Cour d'appel de Caen, 1re chambre civile, 24 mai 2022, n° 19/00445

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Caen, 1re ch. civ., 24 mai 2022, n° 19/00445
Juridiction : Cour d'appel de Caen
Numéro(s) : 19/00445
Importance : Inédit
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Coutances, 5 décembre 2018, N° 16/01312
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Date de dernière mise à jour : 15 septembre 2022
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Sur les parties

Texte intégral

AFFAIRE : N° RG 19/00445 -

N° Portalis DBVC-V-B7D-GIIW

ARRÊT N°

JB.

ORIGINE : DÉCISION du Tribunal de Grande Instance de COUTANCES du 06 Décembre 2018

RG n° 16/01312

COUR D’APPEL DE CAEN

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 24 MAI 2022

APPELANTS :

Monsieur [F] [N] Majeur sous curatelle renforcée – Assisté de l’ATMPM ès qualités de curateur ad’hoc de Monsieur [N]

né le [Date naissance 2] 1961 à [Localité 8]

[Adresse 1]

[Localité 4]

L’Association ATMPM – ASSOCIATION TUTELAIRE DES MAJEURS PROTEGES DE LA MANCHE ès qualités de curateur ad’hoc de Monsieur [F] [N],désigné en cette qualité par ordonnance du Juge des tutelles du tribunal d’Instance de COUTANCES en date du 29 janvier 2019

[Adresse 5]

[Localité 3]

prise en la personne de son représentant légal

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 141180022019009028 du 21/11/2019 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de CAEN)

représentés et assistés de Me Emmanuel LEBAR, avocat au barreau de COUTANCES

INTIMÉE :

AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT

[Adresse 7]

[Localité 6]

pris en la personne de son représentant légal

représentée et assistée de Me Jérémie PAJEOT, avocat au barreau de CAEN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

M. GUIGUESSON, Président de chambre,

Mme VELMANS, Conseillère,

M. GANCE, Conseiller,

DÉBATS : A l’audience publique du 22 mars 2022

GREFFIER : Mme COLLET

ARRÊT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile le 24 Mai 2022 et signé par M. GUIGUESSON, président, et Mme COLLET, greffier

* * *

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Par ordonnance du 8 juillet 2003, le juge des tutelles du tribunal d’instance de Valognes (50) a placé M. [F] [N] sous curatelle renforcée, mesure qui a été confiée à l’Union Départementale des Associations Familiales (Udaf) de la Manche.

Le 8 février 2005, M. [N] a été victime d’un accident du travail à la suite duquel il a bénéficié d’une rente accident du travail du fait d’un taux d’incapacité permanente fixé à 28%.

Par ordonnance d’homologation du 19 octobre 2005, l’employeur de M. [N] a été condamné dans le cadre d’une audience de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité pour des faits de blessures involontaires par manquement à une obligation de sécurité imposée par la loi ou le règlement.

Par acte du 30 mars 2010, M. [N] a fait assigner l’Udaf de la Manche en responsabilité devant le tribunal de grande instance de Coutances.

Par jugement en date du 2 juin 2015, le tribunal de grande instance de Coutances a débouté M. [N] de l’ensemble de ses demandes.

Par arrêt du 14 février 2017, la cour d’appel a réformé le jugement entrepris et déclaré l’action engagée par M. [N] à l’encontre de l’Udaf de la Manche irrecevable au motif que seul l’Etat pouvait répondre des dommages à l’exclusion du mandataire judiciaire par application des dispositions de l’article 473 du code civil antérieures à l’entrée en vigueur de la loi 2007-308 du 5 mars 2007.

Par acte du 21 juillet 2016, M. [N] assisté par son curateur ad’hoc l’Atmp de la Manche a fait assigner l’Agent judiciaire de l’Etat devant le tribunal de grande instance de Coutances afin de voir engager sa responsabilité.

