Cour d'appel d'Agen, 15 mars 2016, n° 15/00121

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Agen, 15 mars 2016, n° 15/00121
Juridiction : Cour d'appel d'Agen
Numéro(s) : 15/00121
Décision précédente : Tribunal des affaires de sécurité sociale de Cahors, 14 janvier 2015, N° 21300056

Sur les parties

Texte intégral

ARRÊT DU

15 MARS 2016

XG/SB


R.G. 15/00121


CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DU LOT

C/

C X


ARRÊT n° 89

COUR D’APPEL D’AGEN

Chambre Sociale

Prononcé à l’audience publique du quinze mars deux mille seize par Françoise MARTRES, Conseillère, faisant fonction de Présidente de Chambre, assistée de Nicole CUESTA, Greffière.

La COUR d’APPEL D’AGEN, CHAMBRE SOCIALE, dans l’affaire

ENTRE :

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DU LOT

XXX

XXX

Représentée par Mme Vanessa VITU (Responsable des Affaires Juridiques) en vertu d’un pouvoir

APPELANTE d’un jugement du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de CAHORS en date du 15 janvier 2015 dans une affaire enregistrée au rôle sous le n° R.G. 21300056

d’une part,

ET :

C X

né le XXX à XXX

chez M. Y X

XXX

XXX

Représenté par Me Louis VIVIER, avocat au barreau d’AGEN, loco Me Marie Madeleine SALLES, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMÉ

d’autre part,

A rendu l’arrêt contradictoire suivant après que la cause ait été débattue et plaidée en audience publique le 26 janvier 2016, devant Xavier GADRAT, Conseiller, assisté de Nicole CUESTA, Greffière, les parties ayant été avisées de la date à laquelle l’arrêt sera rendu. Le magistrat rapporteur en a, dans son délibéré, rendu compte à la Cour, composée, outre de lui-même, de Françoise MARTRES, Conseillère, faisant fonction de Présidente de Chambre et A B, Conseillère, en application des dispositions des articles 945-1 et 786 du Code de Procédure Civile et il en a été délibéré par les magistrats ci-dessus mentionnés.

* *

*

— FAITS ET PROCÉDURE :

Le 19 juillet 2002, M. X a été victime d’un accident du travail, alors qu’il travaillait pour la S.A. Socomia.

Par jugement du 26 février 2010, le tribunal des affaires de sécurité sociale de l’Aveyron a dit que cet accident du travail était dû à la faute inexcusable de l’employeur, a fixé la majoration de la rente accident du travail à son taux maximum et a ordonné une expertise, avant dire droit sur la réparation du préjudice personnel complémentaire.

Par arrêt du 11 mai 2011, la Cour d’appel de Montpellier a confirmé ce jugement.

A la suite de la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, M. X a perçu mensuellement de la Caisse primaire d’assurance maladie du Lot une rente mensuelle de 4 702,24 euros, dont la moitié au titre de la majoration pour faute inexcusable.

Par jugement du 14 septembre 2012, le tribunal des affaires de sécurité sociale de l’Aveyron a alloué à M. X diverses indemnités : 30 000 euros au titre des souffrances physiques et morales, 4 000 euros au titre du préjudice esthétique,

30 000 euros au titre du préjudice d’agrément, 50 000 euros au titre de la perte de chance de promotion professionnelle.

Le 12 octobre 2012, la Caisse primaire d’assurance maladie du Lot a adressé à M. X un courrier relatif à une erreur qui aurait été commise lors du calcul de sa rente, surévaluée, car elle n’aurait du être que de 2 351,12 euros, puis le 20 novembre 2012 elle lui a notifié un trop perçu de 62 541,77 euros, dont elle a sollicité le remboursement.

Saisi le 27 novembre 2012 par M. X, la Commission de recours amiable de la Caisse primaire d’assurance maladie du Lot a confirmé le 16 janvier 2013 la décision de la Caisse lui notifiant le dit indu.

La Caisse a ensuite procédé au recouvrement de sa créance, par compensation avec les sommes allouées à M. X par le jugement du 14 septembre 201 au titre de la réparation de son préjudice complémentaire.

Le 21 février 2013, M. X a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Cahors pour demander que la Caisse soit déclarée responsable du préjudice subi du fait de l’indu et soit condamnés à lui verser une indemnité de 30 000 euros au titre du préjudice matériel et de 10 000 euros au titre du préjudice moral.

Par jugement en date du 15 janvier 2015, auquel le présent arrêt se réfère expressément pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties en première instance et des motifs énoncés par les premiers juges, le tribunal des affaires de sécurité sociale du Lot a déclaré la CPAM du Lot responsable des préjudices subis par M. X et l’a condamnée à payer à celui-ci la somme de 18 420 euros en réparation de son préjudice matériel et celle de 8 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Par lettre recommandée enregistrée au greffe de la Cour le 30 janvier 2015, la CPAM du Lot a interjeté appel de ce jugement.

