Cour d'appel d'Angers, Troisième chambre, 25 janvier 2018, n° 16/02302

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Angers, troisième ch., 25 janv. 2018, n° 16/02302
Juridiction : Cour d'appel d'Angers
Numéro(s) : 16/02302
Décision précédente : Conseil de prud'hommes d'Angers, 13 septembre 2016, N° 15/00893
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL

d’ANGERS

Chambre Sociale

ARRÊT N°

Numéro d’inscription au répertoire général :

16/02302.

Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ANGERS, décision attaquée en date du 14 Septembre 2016, enregistrée

sous le n° 15/00893

ARRÊT DU 25 Janvier 2018

APPELANT :

Monsieur AO AP AQ

[…]

[…]

représenté par Maître HUCHON, avocat substituant Maître Nicolas ORHAN de la SCP OUEST DEFENSE & CONSEIL, avocats au barreau de SAUMUR – N° du dossier 1411018

INTIMEE :

LA SAS LABORATOIRES CONVATEC

[…]

[…]

représentée par Maître WOLFF, avocat plaidant au barreau de PARIS et par Maître LANGLOIS de la SCP ACR, avocats postulant au barreau d’ANGERS – N° du dossier 71160381

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 04 Décembre 2017 à 14H00, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame AM GENET, conseiller chargé d’instruire l’affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Françoise ANDRO-COHEN, président

Monsieur BD de ROMANS, conseiller

Madame AM GENET, conseiller

Greffier : Madame BODIN, greffier.

ARRÊT : prononcé le 25 Janvier 2018, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame ANDRO-COHEN, président, et par Madame BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*******

FAITS ET PROCEDURE

M. AO AP-AQ a été engagé le 1er mai 2005 par la Sas Laboratoire ConvaTec, par contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de directeur régional Ouest, de statut cadre, niveau 9 en application de la convention collective fabrication et commerce des produits à usage pharmaceutique, parapharmaceutique et vétérinaire. Il a bénéficié d’une reprise d’ancienneté au 25 août 1997, à la suite d’un transfert du contrat de travail de son ancien employeur, la société Bristol-Myers Squibb et, en dernier lieu, d’une rémunération mensuelle brute de 6590,06 euros. Il animait la région Ouest et encadrait 13 responsables de secteur.

La société Laboratoire ConvaTec développe et commercialise des techniques médicales dans trois principaux domaines d’activité : la stomathérapie, la cicatrisation et l’incontinence, et la réanimation. Elle emploie plus de 10 salariés.

Par courrier recommandé en date du 17 octobre 2014, la société Laboratoire ConvaTec a convoqué M. AP-AQ à un entretien préalable au licenciement fixé au 30 octobre 2014, après mise à pied à titre conservatoire.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 4 novembre 2014, M. AP-AQ a été licencié pour faute grave. Il lui était reproché des faits de harcèlement moral sur plusieurs collaborateurs de la société.

Le 12 novembre 2014, M. AP-AQ a saisi le conseil de prud’hommes d’Angers d’une contestation de son licenciement pour obtenir, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, la condamnation de son ancien employeur à lui payer différentes sommes pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement, d’indemnité de préavis et les congés payés afférents, à titre de rappel de salaire relatif à la mise à pied conservatoire et les congés payés afférents et sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. Avant dire droit, il sollicitait l’audition de plusieurs personnes.

Par jugement en date du 14 septembre 2016, le conseil de prud’hommes d’Angers a :

— rejeté la demande d’audition des témoins,

— dit que le licenciement de M. AP-AQ pour motif personnel est fondé,

— rejeté la demande présentée par M. AP-AQ à titre de dommages et intérêts,

— rejeté les demandes présentées par les parties sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamné M. AP-AQ aux dépens.

M. AP-AQ a régulièrement interjeté appel de cette décision par déclaration électronique en date du 28 septembre 2016.

L’instruction de ce dossier a été clôturée par ordonnance en date du 6 juin 2017.