Par jugement du 6 décembre 2018 auquel il est renvoyé pour un exposé complet des prétentions en première instance, le tribunal de grande instance de Coutances a :

— rejeté la fin de non recevoir soulevée par l’Agent judiciaire de l’Etat

— rejeté la demande en dommages et intérêts formée par M. [N]

— condamné M. [N] à verser à l’Agent judiciaire de l’Etat la somme de 1 000 euros au tire de l’article 700 du code de procédure civile

— condamné M. [N] aux entiers dépens

— dit n’y avoir lieu à exécution provisoire

— débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Par déclaration du 7 février 2019, M. [N] assisté de son curateur ad’hoc a formé appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 6 mai 2019, M. [N] assisté par l’Atmp de la Manche demande à la cour de :

— confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Coutances du 6 décembre 2018 en ce qu’il a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par l’Agent judiciaire de l’Etat

pour le surplus,

— infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Coutances du 6 décembre 2018

statuant à nouveau,

— le déclarer recevable en son action

— dire et juger que l’Udaf de la Manche et le juge des tutelles ont commis une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat

— condamner l’agent judiciaire de l’Etat à lui payer la somme de 235 641,46 euros à titre de dommages intérêts

— à titre subsidiaire, ordonner une expertise judiciaire afin de déterminer le quantum des chefs de préjudices

— assortir cette condamnation des intérêts au taux légal ayant commencé à courir au jour de la délivrance de l’assignation devant le tribunal de grande instance de Coutances

— condamner l’agent judiciaire de l’Etat à payer à Me Lebar la somme de 3 500 euros au titre des articles 700 du code de procédure civile, 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridictionnelle ainsi qu’aux entiers dépens avec distraction au bénéfice de Me Lebar, Avocat au Barreau de Coutances-Avranches

— débouter l’Agent Judiciaire de l’Etat de l’ensemble de ses demandes.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 17 juillet 2019, l’agent judiciaire de l’Etat demande à la cour de :

— confirmer le jugement rendu le 6 décembre 2018 par le tribunal de grande instance de Coutances

— débouter M. [N] et l’Atmpm, ès qualités de curateur ad-hoc de M. [N], de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions

— condamner solidairement M. [N] et l’Atmpm, ès qualités de curateur ad’hoc de M. [N], à lui payer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

— les condamner aux entiers dépens

— faire application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture de l’instruction a été prononcée le 23 février 2022.

Pour l’exposé complet des prétentions et de l’argumentaire des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures susvisées conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS :

M. [N] reproche à l’Udaf de la Manche désigné comme son curateur par ordonnance du juge des tutelles du 8 juillet 2003 d’avoir commis plusieurs fautes au titre de sa mission de curateur et plus précisément de ne pas avoir fait les diligences nécessaires qui lui auraient permis de faire juger que son employeur avait commis une faute inexcusable en lien avec son accident du travail du 8 février 2005 et d’obtenir une indemnisation qu’il évalue à 235 641, 46 euros.

Il prétend ainsi que l’Udaf aurait dû l’assister à l’audience de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité qui s’est tenue le 19 octobre 2005 ainsi que pour engager une procédure devant le tribunal des affaires de sécurité sociale dans le cadre d’une action en reconnaissance de faute inexcusable dans les deux ans suivant la fin de la procédure pénale et qu’elle aurait dû inviter M. [N] à intervenir en justice et assurait le suivi des démarches engagées dans le cadre de ces litiges.

Il en déduit que ces fautes de l’Udaf ont engagé la responsabilité de l’agent judiciaire de l’Etat.

Sur la prescription de l’action :

L’agent judiciaire de l’Etat demande la confirmation du jugement qui a rejeté la fin de non-recevoir soulevée au titre de la prescription.

La cour n’est donc pas saisie de ce chef du jugement dont l’infirmation n’est sollicitée par aucune des parties.

Sur le bien -fondé de l’action :

A titre liminaire, il n’est pas contesté que la ou les fautes du curateur dans le cadre de sa mission judiciaire engagent la responsabilité de l’Etat et donc de l’agent judiciaire de l’Etat.

