Tribunal Judiciaire de Paris, 17e chambre presse civile, 24 janvier 2024, n° 23/03441

  • Vie privée·
  • Magazine·
  • Publication·
  • Image·
  • Atteinte·
  • Photographie·
  • Île maurice·
  • Enfant·
  • Préjudice·
  • Couple

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
TJ Paris, 17e ch. presse civ., 24 janv. 2024, n° 23/03441
Numéro(s) : 23/03441
Importance : Inédit
Dispositif : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur
Date de dernière mise à jour : 20 février 2024
Lire la décision sur le site de la juridiction

Sur les parties

Texte intégral

TRIBUNAL

JUDICIAIRE

DE PARIS

MINUTE N°:

17ème Ch. Presse-civile

N° RG 23/03441 – N° Portalis 352J-W-B7H-CZKAE

A.S

Assignation du :

08 Mars 2023

[1]

[1] Expéditions

exécutoires

délivrées le :

République française

Au nom du Peuple français

JUGEMENT

rendu le 24 Janvier 2024

DEMANDEUR

[Y] [F]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Jean ENNOCHI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0330

DEFENDERESSE

S.A.S. CMI FRANCE

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Patrick SERGEANT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B1178

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Magistrats ayant participé au délibéré :

Jean-François ASTRUC, Vice-président

Président de la formation

Anne-Sophie SIRINELLI, Vice-Présidente, juge rapporteur

Amicie JULLIAND, Vice-Présidente

Assesseurs

GREFFIERS :

Viviane RABEYRIN, Greffier aux débats

Virginie REYNAUD, Greffier à la mise à disposition

DEBATS

A l’audience du 25 Octobre 2023 tenue publiquement devant Anne-Sophie SIRINELLI, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les parties, en a rendu compte au tribunal, conformément aux dispositions de l’article 786 du code de procédure civile.

JUGEMENT

Mis à disposition au greffe

Contradictoire

En premier ressort

Vu l’assignation délivrée le 8 mars 2023 à la société CMI FRANCE, éditrice du magazine Public, à la requête de [Y] [F], lequel, estimant qu’il a été porté atteinte à son droit au respect de sa vie privée et à son droit à l’image dans l’édition n°1025 de l’hebdomadaire en date du 3 mars 2023, demande au tribunal, au visa de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et de l’article 9 du code civil :

— de condamner la société CMI FRANCE à lui verser les sommes de 20 000 € à titre de dommages et intérêts pour violation de la vie privée, outre 15 000 € à titre de dommages et intérêts pour violation du droit à l’image ;

— d’ordonner la publication d’un communiqué judiciaire dont les caractéristiques et modalités sont précisées au dispositif de l’assignation, en page de couverture de l’hebdomadaire Public, qui paraîtra 8 jours après la signification du jugement à intervenir et ce sous astreinte de 10 000 € par jour de retard, dont le tribunal se réservera la liquidation ;

— de condamner la société CMI FRANCE à lui verser la somme de 4 000 € conformément aux dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

— d’ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir, nonobstant opposition ou appel et sans caution ;

— de condamner la société CMI FRANCE aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Jean ENNOCHI, conformément à l’article 699 du code de procédure civile ;

Vu les conclusions en réponse du demandeur, notifiées par voie électronique le 8 août 2023 par lesquelles ce dernier sollicite le rejet des demandes de la défenderesse et maintient ses demandes initiales ;

Vu les conclusions en réponse de la société CMI FRANCE, notifiées par voie électronique le 27 juin 2023, laquelle demande au tribunal, au visa des articles 9 du code civil et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales :

— à titre principal, de débouter [Y] [F] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

— à titre subsidiaire, de dire et juger que son préjudice doit être évalué à la somme d’un euro symbolique ;

— de condamner [Y] [F] à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’en tous frais et dépens ;

Vu l’ordonnance de clôture en date du 20 septembre 2023 ;

A l’audience du 25 octobre 2023, les parties ont oralement soutenu leurs écritures et il leur a été indiqué que la décision, mise en délibéré, serait rendue le 20 décembre 2023, date à laquelle le délibéré a été prorogé au 24 janvier 2024, ce dont les conseils des parties ont été avisés par bulletin du greffe.

