Cour d'appel de Caen, n° 12/02902

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Sur la décision

Référence :
CA Caen, n° 12/02902
Juridiction : Cour d'appel de Caen
Numéro(s) : 12/02902

Sur les parties

Texte intégral

AFFAIRE : N° RG 12/02902

Code Aff. :

ARRET N°

J C. J B.

ORIGINE : Jugement du Tribunal de commerce de Bernay en date du 23 Juillet 2009 – RG n° 2008/1452

Arrêt de la Cour d’Appel de ROUEN en date du 17 Février 2011 – RG n° 09/4193

Arrêt de la Cour de Cassation de Paris en date du 22 Mai 2012 – Pourvoi n° S 11-18.551

COUR D’APPEL DE CAEN

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

RENVOI DE CASSATION

ARRET DU 23 JANVIER 2014

APPELANTE :

LA SAS CONSORTIUM FRANCAIS DE CONSTRUCTEURS POUR L’AGRO INDUSTRIE

XXX

XXX

prise en la personne de son représentant légal

représentée par Me Marie stéphanie DE GOÑI, avocat au barreau de CAEN

assistée de Me DEPASSE-SINQUIN-DAUGAN-QUESNEL de la SCP DEPASSE – SINQUIN – DAUGAN – QUESNEL, avocat au barreau de RENNES,

INTIMEE :

LA SA LECAPITAINE

XXX

XXX

prise en la personne de son représentant légal

représentée par Me Pierre BAUGAS, avocat au barreau de CAEN

assistée de Me Olivier COTE, avocat au barreau d’EURE,

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

Monsieur CHRISTIEN, Président, rédacteur,

Madame BEUVE, Conseiller,

Madame BOISSEL DOMBREVAL, Conseiller,

DEBATS : A l’audience publique du 28 Novembre 2013

GREFFIER : Mme LE GALL, Greffier

ARRET prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 23 Janvier 2014 et signé par Monsieur CHRISTIEN, Président, et Mme LE GALL, Greffier

EXPOSÉ DU LITIGE

Selon marché accepté le 12 août 2004, la société Lecapitaine a passé commande à la société Consortium français de constructeurs pour l’agro-industrie (la société CFCAI) d’un ensemble de matériels destinés à un silo et à un séchoir à maïs, moyennant le prix de 239 200 euros TTC.

La livraison et l’installation des matériels commandés ont eu lieu entre août et octobre 2004, sans réception.

Prétendant avoir constaté dès l’installation des matériels commandés divers désordres ainsi qu’une non-conformité à la réglementation relative aux émissions de bruit, la société Lecapitaine a refusé de payer à la société CFCAI le solde du montant du marché s’élevant à 15 993,06 euros.

La société CFCAI a alors, par acte du 30 juillet 2008, assigné en paiement la société Lecapitaine devant le tribunal de commerce de Pont-Audemer.

Par jugement du 23 juillet 2009, le tribunal de commerce de Bernay, devenu compétent après la suppression du tribunal de commerce de Pont-Audemer, a :

condamné la société Lecapitaine à payer à la société CFCAI la somme de 15 993,06 euros avec intérêts au taux légal à compter de l’assignation, et ce avec exécution provisoire,

rejeté les demandes reconventionnelles de la société Lecapitaine tendant à la condamnation sous astreinte de la société CFCAI à reprendre les désordres et à mettre l’installation en conformité, ainsi qu’au paiement de dommages-intérêts,

condamné la société Lecapitaine au paiement d’une indemnité de 800 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Sur l’appel de la société Lecapitaine régularisé le 23 juillet 2009, la cour d’appel de Rouen a, par arrêt du 17 février 2011 :

constaté l’intervention volontaire de M. Y, agissant en qualité de commissaire à l’exécution du plan de la société CFCAI qui avait été placée sous sauvegarde par jugement du 22 janvier 2008,

confirmé le jugement en ce qu’il a condamné la société Lecapitaine à payer à la société CFCAI la somme de 15 993,06 euros, outre les intérêts, au titre du solde du prix du marché,

réformé le jugement en ce qu’il a débouté intégralement la société Lecapitaine de sa demande reconventionnelle,

condamné la société CFCAI à verser à la société Lecapitaine la somme de 10 000 euros au titre du manquement à son devoir de conseil,

ordonné la compensation de ces créances réciproques.

Cependant, par arrêt du 22 mai 2012, la Cour de cassation, statuant sur le pourvoi de la société CFCAI et de Mme X, devenue commissaire à l’exécution du plan de sauvegarde après le remplacement de M. Y, a cassé l’arrêt de la cour d’appel de Rouen en toutes ses dispositions.

Elle a en effet relevé qu’en condamnant la société CFCAI à verser à la société Le Capitaine une somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts sans rechercher si la créance indemnitaire de la société Lecapitaine, née d’un manquement à l’obligation de conseil qui avait son origine dans le marché du 12 août 2004 conclu avant l’ouverture de la procédure de sauvegarde de la société CFCAI, avait été déclarée au passif de cette dernière, la cour d’appel n’avait pas donné de base légale à sa décision.