En revanche, l’intimé prétend que l’Udaf n’a commis aucun manquement à ses obligations de curateur.

L’employeur de M. [N] a été convoqué à une audience de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité qui s’est tenue le 19 octobre 2005. Aux termes de l’ordonnance homologuée à cette audience, il a été déclaré coupable du délit de blessures involontaires à l’égard de M. [N], au motif qu’il avait omis de mettre à disposition de ses salariés des moyens de protection individuelle et de veiller à leur utilisation effective.

M. [N] ne s’est pas constitué partie civile et n’a jamais saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale afin de faire juger qu’il avait été victime d’une faute inexcusable de son employeur pour obtenir l’indemnisation de son préjudice.

Tout d’abord, on relèvera que l’ordonnance du juge des tutelles du 4 février 2003 ayant ouvert la curatelle de M. [N], a donné mission à l’Udaf de percevoir les revenus de M. [N], d’assurer à l’égard des tiers le règlement des dépenses et de verser l’excédent sur un compte ouvert chez un dépositaire agréé.

En sa qualité de curateur, l’Udaf n’avait donc pas une mission de représentation de M. [N] dans les actes de la vie civile contrairement au tuteur.

Par ailleurs, il résulte des dispositions combinées des articles 510, 495 et 464 du code civil dans leur version applicable avant l’entrée en vigueur de la loi du 5 mars 2007 que l’assistance du curateur n’était pas requise pour les actions en justice relatives aux droits patrimoniaux.

L’action portant sur la constitution de partie civile et l’action relative à la faute inexcusable constituent des actions relatives aux droits patrimoniaux du majeur protégé.

M. [N] soutient que son curateur devait l’assister pour la perception et l’emploi des capitaux (ce qui est exact) et que l’action devant le tribunal des affaires de sécurité sociale (ci-après Tass) avait pour objet de percevoir de tels capitaux. Il en déduit que l’Udaf devait l’assister pour cette procédure.

Toutefois, la perception de capitaux (c’est à dire la réception d’une somme d’argent) est distincte d’une action en justice (c’est à dire la saisine d’une juridiction).

Il en résulte que l’Udaf n’avait pas à assister M. [N] à l’audience de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, ni dans le cadre d’une procédure devant le tribunal des affaires de sécurité sociale.

Les éléments avancés par M. [N] relatifs à une obligation d’information et de conseil relative à la perception des capitaux sont donc sans emport sur la solution du litige puisque les reproches faits à l’Udaf ne portent pas sur la perception de capitaux et leur utilisation, mais sur la saisine d’une juridiction.

De même, il n’est pas établi que l’Udaf a été convoquée à cette audience, le seul fait que l’affaire n’ait pas fait l’objet d’un report étant insuffisant sur ce point.

En revanche, il est justifié qu’une convocation a été adressée à M. [N] pour cette audience. Il prétend ne jamais l’avoir reçue au motif que l’adresse mentionnée est erronée.

Par ailleurs, il est soutenu que M. [N] avait besoin d’être conseillé ou contrôlé dans les actes de la vie civile comme mentionné dans l’ordonnance du juge des tutelles.

Il s’agit cependant de termes repris de sa motivation. La mission confiée au curateur définie dans le dispositif de l’ordonnance ne précise pas que le curateur doit conseiller le majeur dans le choix des actions en justice à mettre en oeuvre pour faire valoir ses droits.

M. [N] rappelle que le délai pour agir devant le Tass est de deux ans de telle sorte que les manquements de l’Udaf ont eu pour effet de le priver de toute possibilité d’action.

Cependant, il résulte de la décision du bureau d’aide juridictionnelle du 16 décembre 2005 que l’Udaf a fait une demande d’aide juridictionnelle le 12 décembre 2005 au nom de M. [N] pour une procédure devant le tribunal des affaires de sécurité sociale dans le délai d’action, c’est à dire avant expiration du délai de prescription.