Sur la publication attaquée et son contexte

[Y] [F] est journaliste et animateur d’émissions audiovisuelles, présentateur du journal télévisé de France 2 les week-ends. Il a pour compagne [B] [K], comédienne.

Dans son édition n°1025, en date du 3 mars 2023, le magazine Public, édité par la société défenderesse, lui a consacré un article.

Ce dernier est annoncé par le titre “[Y] [F] Ma famille d’abord !”, apposé sur une photographie du demandeur, de sa compagne et de deux enfants, dont les visages sont floutés, sur une plage, occupant la moitié de la page de couverture du magazine. La légende précise “Pour garder [B], il est prêt à tout”, tandis qu’un macaron mentionne “Leurs vacances de rêve à Maurice, 24/03/2023" et qu’un autre indique que les photographies sont une exclusivité de l’hebdomadaire.

La publication querellée est ensuite développée en pages 8 et 9 du magazine, sous le titre “[Y] [F], Sa famille d’abord” et le sous-titre “Pendant des années, il s’est entièrement dévoué à l’actualité. Mais le journaliste star de France 2 veut prendre du temps pour l’essentiel : [B] et leurs enfants”.

L’article débute par le rappel de l’actualité chargée, de nature à “[doper]” le demandeur, qualifié de “workaholic” et d'“accro à l’actualité”, puis indique que “en cette fin février”, ce dernier était “à plus de 10.000 kilomètres” de son bureau, à l’Ile Maurice, sur “d’autres dossiers cruciaux… au programme, du kif, encore du kif, et rien que du kif en famille”, l’article relatant les propos du demandeur tenus au journal Le Monde quelques mois auparavant : “lorsque vous n’avez pas eu de week-end depuis quinze ans, vous n’avez pas le droit de rater vos vacances”.

Il est relevé que la mission est “pleinement réussie », le couple ayant emmené leurs deux enfants communs, ainsi que le fils d'[B] [K] et la fille de [Y] [F], à l’Ile Maurice : “leur jolie famille recomposée était presque au complet pour décompresser dans la douceur de l’océan Indien”.

La publication précise alors qu’ils sont descendus dans “un magnifique hôtel de l’île”, que le couple a exploré les “plages paradisiaques du coin” pour en faire profiter leurs enfants : “entre balade en pédalo et dégustation de noix de coco, entre châteaux de sable et observation d’oursins, les amoureux ont savouré chaque moment”, ce qui aurait comblé [B] [K] dont les déclarations au magazine Elle l’année précédente sont rapportées, dans lesquelles elle indique que ses enfants sont “le centre absolu” de sa vie, sources de joie mais aussi d’inquiétude.

L’article rappelle alors le décès de son ancien compagnon, [O] [T], alors que leur bébé n’avait que 8 mois, qui aurait modifié sa vision de l’existence. Il indique également que ces craintes sont partagées par le demandeur, lecteur de “l’essai” de [W] De la brièveté de la vie et qui, s’il n’a pas connu de drame similaire, “ne veut pas renouer avec l’échec amoureux” qu’il avait connu avec sa précédente compagne et mère de ses deux ainées, [J] [N], et ce alors qu “il y a quelques mois il s’est également fait peur avec [B]”, pour laquelle, malgré son caractère hypocondriaque et stressé, il a décidé de “prendre du temp” et reste “aux petits soins”.

Après l’évocation des récentes déclarations de [Y] [F] au journal Libération sur l’importance de l’amour, l’article indique que “malgré quelques tempêtes” et les “doutes qui assaillent” ceux qui décident de vivre ensemble, l’amour qu’il porte à sa compagne reste aussi fort qu’au jour de leur rencontre, le 15 juillet 2012 lorsqu’il l’avait reçue sur son plateau (le “bon moment avec la bonne personne”), le journaliste précisant que “dix ans plus tard il est évident qu’il avait raison” et que [Y] [F], qui a interviewé [X] [G], ne souhaite pas “s’arrêter à deux quinquennats”.

