Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 20 novembre 2013, n° 11/20314

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Aix-en-Provence, 20 nov. 2013, n° 11/20314
Juridiction : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Numéro(s) : 11/20314
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Nice, 6 novembre 2011, N° 10/3321

Texte intégral

COUR D’APPEL D’AIX EN PROVENCE

10e Chambre

ARRÊT AU FOND

DU 20 NOVEMBRE 2013

N° 2013/464

Rôle N° 11/20314

J B

C/

F Z

D E épouse Z

Grosse délivrée

le :

à :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 07 Novembre 2011 enregistré au répertoire général sous le n° 10/3321.

APPELANT

Monsieur J B , Gynécologue-obstétricien, demeurant et domicilié, XXX

représenté par Me Laurence LEVAIQUE de la SCP ERMENEUX-CHAMPLY – LEVAIQUE, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

plaidant par Me Bruno ZANDOTTI de la SELARL ABEILLE & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE,

INTIMES

Monsieur F Z Pris tant en son nom personnel qu’en sa qualité de représentant de ses deux enfants mineurs L Z et Y Z.

XXX

représenté par Me Pascale PENARROYA-LATIL de la SCP LATIL PENARROYA-LATIL ALLIGIER, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,

plaidant par Me Pascale BARBANCON-HILLION, avocat au barreau de NICE

Madame D E épouse N E Prise tant en son nom personnel qu’en sa qualité de représentante de ses deux enfants mineurs L Z et Y Z.

XXX

représentée par Me Pascale PENARROYA-LATIL de la SCP LATIL PENARROYA-LATIL ALLIGIER, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,

plaidant par Me Pascale BARBANCON-HILLION, avocat au barreau de NICE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 02 Octobre 2013 en audience publique. Conformément à l’article 785 du Code de Procédure Civile, Madame Christiane BELIERES, Présidente, a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Christiane BELIERES, Présidente

Mme Jacqueline FAURE, Conseiller

Madame Lise LEROY-GISSINGER, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Geneviève JAUFFRES.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Novembre 2013. A cette date, le délibéré a été prorogé au 20 Novembre 2013.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 20 Novembre 2013,

Signé par Madame Christiane BELIERES, Présidente et Madame Geneviève JAUFFRES, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DES FAITS ET PROCEDURE

Le 16 septembre 2002 à l’issue d’une échographie Mme D E épouse Z, alors enceinte, apprend par M. B gynécologue obstétricien qui la suit qu’elle attend des jumeaux.

Elle va faire l’objet de divers examens tout au long de sa grossesse et notamment le 6 février 2003, à 31 semaines de terme, où il est constaté la mort foetale in utéro du 2e jumeau avec confirmation de l’état satisfaisant de l’enfant vivant.

Le 30 mars 2003 elle a été admise à 17 h 20 à la clinique, comme prévu pour 'déclenchement de l’accouchement', à 18 h 45 la sage femme a téléphoné à M. J B qui a prescrit à distance un déclenchement par gel de prostaglandine à 6 heures le lendemain matin, décision confirmée téléphoniquement le lendemain à 7 h 20 puis lors de son passage à 8 h 30.

Le 31 mars 2003 elle a été prise en charge par la sage femme à partir de 8 h 30 laquelle, à 16 H 56 après avoir constaté une brusque altération du rythme cardiaque foetal et l’apparition de caillots de sang, va appeler les deux médecins de garde qui vont décider de pratiquer en urgence une césarienne pour souffrance foetale aigue au cours de laquelle ils vont diagnostiquer une rupture utérine.

L’enfant prénommé Céleste est extrait à 17 h 12 en manque d’oxygène (Apgar à 2) et transporté en extrême urgence en unité de néonatalogie et de réanimation où il est décédé à 23 h 15.

Courant août 2007 les époux Z ont saisi d’une demande d’indemnisation la commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux (CRCI) de la région Paca qui a désigné le docteur A en qualité d’expert et qui, au vu de son rapport d’expertise déposé le 15 septembre 2008 a rendu un avis de rejet pour 'absence de faute et absence d’accident médical non fautif'.