'

Selon dernières écritures enregistrées au greffe le 10 novembre 2015, oralement reprises et développées à l’audience, la CPAM du Lot conclut à la réformation de ce jugement et demande à la Cour :

1°) de confirmer la décision de la commission de recours amiable et de débouter

M. X de l’intégralité de ses demandes en faisant valoir :

— que la décision de la commission de recours amiable statuait sur une remise de dette formulée par l’assuré et n’ouvrait pas droit à recours judiciaire de sorte que le tribunal des affaires de sécurité sociale aurait dû se déclarer incompétent au moment de sa saisine ;

— qu’elle a procédé à bon droit et dans les formes réglementaires à la répétition de l’indu d’un montant de 62 541,77 euros ;

— que les préjudices invoqués par M. X ne sont pas réels, actuels et certains dans la mesure où il ne produit aucun justificatif en vue de démontrer un changement défavorable de sa situation financière ou une perte de ressources ;

— qu’il n’apporte pas davantage la preuve d’un lien de causalité direct entre le préjudice financier qu’il invoque et la faute de la CPAM ;

— que le jugement n’est pas venu caractériser la réalité d’un préjudice matériel distinct de l’obligation de restituer ce qui a été indûment perçu ;

— que le tribunal a retenu un préjudice moral sans préciser ni l’étendue, ni les modalités d’évaluation de ce préjudice.

2°) à titre subsidiaire, de diminuer le montant des préjudices retenus par le tribunal , en soutenant qu’une indemnisation relèverait éventuellement de la perte de chance et en soulignant que les fonds versés à tort a M. X sont des fonds publics provenant pour partie des cotisations sociales des salariés, qui n’ont pas vocation à financer des projets immobiliers d’assuré.

'

Selon dernières écritures enregistrées au greffe le 18 janvier 2016, oralement reprises et développées à l’audience, M. X conclut au rejet de l’appel et forme appel incident pour solliciter la réformation partielle du jugement, en demandant à la Cour :

1°) de confirmer les dispositions du jugement caractérisant la faute de la CPAM du Lot et le lien de causalité entre celle-ci et son préjudice matériel et moral en exposant qu’il est d’une parfaite bonne foi, que la faute de la CPAM est avérée et n’est d’ailleurs pas discutée par celle-ci, que le lien de causalité entre cette faute et son préjudice est démontré ;

2°) de réformer le jugement et de porter la condamnation de la CPAM du Lot à

30 000 euros au titre du préjudice matériel et à 10 000 euros au titre du préjudice moral en soutenant que s’il n’avait pas fait son apport personnel de 36 841 euros, la banque ne lui aurait pas consenti le prêt ; que s’il avait emprunté sur la base d’un taux d’endettement de 16 % de la rente mensuelle de 2 351 euros, il ne rembourserait que 376 euros par mois, alors qu’il rembourse actuellement 772 euros ; que la différence représente un surplus de 118 000 euros, qu’il n’est pas question de vendre le bien du Cap d’Agde en période de crise immobilière et alors qu’il n’a remboursé que des intérêts ;

3°) de condamner la CPAM du Lot aux dépens et au payement d’une indemnité de procédure de 3 000 euros.

— MOTIFS DE L’ARRÊT :

I – Sur la compétence :

Dans ses écritures, la CPAM du Lot soutient que le tribunal des affaires de sécurité sociale du Lot aurait dû se déclarer incompétent au moment de sa saisine dans la mesure où la Commission de recours amiable n’a statué que sur une demande de remise ou d’échelonnement de la dette en raison de la précarité de la situation du débiteur.

Pour écarter cette argumentation il suffira de relever :

— que la CPAM du Lot, dans le dispositif de ses conclusions écrites, oralement reprises à l’audience, ne tire aucune conséquence de ces énonciations, formulées dans les

motifs ;

— qu’une exception d’incompétence n’est recevable que si elle est soulevée in limine litis, avant toute défense au fond, et qu’en l’espèce l’incompétence du tribunal saisi n’est soulevée pour la première fois qu’en cause d’appel ;

— qu’en outre l’argument manque en fait, qu’en effet M. X a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale du Lot non pas seulement d’une demande de remise ou d’échelonnement de sa dette, mais d’abord d’une demande en dommages et intérêts fondée sur la faute imputée à l’organisme social, action qui ressort de la compétence du tribunal des affaires de sécurité sociale.

II – Sur le fond :

A titre liminaire il convient de rappeler, en droit :

— que les organismes de sécurité sociale sont soumis au droit de la responsabilité pour faute, régie par les dispositions de l’article 1382 du code civil ;

— qu’il appartient donc à la personne qui recherche la responsabilité d’un tel organisme, de rapporter la preuve d’un lien de causalité entre la faute ou l’erreur commise par le dit organisme et le préjudice qu’elle invoque ;

— que dès lors qu’elle entraîne un préjudice pour l’assuré social, la faute commise par un organisme de sécurité sociale est de nature à engager sa responsabilité civile, peu important que cette faute soit grossière ou non, et que le préjudice soit ou non anormal.