L’article est illustré de cinq photographies, dont quatre représentent le demandeur :

— Sur les trois quarts de la page 8, une photographie de [Y] [F] tenant un enfant dans ses bras, accompagné d’une jeune fille et de sa compagne, tous en maillot de bain et en train d’entrer dans l’eau, ce cliché étant le même que celui de la page de couverture;

— en haut à droite de la page 8, un cliché des mêmes personnes toujours en maillot de bain, les deux enfants se tenant avec [B] [K] dans un canot tandis que [Y] [F] les photographie avec son téléphone portable ;

— sur toute la partie supérieure de la page 9, un cliché de [Y] [F] avec trois enfants, floutés, en maillot de bain et gilet de sauvetage sur un pédalo bleu, [B] [K] se tenant assise à côté, sur la plage, avec pour légende “pendant que ses collègues pédalent dans la choucroute, [Y] a opté pour l’eau cristalline” ;

— en bas à droite de la page 9, un cliché de [Y] [F] marchant sur la plage, en maillot de bain, avec une jeune fille, habillée.

C’est dans ces circonstances qu’est intervenue la présente assignation.

Sur les atteintes alléguées

Conformément à l’article 9 du code civil et à l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué par voie de presse. De même, elle dispose sur son image, attribut de sa personnalité, et sur l’utilisation qui en est faite d’un droit exclusif, qui lui permet de s’opposer à sa diffusion sans son autorisation.

Ces droits doivent se concilier avec le droit à la liberté d’expression, consacré par l’article 10 de la même convention. Ils peuvent céder devant la liberté d’informer, par le texte et par la représentation iconographique, sur tout ce qui entre dans le champ de l’intérêt légitime du public, certains événements d’actualité ou sujets d’intérêt général pouvant justifier une publication en raison du droit du public à l’information et du principe de la liberté d’expression, ladite publication étant appréciée dans son ensemble et au regard du contexte dans lequel elle s’inscrit.

Le droit à l’information du public s’agissant des personnes publiques, s’étend ainsi d’une part aux éléments relevant de la vie officielle, d’autre part aux informations et images volontairement livrées par les intéressés ou que justifie une actualité ou un débat d’intérêt général. A l’inverse, les personnes peuvent s’opposer à la divulgation d’informations ou d’images ne relevant pas de leur vie professionnelle ou de leurs activités officielles et fixer les limites de ce qui peut être publié ou non sur leur vie privée, ainsi que les circonstances et les conditions dans lesquelles ces publications peuvent intervenir.

Enfin, la diffusion d’informations déjà notoirement connues du public n’est pas constitutive d’atteinte au respect de la vie privée.

[Y] [F] fait principalement valoir que la publication litigieuse fait référence à des dissensions au sein de son couple, mais également qu’il a été épié et surveillé lors de son séjour à l’Ile Maurice, ce qui porte atteinte à son droit au respect de sa vie privée et à son droit à l’image dès lors que des photographies de sa personne prises lors de ce séjour ont été publiées. Il souligne à ce titre qu’il n’a jamais rendu publique l’existence des dissensions alléguées, cette information n’ayant été révélée que par de précédentes publications du magazine incriminé et que se rendre dans un lieu public et touristique ne vaut pas autorisation pour les tiers à capter et publier des clichés de sa personne.

La société CMI FRANCE considère les atteintes non établies. Elle souligne, s’agissant du droit au respect de la vie privée, que la relation sentimentale entre [Y] [F] et [B] [K] est notoire, de même que la composition de leur famille, la mention de dissensions se bornant à des propos généraux sur l’agenda professionnel du demandeur et sur l’harmonie au sein de son couple, sans contenir de révélation fautive, et l’article se contentant de relater la présence du demandeur à l’Ile Maurice en décrivant de banales scènes de plage.

