CAA de Paris, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 94PA00476

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Sur la décision

Référence :
CAA
Juridiction : Cour administrative d'appel
Précédents jurisprudentiels : CE21juillet 1989 Bendjador RJF 8.9/89 n° 998
CE 8 janvier 1993 Spitaletto RJF 3/93 n° 319

Texte intégral

N°94PA00476
SARL Industrie et Finance
Audience du 23 novembre 1995
Lecture du 7 décembre 1995
Conclusions de M. X, Commissaire du Gouvernement
La société à responsabilité limitée Industrie et Finance dont le capital était détenu par les deux enfants de M. C B, son liquidateur et, semble-t-il, son gérant de fait, a eu -jusqu’à sa mise en liquidation en 1986- une activité de marchand de biens et d’entremise en matière immobilière. Elle a fait l’objet d’une vérification de comptabilité qui a conduit à des redressements au titre de l’impôt sur les sociétés pour les exercices clos les 31 décembre 1982 et 1983.
Les services fiscaux ont eu recours à la procédure de taxation d’office, les déclarations de résultats ayant été déposées hors délai. Faisant régulièrement appel du jugement du 4juin 1993 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande de décharge de ces compléments d’imposition, elle reprend la contestation présentée en première instance sur les cinq chefs de redressement dont elle a fait l’objet. Avant d’examiner le bien-fondé de ces redressements, il faut prendre acte du dégrèvement qui a été prononcé en cours d’instance par l’administration résultant de l’abandon de la pénalité de l’article 1763 A à laquelle elle a été assujettie. Il n’y a plus lieu à statuer à hauteur de 204.600F. Par ailleurs vous écarterez la contestation de la régularité du jugement présentée « pour la forme », semble-t-il, par le conseil de la requérante. Contrairement à ce qu’elle soutient le jugement est suffisamment motivé et la circonstance que l’expédition qui lui a été notifiée ne comporte pas la signature du Président n’entraîne pas violation de l’article R.204 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel. Aux termes de cet article c’est en effet la minute qui doit être signée par le Président, mais le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel n’exige pas que les expéditions du jugement, qui sont régies par l’article R.210 (et non R.204), le soient également. La seule signature exigée est celle du secrétaire greffier.
I) S’agissant du bien-fondé des impositions vous écarterez sans grande difficulté la contestation présentée sur trois des cinq chefs de redressement car la société requérante n’apporte nullement la preuve qui lui incombe compte tenu du fait qu’elle a été taxée d’office (article L.66 du livre des procédures fiscales).
Les services fiscaux ont à juste titre réintégré les salaires versés en 1981 à hauteur de 17.500F à M. Y, l’un des deux associés de la société, dès lors que celle-ci ne justifie pas de la réalité du travail accompli. Il en va de même pour la réintégration de la somme de 55.000F versée en 1982 à Mlle Z. Cette somme n’a pas été déclarée conformément à l’article 238 du code général des impôts, et par ailleurs la réalité de l’opération d’entremise n’est pas établie. La société a également constitué en 1982 une provision d’un montant de 250.000 F pour tenir compte du prix de 672.000 F (« surévalué » selon elle) qu’elle a payé pour acquérir le 10 mai 1982 deux lots d’un immeuble représentant les murs d’un restaurant et d’un magasin d’épicerie ainsi que les éléments incorporels du fonds du restaurant.
L’évaluation du prix d’achat aurait été faite sur la base d’un loyer de 60.000F erroné dans la mesure où le restaurant était en location gérance, et où cette somme de 60.000F comportait des redevances de location gérance de 24.000F, ce qui ramènerait le niveau du loyer à 36.000 F.
L’argumentation est peu pertinente au regard du bail conclu -après l’achat de l’immeuble par la société requérante -avec l’exploitant du restaurant qui fait apparaître un loyer- pour les seuls murs (c’est-à-dire sans les éléments incorporels du fonds de commerce) de 57.600F.Au demeurant la société ne justifie nullement à la clôture de l’exercice d’événements rendant probable un risque de perte sur la revente de l’immeuble. Vous confirmerez là aussi le bien fondé du redressement.
Nous en arrivons donc aux deux chefs de redressement qui posent davantage problème, le premier fondé sur le caractère « anormal » de l’emprunt réalisé auprès de M. A, le second procédant de la réintégration dans les résultats de 1982 d’une somme de 352.000 F.