En l’espèce il résulte des pièces produites que durant près de 3 ans la CPAM du Lot a versé à M. X une rente mensuelle de 4 702,24 euros, alors que celui-ci n’aurait du percevoir que la somme de 2 351,12 euros en application de l’article

L. 452-2 du code de la sécurité sociale qui dispose que la rente majorée allouée à la victime d’un accident du travail ne peut excéder la fraction du salaire annuel correspondant à la réduction de capacité.

Ainsi que l’ont énoncé les premiers juges, la CPAM du Lot a donc commis une erreur dans le calcul de la rente due à M. X, ce que celle-ci ne conteste d’ailleurs pas.

Les premiers juges ont également souligné justement que la faute de l’organisme social était d’autant plus caractérisée que l’assuré social, M. X, l’avait contacté à deux reprises pour s’étonner du montant de la rente qui lui était versée et qu’à chaque fois il lui avait été répondu qu’il n’y avait pas d’erreur, ce qui démontrait que la Caisse s’était abstenue de vérifier le calcul de la rente versée, vérification qui lui aurait permis de découvrir plus tôt l’erreur qui a perduré pendant plusieurs années.

M. X ne justifie pas que cette faute de la CPAM du Lot soit à l’origine d’un préjudice matériel.

En effet elle lui a permis d’effectuer un apport personnel important et de bénéficier, sur la base de revenus erronés, d’un prêt auquel ses revenus réels ne lui aurait pas permis de prétendre, et ainsi d’acquérir un bien immobilier dont il demeure à ce jour propriétaire.

C’est vainement qu’il soutient que si on appliquait le taux d’endettement de

16 % sur son revenu réel il ne payerait au titre du remboursement de ce prêt que

376,16 euros et non pas 772,85 euros et que sur la durée du prêt le surplus sera de

118 000 euros. En effet, le taux d’endettement est pris en compte pour évaluer la capacité de remboursement de l’emprunteur et non pour fixer le montant du prêt. Le montant des mensualités est déterminé en fonction de la somme empruntée, du taux d’intérêt et de la durée du remboursement, et force est de constater, d’évidence, que des remboursements mensuels de 376 euros sur la durée du prêt (25 ans) n’auraient pas permis à M. X d’obtenir un prêt d’un montant suffisant pour financer l’acquisition.

Si la souscription d’un nouveau prêt pour assurer le remboursement de l’indu, génératrice de frais bancaires, aurait pu être considérée comme génératrice d’un préjudice matériel, force est de constater que M. X ne s’est pas trouvé dans cette obligation et ne justifie pas avoir eu à supporter des frais pour restituer la somme indûment perçue.

Enfin le fait de devoir faire face à un endettement contracté sur la base de revenus erronés ne constitue pas en soi un préjudice matériel, mais un préjudice moral, ainsi qu’il sera explicité ci après.

Dés lors il y a lieu d’infirmer le jugement entrepris en ses dispositions allouant à M. X une indemnité au titre du préjudice matériel.

Par contre M. X a subi un préjudice moral direct et certain du fait de la faute commise par la CPAM du Lot.

Il a fait le choix d’acquérir une résidence secondaire en bord de mer, dans la croyance -fondée sur les informations erronées et pourtant réitérées fournies par la CPAM du Lot- que la rente versée lui permettrait ultérieurement, après versement des indemnités complémentaires, d’acquérir également une résidence principale au lieu où il réside habituellement, et doit désormais en abandonner le projet.

Ce bouleversement de ses projets a causé, comme l’ont souligné les premiers juges, un choc d’autant plus violent pour M. X que la rente erronée lui était versée depuis 3 ans et qu’il ne s’était engagé qu’après deux vérifications auprès de la CPAM

du Lot. Il est source d’un préjudice moral qui a été sous-évalué par les premiers juges et qui sera indemnisé par l’allocation d’une indemnité de 10 000 euros.

III – Sur les frais non répétibles :

L’équité justifie l’allocation à M. X d’une indemnité de procédure de

750 euros à hauteur d’appel, en sus de celle allouée en première instance par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant en audience publique, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement entrepris en ses dispositions déclarant la Caisse primaire d’assurance maladie du Lot responsable du préjudice moral subi par M. X et allouant à celui-ci une indemnité de procédure de 800 euros ;

Infirme le jugement entrepris en ses autres dispositions ;

Statuant à nouveau et ajoutant,

Constate que la Cour n’est pas saisie d’une exception d’incompétence ;

Condamne la Caisse primaire d’assurance maladie du Lot à payer à M. X une indemnité de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral et une indemnité de procédure de 750 euros ;

Rappelle qu’en application des articles L. 144-4 et R. 144-10 du code de la sécurité Sociale, il n’y a pas lieu de statuer sur les dépens.

Le présent arrêt a été signé par Françoise MARTRES, Conseillère, faisant fonction de Présidente de Chambre, et par Nicole CUESTA, Greffière.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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Cour d'appel d'Agen, 15 mars 2016, n° 15/00121