Ce dossier a été fixé pour plaidoiries à l’audience du conseiller rapporteur du 4 décembre 2017.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

M. AO AP-AQ, dans ses conclusions récapitulatives n°2 adressées le 5 juin 2017, régulièrement communiquées, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, conclut :

— à la réformation du jugement de première instance,

— qu’il soit ordonné, avant toute décision au fond et en application des dispositions des articles 203 et suivants du code de procédure civile, l’audition des personnes suivantes:

— Mme I J né le […] à Levallois-Perret et demeurant 43 avenue de la Jonchère à la Celle-AP-Cloud (78170),

— M. K L né le […] à […]

— Mme E M née le […] à […] à […]

— Mme AY BF AP-AZ née le […] à AP Malo,

— Mme AH BA-AI née le […] à AP Brieux et demeurant Carquefou (44),

— Mme N O née le […] au […] à […]

— Mme P Q née le […] à Rouen et demeurant 92 boulevard AT Guillou à […]

— M. X Le Reun né le […] à Pont-Labbé,

— Mme AJ BB-BC née le […] à […]

— Mme R F demeurant […]

— M. S T,

— Mme U V,

— Mme P W,

— M. Y Le Strat,

— M. AA AB,

— M. AT AU,

— M. AC AD demeurant […]

— Mme AV AW AX demeurant […]

— Mme AE AF demeurant […]

— M. AG G de Potter né le […], demeurant clos AP Antoine, 4 rue du Marais 59251

Allennes les Marais,

— M. BD-BE H né le […], […]

— Mme Z,

— Mme A,

en tout état de cause,

— qu’il soit dit et jugé que le licenciement prononcé est dénué de toute cause réelle et sérieuse,

— à la condamnation de la société Laboratoires ConvaTec à lui payer les sommes suivantes :

—  200'000 euros à titre d’indemnité pour licenciement abusif,

—  59'376,41 euros à titre d’indemnité de licenciement,

—  20'956,38 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

—  2095,64 euros au titre de l’incidence de congés payés,

—  4506,75 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied,

—  450,67 euros au titre de l’incidence de congés payés,

— à la condamnation de la société Laboratoires ConvaTec sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à lui délivrer les documents de fin de contrat rectifiés en fonction de la décision à intervenir,

— au rejet des demandes présentées par la société,

— à la condamnation de la société Laboratoires ConvaTec à lui payer la somme de 4000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’au paiement des entiers dépens.

Au soutien de ses intérêts, M. AO AP-AQ fait valoir :

— qu’aucune enquête contradictoire sérieuse n’a été mise en oeuvre au sein de l’entreprise afin de vérifier les accusations portées contre lui, en associant les représentants du personnel et le médecin du travail. Il ajoute qu’il n’a jamais été invité à s’expliquer sur les plaintes et les allégations des collègues dont il a eu connaissance au moment de l’entretien préalable. Il souligne qu’il ne s’est écoulé que 14 jours entre la réception du premier questionnaire RPS par la directrice des Ressources humaines et l’envoi de la lettre de convocation à l’entretien préalable. Il indique que l’entreprise ne justifie pas des entretiens individuels auprès de 9 de ses collaborateurs. Il soutient qu’il n’est pas justifié que l’enquête a été menée par un membre du CHSCT. Il prétend que l’enquête a été partielle car les 13 collaborateurs n’ont pas été entendus ;

— qu’il conteste les griefs reprochés dans la lettre de licenciement et reproche à son employeur d’avoir voulu constituer contre lui un dossier à charge. Il soutient qu’aucune vérification n’a été faite sur la réalité et l’imputabilité des faits à la date du licenciement. Il considère que ces attestations ne font pas état de faits de harcèlement moral. Il conteste avoir été à l’origine du licenciement de deux collaboratrices et de l’ambiance de travail ressentie comme 'délétère'. Il prétend avoir subi lui aussi la politique générale de l’entreprise par une augmentation incessante de sa charge de travail. Il indique qu’il était très impliqué professionnellement auprès des membres de son équipe et était régulièrement récompensé par la direction pour la qualité de son travail et même montré en exemple pour ses résultats et sa rigueur. Il indique que l’ensemble des effectifs de la société ont été affectés par la politique de pression initiée par l’employeur, et pas seulement ceux de la région Ouest et

qu’il existait des conflits au niveau de la direction et des services. Il conteste ainsi l’attestation produite par Mme B avec laquelle il précise n’avoir jamais travaillé.

M. AO AP-AQ justifie sa demande de dommages et intérêts par le traumatisme de la mesure de licenciement dont il a fait l’objet, après 17 ans au sein de la société, et par sa situation depuis cette mesure. Il explique qu’il fait face à une très nette baisse de ses ressources, alors qu’il a encore deux enfants à charge.