Devant la cour d’appel de renvoi, la société Lecapitaine conclut en ces termes :

'Constater les manquements de la société CFCAI à ses obligations contractuelles et à son obligation de conseil ;

Dire et juger que la société CFCAI est redevable à ce titre d’une somme de 73 386,21 euros TTC, montant de la créance de la société Lecapitaine ;

Vu l’article 1382 du code civil, dire et juger que la société CFCAI a commis une fraude préjudiciable aux intérêts de la société Lecapitaine en dissimulant sa situation de sauvegarde dans l’assignation délivrée par elle le 30 juillet 2008 ;

En conséquence, l’entendre condamner à payer à la société Lecapitaine la somme de 73 386,21 euros à titre de dommages et intérêts ;

Vu l’article L. 622-7 du code de commerce, dire et juger qu’il y a lieu à compensation entre les créances respectives de la société CFCAI et de la société Lecapitaine, et condamner la société CFCAI au paiement du solde en faveur de la société Lecapitaine ;

Condamner la société CFCAI à payer à la société Lecapitaine la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la société CFCAI aux dépens de l’instance'.

La société CFCAI et Mme X, ès-qualités de commissaire à l’exécution du plan de sauvegarde, demandent quant à elles à la cour de :

'Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bernay en date du 23 juillet 2009 ;

Par conséquent, débouter la société Lecapitaine de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

Dire et arrêter que la créance dont se prévaut la société Lecapitaine est inopposable à la société CFCAI à défaut d’avoir été déclarée ;

En conséquence débouter la société Lecapitaine de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

Condamner la société Lecapitaine à payer à la société CFCAI la somme de 15 993,06 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 30 juillet 2008, date de l’assignation ;

Condamner la société Lecapitaine à payer à la société CFCAI la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la société Lecapitaine aux entiers dépens, incluant les dépens de première instance, d’appel, de cassation et de la présente instance'.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu’aux dernières conclusions déposées pour la société Lecapitaine le 31 mai 2013, et pour la société CFCAI et Mme X, ès-qualités, le 17 septembre 2013.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Alors que les parties avaient été avisées dès le 3 juin 2013 que l’ordonnance de clôture serait rendue le 18 septembre 2013 à 9 heures, la société Lecapitaine a demandé et obtenu du conseiller de la mise en état le report de celle-ci au 2 octobre suivant, sans autre report possible.

L’ordonnance de clôture a ainsi été rendue le 2 octobre 2013 et, alors qu’elle avait déjà été notifiée aux parties à 10 heures 29, la société Lecapitaine a déposé de nouvelles conclusions et produit deux nouvelles pièces le même jour à 16 heures 03.

Étant observé qu’il n’existe aucune cause grave de nature à justifier la révocation de l’ordonnance de clôture, ces conclusions et ces pièces, postérieures à la clôture, sont irrecevables en application de l’article 783 du code de procédure civile.

Il n’est pas discuté que le prix du marché de la société CFCAI a été laissé impayé à due concurrence de 15 993,06 euros.

Il convient donc de confirmer le chef du jugement attaqué, au demeurant exempt de critique, ayant condamné la société Lecapitaine au paiement de cette somme, avec intérêts au taux légal à compter de l’assignation du 30 juillet 2008.

Au soutien de sa demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts, la société Lecapitaine soutient qu’au cours de la réalisation de l’installation, sont apparus divers désordres ainsi qu’une non-conformité à la réglementation relative aux nuisances sonores, et qu’en dépit de plusieurs réclamations, la société CFCAI n’a jamais repris son ouvrage.

S’agissant des désordres, elle prétend qu’il résulterait du procès-verbal de constat d’huissier du 27 octobre 2008 :

des désordres affectant la structure,

des désordres d’ordre pneumatique,

l’absence de remise des plans de l’installation, des notices d’utilisation et des schémas techniques,

des désordres affectant les boisseaux,

des désordres relatifs à l’installation électrique,

des problèmes multiples d’oxydation,

des désordres affectant les matériels de manutention.

Il est cependant établi que les travaux commandés ont été réalisés entre août et octobre 2004, et que si, après la mise en service de l’installation, la société Lecapitaine a formulé diverses réclamations, les courriers échangés entre les parties témoignent de ce que la société CFCAI est intervenue à plusieurs reprises.

Étant par ailleurs observé que le constat d’huissier dressé de façon non contradictoire plus de quatre ans après la mise en service de l’installation ne fait que reprendre les observations que lui signale le requérant sans établir au plan technique la pertinences des réclamations de celui-ci, la cour ne peut qu’observer que la société Lecapitaine ne rapporte pas la preuve convaincante, qui lui incombe, de l’existence des désordres ou des manquements allégués.

