Cour d'appel d'Angers, 16 décembre 2014, n° 13/01258

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Angers, 16 déc. 2014, n° 13/01258
Juridiction : Cour d'appel d'Angers
Numéro(s) : 13/01258
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Le Mans, 18 mars 2013, N° 11/01717

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL

D’ANGERS

CHAMBRE A – CIVILE

XXX

ARRET N°

AFFAIRE N° : 13/01258

Jugement du 19 Mars 2013

Tribunal de Grande Instance du MANS

n° d’inscription au RG de première instance : 11/01717

ARRÊT DU 16 DECEMBRE 2014

APPELANTES :

SA EUROMAF prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

XXX

XXX

Société MAF prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

XXX

XXX

Représentées par Me Patrick BARRET de la SARL BARRET PATRICK ET ASSOCIES, avocat postulant au barreau d’ANGERS – N° du dossier 130247 et Me Marc FLINIAUX, avocat plaidant au barreau de PARIS

INTIMEES :

Madame Z A épouse X

née le XXX à XXX

XXX

XXX

Représentée par Me Antoine BEGUIN, avocat postulant au barreau D’ANGERS et Me DAVE substituant Me Pascal GEOFFRION, avocat plaidant au barreau de PARIS

SARL ATELIER D’ARCHITECTURE C prise en la personne de ses co-gérants domiciliés en cette qualité audit siège.

XXX

XXX

SARL B C prise en la personne de son Gérant domicilié en cette qualité audit siège

XXX

XXX

Représentées par Me B CHATTELEYN de la SCP CHATTELEYN ET GEORGE, avocat postulant au barreau d’ANGERS – N° du dossier 41033 et Me DUCHESNE substituant Alain TAMEGNON – HAZOUME, avocat plaidant au barreau de PARIS

INTIMEE EN INTERVENTION FORCEE :

SELARL G-I, prise en la personne de Maître F G, en qualité de mandataire liquidateur de la société ATELIER D’ARCHITECTURE C

XXX

XXX

Représentée par Me B CHATTELEYN de la SCP CHATTELEYN ET GEORGE, avocat postulant au barreau d’ANGERS – N° du dossier 41033 et Me DUCHESNE substituant Alain TAMEGNON – HAZOUME, avocat plaidant au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue publiquement, à l’audience du 28 Octobre 2014 à 14 H 00, Madame GRUA, Conseiller ayant été préalablement entendu en son rapport, devant la Cour composée de :

Monsieur HUBERT, Président de chambre

Madame GRUA, Conseiller

Monsieur CHAUMONT, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame LEVEUF

ARRET : Contradictoire

Prononcé publiquement le 16 décembre 2014 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l’article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Louis-Denis HUBERT, Président de chambre et par Christine LEVEUF, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Courant 2007, Mme Z X a confié à la société d’exploitation B C, assurée auprès de la société Euromaf, et à la société Atelier d’architecture C, assurée auprès de la Mutuelle des architectes français (MAF), la maîtrise d’oeuvre complète des travaux de rénovation et d’agrandissement de deux ensembles d’habitation à usage de gîte situés à Soulitré, dans la Sarthe, pour un coût global de 580 344'00 euros.

La société Service Confort de l’Habitat (SCH) a été choisie pour la réalisation des travaux tous corps d’état selon devis acceptés les 24 septembre 2007 et 18 janvier 2008.

Alors que les travaux auraient dû être livrés le 30 juin 2008, la réception est intervenue avec réserves le 19 novembre 2008.

Les réserves n’étant pas levées, d’autres désordres étant apparus, Mme X va obtenir du juge des référés, selon ordonnance du 18 mars 2009, la désignation de l’expert Poux.

Au cours des opérations d’expertise, il est apparu que la société SCH, qui avait remis à Mme X une attestation d’assurance de la société AXA, n’était pas couverte par un quelconque contrat d’assurance.

