Cour d'appel de Colmar, Chambre 1 a, 1er juillet 2020, n° 18/00164

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Colmar, ch. 1 a, 1er juill. 2020, n° 18/00164
Juridiction : Cour d'appel de Colmar
Numéro(s) : 18/00164
Décision précédente : Tribunal de grande instance, 25 mai 2016, N° 2020-595
Dispositif : Annule la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

JLF/SD

MINUTE N° 292/20

Copie exécutoire à

—  Me Patricia CHEVALLIER-GASCHY

— la SCP CAHN G./CAHN T./BORGHI

Le 01.07.2020

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE COLMAR

PREMIERE CHAMBRE CIVILE – SECTION A

ARRET DU 01 Juillet 2020

Numéro d’inscription au répertoire général : 1 A N° RG 18/00164 – N° Portalis DBVW-V-B7C-GU5C

Décision déférée à la Cour : 26 Mai 2016 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE A COMPETENCE COMMERCIALE DE COLMAR

APPELANTE – INTIMEE INCIDEMMENT :

Société Z A ET LEAL LDA Société de droit portugais

prise en la personne de son représentant légal

[…]

4536-909 LOUROSA (Portugal)

Représentée par Me Patricia CHEVALLIER-GASCHY, avocat à la Cour

INTIMEE – APPELANTE INCIDEMMENT :

SARL WUNSCH & MANN

prise en la personne de son représentant légal

[…]

[…]

Représentée par Me Marion BORGHI de la SCP CAHN G./CAHN T./BORGHI, avocat à la Cour

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l’article 8 de l’ordonnance n°2020-304 du 25 mars 2020 modifiée par ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020 et de l’ordonnance en date du 31 mars 2020 de la Première Présidente de la Cour d’Appel de Colmar, l’affaire fixée à l’audience du 25 mai 2020 a été mise en délibéré, sans débats, les parties ne s’y étant pas opposées.

M. FREY, Conseiller, a été chargé du rapport dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme PANETTA, Présidente de chambre

M. ROUBLOT, Conseiller

M. FREY, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier : Mme VELLAINE

ARRET :

— Contradictoire

— rendu par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.

— signé par Mme Corinne PANETTA, présidente et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Suivant facture émise le 26 février 2008, la société viticole WUNSCH & MANN a passé commande de 20 000 bouchons en liège de catégorie 'Beta 1' et 10 000 bouchons de catégorie 'Extra Beta 1'. Elle s’est rapidement aperçue à l’occasion du débouchage des bouteilles que celui-ci s’avérait impossible.

Par ordonnance en date du 11 avril 2011, le juge des référés du tribunal de grande instance de Colmar, saisi par la SARL WUNSCH & MANN a ordonné une expertise, à frais communs entre la requérante et la société Z A ET LEAL LDA, fabricant de bouchons en liège, laquelle a été confiée à M. X Y, expert judiciaire qui a déposé son rapport le 05 juin 2013.

Par acte d’huissier du 11 octobre 2013, la SARL WUNSCH & MANN a saisi le tribunal de grande instance de Colmar, chambre commerciale d’une action dirigée contre la société Z A ET LEAL LDA aux fins d’obtenir sa condamnation à lui payer :

• la somme de 98 745 euros en réparation de son préjudice économique,

• la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par l’atteinte à son image de marque,

• la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct,

• la somme de 4 712,24 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 26 mai 2016 le tribunal de grande instance de Colmar, chambre commerciale, a :

• condamné la société Z A ET LEAL LDA à payer à la société

• WUNSCH & MANN la somme de 68 450,40 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du jugement, condamné la société Z A ET LEAL LDA à payer à la société WUNSCH & MANN la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts, assortie des intérêts au taux légal à compter de la décision,

• condamné la société Z A ET LEAL LDA à payer à la société WUNSCH & MANN la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour la perte d’image de marque, assortie des intérêts au taux légal à compter de la décision,

• condamné la société Z A ET LEAL LDA outre aux entiers dépens à payer à la société WUNSCH & MANN la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration au greffe en date du 12 janvier 2018 la société Z A ET LEAL LDA a interjeté appel de l’intégralité des dispositions du jugement précité ; la SARL WUNSCH & MANN s’est constituée intimée le 9 avril 2018.

