Tribunal de grande instance de Paris, 9e chambre 3e section, 29 mars 2018, n° 16/12684

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Chronologie de l’affaire

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www.colman-avocats.fr · 23 février 2023

Le Tribunal judiciaire de Paris a condamné la BNP Paribas à indemniser son client pour de nombreux manquements à son devoir de vigilance en présence d'anomalies apparentes dans le compte bancaire. Rappel des faits En 2015, Monsieur X a été démarché par une plateforme frauduleuse d'investissements spécialisée en placements immobiliers viagers. Celle-ci a promis d'une part, des gains importants et d'autre part, une rentabilité rapide et certaine de l'investissement. Depuis son compte bancaire ouvert à la BNP Paribas, Monsieur X a émis, à la demande de la plateforme frauduleuse, plusieurs …

 
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Sur la décision

Référence :
TGI Paris, 9e ch. 3e sect., 29 mars 2018, n° 16/12684
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
Numéro(s) : 16/12684

Sur les parties

Texte intégral

T R I B U N A L

D E GRANDE

I N S T A N C E

D E P A R I S

9e chambre

3e section

N° RG :

16/12684

N° MINUTE :

Assignation du :

22 Juillet 2016

JUGEMENT

rendu le 29 Mars 2018

DEMANDEUR

Monsieur X Y

[…]

[…]

représenté par Maître C D, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E1484

DÉFENDERESSE

S.A. BNP PARIBAS

[…]

[…]

représentée par Maître E F, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #L0020

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Véronique PITE, Vice-Présidente

Anne REVIL, Vice-Présidente

Z A, Juge

assistées de Cléa ADOLPHE-MACAISNE, Greffier,

DÉBATS

A l’audience du 15 février 2018 tenue en audience publique devant Véronique PITE, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 786 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux conseils des parties que la décision serait rendue le 29 mars 2018 par mise à disposition au greffe.

JUGEMENT

Rendu publiquement par mise à disposition au greffe

Contradictoire

En premier ressort

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur X Y, bénéficiaire de rentes et d’une indemnité mensuelle auprès du Pôle emploi d’un montant cumulé d’environ 1.700 euros par mois, est titulaire d’un compte à vue ouvert dans les livres de la société anonyme BNP Paribas.

Il est par ailleurs titulaire notamment d’un contrat d’assurance vie auprès de la compagnie Generali, d’une valeur de 639.242,51 euros en octobre 2015, d’un plan d’épargne retraite populaire auprès de Blinck bank, d’une valeur de 104.154,37 euros en novembre 2015, d’un plan d’épargne logement ouvert dans les livres de la société coopérative Caisse d’épargne et de prévoyance Ile de France.

Il adhérait le 27 août 2015 à un contrat de gestion d’investissements financiers, proposé par les fonds solidaires gérés par Allianz trade holdings, sous forme de placements immobiliers viagers.

Il effectuait plusieurs virements sur le compte allemand dont cette société lui adressait d’abord le relevé bancaire ouvert dans les livres de la banque JP Morgan Chase, le bénéficiaire étantྭ: BBK MUB, par l’intermédiaire de son compte ouvert auprès de la BNP Paribas, savoir 6.000 euros le 27 août 2015, puis 14.000 euros le lendemain.

Ayant reçu de son cocontractant un second relevé bancaire d’un compte français au nom de la société Allianz trade holdings, ouvert dans les livres de la Banque postale, il opérait par l’intermédiaire de la BNP Paribas un virement de 30.000 euros le 21 septembre 2015. Le motif porté à l’ordre est «ྭYྭ» suivi d’un chiffre et «ྭallianz metroྭ» suivi d’un chiffre.