Dans son rapport déposé le 7 février 2011, l’expert a considéré que les constats et investigations menées au cours de l’expertise attestent que l’opération de construction a été menée sans aucun respect des règles élémentaires de conception et de suivi des travaux, lesquels sont entachés de nombreux désordres, manquements et non conformités d’exécution et que les réserves émises lors de la réception sont mineures au regard des malfaçons et manquements dont la plupart étaient décelables par tout professionnel du bâtiment. Il a conclu que les non conformités et malfaçons font obstacle à l’occupation des gîtes, la sécurité des personnes et des biens n’étant pas assurée. Devant l’ampleur des travaux de réfection et le risque de découverte d’autres malfaçons en cours de chantier, l’expert a estimé que la réfection complète de l’ouvrage s’impose pour un coût de 540 000,00 € TTC, ajoutant qu’il était à craindre que ce budget soit dépassé. Il a chiffré les préjudices liés aux mesures d’urgence à 2 678,52 euros, les pertes d’exploitation à 50 000,00 €HT annuels à compter du 1er août 2008.

La procédure de liquidation judiciaire de la société SCH, ouverte le 17 mars 2010, a fait l’objet d’un jugement de clôture pour insuffisance d’actif prononcé le 17 février 2011 par le tribunal de commerce de Créteil.

Par actes délivrés les 18 et 21 mars 2011, Mme X a fait assigner la société SCH, la société d’exploitation B C (la société d’exploitation) et la société atelier d’architecture C (la société d’architecture) en paiement de dommages et intérêts de 672 678,52 euros en réparation de ses préjudices et appeler la société Euromaf et la MAF en garantie.

Par un jugement rendu le 19 mars 2013, le tribunal de grande instance du Mans a déclaré irrecevable toute demande à l’encontre de la société SCH, condamné la société d’exploitation et la société d’architecture, in solidum, au paiement de ladite somme de 672 678,52 euros avec intérêts au taux légal à compter de la décision, capitalisés, dit que la société Euromaf et la MAF devraient garantir leurs assurées, condamné les sociétés d’exploitation et d’architecture au paiement d’une indemnité de procédure, le tout sous exécution provisoire à concurrence des deux tiers du montant des condamnations.

Selon une déclaration reçue au greffe de la cour le 7 mai, la société Euromaf et la MAF ont relevé appel de cette décision.

Mme X a fait assigner la société G-I, mandataire à la liquidation judiciaire de la société d’architecture selon un jugement du tribunal de commerce de Meaux du 1er décembre 2013, en intervention forcée selon un acte délivré le 11 avril 2014.

Les parties ont conclu, à l’exception de la société G-I qui n’a pas constitué avocat. L’ordonnance de clôture est intervenue le 2 octobre 2014.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Les dernières conclusions, déposées les 25 septembre 2014 par les appelantes, 1er octobre 2013 par les sociétés d’exploitation et d’architecture et 17 juin 2014 par Mme X, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, peuvent se résumer ainsi qu’il suit.

La société Euromaf et la MAF demandent d’infirmer le jugement et débouter tant Mme X que les sociétés d’exploitation et d’architecture de leurs demandes dirigées contre la MAF, statuant à nouveau, débouter Mme X de ses demandes, faute de rapporter la preuve que des désordres de nature décennale seraient imputables aux sociétés d’exploitation ou d’architecture et en l’absence de preuve de fautes à l’encontre de ces dernières, subsidiairement, dire et juger que la société d’exploitation a déployé une activité non conforme à celle garantie par la société Euromaf et dire celle-ci fondée à lui opposer une non garantie, dire et juger qu’en application de l’article L. 113-9 du code des assurances, la MAF ne pourra garantir la société d’architecture qu’à hauteur de 14% des condamnations mises à sa charge, rejeter toute demande formulée par les sociétés d’exploitation, d’architecture ou Mme X à leur encontre, plus subsidiairement, débouter Mme X de ses demandes au titre des travaux de reprise sur la cheminée, le ravalement des façades et les désordres affectant les menuiseries, au titre des pertes financières, la débouter de ses demandes de capitalisation des intérêts, d’augmentation de son préjudice financier et d’augmentation de son préjudice matériel, les causes du jugement assorti de l’exécution provisoire étant réglées, dire que toutes leurs garanties se feront dans les limites et conditions de la police contenant des franchises opposables aux tiers lésés, condamner Mme X, les sociétés d’exploitation et d’architecture au paiement d’une indemnité de procédure de 5 000,00 euros.

