPAI et un grand nombre de demandes de désabonnements.

– campagne Disney du 6 au 9 juillet 2010:

La société NA2J a communiqué plus de 3 millions d’adresses moyennant une rémunération de 0,15 € par page téléchargée après un clic sur le mail. Un bon de commande de 226,95 € ht a été émis.

Il ressort de ces éléments que les sociétés défenderesses ont acquis des quantités très élevées d’adresses électroniques auprès d’une société avec laquelle elle n’avaient jamais entretenu de relations commerciales, qui n’était pas connue antérieurement comme fournisseur de bases de données et dont l’activité n’était pas de nature à générer un fichier clients de l’importance de celui qui a été mis à plusieurs reprises à la disposition des défenderesses. Au surplus, l’activité de vente de meubles de la société NA2J s’adresse peu à une clientèle jeune de 16 à 24 ans, or celle-ci a cependant été en mesure de fournir des listes d’adresses d’internautes correspondant au public jeune visé par certaines des campagnes publicitaires conduites par les défenderesses.

Les sociétés Vivaki n’ont posé aucune question à la société NA2J pour connaître l’origine de ces fichiers et notamment sur l’existence d’éventuels partenariats susceptibles d’expliquer la possession de 11 millions d’adresses. Il convient de relever que si ce chiffre a soulevé un certain étonnement auprès de la société Vivaki Performance, sa seule réaction a été de demander à la société NA2J si sa “base de données” était bien opt-in, ce qui révèle une curiosité assez limitée.

Par ailleurs, il convient également de relever que les prix pratiqués sont spécialement peu élevés et la société Vivaki ne verse aux débats aucun élément permettant de retenir qu’ils correspondent aux prix pratiqués avec ses prestataires habituels. Or ces prix très faibles ne permettaient pas d’amortir les investissements normalement requis par la création et l’entretien d’une base de données de cette importance.

L’ensemble de ces éléments fait apparaître que les sociétés Vivaki ont acquis des nombres très importants d’adresses dans des conditions qui auraient dû les alerter sur l’origine douteuse des données dont la possession par la société NA2J était difficilement explicable et donc suspecte. Le doute que ces circonstances auraient dû susciter dans l’esprit des défenderesses est exclusif de la bonne foi.

Aussi il y a lieu de retenir que les sociétés Vivaki ont fait preuve d’une négligence fautive en ne s’inquiétant pas des conditions dans lesquelles la société NA2J pouvait se trouver en possession des données qu’elles acquéraient. Leur responsabilité se trouve donc engagée sur le fondement de l’article 1382 du code civil.

Sur les demandes fondées sur l’existence d’une base de données

La société Sarenza sollicite le bénéfice de la protection accordée au producteur d’une base de données par les articles L341-1 du code de la propriété intellectuelle.

Une base de données est définie comme un recueil d’œuvres, de données ou d’autres éléments indépendants disposés de manière systématique ou méthodique et individuellement accessibles par de moyens électroniques ou par tout autre moyen.

La base de données n’est pas constituée par une simple liste d’éléments ; elle doit mettre en œuvre des principes d’organisation et de structuration qui permettent à son utilisateur d’avoir directement accès à un élément individuel au moyen d’une sélection ou d’une indexation particulière.

La société Sarenza n’a donné aucunes informations sur sa base de données dont on sait uniquement qu’elle est constituée par les adresses électroniques de ses clients et prospects. Cependant cette seule information est insuffisante à démontrer que ces adresses sont organisées et disposées de manière systématique ou méthodique et accessible individuellement selon certains critères prédéfinis.

En l’absence d’éléments suffisants d’information permettant de retenir que les fichiers clients de la société Sarenza sont organisés en base de données, l’ensemble des demandes fondées sur les articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle seront rejetées.

Sur les demandes fondées sur la concurrence déloyale et le parasitisme

M. L. et la société NA2J ont commis une faute en s’appropriant les adresses électroniques des clients et prospects de la société Sarenza à son insu et sans bourse déliée afin d’en tirer un profit personnel.