Ayant encore reçu de son cocontractant d’autres coordonnées bancaires d’un compte anglais ouvert auprès de la Citibank, dont le bénéficiaire était Citibank ind, il y virait 10.000 euros le 12 octobre 2015, 40.000 euros le 16 octobre suivant, puis 35.000 euros le 20 octobre, ces deux derniers virements étant rejetés à raison de l’incorrection du numéro du bénéficiaire. Le motif porté sur l’ordre de virement est «ྭallianz metroྭ» suivi de chiffres et du nom de l’émetteur.

Après avoir reçu un 4e relevé bancaire de son cocontractant, d’un compte au Montenegro ouvert dans les livres de la Hipotekarna banka, dont le bénéficiaire était la société XFR capital limited, monsieur X Y y virait, depuis le même compte à vue, le 16 octobre 2015 18.000 euros, en vain, dans la mesure où la banque bénéficiaire le refusait pour contrariété avec sa politique intérieure. Le relevé d’identité bancaire portait la mention «ྭSVP pas de passage par la Deutch bank comme banque intermédiaire (lors de son virement) lorsque que votre banque fais son virement.ྭ» Le motif porté par l’ordre de virement est «ྭépargneྭ».

La société Allianz trade holding lui adressait alors un 5e identifiant bancaire, d’un compte polonais auprès de Bank polska Kasa opieki SA – Bank dont le bénéficiaire était la société Actives sales Pekao, et monsieur X Y y virait, par l’intermédiaire de son même compte, 15.000 euros le 19 novembre 2015, 25.000 euros le même jour. Le motif indiqué à l’ordre de virement est «ྭinvestments immoྭ».

Il faisait enfin au bénéfice de la société Ben Universal project M limited un virement de 6.000 euros le 1er décembre 2015 par l’intermédiaire de la BNP Paribas, et de 6.000 euros le lendemain.

Le 27 janvier 2016, il déposait plainte pour escroquerie contre X, et se constituait partie civile auprès du juge d’instruction.

Ayant réclamé en vain à la société anonyme BNP Paribas la restitution des sommes virées, il l’assignait devant ce tribunal par exploit du 22 juillet 2016.

Aux termes de ses dernières écritures communiquées par voie électronique et visées par le greffe le 30 mars 2017, monsieur X Y solliciteྭ:

  • la condamnation de son contradicteur à lui régler 112.000 euros en réparation de son préjudice matériel et 25.000 euros en réparation de son préjudice moral, augmentés des intérêts au taux légal dès les dates de valeur portées au compte,
  • l’exécution provisoire,
  • la condamnation de son contradicteur aux dépens, qui seront distraits au profit de maître C D, et à lui payer une indemnité de procédure de 10.000 euros.

Aux termes de ses dernières écritures communiquées par voie électronique et visées par le greffe le 31 mai 2017, la société anonyme BNP Paribas conclutྭ:

  • au rejet des prétentions adverses,
  • à la condamnation de son contradicteur aux dépens, qui seront distraits au profit de maître E F, et à lui payer une indemnité de procédure de 5.000 euros.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux écritures des parties visées ci-dessus quant à l’exposé du surplus de leurs prétentions et moyens.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 21 septembre 2017.

EXPOSE DES MOTIFS

I – sur la demande principale

Rappelant que le banquier teneur de comptes est tenu d’un devoir de vigilance dans leur fonctionnement, et qu’ainsi il doit prêter attention aux opérations présentant un caractère anormal, dont l’anomalie peut être intellectuelle ou matérielle, monsieur X Y souligne l’anormalité manifeste de ses virements, d’un montant conséquent, faits à l’étranger, sur une période de 6 mois, alors que destinataire des minima sociaux, il exposait d’habitude de modestes dépenses envers les mêmes fournisseurs. Il relève d’ailleurs que le motif des virements était anormal, s’agissant d’investissements immobiliers, qu’étaient douteux leurs bénéficiaires, tenant en des personnes morales de droit étranger qui n’avaient aucun lien avec lui, et détenaient des comptes hors de France. Il fait encore valoir que les refus de la Citibank de Bombay et de la Deutsche bank à procéder aux paiements auraient dû alerter la société anonyme BNP Paribas.