La Sas Laboratoires ConvaTec, dans ses conclusions adressées le 17 février 2017, régulièrement communiquées, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, conclut :

— au rejet des demandes présentées par M. AP-AQ,

— à la confirmation en toutes ses dispositions du jugement de première instance,

— que le licenciement pour faute grave est fondé,

— à la condamnation de M. AP-AQ à lui verser la somme de 5000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de ses intérêts, la société Laboratoires ConvaTec fait valoir :

— que la direction et le CHSCT ont travaillé à la mise en place d’une étude sur les risques psychosociaux et qu’il a été envoyé par messagerie électronique le 21 juillet 2014 aux salariés un message les informant qu’ils pouvaient remplir un questionnaire RPS de façon anonyme. Elle ajoute qu’à partir du mois de septembre, plusieurs salariés, tous affectés à la région Ouest, demandaient à recevoir le questionnaire. Elle explique que Mme C, membre du CHSCT a étroitement collaboré à la mise en place de cette étude et qu’elle a été contactée par plusieurs salariés qui ont émis des craintes sur la divulgation de leurs démarches à leur supérieur hiérarchique, M. AP-AQ. Elle ajoute qu’entre le mois de septembre et octobre 2014, Mme D, la directrice des Ressources Humaines, et Mme Z ont réceptionné les questionnaires RPS. Certains de ces salariés apparaissaient manifestement dans une situation de détresse. Les salariés concernés ont adressé par lettre recommandée avec accusé de réception des attestations confirmant formellement et complétant leurs déclarations à l’occasion du questionnaire. Elle explique que compte tenu de l’accumulation des plaintes et de la gravité des faits dénoncés, elle a souhaité immédiatement mettre un terme à cette situation intolérable ;

— qu’elle est tenue à une obligation générale de prévention de la santé physique et mentale de ses salariés conformément aux dispositions de l’article L. 4121 – 2 – 7° du code du travail. Elle ajoute avoir pris la mesure qui s’imposait compte tenu des méthodes managériales déviantes s’apparentant à du harcèlement moral. Elle soutient avoir vérifié les faits dénoncés et la sincérité des révélations des salariés, en s’entretenant avec eux et en leur demandant de confirmer leurs accusations en rédigeant des attestations. Elle ajoute que les investigations effectuées ont été menées avec un membre du CHSCT et qu’aucune disposition légale ou jurisprudentielle n’impose à l’employeur de mener une enquête de façon contradictoire d’autant que la procédure légale du licenciement assure au salarié la possibilité de répondre aux griefs qui lui sont faits et d’être assisté au cours de l’entretien préalable. Par ailleurs, elle souligne que les craintes de représailles exprimées par les salariés excluaient toute confrontation avec leur supérieur. Elle constate que les salariés décrivent unanimement les pratiques répétées de leur supérieur telles que des e-mails envoyés tardivement ou le week-end, le dénigrement des salariés en réunion, la multiplication et la contradiction des directives, l’interdiction de contacter la hiérarchie et le siège, l’utilisation d’un ton humiliant et rabaissant en présence d’autres salariés, l’infantilisation, la pression constante notamment par l’allusion à des mesures de licenciement, le dénigrement des compétences des salariés y compris devant leurs collègues ; elle ajoute que l’envoi du questionnaire RPS a permis de libérer la parole des salariés et que l’intervention d’un membre du CHSCT les a rassurés sur le fait qu’ils pouvaient parler de leur situation à la direction.

— que M. AP-AQ savait se montrer courtois et aimable en public et qu’il n’a certainement pas fait preuve des mêmes méthodes managériales excessives en présence de clients ou de contacts professionnels. Elle ajoute que toutes les directions régionales étaient organisées de façon similaire et que la seule dont l’équipe apparaissait en difficulté était celle dirigée par M. AP-AQ. Elle indique qu’aucun autre salarié de l’entreprise, à l’exception de ceux de la région Ouest, n’ont éprouvé le besoin de recevoir le questionnaire RPS, et que les représentants du personnel n’ont relayé aucune autre pratique de management déviante et de situations de stress.