Par acte du 25 mai 2010 M. V Z, Mme D Z, agissant tant à titre personnel qu’en leur qualité d’administrateurs légaux de leurs deux filles mineures L et Y Q ont fait assigner M. B devant le tribunal de grande instance de Nice en déclaration de responsabilité et réparation des préjudices subis évalués pour le préjudice moral à 25.000 € pour chacun des parents, à 10.000 € pour chacune des soeurs et à 40.000 € pour la mère à titre personnel lié notamment à l’absence de suivi psychologique.

Par jugement du 7 novembre 2011 assorti de l’exécution provisoire cette juridiction a

— déclaré M. B responsable des préjudices subis par les consorts Z suite à l’accouchement du 31 mars 2003 et au décès du nouveau né Céleste

— condamné M. B à verser à

* Mme Z la somme de 50.000 € en réparation de l’intégralité de son préjudice moral

* M. Z la somme de 25.000 € en réparation de son préjudice moral

* M. et Mme Z en leur qualité de représentants légaux de leurs deux enfants mineurs L N le XXX et Y N le XXX la somme de 10.000 € pour chacune d’elles en réparation de leur préjudice moral

— condamné M. B à payer aux époux Z la somme de 2.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

— condamné M. B aux entiers dépens.

Par acte du 2 novembre 2011 M. B a interjeté appel général de cette décision.

MOYENS DES PARTIES

M. B demande dans ses conclusions du 27 février 2013 de

— infirmer le jugement

— dire qu’il n’a commis aucune faute causalement liée avec le préjudice subi par les consorts Z

— les débouter de l’ensemble de leurs demandes

A titre subsidiaire,

— réduire les sommes allouées à de plus justes proportions et les débouter de leurs demandes injustifiées

— les condamner à lui payer une indemnité de 1.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.

Il conteste avoir engagé sa responsabilité en l’absence de toute faute démontrée à son encontre en relation de causalité avec les dommages invoqués, certains éléments factuels retenus par le premier juge étant erronés.

Il estime que le suivi de la grossesse est exempt de toute critique, qu’il a notamment prescrit l’échographie de la 12e semaine d’aménorrhée qui a bien été faite le 3 octobre 2002 par le docteur C puisqu’il a pu la consulter et qui mentionne 'début de grossesse 14 juillet 2002, grossesses gémellaire mono choriale bi amniotiques’ de sorte que le tribunal ne pouvait lui reprocher une 'légèreté’ de ce chef.

Il affirme avoir donné une information parfaitement claire et complète à Mme Z sur les risques que le choix d’un accouchement par voie basse pouvait comporter et les risques encourus par l’enfant vivant suite au décès de l’un des jumeaux, l’avoir avisée lors de la consultation du 11 mars 2003 que la grossesse serait poursuivie jusqu’au terme de la 38 ème semaine d’aménorrhée, ce qui correspond aux recommandations de la haute autorité de santé, et les raisons de ce choix, le terme de déclenchement correspondant à la mise en route d’un accouchement par voie basse et non à une césarienne et souligne sur ce dernier point que cette patiente ne s’est pas étonnée de la mise en place de gel de prostaglandine par la sage femme qui a noté sur le dossier médical '8 h 30 le docteur B présent au bloc obstétrical, pose facile de Prostine E2 2 mg dans le cul de sac postérieur pour maturation cervicale, après explication et accord de la patiente’ ; il ajoute que rien ne permet de retenir que Mme Z aurait choisi un accouchement par césarienne qui est un acte qui comporte des risques non négligeables. Il nie toute faute de technique médicale et considère qu’il ne peut lui être fait grief de ne pas avoir été présent lors de son admission le 30 mars 2003 dans la mesure où la structure dans laquelle elle a été accueillie dispose d’un obstétricien et anesthésiste de garde sur place 24 h/24 h et qu’il s’est assuré par téléphone que l’état de sa patiente ne présentait aucune anomalie ; il fait remarquer que le fait de s’en être remis à l’avis de la sage femme dont la mission est de pratiquer l’examen des parturientes ne constitue aucune abstention fautive d’autant que le travail n’allait être déclenché que le lendemain matin et qu’il se trouvait sur place le 31 mars avant la pose du gel servant au déclenchement à 8 h 38 dont la mise en oeuvre a eu lieu sous son contrôle et en sa présence, qu’il s’agissait par ailleurs de la solution médicale conforme aux données acquises de la science