S’agissant du droit à l’image, elle relève que le demandeur et sa famille se promenaient, parfaitement reconnaissables, sur une plage de l’Ile Maurice, destination prisée des personnalités people où ces derniers se rendent en connaissance de cause et avec la conscience d’y être vus. Il n’avait dès lors aucune espérance légitime à se croire à l’abri des médias.

Il convient de rappeler à titre liminaire que si les limites de la protection instaurée par l’article 9 du code civil, son périmètre, peuvent s’interpréter moins strictement au profit d’une personne que la naissance, la fonction, l’activité qu’elle a choisi d’exercer, expose à la notoriété et dès lors à une certaine curiosité du public, il n’en reste pas moins que celle-ci, quelle que soit sa notoriété, est en droit de préserver l’intimité de sa vie privée.

En l’espèce, l’article litigieux fait le récit d’une journée de vacances passée par le couple [Y] [F] et [B] [K] « à Maurice », le « 24/02/2023 », accompagnés d’une partie de leurs enfants. Décrivant la composition de leur famille lors de ce séjour et détaillant leurs activités (« le couple n’a d’ailleurs pas manqué d’explorer les plages paradisiaques du coin, et d’en faire découvrir les merveilles à sa tribu. Entre balade en pédalo et dégustation de noix de coco, entre châteaux de sable et observations d’oursins »), l’article relève le bonheur du couple (« les amoureux ont savouré chaque moment ») et font état de tensions passées entre le demandeur et [B] [K] (« Il y a quelques mois, il s’est également fait peur avec [B] », « il a décidé de prendre du temps pour sa chérie », « Or, malgré quelques tempêtes, malgré les doutes qui assaillent forcément tous ceux qui ont décidé de faire leur vie ensemble, l’amour qu’il porte à sa merveilleuse [B] semble rester aussi fort »).

Ces éléments, qui ont trait tant aux relations du demandeur avec sa compagne qu’à un moment privilégié passé avec sa famille lors de ses congés, ressortent non pas de sa vie professionnelle mais du domaine de sa privée.

Si certains éléments évoqués – telle la vie commune du demandeur et d'[B] [K] – sont notoires, tel n’est pas le cas du lieu et de la date de leurs vacances, de leurs activités durant ce séjour, ou encore de l’état de leurs sentiments amoureux, qu’il s’agisse de l’évocation de dissensions passées ou de digressions sur leur bonheur présent.

En outre le caractère anodin ou banal de l’information rapportée, à le supposer établi, est sans impact sur la caractérisation de l’atteinte au droit à la vie privée du demandeur.

Ainsi, en évoquant ces éléments sans l’autorisation de [Y] [F], alors qu’aucun sujet d’actualité ni débat d’intérêt général ne le justifiait, l’atteinte à la vie privée du demandeur se trouve caractérisée.

Cette atteinte est prolongée par l’utilisation de photographies de [Y] [F], prises sans son consentement et à son insu, qui viennent illustrer les propos tenus dans l’article, notamment en présentant le demandeur et sa compagne partageant un moment de complicité avec leurs enfants à la plage.

La société défenderesse ne justifie, ni ne se prévaut, d’aucune autorisation donnée par [Y] [F] pour voir les photographies le représentant publiées en illustration de l’article litigieux, étant observé que leur captation dans un lieu public, fût-il touristique ou prisé des personnalités, ne dispensait pas la société défenderesse d’obtenir l’accord du demandeur pour pouvoir les utiliser comme elle l’a fait.

Ainsi, en publiant des photographies représentant [Y] [F] sans son autorisation et sans que cela soit rendu nécessaire par un débat d’intérêt général ou par un lien avec un sujet d’actualité, mais pour illustrer des propos en partie attentatoires à sa vie privée, la publication litigieuse a porté atteinte à son droit à l’image.

Les atteintes alléguées sont ainsi caractérisées.

