CAA de Paris, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 93PA00157

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Sur la décision

Référence :
CAA
Juridiction : Cour administrative d'appel
Décision précédente : Tribunal administratif de Paris, 21 octobre 1992
Précédents jurisprudentiels : CAA Paris 25 juillet 1989 Boudot de la Motte, RJF 10/89 n° 1074
CE 13 juillet 1979 n° 5763 plénière publié à la RJF 10/79 n° 567
CE 22 mai 1992, req.70475 Tennin RJF 7/92 n° 945
CE 23novembre 1992 n° 116317
CE 26 juillet 1991 N° 79903 Malguy - RJF 10/91 n° 1186
CE 29juillet 1994:119.896, 125.762 et 125.947
CE 6juillet 1994:129.889 - 129890
CE 9 juillet 1986 N° 49648 RJF 1O/86 n° 862

Texte intégral

93PA00157 M. X
Audience du 16 février 1995
Lecture du 2 mars 1995
CONCLUSIONS de Madame Y, Commissaire du Gouvernement M. X détenait en 1987, 31 % d’une copropriété de navire dénommée « Roaring-Forty » dont le siège social est situé « Au Marin » à la Martinique. Cette copropriété, dont la gestion est assurée par un associé minoritaire, la société de gestion maritime, a pour objet l’exploitation d’un navire portant la même dénomination (Roaring-Forty) dont le port d’attache est situé en Martinique. M. X qui est domicilié à St-Cloud a déposé une déclaration de revenus catégoriel – 2031 – (Bénéfices industriels et commerciaux) correspondant à cette activité menée dans les Caraïbes ; mais il a omis de reporter sur sa déclaration d’ensemble des revenus le déficit résultant de cette activité et qui s’élevait au titre de l’année 1987 à 416.613F. M. X a demandé au service la rectification de cette omission, mais n’a obtenu que très partiellement la déduction de ce déficit sur son revenu global, dès lors que l’administration a refusé de tenir compte :
- de l’investissement à hauteur de Z, estimant que M. X ne pouvait bénéficier des mesures alors prévues, à l’article 238 bis HA du code général des impôts, en faveur des investissements dans les départements et territoires d’outre-mer.
- et de l’amortissement du bateau, exclu à hauteur de 10.415F du déficit, en application des dispositions de l’article 31 de l’annexe II au code général des impôts, l’administration soutenant que l’amortissement devait être limité au montant des loyers diminué des charges. M. X a contesté le rejet de cet important déficit mais n’a obtenu satisfaction ni devant le directeur des services fiscaux, ni devant le tribunal administratif qui a rejeté sa demande par jugement du 22 octobre 1992.
Il fait appel de ce jugement.
Nous vous indiquerons immédiatement que le litige a perdu la plus grande partie de son intérêt financier pour M. X dès lors que le ministre du budget, dans son mémoire en défense enregistré le 5 juillet 1994 a accordé au contribuable le bénéfice de la déduction pour investissement dans les départements d’outre-mer, c’est-à-dire le bénéfice de la loi dite « Pons » de défiscalisation. M. X a ainsi obtenu un dégrèvement d’office correspondant à une réduction de Z de sa base d’impôt sur le revenu de l’année 1987. Le dégrèvement a été prononcé le 28 juillet 1987, soit après l’introduction de la requête. Vous déciderez donc qu’il n’y a plus lieu à statuer à hauteur de cette somme et vous n’aurez plus à vous pencher sur le problème de « défiscalisation ».
Reste donc en litige l’amortissement écarté du déficit pour un montant de 10.415F car limité au montant des loyers. Mais il s’agit d’une question de principe que le contribuable entend soumettre à votre censure.
Avant d’aborder ce problème de fond, vous serez amenés à examiner deux premiers moyens tirés :
1°) de l’irrégularité en la forme du jugement.
2°) de l’irrégularité de la procédure.
I – En ce qui concerne l’irrégularité en la forme du jugement rendu le 22 octobre 1992 par le tribunal administratif de Paris, vous ne pourrez que constater que, comme le soutient le requérant, ce jugement ne fait pas la preuve de ce que la procédure à l’issue de laquelle il a été prononcé a été régulière, dès lors qu’il ne mentionne pas que l’audience à laquelle l’affaire de M. X a été appelée, a été publique.
Or, tout jugement doit porter en lui-même la preuve de sa régularité, et doit y figurer les mentions dont la présence est exigée par un texte.