Dans ses dernières conclusions en date du 7 février 2019, auxquelles il est expressément référé pour l’exposé de l’intégralité de ses moyens et prétentions, la société Z A ET LEAL LDA entend voir annuler le jugement entrepris, dire n’y avoir lieu à évocation et renvoyer les parties devant la juridiction de premier degré pour qu’il soit statué sur la demande adverse.

Subsidiairement elle entend voir infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau, voir :

• constater l’absence de preuve de la faute qui lui est reprochée,

• dire et juger qu’elle n’est pas responsable du préjudice subi par la société WUNSCH & MANN,

• débouter la société WUNSCH & MANN de toutes fins et conclusions dirigées contre elle,

En tout état de cause elle entend voir condamner la société WUNSCH & MANN aux entiers frais et dépens y compris d’expertise ainsi qu’à lui verser une indemnité de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle précise que la commande de bouchons en litige a été passée par la SARL WUNSCH & MANN avec la SARL TOUYA, son agent commercial en France, soulignant que cette dernière n’aurait pas respecté le contrat d’exclusivité qui la liait avec elle en revendant également des bouchons provenant de ses concurrents portugais, notamment une société UNICOR, engendrant des réclamations relativement à leur mauvaise qualité.

Elle entend faire valoir que le jugement doit être annulé alors que les premiers juges ont statué sur le fond du litige sans l’inviter à conclure au fond, alors même qu’elle n’avait conclu dans ses dernières conclusions du 10 décembre 2015 que sur une nullité de l’assignation et soulevé une exception d’incompétence de la juridiction saisie, moyens qu’elle ne reprend plus à hauteur de cour. Elle se prévaut ainsi des dispositions des articles 16 et 76 du code de procédure civile et entend faire valoir que le juge qui a écarté les exceptions de procédure qu’elle a soulevées aurait dû l’inviter à conclure sur le fond du litige avant de statuer et qu’à défaut le jugement doit être annulé. Elle estime ainsi que les parties doivent être renvoyées devant le premier juge afin que le principe de double degré de juridiction soit respecté.

Subsidiairement, si la cour devait évoquer le litige, elle souligne que si des bouchons expédiés par la société TOUYA ont bien été facturés à la SARL WUNSCH & MANN, il n’a pas été vérifié que les bouchons en cause sont bien ceux qu’elle a fournis.

En outre elle soutient qu’en l’espèce, la SARL WUNSCH & MANN ne prouve aucunement la non-conformité des bouchons litigieux, ne pouvant s’appuyer sur le seul rapport d’expertise alors que l’expert se serait affranchi de constatations techniques et borné à des affirmations péremptoires dénuées d’objectivité pour ensuite ne pas répondre à ses dires. En tout état de cause, elle rappelle qu’un avis d’expert ne saurait lier le juge.

Elle affirme que le viticulteur WUNSCH & MANN aurait commis une faute à même de l’exonérer de toute responsabilité et se rapporte à une analyse effectuée à la demande de ce dernier avant l’expertise qui précisait que l’analyse stéréoscopique des bouchons n’a pas révélé d’anomalies structurelles et/ou morphologiques pertinente. Il relevait en revanche que lors du remplissage de la bouteille, opérée par le viticulteur, le volume d’expansion nécessaire à la dilatation des vins, appelé chambre de dégarni, aurait été insuffisant. Il soulignait également l’importance du positionnement correct du bouchon à l’intérieur du goulot des bouteilles, lesquelles présentaient quelques irrégularités d’ovalisation et suggérait de revoir la dimension nominale des bouchons utilisés. Elle précise que l’expert n’a pas répondu à un dire évoquant la question de l’inadaptation des bouchons aux bouteilles utilisées par le vigneron.