— que M. AP-AQ ne justifie pas de sa situation actuelle alors qu’il a eu au moins deux emplois depuis qu’il a quitté la société. Elle ajoute qu’interrogé par le conseil de prud’hommes lors de l’audience du 26 juin 2016, il a confirmé avoir retrouvé un emploi et percevoir une rémunération équivalente à celle qui était la sienne au sein de la société ConvaTec.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le licenciement pour faute grave

L’article L. 1235-1 du code du travail dispose qu’en cas de litige, le juge à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure de licenciement suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, et au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute existe, il profite au salarié. Les juges du fond apprécient souverainement si les faits reprochés au salarié à l’appui d’un licenciement de nature disciplinaire sont établis.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

Sur les investigations complémentaires

En l’espèce, M. AO AP-AQ sollicite des auditions complémentaires avant dire droit au motif qu’il conteste la qualité de l’enquête réalisée par l’employeur et son caractère précipité.

Cependant, seul l’examen au fond du dossier permettra de vérifier la matérialité des griefs invoqués par l’employeur ainsi que leur imputabilité au salarié et d’apprécier si ces griefs sont assez graves pour constituer une faute justifiant un licenciement rendant impossible la poursuite du contrat de travail. L’audition des personnes, sollicitée par l’appelant, alors que de nombreuses pièces sont versées aux débats, y compris des attestations n’est pas de nature à permettre à la cour de forger sa conviction eu égard aux motifs du licenciement.

Par ailleurs, le motif invoqué de la rapidité de l’enquête menée par l’employeur n’est pas pertinent dans la mesure où la faute grave implique une réaction immédiate de l’employeur qui doit engager la procédure de licenciement dans un délai restreint.

Il n’y a en conséquence pas lieu d’ordonner des investigations avant dire droit sur le fondement des dispositions de l’article 204 du code de procédure civile.

Sur la faute grave

En l’espèce, la lettre de licenciement du 4 novembre 2014 est rédigée dans les termes suivants :

«Le 21 juillet 2014, la Direction des Ressources Humaines lançait, dans le cadre de la prévention des risques psychosociaux (RPS), un mémo à l’ensemble du personnel, afin de définir et de mettre en place une procédure d’alerte interne à Convatec.

Ce mémo proposait d’ailleurs aux salariés de s’appuyer sur un questionnaire afin d’évaluer leurs expositions individuelles aux RPS.

Ce mémo a obtenu un écho retentissant au sein de votre région puisque, à compter de mi-septembre, sept de vos collaborateurs ont spontanément demandé à recevoir ce questionnaire. Dans le cadre de leurs réponses, ces salariés décrivent tous un comportement de votre part se traduisant notamment par une mise à l’écart des autres salariés de l’entreprise, un isolement par rapport à la Direction, un comportement autoritaire et humiliant et plus généralement une déstabilisation dans le travail.

Compte tenu de ces révélations, nous avons diligenté une enquête interne, en collaboration avec un membre du CHSCT s’appuyant à la fois sur le retour des questionnaires des membres de vos équipes mais également sur des entretiens individuels menés auprès de neuf collaborateurs de votre région.

Ces entretiens ont de façon unanime dénoncé le malaise et le mal-être généré par vos méthodes managériales déplorables envers vos collaborateurs et ceux au travers [de faits] précis et circonstanciés mis en exergue par ces derniers :

- Multiplication et contradiction des directives que vous donnez et qui changent de semaines en semaines, plaçant vos collaborateurs dans une situation de confusion. Vos demandes sont ressenties comme « compulsives » et « défoulatoires ».

- Envois réguliers d’e-mails à vos collaborateurs la nuit et le week-end en leur reprochant ensuite verbalement de ne pas avoir répondu immédiatement, engendrant un sentiment de pression continue.

- Interdiction faite à vos équipes de demander le support du siège pour poser des questions et refus de votre part de leur apporter un support s’agissant des problématiques commerciales ou back office (formation sur les logiciels) créant un sentiment d’isolement pour vos collaborateurs. Est ressorti des entretiens avec les salariés un sentiment d’isolement voire d’infantilisation.

- Propos humiliants et menaçants entraînant un sentiment de peur à votre égard. Les salariés interrogés évoquent sans exception ce sentiment de peur, entretenu notamment par des allusions récurrentes à des licenciements sur la région et votre pouvoir absolu de décision à ce sujet.

- Colère verbale : plusieurs de vos collaborateurs témoignent de vos fréquents emportements mentionnant un « acharnement verbal » notamment à l’occasion des conférences téléphoniques.