En revanche s’il y a lieu d’admettre que les sociétés Vivaki se sont montrées imprudentes en acquérant des adresses auprès de la société NA2J, il n’apparaît cependant pas qu’elles aient agi en connaissance de cause avec la volonté de s’approprier les fichiers clients et prospects de la société Sarenza sans bourse déliée. Aussi il n’y a pas lieu de retenir leur responsabilité du fait du parasitisme.

Par ailleurs, les défenderesses ne sont pas en situation de concurrence avec la société Sarenza et aucun élément ne permet de retenir que les internautes dont les adresses électroniques ont été indument exploitées, ont été en mesure d’identifier que celles-ci provenaient des fichiers de la société Sarenza de telle sorte qu’aucun risque de confusion n’est établi. Les demandes fondées sur la concurrence déloyale seront donc rejetées.

Sur les mesures réparatrices

– sur un partage de responsabilité

Les sociétés Vivaki font valoir que la société Sarenza a participé à la réalisation de son propre préjudice en sécurisant de façon insuffisante les donnés relatives à ses clients et prospects. Elles relèvent que l’accès aux données personnelles détenues par la demanderesse n’était pas limité à un nombre restreint de salariés comme le recommande la Cnil. Plus spécialement elles exposent que la salariée indélicate a eu accès aux données de l’entreprise grâce à l’identifiant de son supérieur hiérarchique et qu’il est apparu que cet identifiant était utilisé par quatre personnes. Elles ajoutent que pendant trois mois, la société NA2J a eu accès aux données de la société demanderesse à de nombreuses reprises et sans difficulté apparente, à partir de trois postes différents. Les sociétés Vivaki reprochent également à la société Sarenza la lenteur de sa réaction.

La demanderesse réplique qu’elle a été victime de l’indélicatesse d’une de ses salariés et qu’elle a mis en œuvre des mesures destinées à assurer la sécurité des données personnelles de ses clients et prospects telles que l‘insertion d’adresses pièges, l’accès de chacun de ses salariés par un identifiant et un mot de passe, une obligation de confidentialité dans les contrats de travail, la mise en place du tracking des accès à la base de données par la société Experian Cheetahmail et l’existence de prestations de sécurisation par des entreprises extérieures, l’élaboration d’une infrastructure informatique et technique perfectionnée.

Néanmoins il apparaît que l’identifiant utilisé par la salariée en cause était utilisé par quatre personnes différentes même s’il était attribué à une seule. Ces faits démontrent un manque de rigueur dans la gestion des identifiants qui ne relèvent pas de la responsabilité personnelle des individus mais de l’organisation du service. Par ailleurs, la société Sarenza n’explique pas pourquoi une graphiste qui n’a pas de fonctions commerciales, doit avoir accès aux adresses électroniques des clients de l’entreprise.

Dès lors il y a lieu de retenir que la société Sarenza a elle-même contribué à hauteur de 30% à la réalisation de son préjudice en ne mettant pas en place des règles restrictives sur l’utilisation des codes donnant accès à des données personnelles.

sur les préjudices subis

Il peut être retenu que :

– un fichier d’adresses clients qui fait l’objet d’une surexploitation perd de sa valeur car les internautes trop sollicités sont moins réceptifs à de nouvelles annonces commerciales,

– la société Sarenza qui s’est vue déposséder à son insu des données personnelles de ses clients a subi un préjudice moral.

En revanche, la responsabilité des défenderesses étant retenue sur le fondement de l’article 1382 du code civil il n’y a pas lieu de prendre en compte les bénéfices qu’elles ont pu réaliser. Au surplus les gains manqués et les bénéfices réalisés apparaissent justifier le préjudice lié à l’extraction substantielle et la réutilisation de la base de données qui n’est pas retenue en l’espèce.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, du nombre d’adresses utilisées et du nombre de campagnes réalisées, le préjudice subi par la société Sarenza du fait des agissements des sociétés défenderesses sera évalué à la somme de 100 000 €, et les sociétés Vivaki seront condamnées in solidum à hauteur de la somme de 70 000 €.