L’article R.195 du code des tribunaux administratifs prévoit que « Les audiences des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel sont publiques » ; et l’article R.200 du même code précise : « Les jugements et arrêts mentionnent que l’audience a été publique ».
Le Conseil d’Etat veille au respect de ces dispositions et, en tant que juge de cassation a annulé différents arrêts des cours administratives d’appel qui ne mentionnaient que l’audience à laquelle l’affaire avait été portée était publique [CE 23novembre 1992 n°116317 SARL discothèque du Sud-Ouest – DF 1992C.863 RJF 1/93 n°135 confirmé plusieurs fois notamment en juillet dernier. CE 6juillet 1994 : 129.889 – 129890 ; CE 29juillet 1994 : 119.896, 125.762 et 125.947.]
Vous annulerez donc le jugement rendu le 22 octobre 1992 par le tribunal administratif de Paris, et dans les circonstances de l’affaire, il y aura lieu d’évoquer et de statuer sur la demande.
Dès lors que nous vous proposons d’annuler le jugement sur ce motif, vous n’aurez plus à examiner les autres griefs formulés par le requérant contre la régularité du jugement.
II – En ce qui concerne la régularité de la procédure d’imposition, contestée tant en 1Šre instance qu’en appel, le différend à cet égard ne retiendra pas longtemps votre attention. M. X reproche à l’administration d’avoir engagé à son encontre une procédure de contrôle qui n’aurait pas été assortie des garanties prévues par la loi et aurait abouti à un redressement de son revenu catégoriel (bénéfices industriels et commerciaux).
L’administration ne répond pas à ce moyen. Mais nous rappelons que M. X a été imposé au titre de 1987 sur ses propres déclarations. Que, c’est lui-même qui a présenté une réclamation sollicitant un dégrèvement procédant de la prise en compte de son déficit catégoriel au niveau de son revenu global. Qu’il ne peut s’étonner de ce que le service lui ait demandé les pièces justifiant sa demande de déduction. Ainsi M. X ne peut soutenir utilement qu’il a fait l’objet d’une procédure de contrôle non assortie des garanties légales.
III – Nous en venons maintenant à la principale question de droit, restant en litige, celle relative à l’application de l’article 31 de l’annexe II au code général des impôts, qui pose, il faut bien l’admettre un certain nombre de problèmes délicats.
Les articles 30 et 31 de l’annexe II au code général des impôts concernent l’amortissement des biens donnés en location ; ces articles issus du décret 65-1101 du 15 décembre 1965 pris pour l’application de l’article 39 c du code général des impôts (qui prévoit un régime dérogatoire pour les biens donnés en location) disposent :
L’article 30 : « Les biens donnés en location sont amortis sur leur durée normale d’utilisation quelle que soit la durée de la location ».
L’article 31 : "Si la location est consentie, directement ou indirectement, par une personne physique, le montant de l’amortissement ne peut excéder le montant du loyer perçu pendant l’exercice considéré diminué du montant des autres charges afférentes au bien donné en location.
L’objet de cet article 31 de l’annexe II au code général des impôts qui vise donc exclusivement les particuliers relevant de l’impôt sur le revenu et non les professionnels, est d’empêcher la constitution, par le biais d’une annuité d’amortissement supérieure au loyer diminué des charges de gestion, de déficits fictifs dont le montant pouvait, par application des dispositions combinées des articles 13 et 156-1° du code général des impôts s’imputer sur les revenus de toute nature passibles de l’impôt sur le revenu. En revanche l’article 31 de l’annexe II concerne toutes les locations de biens meubles.
Votre cour a déjà eu à contrôler et a même admis l’application de ce texte réglementaire de l’article 31 de l’annexe II au code général des impôts en ce qui concerne des locations de bateaux. Dans l’affaire qui vous était soumise, le requérant (il s’agissait de l’un des deux associés d’une société de fait) soutenait que la présence d’un skipper, donnait au contrat de location de bateau le caractère d’une convention de louage de service non soumise aux dispositions de l’article 31 de l’annexe II au code général des impôts. Mais votre cour a estimé que la présence du skipper ne suffisait pas à conférer à l’affrètement le caractère d’un contrat de louage de service- [CAA Paris 25 juillet 1989 Boudot de la Motte, RJF 10/89 n°1074]- et a confirmé en l’espèce le plafonnement prévu à l’article 31 de l’annexe II au code général des impôts. Voir aussi un arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon 14 décembre 1989 [n°210 Chancel].