En revanche, s’agissant la non-conformité de l’installation à la réglementation applicable aux émissions de bruit, il est établi que, dès la mise en service du séchoir, le voisinage s’est plaint des nuisances sonores auprès des autorités administratives, et qu’après une inspection des agents de la DRIRE dont les demandes d’explications ont été répercutées sur la société CFCAI par courrier du 4 avril 2005, le préfet de l’Eure a, par arrêté du 20 mars 2007 mis la société Lecapitaine en demeure de mettre en place sur son installation les dispositifs d’insonorisation nécessaires au respect des critères d’émergence de bruits de jour et de nuit édictés par l’article 8-1 de l’arrêté ministériel du 29 décembre 1998 et de faire contrôler l’efficacité des travaux par un organisme certifié.

À cet égard, l’étude technique réalisée en mai 2007 par la société Acoustique Duclos confirme que les bruits émis par le séchoir excèdent les normes admissibles et décrit les mesures devant être mises en 'uvre pour mettre l’installation en conformité.

Professionnelle de la construction d’installations agro-alimentaires, la société CFCAI n’ignorait pas l’environnement dans lequel s’intégrait cette installation, puisqu’elle s’est déplacée à plusieurs reprises sur le site afin de définir le projet et d’établir son devis.

Pourtant, elle n’a préconisé aucune solution propre à respecter les normes réglementaires d’insonorisation qu’elle ne devait pas davantage ignorer.

Tenue, à l’égard d’un client qui n’était pas spécialiste de la construction d’installations agro-alimentaires, d’un devoir de conseil lui imposant de s’informer sur les besoins de son cocontractant afin de le renseigner sur l’adéquation du matériel proposé à l’utilisation qui en était prévue, y compris en ce qui concerne les nuisances causées aux tiers, la société CFCAI a manqué à ses obligations contractuelles.

Cette dernière n’est en effet pas fondée à faire grief à la société Lecapitaine de ne pas avoir prévu de dispositifs d’isolation phonique dans le cahier des charges de l’installation, alors qu’en sa qualité de qualité de spécialiste, il lui appartenait de conseiller utilement sa cliente sur ce point.

La société CFCAI était donc tenue de réparer les conséquences préjudiciables de ce manquement à son devoir de conseil.

Toutefois, étant rappelé que cette société a été placée sous sauvegarde le 22 janvier 2008, il sera observé que la créance indemnitaire de la société Lecapitaine, née d’un manquement à l’obligation de conseil et trouvant son origine dans le marché du 12 août 2004 conclu avant l’ouverture de la procédure collective, devait être déclarée au passif de la société CFCAI.

Or, il résulte des articles L. 622-7 et L. 622-26 du code de commerce, dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance du 18 décembre 2008, que le jugement ouvrant la procédure de sauvegarde emporte de plein droit interdiction de payer toute créance née antérieurement, à l’exception du paiement par compensation des créances connexes, et qu’à défaut de déclaration, le créancier n’est pas admis dans les répartitions et dividendes, à moins que le juge commissaire ne le relève de sa forclusion s’il établit que le défaut de déclaration de sa créance n’est pas due à son fait ou est due à une omission volontaire du débiteur lors de l’établissement de la liste des créanciers.

Il est aujourd’hui constant que la société Lecapitaine n’a pas déclaré sa créance indemnitaire.

Quand bien même sa défaillance ne résulterait que d’une fraude de la société CFCAI qui aurait omis de la mentionner sur la liste de ses créanciers et lui a dissimulé son placement sous sauvegarde au cours de la procédure de première instance, il demeure que la société Lecapitaine n’a pas sollicité en temps utile le relevé de sa forclusion et que, partant, sa créance est inopposable au débiteur.

Elle ne peut donc solliciter, sur le fondement détourné de l’article 1382 du code civil, la condamnation de la CFCAI au paiement de sa créance, pas plus d’ailleurs qu’elle n’aurait même pu obtenir la fixation de sa créance au passif de la procédure de sauvegarde de l’intimée.

La société Lecapitaine ne peut davantage invoquer l’exception de compensation de sa créance avec celle de la société CFCAI, dès lors qu’il est de principe que la compensation pour dettes connexes ne peut être prononcée si le créancier n’a pas déclaré sa créance.

Enfin, il ne serait pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties l’intégralité des frais exposés par elles à l’occasion de l’instance d’appel et non compris dans les dépens, en sorte qu’il n’y aura pas matière à application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Déclare irrecevables les conclusions déposées et les pièces n° 36 et 37 produites par la société Lecapitaine le 2 octobre 2013 à 16 heures 03 ;

Infirme le jugement rendu le 23 juillet 2009 par le tribunal de commerce de Bernay en ce qu’il a entièrement débouté la société Lecapitaine de sa demande reconventionnelle ;

Déclare la créance de la société Lecapitaine, née du manquement de la société à son devoir de conseil relativement à la conformité de l’installation aux normes réglementaires applicables aux émissions de bruit, inopposable à la société Consortium français de constructeurs pour l’agro-industrie ;

Rejette l’exception de compensation ;

Confirme le jugement attaqué en ses autres dispositions ;

Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties de toutes autres demandes contraires ou plus amples ;

Condamne la société Lecapitaine aux dépens d’appel, en ce compris ceux afférents à l’arrêt de la cour d’appel de Rouen du 17 février 2011 ;

Accorde à Me de Go’i le bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

N. LE GALL J. CHRISTIEN

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