Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 21 mai 2015, n° 14/01795

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Aix-en-Provence, 21 mai 2015, n° 14/01795
Juridiction : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Numéro(s) : 14/01795
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Grasse, 12 janvier 2014, N° 13/193

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL D’AIX EN PROVENCE

17e Chambre B

ARRÊT AU FOND

DU 21 MAI 2015

N°2015/264

GP

Rôle N° 14/01795

SARL DYO

C/

Q Z

Grosse délivrée le :

à :

Me Philippe LASSAU, avocat au barreau de GRASSE

Me Haïba OUAISSI, avocat au barreau de PARIS

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de GRASSE – section CO – en date du 13 Janvier 2014, enregistré au répertoire général sous le n° 13/193.

APPELANTE

SARL DYO, demeurant 22 boulevard Carnot – 06560 VALBONNE

représentée par Me Philippe LASSAU, avocat au barreau de GRASSE substitué par Me Christian SALORD, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

INTIME

Monsieur Q Z, demeurant XXX

représenté par Me Haïba OUAISSI, avocat au barreau de PARIS (XXX) substitué par Me K BERGAMINI, avocat au barreau de NICE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 10 Mars 2015, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller, chargé d’instruire l’affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président de Chambre

Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller

Madame Brigitte PELTIER, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Caroline LOGIEST.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 21 Mai 2015

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 21 Mai 2015

Signé par Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président de Chambre et Madame Caroline LOGIEST, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Monsieur Q Z a été embauché en qualité de manager de restauration, classification employé, niveau I, échelon 2, le 20 mai 2011 par la SARL DYO exploitant sous l’enseigne SUSHI SPIRIT.

Par courrier du 4 décembre 2011 remis par huissier de justice, Monsieur Q Z a été convoqué à un entretien préalable pour le 15 décembre à une mesure de licenciement, avec mise à pied à titre conservatoire, puis il a été licencié pour faute lourde le 20 décembre 2011 en ces termes, exactement reproduits :

« Fin novembre Mr Y B, salarié de notre entreprise, nous a reporté avoir été insulté par vous-même depuis le mois de septembre entre autre de « artail » qui signifie littéralement « pédé » en arabe.

Après vérification des faits auprès des autres employés, nous vous avons mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien pour entendre votre version des faits.

Les explications recueillies auprès de vous lors de cet entretien ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet.

Nous vous informons que ces propos homophobes et discriminatoires ne sont pas tolérables à l’intérieur d’une entreprise.

De plus vous nous avez confirmé que d’autre employé prononçait régulièrement ces propos en votre présence, en tant que manager de cet établissement et responsable hiérarchique direct de Y St B, mineur au moment des faits, vous aviez le devoir de faire cesser immédiatement de tels comportements et d’informer votre hiérarchie, chose qui n’a jamais été faite.

L’ensemble de ces faits constitue des fautes que nous entendons sanctionner.

Les propos homophobes et discriminatoires sont constitutifs de faute lourde ' ».

Contestant le bien-fondé de la mesure ainsi prise à son encontre et réclamant le paiement d’heures supplémentaires, d’indemnités pour travail de nuit et d’indemnités de rupture, Monsieur Q Z a saisi la juridiction prud’homale.

Par jugement du 13 janvier 2014, le Conseil de prud’hommes de Grasse a dit que le licenciement du salarié était dénué de cause réelle et sérieuse, a condamné la SARL DYO à payer à Monsieur Q Z les sommes de :

-681,46 € bruts de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire,

-1823,52 € bruts d’indemnité compensatrice de préavis,

-182,36 € bruts d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

-955,50 € bruts d’indemnité compensatrice de congés payés sur les rémunérations perçues pendant le contrat de travail,

-4800 € d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse tous préjudices confondus,

-800 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

a ordonné à la SARL DYO la remise d’un bulletin de paie et de l’attestation Pôle emploi rectifiée sous astreinte de 30 € par jour de retard à compter du 31e jour après la notification du jugement, a liquidé provisoirement l’astreinte à 30 jours, le Conseil se réservant expressément le pouvoir de la liquider définitivement, a débouté Monsieur Q Z du surplus de ses demandes, a débouté la SARL DYO de sa demande reconventionnelle et a condamné cette dernière aux entiers dépens.