Elle soutient qu’au vu des ces constatations rien ne permet de démontrer avec certitude que les obstacles rencontrés dans 1'ouverture de ses bouteilles résultent d’un défaut provenant de ses bouchons et réfute que d’autres viticulteurs aient pu rencontrer les mêmes difficultés, soulignant que la société TOUYA aurait bien indiqué que les bouchons de la société UNICOR n’étaient pas conformes.

Subsidiairement elle maintient que la preuve de ce que les bouchons litigieux sont issus de sa fabrication n’est pas rapportée, l’expert ayant relevé l’absence de N° de lot sur les bouchons.

Elle entend faire valoir que selon l’expert, les désordres proviendraient d’un problème de surfaçage, lequel aurait, quoi qu’il en soit, été effectué dans les ateliers de la société TOUYA, son distributeur en France qui les réceptionnait dans leur état brut à l’instar de ceux d’autres fournisseurs (société PIEDAD, société UNICOR…). Elle relève à ce titre que la société TOUYA s’était déjà plainte de la mauvaise qualité des bouchons livrés par UNICOR, tout la portant à croire que les bouchons litigieux ont été fabriqués par cette dernière société et livrés à la société WUNSCH & MANN comme étant des bouchons 'TOUYA’ ainsi que le reconnaissait la société viticole.

Elle précise que les bouchons qu’elle a pu livrer directement n’ont jamais fait l’objet du moindre reproche et affirme que la société TOUYA, excédant les termes du mandat qu’elle lui avait confié, a engagé sa responsabilité délictuelle à l’égard de la société WUNSCH & MANN.

Enfin elle entend faire valoir que si, au début des signalements des désordres, elle a effectivement dédommagé d’autres clients, ce serait uniquement sur interventions et instructions de la société TOUYA, son agent commercial en qui elle avait alors toute confiance.

Elle explique que contestant sa responsabilité, elle n’a pas entendu payer une consignation supplémentaire à l’expert s’agissant d’un essai physico-chimique pour déterminer la composition du dépôt observé sur le goulot des bouteilles et affirme en tout état de cause que le produit 'Beta 1' utilisé et incriminé a été préconisé par la société TOUYA, elle-même 'n’ayant auparavant jamais utilisé cette méthode mais le peroxyde ou le PC 6M'.

Elle précise que quand bien même il serait retenu qu’elle a intégralement procédé à la fabrication des bouchons, l’expert se borne à affirmer, sans l’avoir vérifié, que les conditions

de stockage des bouchons ne sont pas en cause, alors que pour elle, cette opération serait primordiale.

Sur le montant de l’indemnisation réclamé sur appel incident elle relève qu’initialement la société WUNSCH & MANN chiffrait son préjudice à la somme de 18 250,40 euros et n’a revu son estimation à la hausse qu’en suite des calculs d’un manque à gagner par l’expert, sans rapporter la preuve de l’étendue de son préjudice ni justifier des autres frais mis en compte.

Dans ses dernières conclusions en date du 11 septembre 2018, auxquelles il est expressément référé pour l’exposé de l’intégralité de ses moyens et prétentions, la SARL WUNSCH & MANN entend voir débouter la société Z A ET LEAL LDA de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions, confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a reconnu la responsabilité de la société Z A ER LEAL LDA et, sur appel incident, l’infirmer pour le surplus.

Statuant à nouveau elle réclame la condamnation de la société Z A ET LEAL LDA à lui verser un montant de 98 745 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 1er juillet 2010, un montant de 10 000 euros au titre d’une perte d’image de marque, assorti des intérêts au taux légal à compter de la demande, soit le 11 octobre 2013, un montant de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct, assorti des intérêts au taux légal à compter même jour et une indemnité de 4 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.