En revanche le Conseil d’Etat a eu l’occasion de juger au sujet d’une entreprise individuelle de location de bateaux, que compte tenu de leur nature et de leur étendue, les prestations fournies, confèrent au contrat d’affrètement le caractère de convention de louage de service ; la Haute assemblée a décidé que ces prestations ne pouvaient être regardées comme des locations de louage de chose au sens de l’article 31 de l’annexe II au code général des impôts -CE 22 mai 1992, req.70475 Tennin RJF 7/92 n° 945 Les Petites affiches 9 décembre 1992 n° 148 p. 4 avec les conclusions de M. A de Casanova- Le commissaire du Gouvernement soulignait : « qu’une disposition dérogatoire comme celle qui est ici en cause (article 3 1 de l’Annexe II au code général des impôts) ne peut s’interpréter que strictement. Prévue pour le louage de chose, elle ne saurait concerner le louage d’ouvrage et de service ». Et après avoir distingué les différents types de contrat d’affrètements, contrat par lequel un « fréteur » s’engage à mettre un navire à la disposition d’un « affréteur » moyennant le paiement d’une somme donnée, M. A de Casanova concluait que « seul l’affrètement coque nue » tel qu’il est défini par la loi 68-420 du 18 juin 1966 paraît incontestablement concerné par la limitation du droit à amortir« . Et M. du Pontavice dans son ouvrage »transports maritimes et affrètements« , précise que cette expression de »coque nue" est ancienne ; qu’il s’agit de navires munis de leurs moyens de propulsion et de toutes leurs installations fixes ou mobiles destinées au logement de l’équipage ou au transport des marchandises, mais loués sans armement, ni équipage.
Or dans l’affaire qui vous est soumise la contestation relative au type d’affrètement en cause, ne peut prospérer dès lors que figure en pièces jointes au dossier de première instance :
- la charte-partie (ou contrat d’affrètement) « coque nue » signée le 15 décembre 1987 par le gérant du Roaring Forty, avec une société « affréteur ».
- le rapport d’activité de la copropriété pour 1987 fait état de ce seul affrètement « coque nue » signé le 15 décembre qui a constitué la seule exploitation du navire en 1987 durant 17 jours.
Ainsi en 1987, le Roaring Forty avait donc fait l’objet d’un affrètement « coque nue » incontestablement concerné par la limitation du droit à amortir, dès lors que cet affrètement est regardé par une jurisprudence constante comme une location de bateau.
Mais dans les cas d’espèce précités, soumis à la censure des Cours de Paris, de Lyon et du Conseil d’Etat, il s’agissait d’exploitations individuelles. En l’espèce, M. X soutient, question de principe, que le plafonnement de l’article 31 de l’annexe II au code général des impôts, ne trouve pas à s’appliquer aux copropriétés de navires qui relèvent d’un régime fiscal spécifique, lequel déroge au droit commun en matière d’amortissement ; le contribuable soutient que l’analyse faite par le service de la situation du quirataire est contraire à la loi du 30 décembre 1977 (loi de finances pour 1978) créant ce régime d’amortissement spécifique pour les copropriétés de navires.
A l’appui de cette analyse, le contribuable développe très largement une argumentation que nous qualifierons de technique, par rapport à la contestation générale.
- M. X soutient que le navire n’a pas été loué par une personne physique mais par la société de navire.
- qu’il n’a pas perçu de loyer au sens de l’article 31 de l’annexe II du code général des impôts, mais a reçu le versement d’une quote-part de résultats sur les opérations de l’entreprise et conteste ainsi le montant du plafonnement.
- il conteste à titre subsidiaire la légalité des dispositions du décret du 15 décembre 1965 dont est issu le litigieux article 31, et ceci par rapport à l’article 39 B du code général des impôts.
Afin de répondre précisément à chacun des arguments, il ne nous semble pas inutile de faire brièvement le point sur le régime juridique, et surtout fiscal des copropriétés de navire.
La copropriété est l’une des formes les plus anciennes de l’exploitation de navires. Mais elle n’en est pas moins une institution bien vivante. Une grande partie de la flotte de pêche bretonne, continue à être armée en copropriété. On y recourt aussi de plus en plus pour la navigation de plaisance, en particulier dans les départements et territoires d’outre-mer.