Sur les mesures sollicitées

L’atteinte au respect dû à la vie privée et l’atteinte au droit à l’image constituent des sources de préjudice distinctes, pouvant ouvrir droit à des réparations différenciées à condition qu’elles soient dissociables.

S’agissant de l’atteinte à la vie privée, l’allocation de dommages et intérêts ne se mesure pas à la gravité de la faute commise, ni au chiffre d’affaires réalisé par l’éditeur de l’organe de presse en cause ; cependant, la répétition des atteintes, comme l’étendue de la divulgation et l’importance du lectorat de ce magazine à fort tirage, sont de nature à accroitre le préjudice.

En outre, l’utilisation de l’image d’une personne sans autorisation est de nature à provoquer chez son titulaire un dommage moral, la seule constatation de l’atteinte à ce droit par voie de presse ouvrant droit à réparation. Le demandeur doit toutefois justifier de l’étendue du dommage allégué, le préjudice étant apprécié concrètement, au jour où le juge statue, compte tenu de la nature des atteintes et des éléments versés aux débats.

Au soutien de sa demande indemnitaire, [Y] [F] souligne l’importance de son préjudice, découlant de l’intrusion dans sa vie privée par la société éditrice et ce alors que trois procédures étaient pendantes à l’encontre de celle-ci pour des faits similaires, circonstances de nature à faire naître chez lui un sentiment d’impuissance, ainsi que de la publication de photographies de sa personne réalisées sans son consentement.

La société défenderesse relève que la publication litigieuse se contente de rendre compte du bonheur conjugal et familial du demandeur sans procéder à aucune révélation, comme le démontre l’absence de mention “scoop”, sur un ton bienveillant, n’excédant pas ce que le demandeur, personnalité publique, est en droit d’attendre dans les circonstances rappelées, les clichés ne présentant pas [Y] [F] sous un jour dévalorisant et ayant été captées dans un espace public. Elle souligne la complaisance du demandeur vis-à-vis des médias, de nature à minorer le préjudice, et l’absence de toute justification de l’ampleur du préjudice alors même que la diffusion du magazine Public est réduite. Elle estime que le préjudice ne peut découler que de la publication attaquée, et non d’éventuelles précédentes condamnations.

A titre préalable, il sera relevé que si le préjudice moral causé par la publication en cause est lié à une double atteinte, l’une à la vie privée, l’autre au droit à l’image, il doit être apprécié de manière globale dès lors que ces deux atteintes sont intrinsèquement liées.

En l’espèce, pour évaluer l’étendue du préjudice moral de [Y] [F] consécutif à la publication litigieuse, il convient de prendre en compte le fait que celui-ci subit l’exposition au public d’éléments de sa vie privée dans un article annoncé en page de couverture d’un hebdomadaire, sous la promesse de l’exclusivité symbolisée par la mention « Photos exclus », propre à attirer l’attention d’un public plus large que celui des seuls acheteurs du magazine.

Il convient également de prendre en considération le fait que les atteintes à ses droits ont été commises par la société éditrice en dépit de précédentes procédures engagées au même moment à raison d’atteintes de même nature, ayant débouché par la suite sur des condamnations (pièces 15, 16 et 17 en demande), le magazine ayant édité en quelques mois quatre articles évoquant le demandeur. Ainsi, le préjudice subi du fait de la publication querellée se trouve renforcé par la répétition en peu de temps d’atteintes à son droit à la vie privée et à son droit à l’image, propres à faire naître le sentiment d'« impuissance » mis en avant par le demandeur.

De plus, si la société défenderesse invoque le caractère bienveillant de l’article, qui vient effectivement souligner le bonheur actuel du demandeur (« les amoureux ont savouré chaque moment »), il sera relevé qu’il informe le lecteur qu’il a traversé une période où les relations au sein du couple auraient été plus difficiles (« il ne veut pas renouer avec l’échec amoureux […] Il y a quelque mois, il s’est également fait peur avec [B]… », « il a décidé de prendre du temps pour sa chérie », « malgré quelques tempêtes, malgré les doutes […] l’amour qu’il porte à sa merveilleuse [B] semble rester aussi fort »).