Subsidiairement elle entend voir confirmer la décision entreprise et en tout état de cause, voir condamner la société Z A ET LEAL LDA outre aux entiers frais et dépens, en ce compris ceux de la procédure de référé et les éventuels frais d’exécution à lui verser une indemnité de 5000 euros par application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.

Elle entend faire valoir que la société Z A ET LEAL LDA, ayant conclu en dernier dans une procédure ayant perduré plus de deux ans et seule fait le choix de cantonner son argumentaire à des questions de procédure qu’elle ne soutient plus aujourd’hui et ce, sans jamais solliciter la réserve de ses droits, ne peut soutenir n’avoir pas été mise en mesure de conclure sur le fond du dossier. Elle rappelle que les deux parties étaient représentées par leurs conseils, les juges de première instance ayant largement permis aux parties de faire valoir leurs droits et observations. Elle affirme que permettre à la société Z A ET LEAL LDA de conclure au fond pour la première fois à hauteur d’appel, la priverait d’un degré de juridiction.

En tout état de cause elle soutient que la société Z A ET LEAL LDA supportait l’obligation contractuelle de lui livrer 20 000 bouchons destinés à des bouteilles de vin d’Alsace et s’est montrée totalement défaillante dans l’exécution de cette obligation, contestant l’existence même d’un contrat liant les parties et ne reconnaissant pas, nonobstant facture qu’elle a émise à ce titre, que les bouchons en litige sont ceux qu’elle a livrés. Elle rappelle que par courriel du 1er avril 2010, la société Z A ET LEAL LDA lui indiquait pourtant que les analyses réalisées permettraient d’établir que la qualité de ses bouchons n’est pas en cause et proposait même une prise en charge à titre amiable.

Elle souligne que le fait que la société Z A ET LEAL LDA, son seul co-contractant, ait connu des difficultés avec son distributeur en France, soit la société TOUYA, ne la concerne en rien et rappelle que l’expert a établi de manière formelle que la fabrication des bouchons, objet du litige, a eu lieu dans les ateliers de Z A sans intervention. Il souligne en outre que les obligations imposées par le certificat ISO 9001

n’auraient pas été respectées et que la défaillance de la société Z A est à l’origine d’une absence de traçabilité, les bouchons produits ne portant pas de numéro de lot, pourtant obligatoire pour toute fabrication de produit industriel.

Elle expose que les défauts des bouchons fournis par Z A ont rendu le débouchage des bouteilles impossible, par suite le vin impropre à sa consommation; les bouchons restant collés au col de la bouteille et qu’ainsi cette dernière a engagé sa responsabilité et se doit à l’indemniser de son entier préjudice.

Elle soutient le rapport d’expertise réalisé, rappelant que l’expert est assermenté devant la cour et a cherché à faire une analyse scientifique du désordre, sollicitant même de pouvoir faire des investigations complémentaires, ce que la société Z A ET LEAL LDA a refusé pour contester aujourd’hui l’expertise.

Elle réfute toute responsabilité dans la survenance des désordres, soulignant que d’autres viticulteurs ont été confrontés aux même problèmes survenus dans les mêmes circonstances et qui ont été indemnisés par la société Z A ET LEAL LDA. Elle précise que bien que les rapports existant entre la société TOUYA, qui n’a jamais été appelée à la cause et la société Z A ET LEAL LDA ne la concerne pas, elle entend faire valoir que les longs développements relatifs à l’engagement de la responsabilité de l’agent commercial attestent de l’absence de toute responsabilité du viticulteur.

Elle souligne que l’expert judiciaire a très précisément évalué son préjudice comprenant l’ensemble des opérations nécessaires à la récupération du vin, conformément aux prix habituellement retenus.