II) La société a passé en charges de l’exercice 1982 (pour un montant de 354.277 F) les intérêts versés à M. A à raison du prêt de 650.000 F que lui a consenti celui-ci pour un taux de 32%. Cet emprunt était destiné à faire face à des besoins de trésorerie avant le démarrage de la commercialisation d’un programme immobilier.
En 1980 le taux d’intérêt moyen consenti par les banques aux professionnels de l’immobilier se situait entre 13 et 17%, et le taux de l’usure fin 1980 était de 28,40 %.Les services fiscaux ont considéré que ce taux de 32% était excessif et ne correspondait pas à une gestion normale de l’entreprise ; ils ont donc réintégré dans les résultats une fraction des frais financiers déduits sur la base d’un taux de 16%. Il faut préciser que M. A, le prêteur, se trouvait être l’associé de M. C B, au sein d’une société civile immobilière, la SCI Le Parc du Château.
Ils détenaient chacun 25 % des parts, ce qui a conduit les services fiscaux à considérer qu’il y avait une communauté d’intérêts entre l’emprunteur et le prêteur.
Il appartient à la société requérante, compte tenu de la procédure de taxation d’office de démontrer que le taux de 32% ne relève pas d’une gestion anormale (CE 8 janvier 1993 Spitaletto RJF 3/93 n°319).
Elle s’y emploie en avançant des circonstances propres à sa situation financière caractérisée notamment par un endettement important (plus de 5 millions de francs pour 100.000F de fonds propres au 31 décembre 1981) rendant difficile, sinon impossible, le recours aux banques, lesquelles auraient nécessairement exigé la fourniture de garanties que ni le patrimoine de la société ni ses associés ne pouvaient supporter. Elle fait également valoir les modalités du prêt, avec notamment l’absence de garanties, la possibilité de rembourser à la période la plus opportune, ce qui, compte tenu du caractère incertain du terme pour le prêteur, avait pour conséquence d’augmenter le coût du crédit.
Mais pour autant la société ne justifie pas, nous semble-t-il, de l’intérêt qu’il y avait pour elle à emprunter à l’associé de M. B à un taux aussi élevé. D’une part elle n’apporte aucun élément de nature à établir que les banques n’étaient pas en mesure de couvrir son besoin de financement à des conditions plus raisonnables pour elle. Il n’y a pas au dossier de document portant trace des démarches qu’aurait faites la société auprès des établissements bancaires pour se procurer les fonds nécessaires à un taux plus modéré que ces 32 %. Par ailleurs elle ne justifie pas de ce qu’il lui était impossible ou « inintéressant » de fournir les garanties nécessaires à l’obtention des fonds sur le marché bancaire. Dans la requête elle se borne à affirmer, sans étayer cette allégation, qu’il n’était pas dans son intérêt d’hypothéquer son patrimoine et que par ailleurs les associés n’avaient pas avantage à se porter caution des engagements de la société. Mais ce n’est nullement démontré et on peut au contraire penser que la constitution de garanties lui aurait sans doute permis d’emprunter à des conditions moins drastiques. On doit enfin noter que le Ministre fait valoir, sans être contredit, qu’à la même époque Industrie et Finance a emprunté au taux de 14 et 15 % auprès de sociétés apparentées. On ne perçoit pas quel pouvait être l’intérêt pour elle de recourir aux fonds privés de M. A, dans des conditions aussi dérogatoires à celles qu’offraient le marché ou « les sociétés apparentées ».
La preuve de ce que cet emprunt relevait d’une gestion commerciale normale n’est donc pas apportée, et vous écarterez donc la contestation de la société sur ce point.
III) Reste à examiner le dernier chef de redressement lié à la réintégration dans les résultats de 1982 d’une somme de 352.000 F, qui correspond selon les services fiscaux à une créance détenue par la société à l’encontre d’une autre société, la société FIPARTRA-DEVARS-NAUDO (FDN) avec laquelle elle s’est « associée » pour la réalisation d’un projet immobilier.