Plusieurs personnes achètent donc en commun un bateau : chacun d’eux, quelquefois appelé « quirataire », est propriétaire d’une ou plusieurs parts ou « quirat ». Chaque quirataire peut vendre sa part. Quant au, bien connu, droit d’hypothèque, il était prévu initialement en faveur de l’armateur-gérant pour les besoins de l’armement sous réserve qu’il ait obtenu l’autorisation de la majorité des quirataires. Cependant la loi autorisait aussi chaque quirataire à hypothéquer sa part, mais toujours sous réserve de l’accord de la majorité en valeur des copropriétaires. C’est la loi n°67-5 du 3 janvier 1967 que nous analyserons ci-après qui a précisé que chaque copropriétaire peut hypothéquer librement sa part. Un système minutieux de publicité était alors imposé par un décret du 27octobre 1967 à la conservation des hypothèques maritimes tenue par le service des douanes. Ainsi chaque quirataire a un droit réel sur le navire, qu’il tire de son quirat.
Sur le plan juridique :
La copropriété de navire est actuellement régie par les articles 11 à 30 de la loi du 3 janvier 1967 portant statut des navires et, pour son application, par le décret n° 67-967 du 27octobre 1967.
Sans rentrer dans le détail du régime juridique procédant de cette loi, nous rappellerons seulement que les décisions sont prises à la majorité des membres. Les copropriétaires participent aux profits et aux pertes d’exploitation au prorata de leurs intérêts dans le navire ; mais (sauf convention contraire) ils sont tenus indéfiniment et solidairement des dettes, les copropriétaires-gérants ne pouvant quant à eux se soustraire conventionnellement de cette responsabilité indéfinie.
Mais aucune véritable définition de la nature juridique d’un groupement de copropriétaires de navire n’a été légalement arrêtée et la controverse à cet égard ne semble pas terminée si l’on se réfère à la réponse du ministre délégué au commerce et à l’artisanat à un parlementaire (JO AN 23 septembre 1991 p. 3946).
« La loi n°67-5 du 3 janvier 1967 portant statut des navires et autres bâtiments de mer dont le chapitre IV est consacré à l’exploitation des navires en copropriété, n’a pris parti ni sur la nature juridique ni sur la personnalité morale de cette institution particulière très souvent dénommée dans la pratique société de quirataires. Une telle dénomination n’apparaît d’ailleurs pas inexacte dans la mesure où elle répond bien dans la plupart des cas, sous le contrôle souverain des cours et tribunaux, aux caractéristiques de la société telle qu’elle est définie actuellement par l’article 1832 du code civil… Cette société sui generis d’un type très ancien peut d’ailleurs parfaitement revêtir un caractère commercial en raison de son objet… et elle peut très bien coexister avec des sociétés commerciales par la forme ayant pour objet l’exploitation d’un navire. Sa spécificité soulève toutefois des problèmes complexes, en particulier en ce qui concerne son éventuelle immatriculation au registre du commerce et des sociétés. En effet, la personnalité morale dont aux termes de l’article 1832 du code civil, les sociétés jouissent à compter de cette immatriculation leur permet de disposer d’un patrimoine autonome, constitué par les apports des associés et distincts du propre patrimoine de ceux-ci. Or, dans une société de quirataires, la propriété du navire reste de toute façon partagée entre les quirataires. Ce bien n’entre pas dans le patrimoine de la société qui se trouve ainsi dépourvue de tout élément d’actif. Il est donc permis de s’interroger sur la possibilité de procéder à l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés d’une société de quirataires, compte tenu des caractéristiques propres de celle-ci, qui semblent la condamner à rester une société en participation… »
Sur le plan fiscal
L’article 73 de la loi de finances pour 1978 (loi du 30décembre 1977) procède à une réforme des règles fiscales de la copropriété de navire, qui pour être précise n’en pose pas moins des problèmes d’harmonisation avec l’ensemble de la législation fiscale. Les dispositions de cette loi ont été codifiées sous les articles 8 quater, 39 E et 61 A du code général des impôts ; cette répartition dans 3 parties du code général des impôts se justifiant du fait que la loi précise :
- la situation fiscale de la copropriété,
- la situation fiscale du copropriétaire,
- et fixe un régime d’amortissement dérogatoire.
Pour la copropriété (rédaction du code général des impôts de 1987 applicable en l’espèce) :
Article 61 A : "Les résultats à déclarer par les copropriétés de navires mentionnées à l’article 8 quater sont déterminés dans les conditions prévues pour les exploitants individuels soumis au régime du bénéfice réel, avant déduction de l’amortissement du navire.
Les copropriétés de navires sont tenues aux obligations qui incombent à ces exploitants".