Ayant relevé appel, la SARL DYO conclut à la réformation du jugement aux fins de voir décharger la société concluante de toutes condamnations, reconventionnellement, à la condamnation de Monsieur Q Z au paiement de la somme de 2000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

La SARL DYO fait valoir que les faits sont établis par trois attestations produites aux débats, que Monsieur Q Z connaissait les faits reprochés à l’autre salarié, Monsieur X, et se devait d’aviser la direction, qu’il a par ailleurs participé également aux insultes de son collègue de travail et à son harcèlement, que la société concluante avait l’obligation absolue de sécurité et d’empêcher tout acte de harcèlement, que la plainte déposée pour la présence de caméra est sans incidence et sans rapport avec les graves griefs reprochés au salarié, subsidiairement, que le salarié ne fournit aucun élément sur son préjudice et qu’il doit être débouté de toutes ses demandes.

Monsieur Q Z conclut à la confirmation du jugement déféré et de toutes les condamnations mises à la charge de la SARL DYO, y ajoutant, à ce qu’il soit pris acte que deux chèques, respectivement de 800 € et 500 € lui ont d’ores et déjà été remis et viennent compenser les condamnations en conséquence, et à la condamnation de la SARL DYO à lui payer 2000 € pour exécution déloyale du contrat de travail et 1000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Monsieur Q Z expose qu’il a découvert qu’un magnétophone avec micro avait été mis en place par l’employeur dans la cuisine à l’insu des salariés, qu’à la suite de cette découverte Monsieur X et lui-même se rendaient immédiatement au commissariat afin de déposer une plainte contre la société, que curieusement peu de temps après les deux salariés ont été mis à pied à titre conservatoire, qu’une procédure de licenciement a été initiée à leur rencontre, fondée sur des motifs fallacieux, qu’aucune preuve d’un agissement fautif n’est rapportée, que Monsieur Y E B a lui-même reconnu devant les services de gendarmerie qu’il n’avait jamais été insulté par Monsieur Q Z, que de même aucun élément de preuve versé aux débats ne permet d’assurer que le concluant avait connaissance du fait que des insultes étaient proférées par des collègues à l’encontre de Monsieur Y E B, que le licenciement pour faute lourde du salarié n’apparaît dès lors que comme une mesure de représailles de l’employeur, qu’au surplus, quand bien même la preuve de ces faits serait rapportée (ce qui n’est pas le cas), elle ne permettrait nullement de qualifier cette attitude de faute lourde et qu’il doit être reçu en toutes ses demandes.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, il y a lieu de se référer au jugement du conseil de prud’hommes et aux écritures déposées, oralement reprises.

SUR CE :

Sur l’exécution déloyale du contrat :

Monsieur Q Z ainsi que Monsieur C X ont déposé plainte devant les services de gendarmerie le 12 octobre 2011 à l’encontre de Messieurs M N et K L, cogérants de la SARL DYO, pour avoir installé dans les locaux du restaurant un boîtier contenant une caméra de vidéosurveillance et un microphone à l’insu du personnel. Cette installation a été constatée par les services de gendarmerie intervenue sur les lieux le 12 octobre 2011.