Le premier juge ayant retenu que des désordres de nature décennale affectaient les terrasses, charpente, installations électriques et gaz, isolation, murs enterrés du local technique, réseaux d’alimentation et assainissement et la réfection subséquente des embellissements, d’une part, et que les autres désordres ressortaient de l’article 1147 du code civil y compris ceux objet de réserves comme le parquet, les menuiseries et les enduits, d’autre part, ils soutiennent qu’il appartient à Mme X de rapporter la preuve de l’imputabilité des premiers aux constructeurs, de prouver la faute spécifique de chacun des intervenants à l’acte de construire, du préjudice direct en résultant et du lien de causalité pour les seconds, ce qu’elle ne fait pas.

Constatant que Mme X n’a signé aucun contrat de maîtrise avec l’une ou l’autre société dont M. B C assure la gérance, elles reprochent au premier juge d’avoir retenu, pour prononcer une condamnation in solidum, que cette absence de contrat et le manque de précision des factures étaient le fait des sociétés alors qu’il appartient à Mme X de rapporter la preuve de l’imputabilité des désordres à l’une ou l’autre au visa de l’article 1792 du code civil et de rapporter la preuve de la faute de l’une ou l’autre en fonction de son domaine d’intervention pour les désordres de nature non décennale.

Elles font plaider subsidiairement que la police souscrite par la société d’exploitation auprès de la société Euromaf mentionne en page 2 des conditions particulières les missions d’architecture intérieure, sans intervention sur la structure, le clos, le couvert et les aménagements extérieurs des bâtiments, les missions d’architecture intérieure dont le montant n’excède pas 25% des travaux portant sur le clos et le couvert, alors que l’expertise a fait apparaître que les lots gros oeuvre et couverture excédaient le seuil de 25% du montant global des travaux, raisons pour lesquelles, par courrier du 29 mars 2010 elle a notifié une non garantie à la société d’exploitation, laquelle l’a reconnue dans son courrier du 31 mai 2010, pièce n°13. Elles reprochent au premier juge d’avoir retenu que la société Euroaf avait pris la direction du procès, alors qu’en raison de l’incertitude sur la mission exacte dévolue à la société d’exploitation elle ne pouvait se déterminer, l’article L. 113-17 du code des assurances énonçant bien que l’assureur ne peut renoncer qu’aux exceptions dont il avait connaissance lorsqu’il a pris la direction du procès.

Elles reprochent au premier juge d’avoir écarté la réduction proportionnelle opposée par la MAF à la société d’architecture au motif qu’elle ne pouvait que se rendre compte de ce que la mission de l’architecte étant limitée à 30%, sa part d’intérêt ne pouvait être de 10%. Elles soutiennent qu’à chaque chantier correspond un risque individualisé donnant lieu au paiement d’une cotisation calculée par l’architecte en fonction du montant des travaux, de l’étendue de la mission confiée et de l’intervention éventuelle d’un co-traitant, la déclaration faite le 31 décembre de chaque année au plus tard permettant à l’assureur d’apprécier le risque pris en charge constituant une condition de la garantie pour chaque mission ; en déclarant au titre de l’année 2008 une mission de permis de construire, dont la cotisation est calculée sur 30% du montant des travaux, avec une part d’intérêt de 10%, les 90% restants étant portés au crédit de la société d’exploitation en qualité de co-traitant, la société d’architecture a cotisé sur une mission simple de permis de construire alors qu’elle était investie d’une mission complète et devait cotiser sur 100%. Elles considèrent que le risque ayant été sous-déclaré, la MAF est fondée, en application de l’article L. 113-9 du code des assurances à invoquer l’application de la règle de réduction proportionnelle.

Elles font plaider très subsidiairement que Mme X n’est pas fondée à obtenir leur condamnation au paiement des travaux de reprise ayant fait l’objet de réserves qui relèvent de la garantie de parfait achèvement. Elles contestent devoir indemniser toute perte financière relative à la non ouverture du gîte, faute de démonstration de l’intimée et d’avis de l’expert qui s’est contenté de reprendre ses affirmations. Elles précisent que la MAF a versé la somme de 223 966,74 euros en exécution du jugement et considèrent qu’il ne peut être fait droit à la demande d’application de l’indice du coût de la construction ou d’augmentation du préjudice commercial.