Il souligne que la situation médicale doit s’apprécier au moment des faits litigieux, que la décision de déclenchement était la plus opportune, que la pratique d’une césarienne prophylactique comporte des risques majeurs, que la rupture utérine constitue un incident rare de l’ordre de 1 pour 10.000 accouchements, les facteurs favorisants (utérus cicatriciel grande multiparité) n’étant pas réunis par Mme Z qui avait déjà accouché par voie basse à deux reprises.

Subsidiairement, il considère les indemnisations sollicitées largement excessives et demande leur réduction à de plus justes proportions et fait valoir, au titre du préjudice personnel de Mme Z, qu’il avait fait en sorte de la confier à un spécialiste de la prise en charge sur le plan psychologique par le professeur Myquel, chef du service de pédopsychiatrie spécialiste du suivi des parents à la suite de la maladie ou du décès d’un enfant mais qu’elle n’avait pas donné suite aux deux rendez vous pris, le premier après la découverte de la mort in utéro du premier jumeau et le second après la mort du deuxième jumeau et note que le suivi psychiatrique n’a débuté que plusieurs années après les faits litigieux et très peu de temps après qu’elle n’ait été victime d’une nouvelle fausse couche

Les époux Z demandent dans leurs conclusions du 27 avril 2012 de

— confirmer le jugement

— leur allouer une indemnité de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile devant la cour

— condamner M. B aux entiers dépens d’appel.

Ils font valoir que M. B a manqué à son obligation d’information préalable imposée par les articles L 1110-1, L 111-4 alinéa 3 et L 1111-2 aliéna 1 du code de la santé publique afin de donner un consentement éclairé qui doit porter sur les risques fréquents ou graves encourus pour chaque solution préconisée, de façon exhaustive et ce, à tous les stades de la grossesse puisqu’il n’a pas avisé Mme Z des séquelles liées à une grossesse monochoriale, ni au décès du premier jumeau des risques liés à un déclenchement anticipé ou une césarienne avant le terme de la grossesse, ni par la suite de la technique de délivrance à retenir puis retenue, alors qu’elle était persuadée que l’accouchement se ferait par césarienne, ni des risques inhérents à telle ou telle méthode de déclenchement, des risques d’une nouvelle grossesse, des risques de répercussions psychologiques.

Ils reprochent également à M. B une faute de technique médicale pour ne pas s’être conformé aux usages médicaux et données acquises de la science en n’assurant pas une obligation de surveillance régulière du malade, notamment pré opératoire et en ayant mal évalué les risques encourus puisqu’il n’a pas mis en place une surveillance et un suivi rapproché suite au décès du premier jumeau, n’a reçu Mme Z que 18 jours après l’annonce du décès du premier jumeau, n’a programmé une nouvelle visite que le 11 mars 2003, n’a pas été présent lors de son entrée en clinique le 30 mars 2003, a délivré sa prescription par téléphone, a choisi une méthode d’accouchement avec application d’un produit contre indiqué compte tenu de son état, a été absent pendant tout le travail alors que les circonstances particulières ( grossesse gémellaire avec un des jumeaux décédé), nécessite la présence d’une équipe importante avec suivi particulier et que la sage femme a été laissée seule.

Ils considèrent que l’ensemble de ces fautes pendant la grossesse et au cours de l’accouchement a conduit au décès d’un jumeau, au décès de Céleste et à l’état dépressif de Mme Z, ayant vécu de manière très douloureuse la fin de sa grossesse et qui a été mise en danger à nouveau lors d’une nouvelle grossesse par suite d’une information erronée.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la responsabilité

Sur l’expertise

L’expert A après avoir donné des indications générales sur les grossesses bi-choriale ou monichoriale, sur la prise en charge médicale dans le cadre de la mort in utero d’un foetus et la morbidité péri natale du jumeau survivant précise, concernant le cas de Mme Z, qu’elle 'a été informée des risques de l’accouchement par voie basse et M. B l’avait clairement informée lors de la consultation du 11 mars qu 'on patientait jusqu’au 30 mars pour un déclenchement le 31 si elle n’avait pas accouché'. Pour Mme Z le terme déclenchement signifiait césarienne ; en revanche pour M. B il est clair que le terme déclenchement correspondait l’utilisation soit d’une perfusion de Syntocinon soit d’un gel de prostaglandine.