Par ailleurs, il y a lieu de constater que l’ensemble des demandes en dommages intérêts formées contre M. X. et la société NA2J le sont sur le fondement de l’extraction ou de la réutilisation de la base de données et qu’elles doivent donc être rejetées.

Il ne sera pas fait droit aux demandes d’interdiction et de destruction, compte tenu de l’ancienneté des faits, de l’absence de poursuite d’activité de la société NA2J et de l’absence de faits nouveaux depuis 2010.

II n’y a pas lieu de faire droit à la demande de publication, l’allocation de dommages intérêts indemnisant le préjudice de façon intégrale et adéquate.

Sur la demande en garantie des sociétés Vivaki

La société NA2J représentée par son mandataire liquidateur n’a pas constitué avocat et les sociétés Vivaki ne justifient pas lui avoir fait signifier leurs demandes en garantie par voie d’huissier de justice. Ces demandes ne sont donc pas régulièrement formées.

Par ailleurs, les sociétés Vivaki ayant elles-mêmes commis une faute de négligence, elles doivent supporter personnellement les conséquences qui s’ensuivent et leurs demandes en garantie contre M. X. seront donc écartées.

Sur les désistements

– à l’égard de la société Capdécision

Par des conclusions du 12 mars 2012, la société Sarenza s’est désistée de son instance et de son action à l’égard de la société Capdécision, chaque partie conservant à sa charge ses frais et dépens.

Par des conclusions du 22 mars 2012, la société Capdécision a accepté le désistement d’instance, chaque partie conservant à sa charge ses frais et dépens.

Il y a donc lieu de déclarer ce désistement parfait, chaque partie conservant à sa charge ses frais et dépens.

Il sera par ailleurs donné acte aux parties de ce que la société Sarenza a déclaré se désister de son action à l’encontre de la société Capdécision.

– à l’égard de la société Webreflexe et entre la société Webreflexe et la société NA2J

Par des conclusions du 16 mai 2012, la société Sarenza s’est désistée de son instance à l’égard de la société Webreflexe, chaque partie conservant à sa charge ses frais et dépens.

Par des conclusions du 22 mars 2012 et du 23 mai 2012 à l’égard de la société NA2J, la société Webreflexe a accepté ce désistement, chaque partie conservant à sa charge ses frais et dépens. Elle s’est par ailleurs désistée de ses demandes à l’égard de la société NA2J représentée par son mandataire liquidateur.

Il y a donc lieu de déclarer le désistement d’instance entre la société Sarenza et la société Webreflexe parfait, chaque partie conservant à sa charge ses frais et dépens.

Le désistement d’instance à l’égard de la société NA2J qui n’a pas constitué avocat sera également déclaré parfait, les dépens restant à la charge de la demanderesse, sauf convention contraire entre les parties.

– à l’égard de la société R et entre la société R et la société NA2J

Par des conclusions du 19 juin 2012, la société Sarenza s’est désistée de son instance et de son action à l’égard de la société R, chaque partie conservant à sa charge ses frais et dépens.

Par des conclusions du 26 juin 2012 et du 10 juillet 2012 à l’égard de la société NA2J, la société R a accepté ce désistement, chaque partie conservant à sa charge ses frais et dépens. Elle s’est par ailleurs désistée de son instance à l’égard de la société NA2J représentée par son mandataire liquidateur.

Il y a donc lieu de déclarer le désistement d’instance entre la société Sarenza et la société Webreflexe parfait, chaque partie conservant à sa charge ses frais et dépens.

Il sera par ailleurs donné acte aux parties de ce que la société Sarenza a déclaré se désister de son action à l’encontre de la société R.