Les sociétés d’exploitation et d’architecture demandent de déclarer les appelantes non fondées en leur appel et les en débouter, les recevant en leur appel incident, infirmer le jugement, dire et juger que les désordres et malfaçons relèvent de la seule responsabilité contractuelle de la société SCH et déclarer Mme X irrecevable en tout cas mal fondée en l’ensemble de ses demandes et l’en débouter, débouter la société Euromaf et la MAF de l’ensemble de leurs demandes, à titre subsidiaire, si leur responsabilité devait être retenue, confirmer le jugement en ce qu’il retient l’entière garantie de ces dernières et les condamner à les garantir de toutes leurs condamnations, en toute hypothèse, déclarer non fondée toute demande dirigée contre elles et condamner Mme X, à défaut la société Euromaf et la MAF in solidum au paiement des dépens.

Elles soutiennent que l’expert ayant relevé un défaut de réalisation et précisé que l’ampleur des désordres laisse douter de la capacité et des compétences de l’entreprise à réaliser les travaux tous corps d’état d’une telle opération, seule la société SCH est responsable des désordres. Elles prétendent que c’est à tort que l’expert leur a imputé de graves manquements dans la direction des travaux, sans préciser ces manquements et déterminer la société qui en est responsable alors qu’elles n’ont commis aucune faute puisque, tout au long du chantier elles ont fait constater les malfaçons aux entreprises et émis des réserves lors de la réception. Elles concluent à leur absence de responsabilité, précisant que c’est Mme X qui a insisté pour que le marché soit attribué à la société SCH.

Elles approuvent subsidiairement le premier juge d’avoir retenu la garantie des appelantes, rappellent qu’elles ont indiqué à l’expert qu’elles les représentaient, les assistant pendant les opérations d’expertise et mandaté leur avocat pour les représenter et ajoutent, que ne s’étant pas opposées à la mise hors de cause d’Axa assureur de la société SCH, responsable des désordres, elles ont accepté de les garantir. Elles relèvent que c’est après avoir constaté que les prestations réalisées par chacune ne pouvaient être déterminées que la MAF soutient que les travaux de clos, couvert et aménagements extérieurs auraient porté sur plus de 25% des travaux réalisés alors que cela ne ressort pas du rapport d’expertise et qu’elle n’a pas demandé à l’expert de déterminer la part des travaux réalisés par la société d’architecture et elles considèrent qu’elle ne peut invoquer une réduction proportionnelle sans apporter la preuve d’un dépassement du taux contractuel.

Elles estiment que Mme X, qui se borne à se prévaloir du rapport d’expertise, ne justifie pas du préjudice qu’elle invoque.

Mme X demande, au vu des articles 1792 et suivants et 1147 et suivants du code civil, de confirmer le jugement quant à l’imputabilité des désordres aux sociétés d’exploitation et d’architecture et leur responsabilité contractuelle, condamner la société d’exploitation au paiement de la somme de 812 147,63 euros à titre de dommages et intérêts, sauf à parfaire, fixer cette créance au passif de la société d’Architecture, assortir les condamnations d’intérêts au taux légal à compter de l’assignation, et ordonner leur capitalisation, condamner la société Euromaf et la MAF à garantir leurs assurées, condamner in solidum la société d’exploitation et les assureurs au paiement d’une indemnité de procédure de 30 000 euros, fixer cette créance au passif de la société d’architecture, dire qu’en cas d’exécution forcée le montant des sommes retenues par l’huissier devra être supporté par le débiteur.

Elle approuve le premier juge d’avoir retenu la responsabilité des sociétés d’exploitation et d’architecture et de les avoir condamnées à réparer le préjudice résultant de leurs manquements et inexécutions contractuelles et d’avoir condamné les assureurs à les garantir. Elle soutient que la mission de maîtrise d’oeuvre était dévolue indistinctement aux deux sociétés, le courrier du 21 septembre 2007, pièce n°21, par lequel M. B C a précisé le montant des honoraires de maîtrise d’oeuvre, étant établi à en tête des deux sociétés, comme l’ensemble des factures, pièce n°61, et le tableau récapitulatif des règlements pour un montant total de 46 441,48 €HT et elle considère n’avoir pas à préciser les contours de l’intervention de chacune.