- Dénigrement des compétences de vos collaborateurs ou de celles de leurs collègues et membres de l’équipe : tous décrivent votre méthode qui consiste à critiquer un membre de l’équipe alors que vous êtes en duo avec un autre collaborateur, créant alors un malaise au sein de l’équipe. Vos collaborateurs nous ont également tous rapporté le dénigrement des dirigeants de la Société dont vous faites preuve de manière récurrente, ce qui nous amène à avoir des doutes sur votre comportement face aux clients de la société et aux leaders d’opinion de votre région».

L’employeur verse au débat 6 messages de réponse qu’il a reçus de la part des collaborateurs de la région Ouest, à la suite du mail adressé le 21 juillet 2014 lançant l’étude sur les risques psychosociaux au sein de l’entreprise : ceux de X Le Reun, AY AP AZ, E M, P Q, N O et AH AI. Quatre de ces messages insistent sur la nécessité de la confidentialité de la démarche et notamment sur le fait que M. AP-AQ ne soit pas au courant de la demande de la transmission du questionnaire RPS. Certains de ces messages révèlent la détresse psychologique du salarié et ses interrogations sur son état de santé.

L’employeur verse au débat cinq questionnaires remplis, ceux de AH AI, X Le Reun, E

M, P Q et AY AP AZ, ainsi que les attestations établies par ces salariés.

Il résulte de l’examen de ces pièces que cinq collaborateurs de M. AO AP-AQ attribuent à ce dernier un comportement d’une particulière gravité qui a été parfaitement résumée dans les griefs repris dans la lettre de licenciement. Tous font état de souffrances psychologiques importantes sur plusieurs années et décrivent des situations précises dans lesquelles M. AP-AQ a fait preuve d’agressivité à leur égard et de dénigrement sur la qualité de leur travail. Il est question d’insécurité professionnelle avec le changement permanent des directives, de réflexions cassantes, de l’instauration d’un climat délétère, d’un sentiment généralisé de peur, de menaces proférées sur leur emploi, d’une pression permanente sur les collaborateurs y compris le soir et le week-end, des visites aux clients en l’absence du responsable de secteur.

À cela s’ajoute l’attestation de N O déléguée médicale sur le secteur de la région Ouest. Tout au long des 53 pages de son attestation, N O décrit le même comportement de M. AP-AQ que ses collègues, un comportement fait d’humiliation, de manipulation mentale, de management basé sur la peur, de comportement violent et irrespectueux, de mensonges et de menaces de licenciements. Elle conclut de la manière suivante : «j’espère que rapidement, nous n’aurons plus à vivre dans l’angoisse et le stress, dans la peur du licenciement. J’espère que notre activité professionnelle nous permettra de reprendre confiance en nous, de retrouver une vie professionnelle épanouie, respectueuse de notre dignité, de nos droits, de notre vie privée».

Mme AJ AK responsable de secteur en contrat à durée déterminée indique qu’elle a été témoin et victime du comportement de M. AO AP-AQ. Elle décrit l’isolement ressenti à l’égard du siège, les directives contradictoires, les insultes et le dénigrement.

La société verse également au débat le questionnaire d’un salarié qui a souhaité rester anonyme. Le constat est le même : propos humiliants et infantilisants et l’isolement organisé par le directeur régional.

Mme Z atteste qu’en tant que membre du CHSCT, elle a été alertée à plusieurs reprises par des salariés responsables de secteur de la région Ouest. Elle ajoute qu’il leur a fallu plusieurs mois pour exprimer leur mal-être. Elle explique Mme D s’est entretenue avec chacun d’eux au téléphone et a constaté que la situation était grave et que l’équilibre et la santé des salariés étaient en jeu.

Mme AL A atteste qu’elle a été victime lors d’une journée de formation le vendredi 13 juin 2014 de l’agressivité de M. AP-AQ. Elle explique qu’il s’est défoulé sur elle en critiquant le personnel du siège de la société. Elle ajoute : « je n’ai pas pu retenir mes larmes tellement il m’a blessé et considéré comme une moins que rien».

Mme AM B a décrit, elle aussi, dans le détail le comportement de M. AP-AQ. Elle explique notamment que chacun se retrouvait à tour de rôle «dans le collimateur» du directeur régional.

M. AP-AQ fournit au débat un compte rendu de l’entretien préalable au licenciement rédigé par Mme F qui l’a assisté lors de cet entretien. Il ressort de ce document qu’en premier lieu, il a été dénoncé à M. AP-AQ les griefs reprochés, que ce dernier a sollicité une pause puis s’est expliqué en niant catégoriquement «tout ce qui a été mis sur la table pour un tas de raison». Il a indiqué qu’il ne comprenait pas et qu’il n’avait jamais entendu parler de quoi que ce soit. Il a accusé immédiatement à la direction de vouloir l’humilier et de chercher à lui nuire.