Le désistement d’instance à l’égard de la société NA2J qui n’a pas constitué avocat, sera également déclaré parfait, les dépens restant à la charge de la demanderesse, sauf convention contraire entre les parties.

Enfin il y a lieu de retirer du rôle l’instance introduite par la société Effida contre la société NA2J représentée par son mandataire liquidateur.

L’ancienneté des faits rend nécessaire l’exécution provisoire du jugement compatible avec la nature de l’affaire.

Il sera alloué à la société Sarenza la somme de 20 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile qui comprend le coût des procès-verbaux de constat et de saisie-contrefaçon.

Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe du jugement réputé contradictoire et en premier ressort,

. Dit que les sociétés Vivaki Performance et Communication ont commis une faute de négligence en acquérant à plusieurs reprises des listes importantes d’adresses électroniques proposées par M. X. et la société NA2J, sans s’être informées de leur origine,

. Dit que la société Sarenza n’a pas établi l’existence d’une base de données,

. Dit que la société NA2J et M. X. ont commis des fautes à l’égard de la société Sarenza en exploitant à l’insu de la demanderesse et sans bourse déliée les adresses électroniques de ses clients et prospects,

. Dit que les sociétés Vivaki Performance et Communication n’ont pas commis d’actes de concurrence déloyale et de parasitisme à l’égard de la société Sarenza,

. Dit que la société Sarenza a contribué à la réalisation de son préjudice en sécurisant de façon insuffisante l’accès aux adresses électroniques de ses clients et prospects,

. Condamne in solidum les sociétés Vivaki Performance et Communication à payer à la société Sarenza la somme de 70 000 € titre de dommages intérêts,

. Rejette l’ensemble des demandes formées sur le fondement de l’extraction substantielle et la réutilisation de la base de données,

. Dit n’y avoir lieu au prononcé de mesures d’interdiction et de destruction,

. Dit n’y avoir lieu à publication de la décision judiciaire,

. Rejette la demande en garantie des sociétés Vivaki Performance et Communication contre M. X.,

. Déclare irrégulière la demande en garantie des sociétés Vivaki Performance et Communication contre la Selafa MJA es qualités de mandataire liquidateur de la société NA2J,

. Déclarer parfait le désistement d’instance de la société Sarenza à l’égard de la société Capdécision, chaque partie conservant à sa charge ses frais et dépens.

. Donne acte aux parties de ce que la société Sarenza a déclaré se désister de son action à l’encontre de la société Capdécision,

. Déclare parfait le désistement d’instance entre la société Sarenza et la société Webreflexe, chaque partie conservant à sa charge ses frais et dépens,

. Déclare parfait le désistement d’instance de la société Webreflexe à l’égard de la société NA2J, les dépens restant à la charge de la demanderesse, sauf convention contraire des parties,

. Déclarer parfait le désistement d’instance entre la société Sarenza et la société Webreflexe, chaque partie conservant à sa charge ses frais et dépens,

. Donne acte aux parties de ce que la société Sarenza a déclaré se désister de son action à l’encontre de la société R,

. Déclare parfait le désistement d’instance de la société R à l’égard de la société NA2J, les dépens restant à la charge de la demanderesse, sauf convention contraire entre les parties,

. Retire du rôle l’instance introduite par la société Effidata contre la société NA2J représentée par son mandataire liquidateur,

. Ordonne l’exécution provisoire du jugement,

. Condamne in solidum M. X., les sociétés Vivaki Performance et Communication à payer à la société Sarenza la somme de 20 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile qui comprend le coût des procès-verbaux de constat et de saisie-contrefaçon,

. Condamne in solidum M. X., la société MJA, les sociétés Vivaki Performance et Communication aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de maître Cyril Fabre, selon les règles de l’article 699 du code de procédure civile.

. Fixe au passif de la société NA2J représentée par la société MJA es qualités de mandataire liquidateur les dépens et la condamnation in solidum fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

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Tribunal de grande instance de Paris, 4e chambre, 21 février 2013