Il semblerait que Mme Z n’ait eu aucune information sur les gels de Prostaglandine et que ce n’est que le 31au matin qu’elle a découvert ce dont il s’agissait. Ainsi que l’a reconnu M. B lors de l’accédit 'nous nous sommes mal compris'.

Le suivi de la grossesse de Mme Z tel qu’il est documenté sur le dossier médical est un peu léger notamment il ne figure pas la choriondicité de cette grossesse gemellaire de façon claire et l’échographie de 12 semaines ne nous a pas été présentée ; néanmoins ces insuffisances ne lui ont pas été préjudiciables dans la survenue de la mort foetale de J2 qui est un événement imprévisible. En revanche, il est clair que la prise en charge psychologique de Mme Z suite au décès de J2 puis ultérieurement n’a pas été suffisante, même si elle a bénéficié de deux consultations auprès d’un pédopsychiatre, car les conséquences psychoaffectives chez la mère non prises en charge sont plus graves que les complications somatiques.

Concernant l’indication de l’arrêt de la grossesse à 38 semaines c’est à juste titre que y a posé cette indication. Compte tenu des conditions cervicales défavorables chez Mme Z il ne disposait que de deux options, soit la réalisation d’une césarienne à titre systématique avec ses complications propres, soit un déclenchement par Prostaglandine (le syntocinon étant quasi voué à l’échec) tout en connaissant la contre indication de l’utilisation de ces prostines en cas d’utérus sus distendu (hauteur utérine notée à 38 cms par la sage femme) ou fragilisé ou de gemellarité, mais il est vrai que quelques équipes ont réalisé ces déclenchements malgré le risque de rupture utérine

Il convenait que M. B discute ces deux options avec Mme Z mais il est clair que la prescription d’un déclenchement le 30 mars depuis son domicile par téléphone sans avoir examiné Mme Z depuis trois semaines ne correspond pas à une pratique conforme aux données acquises de la science.

Il est cependant à noter que même si le docteur B s’était déplacé il y a de très fortes chance pour que son attitude aurait été la même ou aurait avancé le déclenchement compte tenu des anomalies du RCF d’une douzaine d’heures mais la rupture utérine serait survenue de la même façon 12 h plus tôt et en ce sens l’absence de déplacement du docteur X n’est pas à l’origine de la rupture utérine mais c’est bien la prescription de Prostaglandine qui en est à l’origine.

Les conditions de surveillance et de déroulement du déclenchement à partir du 31 mars ont été corrects, la rapidité d’intervention ne pouvant être que soulignée, ce qui a permis à Celeste de naître ; aucun autre soin ne pouvait lui être dispensé pour éviter son décès qui trouve son origine dans d’importantes lésions neurologiques cérébrales compte tenu de la rupture utérine à l’origine de son décès et ne sont en aucun cas liées au décès de J2.

Concernant la prise en charge après l’accouchement, il n’y a rien à dire hormis la faiblesse pour ne pas dire l’absence de prise en charge psychologique de Mme Z alors en situation extrêmement fragile qui a abouti à un syndrome dépressif majeur trois ans après.'

Sur les fautes

En vertu de l’article L 1142-1 I du code de la santé publique le professionnel de santé n’est responsable des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute de sa part.

Deux types de fautes sont invoquées par les consorts Z : un manquement à son obligation de soins pendant la grossesse et lors de l’accouchement et un défaut d’information.

*** sur le manquement à l’obligation de soins

* relatif au décès des jumeaux

Aucun manquement fautif de M. B dans son obligation de soins appropriés, en relation de causalité avec le préjudice subi, dont la charge de la preuve pèse celui qui l’invoque, n’est suffisamment caractérisé au vu des éléments versés aux débats.