Il se prévaut ensuite d’anomalies matérielles, figurant sur les relevés bancaires des fautes d’orthographe, le cas échéant en allemand, ainsi que l’indication de ne pas passer par la Deutsche bank, et l’un des relevés ayant pour en-tête une agence de voyage.

Il estime ainsi que la défenderesse, qui avait l’obligation de contrôler la destination des fonds et la compatibilité de l’activité des sociétés bénéficiaires avec ses besoins, aurait dû l’interpeller sur l’objet de ces transactions, l’aviser du probable défaut d’agrément européen de ces intermédiaires, solliciter des renseignements quant à la régularité de leur immatriculation, vérifier le contrat le liant à ceux-ci, et plus globalement l’alerter sur la possibilité d’une escroquerie via l’internet sur le marché du Forex, dont l’Autorité des marchés financiers tient la liste noire. Il considère que la banque aurait dû s’opposer au paiement des virements litigieux.

Enfin, il chiffre son dommage matériel au montant des sommes virées à l’étranger sur des comptes offshore, 112.000 euros et son dommage moral à 25.000 euros, tenant compte des tracas nés de cette affaire et de l’aggravation de ses problèmes psychiques.

A cela, la société anonyme BNP Paribas réplique qu’elle a le devoir de ne pas s’immiscer dans les affaires de son client et qu’elle n’avait aucune raison de déceler une fraude. Elle rappelle que les ordres de virement étaient réguliers, que leur montant et fréquence n’étaient pas étranges s’agissant d’investissements qu’au reste monsieur X Y poursuit par l’intermédiaire d’un courtier spécialisé dans les placements à l’étranger. Elle estime au contraire que le demandeur est responsable de son propre préjudice, souligne que d’ailleurs le dommage en lien avec les faits qu’il lui reproche ne pourrait tenir qu’en une perte de chance, pour conclure qu’en tout état de cause il ne justifie ni d’un préjudice indemnisable, ni d’un lien de causalité.

A défaut d’anomalies apparentes, intellectuelles ou matérielles, le banquier teneur de compte n’a pas à s’immiscer dans les affaires de son client.

Il ne saurait ainsi, contrairement à ce qu’affirme le demandeur, effectuer des recherches ou réclamer des justifications pour s’assurer que les opérations de son client, dont il n’a pas à rechercher la cause, sont régulières, opportunes et exemptes de danger.

En l’occurrence, il est acquis aux débats que monsieur X Y procédait à plusieurs virements dans un laps de temps d’environ 5 mois, du 27 août au 2 décembre 2015, portant sur une somme globale de 205.000 euros, dont certains n’ont pas abouti, deux fois à raison de l’incorrection du numéro de compte bénéficiaire, une fois par refus de la banque bénéficiaire pour des motifs de politique interne, pour lesquels chaque fois le relevé d’identité bancaire transmis à la banque détentrice du compte de monsieur X Y portait l’en-tête de la société Allianz trade holdings et la mention en gros caractères Allianz Metro AG, évoquant la compagnie d’assurances allemande, dont le logo rond et barré était apposé.

Il est ensuite établi que la compagnie allemande Allianz publia un avertissement désignant cette société, invitant ses lecteurs à ne pas lui donner leurs données personnelles et à n’effectuer aucun paiement par son intermédiaire. Une instruction pénale est d’ailleurs en cours la visant.

Ceci dit, le donneur d’ordre, aurait-il confié à la banque émettrice du virement les relevés d’identité bancaire que lui remettait la société allianz trade holding, ne saurait se prévaloir des anomalies matérielles les entachant, tenant notamment aux différentes adresses y énoncées, ou aux fautes d’orthographe y figurant, ou à la mention sur l’un d’eux faisant défense de recourir aux services de la «ྭdeutch bankྭ», en ce que cet établissement n’a aucune obligation de vérifier ces relevés, sinon pour ce qui concerne l’adéquation des numéros de compte y mentionnés, exempts d’irrégularités, avec l’ordre donné de virement.