Pour le copropriétaire :
Article 8 quater. : « Chaque membre des copropriétés de navires régies par le chapitre IV de la loi n° 67-5 du 3 janvier 1967 portant statut des navires et autres bâtiments de mer est personnellement soumis à l’impôt sur le revenu à raison de la part correspondant à ses droits dans les résultats déclarés par la copropriété. »
Pour le régime dérogatoire d’amortissement :
Article 39 E : « Chaque membre des copropriétés de navires mentionnées à l’article 8 quater amortit le prix de revient de sa part de propriété suivant les modalités prévues à l’égard des navires pour la détermination des plus-values, les amortissements pratiqués viennent en déduction du prix de revient ».
L’objectif du législateur de 1977 transparaît notamment à travers les observations de la commission des finances. Après avoir proposé que la déduction de l’amortissement du navire ne soit plus effectuée par la copropriété mais par les quirataires, il était indiqué :
"Un tel système sera favorable pour les intéressés.
En effet :
- les modalités d’amortissement des navires sont généralement avantageuses ; (durée 6 à 8 ans – système dégressif même pour les biens achetés d’occasion).
- le quirataire aura la possibilité d’opérer l’amortissement sur la base du prix d’achat de sa part de propriété, alors qu’au niveau de la copropriété, il est effectué à partir de la valeur d’origine du navire ;
- l’assouplissement proposé offrira au quirataire la possibilité de définir sa propre politique d’amortissement, faculté qui, à l’heure actuelle, ne peut être exercée qu’au niveau de la société".
Ces règles mettent en évidence une difficulté générale, qui tient au caractère hybride du régime de la copropriété. Elle est considérée comme un « exploitant » et donc astreinte à l’ensemble des obligations qui en découlent (comptabilité, déclarations de résultats, contrôle). Mais, de son côté, chaque copropriétaire, du fait qu’il est appelé à pratiquer une politique autonome d’amortissement, acquiert en partie la qualité fiscale d'« exploitant ».
Nous avons donc analysé tant la situation juridique que fiscale de la copropriété de navire. A ce niveau de l’analyse, il faut bien admettre la pertinence de l’argumentation de principe du contribuable : la loi de 1977 a bien instauré un régime spécifique et dérogatoire en matière d’amortissement. Nulle référence légale ou nulle réserve légale quant au respect des autres dispositions de la loi de 1965 au surplus antérieures, relatives à l’amortissement.
Nous n’échapperons pas à vous rappeler le plus brièvement possible la législation sur l’amortissement. C’est en effet l’article 24 de la loi n° 65-566 du 12 juillet 1965 (donc antérieur au régime spécifique sus décrit) qui rompant avec des traditions anciennes suivant lesquelles l’inscription d’amortissements dans les écritures comptables et fiscales, était pour les entreprises une faculté et non une obligation, a décidé de l’obligation, sous peine de perdre le droit à amortir, de l’inscription d’un amortissement minimum des biens, calculé selon un mode linéaire et réparti sur la durée normale d’utilisation. Cette disposition, codifiée à l’article 39 B du code général des impôts, est applicable que l’entreprise soit bénéficiaire ou déficitaire ; elle a pour but d’éviter la pratique consistant pour l’entreprise à consacrer à l’amortissement des ressources dont le montant était davantage influencé par l’importance des résultats obtenus que par le souci de présenter une situation comptable fidèle. Cet article consacre donc un souci de régularité comptable des bilans.
Vous vous reporterez à l’arrêt CE 13 juillet 1979 n°5763 plénière publié à la RJF 10/79 n°567 avec les conclusions de M. Martin Laprade p. 323 et suivantes, qui développait cette analyse.
En dehors de cette disposition générale de l’article 39B du code général des impôts, la loi du 12 juillet 1965 prévoyait aussi 2 systèmes dérogatoires qui ont été codifiés dans le même chapitre du code général des impôts :
- un régime codifié à l’article 39 C pour les biens donnés en location. Selon la loi, l’amortissement devait être réparti sur la durée d’utilisation normale du bien mais selon des modalités fixées par décret. Ce décret d’application n’est autre que le décret 65-1101 du 15 décembre 1965 (codifié notamment article 31 de l’annexe II au code général des impôts et portant dispositions particulières pour les locations par les personnes physiques, vu ci-dessus).
- un régime codifié à l’article 39 D pour les constructions édifiées sur le sol d’autrui, sans intérêt dans notre litige.
D’une manière très logique la disposition de l’article 73 de la loi du 30 décembre 1977 qui prévoyait, comme on vient de le dire un régime d’amortissement spécifique pour les copropriétés de navire a été codifié dans ce même chapitre du code général des impôts relatif à la détermination du bénéfice imposable et juste après les règles déjà existantes en matière d’amortissement, soit à l’article 39 E.