Cette décision du bureau d’aide juridictionnelle mentionne qu’ un avocat avait déjà 'accepté de prêter son concours’ à M. [N] en la personne de Me [J].

Cette avocate confirme son intervention puisqu’elle indique dans un courrier du 23 janvier 2014 qu’elle a écrit à M. [N] pour engager la procédure devant le tribunal des affaires de sécurité sociale et ce le 22 septembre 2006. Elle ajoute qu’elle n’a eu aucune nouvelle de M. [N] et qu’elle a reçu le 29 septembre 2008 un courrier de Me Lejeune saisi par M. [N] lui demandant l’entier dossier pour lui succéder. Elle ne fait référence à aucune autre démarche malgré l’absence de réponse de M. [N].

M. [N] prétend que Me [J] ne lui a pas écrit à la bonne adresse ce qui est possible compte tenu de l’absence de réponse reçue par cette avocate.

Aucune pièce ne permet d’établir que Me [J] qui avait accepté d’intervenir pour M. [N] a alerté l’Udaf sur des difficultés rencontrées dans le cadre de sa mission, par exemple sur un problème de transmission de pièces ou d’absence de réponse à un courrier (étant rappelé que Me [J] avait connaissance de la mesure de curatelle qui apparaît sur la décision du bureau d’aide juridictionnelle).

Dés lors, l’Udaf n’avait aucun motif de 'suivre’ la procédure qui avait été confiée à cet avocat alors que comme rappelé précédemment, elle n’avait pas à assister M. [N] dans le cadre de la procédure devant le tribunal des affaires de sécurité sociale et qu’elle avait fait le nécessaire pour qu’une avocate intervienne pour M. [N], c’est à dire qu’un professionnel du droit intervienne à ses côtés pour saisir le Tass.

Il est encore soutenu que le juge des tutelles aurait dû vérifier que M. [N] avait saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale.

Tout d’abord, il n’appartient pas au juge des tutelles de conseiller le majeur protégé sous curatelle sur les actions en justice susceptibles d’être menées.

Ensuite, M. [N] ne se réfère à aucune pièce qui établirait que le juge des tutelles avait été informé de difficultés relatives à la mise en oeuvre d’une procédure devant le tribunal des affaires de sécurité sociale.

Sur ce point, on relèvera que l’Udaf n’était pas informée de difficultés rencontrées par l’avocat qui intervenait aux côtés de M. [N] pour saisir le tribunal des affaires de sécurité sociale de telle sorte qu’on ne peut lui reprocher de ne pas en avoir informé le juge des tutelles.

En conclusion, les fautes alléguées par M. [N] à l’encontre de l’Udaf et du juge des tutelles ne sont pas établies.

La responsabilité de l’agent judiciaire de l’Etat doit donc être écartée.

En conséquence, M. [N] sera débouté de la totalité de ses prétentions, le jugement étant confirmé en ce qu’il a débouté ce dernier de ses demandes ainsi qu’en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles.

Succombant en cause d’appel, M. [N] sera condamné aux dépens d’appel qui seront recouvrés comme en matière d’aide juridictionnelle.

Il est équitable de limiter l’indemnité à revenir à l’agent judiciaire de l’Etat au titre des frais irrépétibles à une somme de 1000 euros.

M. [N] sera condamné à payer cette somme à l’agent judiciaire de l’Etat.

Enfin, Me Lebar sera débouté de sa demande au titre de l’article 37 de la loi sur l’aide juridictionnelle.

PAR CES MOTIFS :

Statuant par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort par mise à disposition au greffe ;

Confirme le jugement déféré ;

Y ajoutant,

Condamne M. [N] aux dépens qui seront recouvrés comme en matière d’aide juridictionnelle ;

Condamne M. [N] à payer à l’agent judiciaire de l’Etat la somme de 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires comme précisé aux motifs.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT

M. COLLETG. GUIGUESSON

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