Enfin, il y a lieu de retenir que l’intéressé a été photographié probablement avec un téléobjectif, accompagné de sa compagne et de leurs enfants, à l’occasion de moments d’intimité, et ce, durant plusieurs heures, ce qui démontre une surveillance préjudiciable de leurs activités de loisirs.

Certains éléments commandent toutefois une appréciation plus modérée du préjudice subi.

Il sera en premier lieu souligné que [Y] [F] ne produit aucune pièce de nature à préciser le préjudice résultant spécifiquement pour lui de la publication de l’article, dont les clichés ne comportent aucun caractère dégradant ou dénigrant à son endroit.

La société défenderesse se prévaut de la complaisance du demandeur vis-à-vis des médias pour conclure à une minoration de l’indemnisation de son préjudice. Il sera observé que [Y] [F] a livré, au cours d’interviews accordées à des journaux, au milieu de propos portant sur sa vie professionnelle, quelques éléments relatifs sa vie privée, évoquant notamment son adolescence et son éducation et sa paternité (pièces 7, 8, 9, 10, 41 en défense, propos remontant aux années 2010), déclarant, encore récemment dans une interview pour le magazine Society paru en mars 2023 « je suis parti au ski avec deux de mes enfants » et décrivant son état amoureux (pièce 31 en défense). Enfin, son compte Instagram public « [Y][F]officiel » accueille quelques photographies de son lieu de villégiature, ainsi que de sa compagne et l’un de ses enfants – la seconde photographie montrant sa compagne et un enfant de dos, commentée par les termes « my love » suivis d’un cœur (pièces 28 et 33 en défense), le compte de son épouse publiant également plusieurs images de leurs vacances dans une story (pièce n°26 en défense).

Si ces publications, dans leur majorité anciennes, ne sont pas en elle-même révélatrices d’une volonté de [Y] [F] de renoncer à maintenir dans la sphère privée les composantes de sa vie familiale et amoureuse, elles sont de nature à attiser la curiosité du public sur ses relations sentimentales et familiales.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, il convient d’allouer à [Y] [F], à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice, la somme de 4 000 euros pour les atteintes portées à son droit au respect de sa vie privée et à son droit à l’image au sein du magazine Public n°1025 paru le 3 mars 2023.

Par ailleurs, la publication d’un communiqué judiciaire ne sera pas ordonnée, le préjudice étant suffisamment réparé par l’allocation de dommages et intérêts.

Sur les demandes accessoires

La société CMI FRANCE, qui succombe, sera condamnée aux dépens, avec distraction au profit de Maître ENNOCHI conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de [Y] [F] les frais exposés par lui au titre de la présente procédure, il y a lieu en conséquence de condamner la société CMI FRANCE à lui payer la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Enfin, il sera rappelé que l’exécution provisoire est de droit, l’assignation du demandeur ayant été introduite après le 1er janvier 2020.

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Condamne la société CMI FRANCE à payer à [Y] [F] la somme de QUATRE MILLE euros (4 000 €) en réparation de son préjudice moral résultant des atteintes portées à son droit à la vie privée et à son droit à l’image ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamne la société CMI FRANCE aux dépens, avec distraction au profit de Maître ENNOCHI conformément à l’article 699 du code de procédure civile ;

Condamne la société CMI FRANCE à payer à [Y] [F] la somme de DEUX MILLE euros (2 000 €) en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Rappelle que l’exécution provisoire est de droit nonobstant appel.

Fait et jugé à Paris le 24 Janvier 2024

Le GreffierLe Président

Extraits similaires
highlight
Extraits similaires
Extraits les plus copiés
Extraits similaires

Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code civil
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Tribunal Judiciaire de Paris, 17e chambre presse civile, 24 janvier 2024, n° 23/03441