Sur l’exclusion de garantie soulevée par la société Euromaf, elle fait valoir que cet assureur est présumé y avoir renoncé puisque pendant toute la procédure de référé-expertise, il a été représenté par le même conseil que son assurée. Elle rappelle, en réponse à l’application de la règle de réduction proportionnelle invoquée par la MAF que les manquements de l’assuré à l’égard de son assureur sont inopposables au tiers bénéficiaire.

Elle souligne que les désordres réservés rendent l’immeuble impropre à sa destination, au vu de leur ampleur et de leurs conséquences dommageables qui se sont révélées au cours de la garantie décennale et se sont combinées avec des vices cachés et considère que l’assurance dommages doit s’appliquer.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Tout constructeur d’un ouvrage est, à l’énoncé de l’article 1792 du code civil, responsable de plein droit envers le maître de l’ouvrage des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination.

S’agissant d’une présomption de responsabilité, la mise en jeu de la garantie n’est pas subordonnée à la démonstration d’une faute du constructeur. Seules doivent être constatées l’existence d’un dommage présentant les caractéristiques nécessaires à sa mise en jeu et l’imputabilité du dommage au constructeur.

Il ne peut être contesté que les nombreuses non conformités et malfaçons constatées par l’expert font obstacle à l’occupation des gîtes, la sécurité des personnes et des biens n’étant pas assurée, et il faut en déduire que l’ouvrage est impropre à sa destination, d’autant que l’expert a approuvé les entreprises qui proposaient des réfections complètes en considérant qu’elles ne pouvaient engager leur responsabilité en intervenant ponctuellement sur l’ouvrage.

Par ailleurs, les défauts signalés à la réception ne s’étant révélés qu’ensuite dans toute leur ampleur et leurs conséquences, Mme X est fondée à en demander la réparation aux constructeurs sur le fondement de la garantie décennale.

Il est certain que la garantie décennale d’un constructeur ne peut être engagée qu’en présence de désordres imputables, dans le cas d’un maître d’oeuvre, à la prestation intellectuelle qu’il a réalisée.

L’expert a été d’avis, page 37 de son rapport, que de graves manquements dans la direction des travaux ont contribué à la situation actuelle. Il a retenu qu’en cours de chantier, de nombreuses malfaçons et non conformités d’exécution étaient décelables par un professionnel de la maîtrise d’oeuvre (terrasses extérieures, pose des menuiseries extérieures, non renforcement de la charpente suite aux modifications, installation gaz, étanchéité des murs du local technique, assainissement autonome, pose inversée de l’isolant, enduit d’imperméabilisation des murs extérieurs, terrasses R+1 et garde-corps) et que les réserves émises à la réception par le maître d’oeuvre étaient sans rapport avec l’ampleur des malfaçons et non conformités d’exécution.

Le dommage est donc imputable aux manquements de la maîtrise d’oeuvre, l’éventuel choix de l’entrepreneur fait par le maître de l’ouvrage ne la dispensant de son obligation de surveiller et de contrôler les travaux afin de lui livrer un ouvrage conforme aux règles de l’art.

Mme X ayant confié la maîtrise d’oeuvre complète des travaux de rénovation et d’agrandissement de deux ensembles d’habitation à usage de gîte, indistinctement aux sociétés d’exploitation et d’architecture, ainsi que le prouvent le courrier du 21 septembre 2007 établi à en tête des deux sociétés, pièce n°21, par lequel M. B C a précisé le montant des honoraires de maîtrise d’oeuvre, les factures au nom de l’une ou de l’autre, sans précision de leur objet, et les comptes-rendus de chantier à en tête de la société d’exploitation, c’est en faisant une exacte analyse des faits de la cause et du droit des parties que le premier juge a considéré que leur responsabilité in solidum devait être retenue, d’autant qu’au cours des opérations d’expertise, aucune des parties n’a demandé à l’expert de distinguer les prestations de chacune.