La société requérante était titulaire depuis le 12juillet 1980 d’une promesse de vente d’un terrain situé 42, […] à Neuilly-sur-Seine sur lequel elle envisageait la réalisation d’un programme immobilier après démolition des constructions existantes. Mais n’ayant pas les capacités financières pour mener à bien ce projet elle a convenu avec la société FDN de lui céder cette promesse de vente. Un protocole d’accord a été signé le 3 février 1982 puis modifié peu de temps après, le 18 mars 1982, pour tenir compte du fait que Industrie et Finance n’avait pu se rendre acquéreur -comme il était convenu initialement- du terrain voisin (40, […]) et de la révision en conséquence du projet immobilier. Aux termes de cet accord Industrie et Finance devait céder la promesse du 42, […] pour un prix forfaitaire de 7.590.000 F(TTC). Mais les difficultés de pré-commercialisation du projet ont conduit à une nouvelle modification du protocole, le 20 juillet 1982, qui maintient ce prix forfaitaire de 7.590.000 F mais modifie quelque peu les conditions de son règlement pour tenir compte de l’option réservée au vendeur du terrain de se faire payer par la remise de locaux pour un montant de 352.000 F.
Le nouvel acte prévoit qu’au cas où cette option serait exercée cette somme de 352.000 F serait déduite du règlement du prix par la société FDN.
En revanche, dans le cas où le paiement en dation du terrain serait remplacé par un paiement en numéraire, c’est-à-dire que serait annulée l’obligation de livrer des locaux au vendeur du terrain, cette somme de 352.000 F serait restituée à Industrie et Finance.
Autrement dit le prix d’achat de la promesse par la société FDN variait de plus ou moins cette somme de 352.000 F selon qu’elle serait tenue ou non de procéder à un paiement en dation de locaux au vendeur du terrain.
Les opérations de contrôle ont permis aux services fiscaux de constater que l’opération n’avait été comptabilisée que pour un montant de 7.238.000 F (TTC) ce qui veut dire, en clair, que Industrie et Finance n’avait pas comptabilisé cette somme de 352.000 F. Elle a donc été réintégrée aux résultats au motif que le prix de vente figurant sur le protocole d’accord était de 7.590.000 F et que la société ne justifiait pas du non paiement par FDN de la somme de 352.000 F en raison d’une non remise des locaux au vendeur du terrain.
Toutefois dans le cadre de l’instance contentieuse la société requérante a produit un nouvel acte daté du 20 juillet 1982 (le jour même du dernier protocole d’accord avec FDN) par lequel elle aurait en définitive cédé la promesse à une filiale de FDN, la société civile immobilière Le Parc du Château pour un montant de 7.238.000 F réduisant donc de 352.000 F le prix initial.
Nous utilisons le conditionnel parce que tout le litige se « cristallise » sur la question de savoir si vous devez prendre en considération ce document.
Le Ministre répond par la négative en faisant valoir qu’il est dépourvu de caractère authentique et n’a pas date certaine ; bien qu’il n’invoque pas expressément cet article vous pourriez être tentés de considérer que le Ministre fait référence à l’article 1840A qui prescrit la nullité des promesses unilatérales de vente, et des cessions portant sur ces promesses, qui n’ont pas fait l’objet d’un acte authentique ou d’un acte sous seing privé enregistré dans les dix jours. Mais cet article qui prescrit l’enregistrement pour des raisons de lutte contre les fraudes possibles en matière de droits d’enregistrement ne fait qu’édicter une sanction civile du non-respect de dispositions fiscales, à savoir la nullité d’ordre public du contrat. Or vous savez que la nullité des contrats de droit privé ne peut être prononcée que par le juge judiciaire.
A supposer même que le Ministre ait entendu invoquer l’article 1840 A, son argumentation est vouée à l’échec car ni le fisc ni le juge administratif n’ont le pouvoir de déclarer la nullité d’un contrat de droit privé.