Le suivi de la grossesse a été qualifié par l’expert 'd’un peu léger’ en relevant que ne figurait pas sur le dossier médical la chorionicité de cette grossesse gémellaire de façon claire et que l’échographie de 12 semaines ne lui avait pas été présentée.

Mais cette échographie a bien été prescrite et réalisée le 3 octobre 2002 par le docteur C et son compte rendu produit (pièce n° 1) fait état 'd’un début de grossesse le 14 juillet 2002, grossesse gémellaire monochoriale bi amniotique… terme prévisible mi-avril 2003"

Au demeurant, l’expert affirme que 'ces insuffisances de suivi n’ont pas été préjudiciables dans la survenue de la mort foetale in utero de J2 (à 31 semaines) qui est un événement imprévisible et il n’est pas sur que si l’on avait dépisté quelque chose, une attitude différente aurait été adoptée compte tenu de la très grande prématurité qu’aurait présenté à ce moment là les deux enfants et de leurs séquelles'.

Le bilan étiologique réalisé (IRM, échographie foetale) ayant montré que le jumeau J1 était indemne, la grossesse a été poursuivie.

La décision d’arrêt de la grossesse à 38 semaines a été approuvée par l’expert qui a considéré que 'M. B avait raison de la programmer à cette période qui était le moment optimal pour éviter une mort in utero du fait de la post maturité… les jumeaux acquérant plus tôt leur maturité que les enfants unique'.

Pour l’accouchement, eu égard aux conditions cervicales défavorables que présentait Mme Z (col postérieur long fermé), l’obstétricien a opté pour un déclenchement par prostaglandine tout en connaissant leur contre indication en cas d’utérus distendu ou de gémellaire, par préférence à la césarienne à titre systématique avec ses complications propres, autre choix possible.

Le risque attaché à ce choix, à savoir une rupture utérine, qui est augmenté sur un utérus distendu, s’est effectivement réalisé et a été à l’origine d’importantes lésions neurologiques cérébrales ayant conduit au décès de l’enfant.

Mais l’expert ne critique pas ce choix, eu égard aux données acquises de la science ; il note à la page 9 de son rapport 'quand les conditions cervicales sont défavorables avec un col postérieur long fermé et que le déclenchement apparaît difficile… il n’y a pas d’indication formelle pour une césarienne'.

Il ne considère nullement que la réalisation 'd’une césarienne avec ses risques propres’ s’imposait, même dans ce contexte d’utérus surdistendu (hauteur utérine à 38 cms).

Il note qu’il 'n’a pas retrouvé dans la littérature de pratique spécifique pour l’accouchement du jumeau survivant……, qu’il est vrai que quelques équipes ont réalisé ces déclenchements par prostaglandine malgré le risque de rupture utérine….. que si la notice d’utilisation et l’autorisation de mise sur le marché de la prostine 2 mentionne comme contre indication la grossesse gémellaire précisant qu’aucune étude n’a été réalisée dans ce cas même si certaines écoles l’ont réalisée sur de petits nombres de cas…… que la survenue d’une rupture utérine en cas d’utilisation de Prostaglandine est une complication classique et connue raison pour laquelle son utilisation est contre indiqué dans les utérus surdistendus ou fragilisés ou de grossesses gémellaire même si certaines écoles obstétricales les ont utilisés de temps en temps'.

Aucune donnée quelconque, autre que celles figurant dans le rapport d’expertise, n’a été communiquée ni aucun autre avis médical.

Par ailleurs, le déclenchement par Prostaglandine par le docteur B le 30 mars 2003 au soir, date prévue depuis la consultation du 11 mars pour son entrée à la maternité, a été prescrit par téléphone à la sage femme à 18 h 45 depuis son domicile sans avoir examiné Mme Z depuis trois semaines, ce qui n’est pas une pratique conforme aux données acquises de la science, ainsi que relevé par l’expert mais celui-ci estime aussitôt que 'cette absence de déplacement n’a eu aucune incidence sur la survenue ultérieure de la rupture utérine … qui trouve son origine dans la prescription de prostaglandine… que même s’il s’était déplacé il y a de très fortes chances pour que son attitude ait été la même ou aurait avancé le déclenchement d’une douzaine d’heures, compte tenu des anomalies du RCF, mais la rupture utérine sur prescription de prostanglandine serait survenue exactement de la même façon douze heures plus tôt.