Messieurs M N et K L ont fait l’objet de poursuites pénales pour atteinte à l’intimité de la vie privée par captation ou transmission des paroles d’une personne, sur la période du 1er janvier 2011 au 31 octobre 2011. Ils ont été relaxés des fins de la poursuite par jugement du tribunal correctionnel de Grasse en date du 5 novembre 2012 au motif qu’il n’était pas établi qu’avaient été enregistrés dans le local professionnel des propos autres que des propos ayant pour objet l’activité professionnelle des salariés. Le tribunal correctionnel relevait malgré tout, alors que les cogérants avaient soutenu à l’audience que le système d’enregistrement sonore était nécessairement connu des deux salariés de par la mention de l’article 11 de leur contrat de travail relative à la présence d’un système de vidéosurveillance avec enregistrement, que la notion de vidéosurveillance avec enregistrement, telle qu’elle est définie par l’article 10 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995, le décret n° 96-926 du 17 octobre 1996 et l’arrêté ministériel du 3 août 2007, se réfère exclusivement à l’enregistrement d’images et ne prévoit à aucun moment l’enregistrement sonore et qu’il était donc patent que, si les employeurs avaient bien respecté les dispositions légales et contractuelles quant à la vidéosurveillance, les salariés n’étaient en revanche pas informés de ce dispositif d’enregistrement sonore, ce manquement de l’employeur à son obligation de loyauté et aux dispositions de l’article L. 1222-4 du code du travail relevant le cas échéant de la compétence de la juridiction prud’homale.

Même si les cogérants de la SARL DYO ont soutenu avoir consulté les images de la vidéosurveillance sans le son, ce qui n’est aucunement démontré par la société appelante, celle-ci a exécuté de mauvaise foi le contrat de travail en n’informant pas le salarié de l’installation d’un dispositif d’enregistrement sonore.

Cette exécution de mauvaise foi du contrat de travail par l’employeur a nécessairement causé un préjudice au salarié qui sera réparé par l’allocation de 2000 € à titre de dommages-intérêts.

Sur le licenciement :

La SARL DYO produit à l’appui des griefs cités dans la lettre de licenciement les attestations suivantes :

— l’attestation du 27 novembre 2011 de Monsieur Y E B qui indique : « je vous confirme par écrit ce que je vous ai dit oralement que régulièrement, je suis insulté de Y Rataï qui veut (dire) en arabe Y le Pédé par le Manager Monsieur Q Z et par son collègue Monsieur O X, régulièrement depuis le mois de septembre en présence du reste de l’équipe »,

— l’attestation du 27 novembre 2011 de Monsieur et Madame E B qui déclarent : « nous confirmons que notre fils Y nous a rapporté s’être fait insulter de rataï (pédé en arabe) par Monsieur Q Z, son manager, et par Monsieur O X son collègue livreur. Ces insultes sont régulières et ont commencé en septembre 2011. Nous ajoutons que Y nous a rapporté que Monsieur Z l’a menacé de le frapper dans le mois d’octobre. Depuis septembre Y rentre à la maison en étant dégoûté du travail à cause des insultes et humiliations du manager et de son collègue livreur »,

— l’attestation du 5 décembre 2011 de Monsieur I J qui « déclare avoir entendu à plusieurs reprises Q, manager, et Zihed le livreur voiture, appeler Y, livreur scooter, « Y Hataï » ».

À ces attestations n’est jointe aucune copie de pièce d’identité permettant d’identifier la signature de leurs auteurs, lesquels ne précisent pas que leur témoignage est destiné à être produit en justice et qu’ils ont connaissance qu’une fausse attestation de leur part les expose à une sanction pénale.

Par conséquent, ces attestations non conformes aux dispositions de l’article 202 du code de procédure civile doivent être écartées des débats.

La SARL DYO produit par ailleurs une sommation interprétative effectuée le 26 avril 2012 par G H, huissier de justice, en son étude où ont été « rencontrés de passage » Messieurs I J et Y E B, lesquels ont répondu :

— pour Monsieur Y E B : « -Messieurs Q Z et O X m’insultaient régulièrement et ce, dès que j’ai signé en CDI. Ils m’insultaient en arabe d’Artaï (homosexuel)… J’en avais marre et n’avais plus envie d’aller travailler. J’étais dégoûté »,

— pour Monsieur I J : « Monsieur Y E B avait des problèmes avec le manager Monsieur Q Z et le livreur voiture Monsieur O X. Il subissait régulièrement les insultes de ces deux personnes qui le traitaient notamment d’Artaï (homosexuel en arabe) ».