Il est vrai qu’indépendamment même de l’article1840 A du code général des impôts il appartient au contribuable d’apporter la preuve de l’existence et de la date de l’acte qu’il entend opposer à l’administration, mais cela ne signifie pas pour autant que les actes sous seing privé ne sont pas opposables à l’administration, y compris lorsqu’ils n’ont pas été enregistrés conformément à l’article 1328 du code civil. En l’espèce nous ne pensons pas que ce dernier acte ait été fabriqué après coup pour les besoins de la cause. En première instance la société a exposé dès la requête, les circonstances, vraisemblables, liées à la négociation en cours avec FDN qui l’ont amenée à vouloir vendre au plus vite cette promesse, quitte à renoncer au paiement de ce surprix de 352.000 F. Ces circonstances tenaient d’une part au fait que FDN était de plus en plus réticent à se lancer dans un programme dont la pré-commercialisation se révélait difficile et d’autre part à ce que les vendeurs du terrain menaçaient de ne pas prolonger la promesse de vente au-delà du 1er octobre 1983,ce qui exposait Industrie et Finance à perdre les dépenses déjà engagées dans le projet. On peut donc concevoir que dans l’après-midi du 20 juillet Industrie et Finance ait décidé de céder la promesse pour un prix ferme et définitif de 7.328.000 F. Les modalités de règlement de ce prix, avec paiement immédiat de 5 millions de francs et deux autres paiements les 15 novembre 1982 et 15 mars 1983, confortent également la thèse selon laquelle la société, déjà fortement endettée, a finalement décidé de se désengager du projet moyennant un abandon du supplément des 352.000 F lié à la remise en dation de locaux au vendeur du terrain et un versement rapide du prix ainsi obtenu. Nous pensons donc qu’il vous faut admettre l’existence même de ce quatrième acte. Si au demeurant vous considériez que la requérante n’établit pas l’existence de cet acte vous vous trouveriez devant la situation assez étonnante d’une cession, dont il est constant qu’elle a été réalisée au bénéfice de la société civile immobilière Le Parc du Château, mais dépourvue de tout fondement juridique non formalisée par un acte puisque le 1er acte du 20juillet 1982 n’est qu’un protocole ne comportant pas cession.
L’administration est, en revanche, en droit, sur le fondement de la théorie de l’abus de droit, et notamment des dispositions de l’article L.64 du livre des procédures fiscales, d’écarter le document en question, comme ne lui étant pas opposable, dans la mesure où il n’a eu pour objet que d’éluder l’imposition. Mais en l’espèce il lui appartient d’apporter la preuve du caractère fictif de ce contrat signé le 20 juillet 1983 avec la société civile immobilière Le Parc du Château puisqu’elle s’est abstenue de prendre l’avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit ; et il vous appartient le cas échéant de replacer le litige sur ce terrain puisque en soutenant que le contribuable a dissimulé, sous l’apparence d’une cession à un autre acheteur pour un prix moindre, une remise injustifiée sur le prix de cession, l’administration doit être regardée comme invoquant implicitement mais nécessairement l’abus de droit (CE21juillet 1989 Bendjador RJF 8.9/89 n°998).
Le Ministre fait valoir dans sa défense qu’aucune explication n’est fournie quant à la signature, le même jour, de deux actes stipulant des conditions différentes et notamment la disparition de la somme de 352.000 F du second contrat.
Mais ces affirmations sont tout à fait inexactes puisque dans sa requête devant le tribunal la société Industrie et Finance a largement explicité les raisons qui l’ont amenée à conclure durant l’après-midi du 20 juillet avec la société civile immobilière Le Parc du Château, filiale de FDN, (en abandonnant les 352.000 F), qui sont liées aux difficultés de la négociation dans un contexte marqué à la fois par les réticences de FDN à s’engager dans un programme à la pré-commercialisation difficile et par la menace des propriétaires du terrain de ne pas renouveler la promesse de vente. On peut comprendre que dans ce contexte la société ait décidé de vendre au plus vite quitte à renoncer aux 352.000 F. Il nous semble donc que le contrat passé avec la société civile immobilière ne peut être écarté ; et dans ces conditions cette somme de 352.000 F ne pouvait être réintégrée dans les résultats. Vous prononcerez la décharge de cette somme pour 1982.
IV) L’administration n’apporte aucun élément de nature à établir la mauvaise foi de la société et vous prononcerez donc également la décharge des pénalités pour mauvaise foi. Vous accorderez à la société Industrie et Finance la somme de 5.000 F au titre de l’article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel.
Par ces motifs, nous concluons :
1) au non-lieu à statuer à hauteur du dégrèvement prononcé sur la pénalité de l’article 1763 A à hauteur de 204.600F en 1982 ;
2) à la réduction de la base imposable en 1982 de 352.000 F (TTC) soit 296.796 F (HT) et à la décharge en conséquence ;
3) à la décharge des pénalités pour mauvaise foi avec substitution des intérêts de retard pour 1982 et 1983 ;
4) à la condamnation de l’Etat à payer 5.000 F à la société requérante au titre de l’article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;
5) à la réformation du jugement en ce qu’il a de contraire et au rejet du surplus des conclusions de la requête.

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