M. AP-AQ verse également au débat deux attestations de clients de la société ConvaTec, celle de M. G de Potter qui est infirmier libéral et celle du docteur H. Chacun confirme le professionnalisme et les qualités humaines de M. AP-AQ.

Ce dernier produit également deux courriers, l’un émanant de Mme I AN et l’autre de M. K L, d’anciens collègues de travail. Ils expliquent qu’ils sont tenus par une clause de confidentialité suite à leur départ de la société mais peuvent attester en sa faveur.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments :

— que les faits reprochés à M. AP-AQ ont été révélés dans le cadre d’une étude sur les risques psychosociaux. La façon dont les accusations ont été portées à la connaissance de la direction ne permet pas d’indiquer que M. AP-AQ a fait l’objet d’une enquête à charge. L’envoi du questionnaire RPS a manifestement permis de libérer la parole pour des collaborateurs en réelle souffrance psychique liée à leurs conditions de travail. Sur ce point, M. AP-AQ ne donne aucune explication sur les raisons pour lesquelles plusieurs responsables de secteur ont porté contre lui de telles accusations. En tout état de cause, aucun élément dans le dossier ne permet d’indiquer que les attestations versées ont été de circonstance. Elles constituent le prolongement de l’envoi des questionnaires ou la confirmation d’un profond mal-être déjà exprimé auprès de la direction ;

— que M. AP-AQ, lors de l’entretien préalable au licenciement, a eu la possibilité de s’exprimer sur ces accusations. L’enquête a fait intervenir un membre du CHSCT et de la délégation unique du personnel. Il apparaît que l’enquête interne a été difficile en raison des réticences des salariés et de leurs craintes que M. AP-AQ soit au courant de leur démarche. En tout état de cause, l’employeur n’avait aucun intérêt à mener une enquête partiale et de se séparer de M. AP-AQ dont les qualités professionnelles et les bons résultats ont été rappelés lors de l’entretien préalable au licenciement ;

— que les accusations portées contre M. AP-AQ sont particulièrement précises et circonstanciées. Elles sont émaillées d’exemples vécus. Les agissements dénoncés se sont prolongés pendant plusieurs années et c’est bien le comportement de M. AP-AQ qui est mis en cause et non celui de l’entreprise. En outre, force est de constater que ce dernier ne donne aucune explication sur son comportement décrit dans les attestations et questionnaires ;

— que les salariés qui ont témoigné présentent une réelle souffrance au travail ; certains demandant même la direction de mettre fin à cette situation ;

— que la propre charge de travail de M. AP-AQ ne peut justifier le comportement dénoncé ;

— que si tous les responsables de secteur de la région Ouest ne se sont pas exprimés, il n’en demeure pas moins que plus de la moitié l’ont fait pour dénoncer le comportement de M. AP-AQ. Le fait que M. AP-AQ entretienne de bonnes relations avec deux collègues de travail et deux clients n’a aucun impact sur la réalité des faits dénoncés par ceux placés sous son autorité hiérarchique.

Par conséquent, il convient de considérer que M. AP-AQ a commis des faits de harcèlement moral à l’égard de ses collaborateurs constituant une faute justifiant son licenciement et rendant impossible son maintien au sein de la société. En l’espèce, seul le licenciement pour faute était envisageable compte tenu de la gravité et de la nature des faits reprochés, du mal-être des salariés victimes et de leurs craintes, de la position hiérarchique de M. AP-AQ et de l’ancienneté de ses agissements.

Le jugement du conseil de prud’hommes sera donc confirmé dans toutes ses dispositions en précisant que le licenciement de M. AP-AQ pour faute grave est fondé.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

M. AP-AQ est condamné aux dépens d’appel lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Il est également condamné à verser à la société ConvaTec la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe et en dernier ressort,

Confirme le jugement du conseil de prud’hommes d’Angers dans toutes ses dispositions en précisant que le licenciement de M. AP-AQ pour faute grave est fondé,

Y ajoutant,

Condamne M. AP-AQ à payer à la Sas Laboratoire ConvaTec la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. AP-AQ au paiement des entiers dépens d’appel lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

V. BODIN F. ANDRO-COHEN

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