La prescription de prostaglandine prévue la veille pour le lendemain 31 mars 2003 à 6 heures a été confirmée par téléphone à 7 h 20 le jour même et n’a été appliquée qu’à 8 h 38, le docteur B étant sur place, ainsi que mentionné sur la feuille de dossier d’obstétrique versée aux débats (pièce n° 2) étant souligné qu’une équipe (obstétricien, anesthésique et personnel infirmier) est de garde en permanence dans cette clinique.

Cette visite est attestée par Mme Z qui indique elle -même à la page 5 de ses conclusions d’appel 'le docteur B malgré les circonstances particulières ne daigne pas se déplacer avant 8 heures 38 ; il va alors confirmer la prise du gel; Puis le docteur X s’en va ; il ne reviendra pas'.

L’expert est formel sur les soins ultérieurs : les conditions de surveillance et de déroulement de ce déclenchement ont été 'tout à fait corrects’ tout comme l’appel en urgence de l’équipe de garde et leur rapidité d’intervention, qualifiés de 'tout à fait remarquable’ et conformes aux données acquises de la science ainsi que les traitements administrés à Céleste dès sa naissance et durant son séjour en réanimation néo-natale, aucun autre soin ne pouvant lui être dispensé pour éviter son décès.

* relatif à l’état de santé de la mère

Un défaut de suivi psychologique de Mme Z, après le constat de la mort in utero du jumeau 2, et après la perte de Céleste, source de dommage pour la patiente, est caractérisé.

L’expert souligne 'qu’il existe une répercussion psycho affective considérable de la mort in utero d’un jumeau chez la mère avec à la fois un bouleversement profond lié à la poursuite de cette grossesse avec un des foetus mort et une anxiété concernant le devenir du survivant. Il est fondamental que soit instaurée une prise en charge étroite par l’équipe obstétrico-pédiatrique soignante avec l’aide de psychologue ayant l’expérience de ces situations afin de limiter au maximum le retentissement psychologique de cette situation'.

Il est catégorique pour qualifier d’insuffisante la prise en charge qui a été instaurée, Mme Z ayant vu en consultation un pédo-psychiatre mais n’ayant pas souhaité donner suite ultérieurement ; il précise que 'si le contact ne passait pas bien il convenait de changer de praticien et de proposer une autre prise en charge ou de s’assurer qu’il y en avait une effective car les conséquences psycho-affectives chez la mère non prises en charge sont plus graves que les complication somatiques (troubles de coagulation, leucomalacie de J1 etc…)'.

Il émet le même avis de faiblesse pour ne pas dire d’absence de prise en charge psychologique de Mme Z, une seule consultation auprès d’un pédo-psychiatre, alors en situation extrêmement fragile, qui a abouti à un syndrome dépressif majeur trois ans après.

Il explique 'le fait que Mme Z paraissait une personne forte aurait du alerter Mme Z comme un signe d’appel de dépression et il aurait dû la conseiller un peu plus sur cet aspect au lieu de ne voir que le problème somatique gynécologique, même si cela n’était pas facile et évident, afin d’éviter qu’elle ne sombre ultérieurement dans une profonde dépression alors inévitable'.

Aucune critique n’est apportée à cet avis motivé émanant d’un professionnel spécialisé qui repose sur des données objectives, après consultation de l’entier dossier médical.

Le manquement de ce chirurgien à l’obligation de donner des soins consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science à la date de ceux ci est parfaitement établi à ce titre et engage sa responsabilité de sorte qu’il est tenu d’en réparer les conséquences dommageables qui en résultent pour Mme Z

*** sur le manquement au devoir d’information

En vertu des articles L 1111-2 et R 4127-35 du code de la santé publique, le médecin est tenu de donner à son patient sur son état de santé une information portant sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus ; délivrée au cours d’un entretien individuel, cette information doit être loyale, claire et appropriée, la charge de la preuve de son exécution pesant sur le praticien, même si elle peut être faite par tous moyens.