La société d’exploitation a souscrit auprès de la société Euromaf une police garantissant sa responsabilité décennale pour les missions précisées au titre des conditions particulières :

— les missions d’architecture intérieure, c’est à dire d’aménagement et d’équipement des espaces intérieurs des constructions y compris les vitrines commerciales, sans intervention sur la structure, le clos, le couvert et les aménagements extérieurs des bâtiments,

— les missions d’architecture intérieure, c’est à dire d’aménagement et d’équipement des espaces intérieurs des constructions et relatives à des ouvrages pouvant comporter des travaux portant sur la structure, le clos, le couvert ou les aménagements extérieurs des bâtiments dont le montant n’excède pas 25% des travaux réalisés au titre des ouvrages.

La société Euromaf ne peut, à la fois soutenir que le devis de l’entreprise SCH du 18 juillet 2008 'démontre que les travaux de gros oeuvre, clos et couvert et aménagement extérieur ont représenté 50% du montant des travaux hors piscine’ (page 7 des ses conclusions) et, pour critiquer le jugement, que 'les devis SCH ne suffisaient pas en eux-mêmes à justifier une non garantie de la compagnie Euromaf faute d’élément sur la mission réelle confiée à son assurée’ (page 9 de ses conclusions).

La mission confiée à la société d’exploitation n’ayant pas été distinguée de celle confiée à la société d’architecture, la société Euromaf, qui ne peut établir que des travaux portant sur la structure, le clos, le couvert ou les aménagements extérieurs des bâtiments dépassant le plafond contractuel de garantie de 25% avaient bien été confiés à son assurée, n’est pas fondée à lui opposer une quelconque exception de garantie.

Le contrat d’assurance responsabilité des architectes souscrit le 6 juin 2007 par la société d’architecture auprès de la MAF stipule, articles 5.2 et 8.115 des conditions générales, que pour le 31 mars de chaque année l’adhérent fournit à l’assureur la déclaration de l’ensemble des missions constituant son activité professionnelle, afin de renseigner l’assureur sur son étendue, sur l’identité de l’opération et sur le montant des travaux ou honoraires. 'Elle permet à l’assureur d’apprécier le risque qu’il prend en charge et constitue une condition de la garantie pour chaque mission'. Toute déclaration inexacte d’une mission, si elle est constatée après sinistre, donne droit à l’assureur de réduire l’indemnité en proportion des cotisations payées par rapport aux cotisations qui auraient été dues pour cette mission si elle avait été complètement et exactement déclarée.

S’il est certain que la part d’intérêt de l’architecte chargé d’une mission correspondant à son monopole, le permis de construire, doit être de 30%, alors que la société d’architecture a déclaré une part d’intérêt de 10%, la MAF ne peut prétendre lui opposer une réduction proportionnelle limitant sa garantie à 14% du montant des condamnations.

En effet, pour limiter sa garantie, elle retient que le chantier figure dans les déclarations d’activité professionnelle de la société pour un montant correspondant à 14% du coût réel des travaux, alors qu’ayant participé aux opérations d’expertise et n’ayant pas demandé à l’expert de déterminer l’étendue de la mission confiée à la société d’architecture, elle n’est pas en mesure de déterminer l’assiette des cotisations qu’elle aurait pu percevoir.

Le jugement qui a retenu que tant la société Euromaf que la MAF devront leur garantie sera, en conséquence, confirmé.

Le premier juge a condamné les sociétés d’exploitation et d’architecture au paiement d’une somme de 672 678,52 euros, à savoir, le montant des travaux de reprise pour 540 000,00 €HT, les frais liés aux travaux d’urgence pour 2 678,52 €TTC et la perte d’exploitation pour 130 000,00 €HT au jour du dépôt du rapport d’expertise (sur une base de 50 000,00 euros l’an).

Mme X demande le paiement d’une somme de 571 969,11 euros tenant compte de l’indexation du montant des travaux de reprise sur l’indice du coût de la construction au 1er trimestre 2013, d’une indemnité pour perte d’exploitation de 237 500,00 euros, outre les frais liés aux travaux d’urgence pour 2 678,52 euros, soit au total, 812 147,63 euros.