En outre et au regard des courriers de client mécontents elle soutient avoir subi une atteinte à son image de marque et un préjudice moral, rappelant le temps passé tant pour répondre à sa clientèle que pour suivre la procédure et les opérations d’expertise, qui justifient ses demandes de dommages et intérêts.

L’instruction de l’affaire a été close par ordonnance du 7 mai 2020.

L’affaire, fixée à l’audience du 25 mai 2020, a été mise en délibéré sans débats à la date du 1er juillet 2020 par application de l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 modifiée par ordonnance N° 2020-595 du 20 mai 2020, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés.

MOTIFS :

1. Sur l’annulation du jugement :

Aux termes de l’article 76 du code de procédure civile dans sa version applicable au présent litige, le juge peut, dans un même jugement, mais par des dispositions distinctes, se déclarer compétent et statuer sur le fond du litige, sauf à mettre préalablement les parties en demeure de conclure sur le fond.

Dans le dispositif de ses dernières conclusions, déposées au greffe le 10 décembre 2015 et de l’ensemble de ses conclusions devant les premiers juges, la société Z A & LEAL LDA demandait au tribunal de :

• Constater que seules sont compétentes les Juridictions de B C D E (Portugal) et par conséquent le Tribunal de Commerce de B C D E ;

• Se déclarer incompétent et inviter la SARL WUNSCH & MANN à mieux se pourvoir;

• Constater simultanément que l’assignation est nulle en application des dispositions de l’article 56 du code de procédure civile pour défaut de fondement juridique ;

• Condamner la SARL WUNSCH & MANN aux dépens ainsi qu’à lui payer une somme de 3000 euros par application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.

Les premiers juges ont dans le dispositif du jugement entrepris, implicitement mais nécessairement alors qu’ils l’avaient largement motivé, rejeté l’exception d’incompétence et la fin de non recevoir ainsi soulevées et statué sur le fond des demandes présentées par la SARL WUNSCH & MANN.

Il est constant que la société Z A ET LEAL LDA, parfaitement avisée des demandes formulées par son adversaire à son encontre, a choisi, à l’occasion de ses trois jeux de conclusions, obtenues sur injonction du juge de la mise en état, de limiter son argumentation en se gardant d’aborder le fond du dossier. Cependant les juges qui n’étaient ainsi saisis que d’un aspect purement procédural du litige, ne pouvaient statuer au fond qu’après avoir invité les parties à exercer leur droit à la contradiction consacré par l’article 16 du code de procédure civile.

Par tant, le jugement entrepris sera annulé. Dès lors la cour est tenue de statuer sur l’entier litige qui lui est déféré en application des dispositions de l’article 562 du code de procédure civile.

En premier lieu, il sera relevé que la société Z A ET LEAL LDA ne décline pas la compétence territoriale de la présente juridiction, qui est celle du lieu de livraison ; elle ne soutient pas davantage de fin de non recevoir, la SARL WUNSCH & MANN poursuivant indiscutablement à son encontre une action en responsabilité contractuelle.

2. Sur les désordres affectant les bouchons :

Plusieurs courriers de réclamations en 2009 et 2010 émanant de clients de la SARL WUNSCH & MANN sont produits et attestent d’un défaut ayant affecté les bouchons de bouteilles du vin qu’elle produit et commercialise notamment de type pinot gris 2007. Un procès verbal rédigé par Me Stenger, huissier de justice le 24 novembre 2010 décrit plusieurs désordres à l’occasion de l’ouverture des bouteilles lesquelles ne s’ouvrent que difficilement, un dépôt blanchâtre est observé à l’intérieur du col de la bouteille.

La SARL WUNSCH & MANN a mandaté le laboratoire SOFRALAB en mai 2010 aux fins d’analyses de ces bouchons, soulignant qu’ils comportent en bouts une marque 'T’ entourée d’un cercle noir (photographie vue de dessus). Il relève en premier lieu que même en faisant usage d’un tire-bouchon professionnel, celui-ci semble collé au goulot de la bouteille et loin de glisser dans le goulot se fend sous la pression. L’analyse d’un goulot bouché mais éclaté à l’aide d’un marteau démontre la forte adhérence du bouchon sur le verre qui s’avère en conclusion impossible à retirer selon la méthode habituelle. Le laboratoire relevait lui aussi la présence d’un produit blanchâtre collant et difficilement éliminable à l’intérieur du goulot.