Le droit à réparation de la victime reste, cependant, subordonné à l’existence d’un préjudice en relation de causalité avec le défaut d’information allégué.

M. B a reçu Mme Z en consultation le 11 mars 2003 et l’a avisée que l’accouchement serait déclenché à 38 semaines le 30 mars si elle n’avait pas accouché d’ici là.

Il ne démontre nullement ni l’avoir informée des deux options possibles, césarienne ou accouchement par voie basse après pose d’un produit avec, à nouveau, un choix possible entre deux (syntocinon ou prostaglandine) dont l’un était à risque grave, ni des inconvénients respectifs de chacune d’elles ni s’être assuré de la parfaite compréhension du sens et de la portée de l’information qu’il a pu donner.

Il n’a pas davantage discuté avec sa patiente de ces options et du choix du produit, guidé par les conditions cervicales défavorables, ni lors de son entrée à la maternité puisqu’il n’était pas présent, ni avant sa mise en oeuvre le lendemain ; contrairement à ce qu’il affirme dans ses écritures d’appel (page 7), aucune mention quelconque ne figure sur le dossier d’obstétrique à ce sujet et en tout cas sur l’exemplaire versé aux débats ; il ne l’a pas davantage avisé des risques encourus propres à ce produit ; tout au moins il n’en justifie pas.

Un défaut d’information de la part de M. B doit, ainsi, être retenu étant souligné que tout médecin est légalement tenu de la délivrer même en cas de risque connu mais rare dès lors qu’il est grave, et que ce devoir incombe à titre principal au médecin réalisant l’acte qui ne peut se décharger de son obligation sur un tiers.

Sur leurs incidences

* sur la carence dans le suivi psychologique

Cette carence a provoqué l’entier dommage relatif à sa pathologie dépressive et non une simple perte de chance.

L’expert précise, en effet, à plusieurs reprises qu’une prise en charge beaucoup plus intensive sur le plan psychologique 'aurait évité’ que Mme Z ne sombre dans une profonde dépression.

L’expert souligne l’importance de la pathologie dépressive en évolution puisque le 15 septembre 2008, date d’établissement de son rapport, il notait qu’il persistait toujours des éléments de la pathologie dépressive en évolution même si celle-ci était en nette progression et amélioration au point d’envisager un déficit fonctionnel permanent résiduel à déterminer par voie d’expertise psychiatrique après consolidation dans un délai de six mois environ.

Le chiffre de 25.000 € sollicité par Mme Z de ce chef en cause d’appel doit être entériné.

* sur le défaut d’information

Le dommage découlant d’une violation du devoir d’information n’est pas l’atteinte à l’intégrité physique elle-même consécutive à l’intervention subie mais la perte d’une chance d’échapper à cette intervention et aux conséquences du risque qui s’est finalement réalisé ; son existence et son étendue doit s’apprécier en prenant en considération l’état de santé du patient ainsi que son évolution prévisible, sa personnalité, les raisons pour lesquelles les investigations ou les soins à risques lui sont proposés ainsi que leurs caractéristiques, les effets qu’aurait pu avoir une telle information quant à son consentement ou à son refus.

Or si Mme Z avait été avertie de façon complète, il est fort vraisemblable qu’elle aurait refusé le déclenchement de l’accouchement par prostaglandine et préféré une césarienne car l’information aurait dû mettre en parallèle les risques respectivement encourus.

L’expert a décrit ceux attachés à une césarienne prophylactique à savoir morbidité respiratoire néonatale accrue, plaie foetale secondaire au bistouri, mortalité maternelle trois fois plus élevée en raison de l’augmentation du risque de thrombose et d’hémorragie, légère diminution de la fécondité de la femme pour une grossesse ultérieure et risque de grossesse extra-utérine, risque ultérieur élevé de césarienne itérative avec nette augmentation du risque de rupture utérine, d’anomalies d’implantation du placenta ou de décollement et d’hématome rétro placentaire (page 9 du rapport) et ceux d’accouchement par voie basse avec réalisation d’un déclenchement par gel de prostaglandine avec notamment un risque de rupture utérine 'nettement augmenté’ en cas d’utilisation sur les utérus distendus, cause de sa contre indication en cas de grossesse gémellaire (page 10).