Cela veut-il dire que ce régime doit être combiné avec le principe général de l’article 39 B du code général des impôts précité? Cela n’apparaît pas évident ; et le moyen du requérant tiré de ce que le régime des copropriétés de navire ne rentre pas dans le champ d’application de l’article 31 de l’annexe II ne manque pas de pertinence si l’on s’en tient purement à l’historique et au contenu des textes que nous venons d’examiner, et notamment aux règles de responsabilité des copropriétaires.
Mais l’administration fiscale est convaincue du contraire, et sa thèse n’est pas contestée par la doctrine.
Pour cette dernière [Voir notamment : F.L. -Dispositions communes v. n°13740] : « L’avantage qui résulte de ces dispositions est susceptible d’être limité par la mise en œuvre de l’article 31 de l’annexe II au code général des impôts, dans l’hypothèse où le navire détenu en copropriété est exploité dans le cadre de contrats d’affrètement coque nue que l’administration assimile à un contrat de location. L’annuité d’amortissement déductible au titre d’un exercice est limitée au montant du loyer perçu pendant cet exercice diminué du montant des autres charges afférentes aux biens donnés en location ».
Cette interprétation qui ne se réfère à aucune jurisprudence existante ne manque pas d’être opportune si l’on se reporte aux objectifs poursuivis par le législateur par la loi de 1965 sur l’amortissement qui était, comme nous l’avons indiqué ci-dessus, d’empêcher par le biais d’une annuité d’amortissement supérieure aux loyers de constituer des déficits fictifs déductibles du revenu global.
Il suffirait alors de constituer une copropriété, en cas d’affrètement coque nue, c’est à dire de location, pour échapper à la limitation de l’article 31 de l’annexe II au code général des impôts.
Mais bien évidemment cet élément d’opportunité ne nous semble pas suffisant.
Deux autres éléments nous conduisent cependant à nous rallier à cette appréciation.
- En premier lieu l’article 73 de la loi de 1977 sur la copropriété des navires codifié à l’article 61-A du code général des impôts, précise que le copropriétaire « amortit le prix de revient de sa part de propriété suivant les modalités prévues à l’égard des navires ». Or, comme nous l’avons relevé au début de notre développement, vous avez déjà admis l’application de l’article 31 de l’annexe II au code général des impôts pour les locations de bateaux « coque nue ».
- De plus, il nous semble que l’application aux sociétés de navire, des dispositions de l’article 31 de l’annexe II au code général des impôts, a été en quelque sorte avalisé par le législateur. En effet, l’article 105-1 de la loi de finances pour 1991, (codifié à l’article 163 vicies du code général des impôts), a, dans le but de favoriser le financement de la flotte de commerce et de pêche, prévu des mesures en faveur des personnes physiques qui donnent des navires en location (location coque nue).
Dans son rapport du 10 octobre 1990 devant l’Assemblée Nationale, fait au nom de la commission des finances, le rapporteur général, M. B, après avoir défini la situation fiscale des quirataires, et pris acte de l’existence de la doctrine qui préconise le plafonnement de l’article 31 de l’annexe II, estimait : « Le régime fiscal ainsi défini, est au total peu attrayant et n’incite pas les investisseurs personnes physiques à participer à des copropriétés de navire. Cette situation contraste singulièrement avec ce que l’on peut observer en Europe du Nord ou dans la plupart des pays, le mode de calcul des déficits et de l’amortissement relève toujours du droit commun ». M. B indiquait que le Gouvernement n’a pas voulu soutenir une proposition qui préconisait que la fiscalité des quirats soit aménagée pour permettre aux personnes physiques quirataires de bénéficier des avantages fiscaux liés à l’amortissement de navire en cas de frètement coque nue ; le rapporteur général proposait le principe (qui a été voté) de l’octroi d’une déduction du revenu net global au profit des personnes physiques en France qui acquièrent des parts de copropriété de navire civil -(commerce et pêche)-.
Cette déduction fixée à 25 % apparaît comme une anticipation de l’amortissement au niveau du revenu global qui pallie ainsi, depuis 1991, et pour la flotte de commerce et de pêche, au plafonnement de l’article 31 annexe II au code général des impôts, en cas d’affrètement coque nue.
Ainsi, contrairement à ce que soutient le contribuable, sur le principe, le plafonnement de l’article 31 de l’annexe II au code général des impôts s’applique aux personnes physiques copropriétaires de navires s’agissant d’affrètement « coque nue », seul en litige.