Le rapport d’expertise judiciaire a confirmé ces désordres et rappelant le processus complexe de fabrication des bouchons de liège puis mis en exergue l’importance du respect des temps de séchage du polymère qui sera utilisé lors de la phase d’enrobage des bouchons, a souligné que leur non-respect entrave le processus complet de polymérisation ce qui entraîne le collage des bouchons au col de la bouteille. L’expert a ajouté que seuls des essais de laboratoire auraient pu déterminer la structure chimique exacte de ce produit collant, soulignant qu’ils n’ont pu se dérouler, du fait du refus de la société Z A ET

LEAL LDA. L’expert a en outre rappelé que ces dépôts blanchâtres avaient déjà été décrits par d’autres laboratoires et ajoute que la comparaison de bouchons traités ou non au 'beta 1' montre que seuls les bouchons traités par ce produit ont fait l’objet de réclamations.

En état de cause, il ne fait aucun doute que ces bouchons et le phénomène de collage qu’ils induisent présentent un défaut tel qu’ils ne sont pas conformes à leur destination contractuelle, en l’espèce non seulement le bouchage mais également le débouchage d’une bouteille.

3. Sur la responsabilité de ces désordres :

En application de l’article 35 de la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises (dite convention de Vienne) :

1) Le vendeur doit livrer des marchandises dont la quantité, la qualité et le type répondent à ceux qui sont prévus au contrat, et dont l’emballage ou le conditionnement correspond à celui qui est prévu au contrat.

2) À moins que les parties n’en soient convenues autrement, les marchandises ne sont conformes au contrat que si :

a) Elles sont propres aux usages auxquels serviraient habituellement des marchandises du même type ;

b) Elles sont propres à tout usage spécial qui a été porté expressément ou tacitement à la connaissance du vendeur au moment de la conclusion du contrat, sauf s’il résulte des circonstances que l’acheteur ne s’en est pas remis à la compétence ou à l’appréciation du vendeur ou qu’il n’était pas raisonnable de sa part de le faire ;

c) Elles possèdent les qualités d’une marchandise que le vendeur a présentée à l’acheteur comme échantillon ou modèle ;

d) Elles sont emballées ou conditionnées selon le mode habituel pour les marchandises du même type ou, à défaut du mode habituel, d’une manière propre à les conserver et à les protéger.

La société Z A ET LEAL LDA estime d’une part qu’il n’est pas démontré que les bouchons auraient été fournis par ses soins, arguant de ce que son représentant en France, la société TOUYA, se serait fournie auprès d’autres fabricants et d’autre part que cette dernière aurait réalisé le traitement de surfaçage 'Beta 1' repéré comme étant la cause des désordres.

Or il ressort de la facture du 26 février 2008 établie par la société Z A ET LEAL LDA elle-même que 20 000 bouchons '1re Beta 1', portant la marque 'T’ en bouts (laquelle sera relevée par l’huissier) et 10 000 bouchons 'ext Beta 1' ont été expédiés à TOUYA puis facturés à la SARL WUNSCH & MANN suivant commande du 23 janvier 2008 de la société TOUYA (annexes 1 du rapport d’expertise). Cette dernière société exercera à compter du 1er février 2008 de manière tout à fait officielle une activité d’agent commercial pour le compte de la société Z A ET LEAL LDA, suivant contrat conclu le 12 janvier 2008 et ce, afin de poursuivre et négocier la diffusion en exclusivité des produits vendus par Z A ET LEAL sur le sol français ; ce qu’elle faisait déjà auparavant, sans exclusivité toutefois.