A l’époque, Mme Z était âgée de 35 ans et avait déjà deux enfants nés 1994 et 1998 et elle venait de subir la perte d’un jumeau en cours de la grossesse avec l’assurance que ce décès n’avait aucune séquelle ni incidence pour l’autre jumeau ; elle s’attendait, d’ailleurs, à un accouchement par césarienne, le terme de 'déclenchement’ utilisé par le médecin lors de la consultation du 11 mars 2003 ayant signifié pour elle 'césarienne', ainsi qu’elle l’a expliqué lors de l’expertise, sans que sa bonne foi ne puisse être mise en doute.

La responsabilité de M. B est, ainsi, engagée au titre de la perte de chance d’éviter le décès de l’enfant qui présente un caractère direct et certain chaque fois qu’est constatée la disparition d’une éventualité favorable.

L’indemnisation doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle était réalisée et correspond à une fraction seulement des différents chefs de préjudices subis.

L’expert indique que l’état de santé de la mère ne la prédisposait pas à une rupture utérine, en dehors de l’utilisation de la prostaglandine et que celui de Céleste ne le prédisposait pas à développer les importantes lésions neurologiques cérébrales à l’origine de son décès qui ne sont en aucun cas liées à la mort de son jumeau.

Et la mère était persuadée que l’accouchement allait se faire par césarienne.

Au vu de ces données, l’étendue de la perte de chance doit être évaluée à 90 % du dommage et la condamnation de M. B limitée à cette proportion qui représente la partie du préjudice à la réalisation duquel sa faute a contribué.

Le préjudice moral des ayants droit de Céleste, victimes par ricochet de son décès, doit être fixé à 25.000 € pour chacun des deux parents et de 10.000 € pour chacune des soeurs respectivement âgées de 8 ans et 5 ans et indemnisable, en raison du taux de perte de chance ci-dessus retenu, à hauteur de 22.500 € pour chacun des père et mère et de 9.000 € pour chacune des soeurs .

En vertu de l’article 1153-1 dernier alinéa du code civil les indemnités allouées portent intérêts au taux légal à compter du 11 janvier 2011, date du jugement puisqu’il est confirmé à due concurrence.

Sur les demandes annexes

M. B qui succombe dans ses prétentions supportera la charge des entiers dépens de première instance en ce compris les frais de référés et d’expertise conformément à l’article 695 4° du code de procédure civile et aux dépens d’appel et ne peut, de ce fait, bénéficier des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

L’équité commande de faire application des dispositions de ce texte au profit des époux Z à hauteur de la somme de 3.000 € en cause d’appel, complémentaire à celle allouée en première instance

PAR CES MOTIFS

La Cour,

— Confirme le jugement

hormis en ses dispositions relatives à l’étendue de l’indemnisation des consorts Z en leur qualité d’ayants droit de Clément Z.

Statuant à nouveau sur ces points,

— Dit que le préjudice psychologique subi personnellement par Mme D Z mis la charge de M. J B s’établit à la somme de 25.000 €.

— Dit que le préjudice moral subi par M. V Z, Mme D Z, L Q et Y Q en leur qualité d’ayants droit de Céleste Z est constitué par la perte d’une chance de ce dernier d’échapper au risque de décès.

— Dit qu’il est indemnisable à hauteur de 90 %.

— Condamne M. J B à payer les sommes de

* 22.500 € à M. V Z

* 22.500 € à Mme D Z

* 9.000 € à L Q

* 9.000 € à Y Q

au titre de leur préjudice moral respectif.

— Dit que les sommes allouées portent intérêt au taux légal à compter du 7 novembre 2011.

Y ajoutant,

— Condamne M. J B à payer à M. V Z, Mme D Z la somme globale de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

— Déboute M. J B de sa demande à ce même titre.

— Condamne M. J B aux entiers dépens d’appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.

Le greffier Le président

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Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 20 novembre 2013, n° 11/20314