Mais il nous reste, pour en terminer, à examiner les autres moyens que nous qualifions de techniques : 1°) M. X soutient que la location du navire n’a été faite ni directement, ni indirectement par une personne physique, le quirataire, mais par la copropriété ou société de Quirataires.
Nous ne reviendrons pas longtemps sur l’ensemble de la discussion, sur le caractère « sui generis » de l’institution, sur le fait que la copropriété ne porte jamais en actif la valeur du navire, qui demeure la propriété du quirataire, lequel dispose d’un droit réel qu’il peut hypothéquer, et que lui seul peut amortir.
Cette question met en évidence la difficulté plus générale, largement développée, qui tient au « caractère hybride et ambigüe » du régime de la copropriété : celle-ci est considérée comme l’exploitant et est astreinte à l’ensemble des obligations qui en découlent (comptabilité, déclaration, contrôle). Mais de son côté le copropriétaire a au moins aussi partiellement la qualité d’exploitant dès lors qu’il peut pratiquer une politique autonome d’amortissement. Mais le contribuable ne se prévaut nullement en l’espèce de cette qualité d’exploitant.
Vous observerez que le quirataire, propriétaire-bailleur de ses parts au sens de l’article 31 de l’annexe II au code général des impôts, n’est guère dans une situation différente des associés d’une société de personne ; de la société en participation par exemple ; associés qui sont réputés exploiter les matériels à titre personnel, dès lors que la société de participation n’a pas inscrit à son actif les biens qui lui ont été apportés en jouissance et ne pratique aucun amortissement. [Vous vous reporterez à un arrêt concernant la location de wagons CE 9 juillet 1986 N°49648 RJF 1O/86 n°862].Certes vous pourrez observer que la non inscription des biens à l’actif procédait d’une décision de gestion pour les wagons, alors qu’en ce qui concerne les copropriétés de navire, c’est la loi qui interdit l’amortissement au niveau de la copropriété, et crée de facto « un exploitant individuel ». Vous ne pourrez donc, selon notre analyse, confirmer la thèse de la location faite par la copropriété.
2°) Le requérant soutient qu’il n’a pas reçu de loyer au sens de l’article 31 Annexe II, mais qu’il a reçu le versement d’une quote-part de résultats sur les opérations de l’entreprise.
Nous lui répondrons qu’incontestablement les recettes à partir desquelles l’entreprise établit les résultats, sont des loyers. Mais le requérant conteste les charges retenues au niveau de la copropriété qui aurait dû être réparties entre les charges afférentes au bien loué, et les charges afférentes à l’activité du loueur. Sur le principe, la critique du requérant est pertinente [Cf. CE 26 juillet 1991 N°79903 Malguy – RJF 10/91 n°1186]. Mais il s’agit là plutôt d’une contestation du quantum du montant de l’amortissement refusé par le service.
L’administration considère que M. X n’apporte aucune justification des éléments de nature à faire apparaître l’assiette imposable comme excessive.
Et nous ne croyons pas utile, compte tenu de la longueur déjà excessive de ces conclusions, de vous exposer la jurisprudence constante qui veut qu’en dehors de toute considération de procédure, c’est au contribuable de justifier des charges et déficits qu’il entend déduire. La preuve n’existe pas.
3°) Il nous reste enfin à examiner le dernier moyen tiré de l’illégalité de l’article 31 de l’annexe II du code général des impôts.
Le requérant reconnaît que la légalité du décret65-1101 du 15 décembre 1965 (dont est issu l’article 31 de l’annexe II) a été admise par le Conseil d’Etat. Cette conformité aux dispositions de la loi de 1965 codifiées à l’article 39 C a été expressément affirmée dans l’arrêt de la Haute Assemblée du 15 janvier 1992 N°62.962 Maisonneuve [RJF 3/92 N° 289 et D.F.1992 c. 1952] avec les conclusions de Mme Hagelsteen qui s’exprimait dans les termes suivants : « Certes, la première lecture de ces deux textes (il s’agit des articles 3O et 31 cités ci-dessus), pourrait laisser penser que le pouvoir réglementaire a excédé les prescriptions de la loi qui précisait les modalités de répartition dans le temps de l’amortissement des biens donnés en location. Mais, en fait, il résulte des travaux préparatoires de la loi de 1965 que le législateur a entendu, par la disposition figurant à l’article 39 C du code général des impôts, remédier à un certain nombre d’anomalies auxquelles donnaient lieu les locations industrielles, et notamment, la création de déficits imputables par la pratique d’amortissements excessifs. Par suite, les dispositions adoptées dans le décret et qui visent les personnes physiques, qui peuvent imputer ces déficits artificiellement créés sur leur revenu global, ne nous paraissent pas avoir été au-delà de la délégation donnée par le législateur ».