En revanche, il était singulier, alors que l’intéressé donnait ordres de virement de sommes d’un montant important, cumulé, à des établissements bancaires européens, dont l’essentiel hors de France, chaque fois différents, que certains de ces virements aient été rejetés par la banque bénéficiaire, d’une part, pour deux d’entre eux, à raison d’une erreur sur le numéro de compte bénéficiaire, alors que les numéros du relevé, que détenait la banque puisqu’elle le produit, et de l’ordre effectif étaient identiques, d’autre part, pour un autre, au motif de la politique interne de cet établissement.

Ces anomalies intellectuelles auraient alors dû attirer l’attention de la société anonyme BNP Paribas, et ce, de manière indubitable, dès la 4e série de virements, après ce troisième refus.

Au reste, il était loisible au banquier de voir, vu le libellé des opérations du compte à vue, que monsieur X Y rachetait son épargne pour la virer vers ces multiples destinations étrangères, alors qu’auparavant les écritures y inscrites, d’ailleurs portant sur des montants à l’origine modeste, transitait sur ce compte vers des placements type PEL, LEP, Livret A, ou vers d’autres comptes dont il était titulaire, avant la période litigieuse.

En revanche, rien n’indique qu’elle connaissait le handicap de son client, lequel ne percevait pas directement sur ce compte l’allocation ad hoc.

Or, s’il est vrai que la banque tirée est tenue d’exécuter les ordres non équivoques de son client quand le crédit sur le compte permet de réaliser ces opérations, il n’en demeure pas moins qu’en présence d’anomalies apparentes, elle devait, à raison de son devoir général de vigilance, alerter le donneur d’ordre, pour obtenir leur confirmation.

Ce faisant, la défenderesse, qui se borne à préciser que l’intéressé était «ྭsourd à toutes observationsྭ» ne justifie pas y avoir pourvu.

Le préjudice en lien direct avec ce manquement est la perte de chance de monsieur X Y de n’avoir pas investi dans ces opérations effectuées au profit de la société frauduleuse Allianz trade holdings.

La réparation de la perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.

Cette perte de chance étant acquise dès la 4e série de virement, il convient de l’évaluer globalement à 15.000 euros.

La société anonyme BNP Paribas sera condamnée à ce paiement, augmenté des intérêts au taux légal dès ce jugement en application des dispositions de l’article 1153-1 ancien du code civil.

A raison des tracas nés de cette situation, il s’en suit un préjudice moral qui sera justement évalué à la somme de 1.000 euros.

La société anonyme BNP Paribas sera aussi condamnée à ce paiement, augmenté des intérêts moratoires de même manière.

II – sur les autres demandes

L’exécution provisoire, compatible avec la nature de l’affaire, sera ordonnée.

La société anonyme BNP Paribas, qui succombe, sera tenue des dépens, qui seront distraits dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

Il suit de cela qu’elle devra 2.500 euros à monsieur X Y sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant par jugement contradictoire, en premier ressort et publiquement par mise à disposition au greffe :

Condamne la société anonyme BNP Paribas à payer à monsieur X Y 15.000 euros de dommages-intérêts en réparation de la perte de chance de n’avoir pas souscrit des placements offerts par la société Allianz trade holdingsྭ;

La condamne à lui payer 1.000 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moralྭ;

Ordonne l’exécution provisoireྭ;

Condamne la société anonyme BNP Paribas à payer à monsieur X Y 2.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civileྭ;

Autorise maître C D à recouvrer directement contre elle les frais compris dans les dépens dont il aurait fait l’avance sans en avoir reçu provisionྭ;

Condamne la société anonyme BNP Paribas aux dépens.

Fait et jugé à Paris le 29 Mars 2018

Le Greffier La Présidente

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