Le montant des travaux de reprise évalué par l’expert à une somme de 540 000,00 €HT n’est pas discuté. Cette somme sera indexée sur l’indice BT 01 du coût de la construction entre le 7 février 2011, date de dépôt du rapport d’expertise, et celle du paiement, étant précisé que par chèques transmis par un courrier recommandé à l’avocat de Mme X, qui en a accusé réception le 9 août 2013, la société Euromaf et la MAF ont réglé chacune la somme de 223 966,74 euros, soit au total 447 933,48 euros au titre de l’exécution provisoire de la décision.

Les frais liés aux travaux d’urgence, d’un montant de 2 678,52 euros, seront assortis d’intérêts au taux légal à compter du jugement.

Pour ce qui concerne la perte d’exploitation, il n’est pas contesté que les bâtiments litigieux devaient être exploités par Mme X à usage de gîte. Cependant, son préjudice est constitué par la perte d’une chance actuelle et certaine de percevoir des gains du fait de cette exploitation. La réparation de ce préjudice doit donc être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée. Les bâtiments n’ayant pu être exploités depuis la réception des travaux le 19 novembre 2008, il convient d’allouer à Mme X une somme de 130 000,00 euros.

La société d’exploitation sera condamnée in solidum avec la société Euromaf et la MAF au paiement des sommes précitées, des entiers dépens d’appel et au paiement d’une indemnité de procédure de 6 000,00 euros au profit de Mme Z X.

La créance de Mme X au passif de la liquidation judiciaire de la société d’architecture sera fixée à 540 000,00 € HT indexée sur l’indice BT 01 du coût de la construction à compter du 7 février 2011 (à déduire 447 933,48 euros réglés par les assureurs selon chèques transmis le 9 août 2013) + 2 678,52 euros avec intérêts au taux légal à compter du 19 mars 2013 + 130 000,00 euros, à titre principal, outre les frais de procédure de première instance, l’indemnité de procédure de 8 500,00 euros allouée en première instance et l’indemnité de procédure de 6 000,00 euros en cause d’appel.

Il convient de préciser que les sommes retenues par l’huissier ne peuvent être mises à la charge du débiteur en cas d’exécution forcée, le tarif des huissiers étant d’ordre public.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire ;

Infirme le jugement déféré uniquement en ce qu’il condamne la société atelier d’architecture C au paiement de diverses sommes et en ce qu’il condamne toute partie au paiement d’une somme globale de 672 678,52 euros ;

Statuant à nouveau ;

Condamne la société d’exploitation B C in solidum avec la société Euromaf et la Mutuelle des architectes français à payer à Mme Z X :

— la somme de 540 000,00 €HT indexée sur l’indice BT 01 du coût de la construction du 7 février 2011 à la date du paiement, dont à déduire un règlement de 447 933,48 euros par chèques transmis le 9 août 2013, au titre des travaux de reprise ;

— la somme de 2 678,52 euros avec intérêts au taux légal à compter du 19 mars 2013, au titre des travaux d’urgence ;

— la somme de 130 000,00 euros au titre du préjudice lié à la perte d’exploitation ;

Fixe la créance de Mme Z X au passif de la liquidation judiciaire de la société atelier d’architecture C à 540 000,00 € HT indexée sur l’indice BT 01 du coût de la construction à compter du 7 février 2011 (à déduire 447 933,48 euros réglés par les assureurs selon chèques transmis le 9 août 2013) + 2 678,52 euros avec intérêts au taux légal à compter du 19 mars 2013 + 130 000,00 euros, à titre principal, outre les frais de procédure de première instance et d’appel et l’indemnité de procédure de 8 500,00 euros en première instance, 6 000,00 euros en cause d’appel ;

Rejette toute autre demande ;

Confirme le jugement déféré pour le surplus ;

Condamne la société d’exploitation B C in solidum avec la société Euromaf et la Mutuelle des architectes français au paiement des entiers dépens d’appel et d’une indemnité de procédure de 6 000,00 euros au profit de Mme Z X, au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

Christine LEVEUF Louis-Denis HUBERT

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Cour d'appel d'Angers, 16 décembre 2014, n° 13/01258