La société appelante fait valoir par ailleurs que, dans le compte rendu d’entretien préalable établi le 15 décembre 2011 par Monsieur S T, conseiller du salarié assistant Monsieur Q Z, il est mentionné que ce dernier répond : « je n’ai jamais insulté de cette manière ce salarié’ », ce qui signifie selon l’employeur que le salarié veut instituer une « nuance » dans l’insulte.

Par ailleurs, elle produit le procès-verbal d’audition de Monsieur Y E B en date du 17 mai 2012 devant les services de gendarmerie, relevant que l’intéressé a précisé que Q Z lui parlait mal et le rabaissait en lui disant « t’es con ».

Il convient d’observer que seuls des propos homophobes et discriminatoires sont reprochés à Monsieur Q Z dans la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige.

Il ressort du procès-verbal d’audition du 17 mai 2012 de Monsieur Y E B, devant les services de gendarmerie, que celui-ci, après avoir déclaré que Monsieur Q Z et le deuxième livreur l’avaient insulté en arabe (« artaï »), a finalement précisé que Monsieur X l’avait « bien traité d’artaï » mais que Monsieur Q Z n’avait pas utilisé de tels propos à son égard mais qu’il le « rabaissait » en utilisant des propos tels que « t’es con ou quoi ».

Au vu du dernier témoignage de Monsieur Y E B, il n’est pas établi que Monsieur Q Z ait tenu des propos homophobes et discriminatoires envers ce salarié ou qu’il était présent lors d’ « insultes » proférées par Monsieur X, étant observé que l’échange d’ « insultes » apparaissait habituel dans ce milieu professionnel, Monsieur E B lui-même ayant reconnu qu’il pouvait « utiliser assez souvent l’expression du genre « t’es con ».

En réalité, il résulte des éléments versés aux débats que l’employeur a engagé la procédure disciplinaire à l’encontre de Monsieur Z pour un motif non réel et sérieux à la suite de la plainte déposée par le salarié pour l’installation à son insu d’un dispositif d’enregistrement sonore dans les locaux professionnels .

En conséquence, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a dit que le licenciement de Monsieur Q Z était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Au vu des salaires versés à Monsieur Q Z sur les trois derniers mois précédant son licenciement, tels que mentionnés sur l’attestation Pôle emploi (2034,57 € en septembre 2011, 1825,31 € en octobre 2011 et 1610,70 € en novembre 2011, soit en moyenne 1823,52 €), il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu’il a alloué au salarié 1823,52 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 182,36 € au titre des congés payés sur préavis. Il est également dû au salarié la somme brute de 681,46 € à titre de rappel de salaire retenu sur la période de mise à pied à titre conservatoire.

Il ressort du bulletin de paie de novembre 2011 que Monsieur Q Z avait acquis 15 jours de congés payés, qui ne lui ont pas été réglés. Il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a alloué au salarié la somme brute de 955,50 € à titre d’indemnité compensatrice de congés payés, dont le calcul du montant n’est pas utilement discuté.

Monsieur Q Z ne verse aucun élément sur l’évolution de sa situation professionnelle et sur son préjudice.

En considération de son ancienneté de sept mois dans l’entreprise et du montant de son salaire mensuel brut, la Cour confirme l’évaluation faite par les premiers juges de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur de 4800 €.

Les autres dispositions du jugement quant à la délivrance des documents sociaux sous astreinte doivent également être confirmées.

Sur l’article 700 du code de procédure civile :

Il y a lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, tel que précisé au dispositif.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

STATUANT PUBLIQUEMENT, EN MATIERE PRUD’HOMALE, PAR ARRET CONTRADICTOIRE,

Reçoit les appels en la forme,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande en paiement de dommages intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

Condamne la SARL DYO à l’enseigne SUSHI SPIRIT à payer au surplus à Monsieur Q Z 2000 € de dommages intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

Condamne la SARL DYO aux dépens et à payer à Monsieur Q Z 1000 € supplémentaires au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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