Mais M. X persiste à faire valoir que dans la mesure où c’est la même notion d’amortissement qui est en cause dans ces textes (loi et décret), il se pose un problème de conflit entre l’obligation d’amortissement minimum édictée par l’article 39 B et la limitation prévue par l’article 31 de l’annexe II au code général des impôts.
Toutefois, dans la mesure où le décret d’application n’a pas outrepassé, comme on vient de le noter la délégation accordée par la loi et codifiée à l’article 39 C, tout conflit entre le décret et une autre disposition de la loi codifiée à l’article 39 B, signifierait que c’est la loi, elle-même, qui comporte des contradictions entre le 39 B et le 39 C. Mais l’administration doit appliquer la loi, sous le contrôle du juge.
Or rien ne nous permet, compte tenu du double objectif que poursuivait la loi du 12 juillet 1965 dans ses dispositions relatives à l’amortissement, objectifs que nous avons déjà décrits, savoir :
- d’une part rompre avec la pratique ancienne selon laquelle la passation des amortissements constituait une simple faculté qui nuisait à la sincérité des bilans (d’où l’obligation d’un amortissement comptable minimum prévu au 39 B).
- d’autre part (et cela ressort plutôt des travaux préparatoires) empêcher la constitution par le biais d’une annuité d’amortissement supérieure au loyer, des déficits fictifs déductibles du revenu global (39 c).
Rien donc, ne nous permet, d’écarter comme inexacte l’application prévue par la doctrine administrative évoquée par M. X (4 D 262 C 18) laquelle indique comment combiner les règles applicables à la déduction des amortissements : "La limitation édictée par l’article 31 de l’annexe II au code général des impôt se superpose aux obligations qui résultent,d’une part, de l’article 30 de l’annexe II audit code et, d’autre part, de l’article 39 B du même code. Les entreprises auxquelles s’appliquent ces trois dispositions combinées sont donc soumises aux règles suivantes :
- elles doivent calculer l’amortissement des biens qu’elles donnent en location sur leur durée normale d’utilisation ;
- elles sont tenues de constater en écritures des amortissements tels que leur somme à la clôture de chaque exercice ne soit pas inférieure au montant cumulé des amortissements calculés selon le mode linéaire ;
- elles ne peuvent, cependant, déduire des bases de l’impôt l’annuité d’amortissement pratiquée que dans la mesure où elle n’excède pas la limite définie à l’article 31 de l’annexe II au code général des impôts.
Rien de tout cela ne nous semble contraire à l’esprit des textes.
Nous vous proposons donc de rejeter le moyen tiré de l’illégalité de l’article 31 de l’annexe II du code général des impôts par rapport à l’article 39 B du même code.
Mais nous nous devons de vous signaler, pour en terminer, une question annexe que relève la doctrine. La copropriété de navire qui établit le bilan d’exploitation ne tiendra pas compte des amortissements, comme le prévoit la loi ; elle ne sera donc pas soumise à l’obligation de l’article 39 B de constater au bilan un amortissement minimum. Alors se pose la question de savoir si chaque quirataire est, ou non, soumis à cette obligation, dans la mesure où c’est lui seul, qui pratique les amortissements. Si nous répondons positivement, ce que nous serions tentés de faire, nous faisons du quirataire un véritable propriétaire-exploitant et cela lui imposerait des obligations comptables étendues, mais aussi des droits. Mais, vous n’aurez pas à répondre dans votre arrêt à cette question qui ne vous est pas posée, mais qui vous montre toutes les difficultés liées aux règles d’imposition du quirataire.
Vous rejetterez donc, si vous suivez notre analyse, les conclusions restant en litige et relatives à l’amortissement des quirats de M. X au titre de 1987.
Nous vous proposons en dernier lieu, dans les circonstances de l’affaire, de rejeter les conclusions du contribuable tendant à ce que l’Etat soit condamné à lui verser des frais irrépétibles lesquels, il est vrai, n’ont, en tout état de cause, pas été chiffrés « avant la fin de l’instance d’appel », comme le requérant se proposait de le faire.
Par ces moyens, nous concluons :
1°) A ce que la cour décide qu’il n’y a plus lieu à statuer à hauteur du dégrèvement d’office accordé.
2°) A l’annulation du jugement du tribunal administratif de Paris litigieux.
3°) Au rejet du surplus des conclusions de la demande et de la requête.

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CAA de Paris, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 93PA00157