La lettre de voiture produite à ce titre démontre que cette livraison a été réalisée le 12 février

2008 à la société TOUYA. A cette date, cette dernière société avait déjà expédié au Portugal son propre matériel de marquage et de conditionnement des bouchons, suivant lettre de voiture du 25 janvier 2018, de sorte qu’elle n’a pu réaliser de telles opérations sur la commande en cause (annexe 7 du rapport d’expertise).

Au vu de ces éléments il est établi que la société Z A ET LEAL LDA a bien livré et facturé sur commande réalisée par l’intermédiaire de la société TOUYA les bouchons traités au 'Beta 1'.

Cette dernière société, qui n’a en tout état de cause jamais été appelée en garantie depuis l’assignation délivrée à la société Z A ET LEAL LDA, n’a fait que transmettre la commande, réceptionner en France, stocker puis réexpédier les marchandises à la SARL WUNSCH & MANN ; la facturation de ces marchandises ayant été réalisée directement par la société Z A ET LEAL LDA. L’expert n’a jamais envisagé que les conditions de stockage ou d’expédition des bouchons puissent avoir été à l’origine des défauts les affectant.

En tout état de cause la société Z A ET LEAL LDA n’explique pas pour quelles raisons elle aurait facturé à la SARL WUNSCH & MANN des bouchons traité au 'Beta 1' qu’elle affirme avoir été fabriqués par une société tierce, la société UNICORN, étant précisé qu’il n’est pas contesté que la facture en question lui ait été régulièrement payée.

La responsabilité contractuelle de la société Z A ET LEAL LDA dans la délivrance de produits non conformes à leur destination est ainsi établie ; l’utilisation, la fourniture ou même la préconisation de l’usage du produit 'Beta 1' par la société TOUYA ne ressortant que des seules allégations de la société Z A ET LEAL LDA et est sans emport sur l’obligation de délivrance conforme à sa destination du produit qui lui a été commandé.

S’agissant d’une faute commise par la SARL WUNSCH & MANN dans l’utilisation de ses produits, la société Z A ET LEAL LDA produit les conclusions d’une analyse réalisée en janvier 2010 par le 'laboratoire CTCOR', laquelle avait déjà souligné la présence anormale de résidus solides dans l’intérieur du goulot. Il y est relevé principalement que la chambre d’expansion du vin serait insuffisante, qu’un enfoncement excessif du bouchon est observé et que les goulots des bouteilles seraient irréguliers ou encore que les bouchons seraient mal dimensionnés. Si ces constatations objectives ne sauraient être remises en question, elles n’ont cependant aucun lien de causalité avec le phénomène de collage décrit par l’expert lequel est la conséquence d’un défaut de surfaçage des bouchons.

Par tant le vendeur et fabricant des bouchons, en l’espèce la société Z A ET LEAL LDA doit assumer l’entière responsabilité des non-conformités des produits qu’elle a délivrés. Il doit également être retenu que cette dernière société a déjà reconnu sa responsabilité dans le cadre des mêmes désordres observés par d’autres viticulteurs qu’elle a spontanément indemnisés ; elle proposait d’ailleurs en son temps, une remise commerciale future à la SARL WUNSCH & MANN sur de prochains achats.

4. Sur les postes de préjudice :

En application des dispositions des articles 45 et suivants de la convention déjà mentionnée si le vendeur n’a ''s exécuté l’une quelconque des obligations résultant pour lui du contrat de vente ou de la présente Convention, l’acheteur est fondé à demander les dommages-intérêts prévus aux articles 74 à 77.

Ainsi et notamment, les dommages-intérêts pour une contravention au contrat commise par

une partie sont égaux à la perte subie et au gain manqué par l’autre partie.

Etant effectivement souligné qu’en 2010, la SARL WUNSCH & MANN évaluait son préjudice globalement à une somme de 18 250 euros, l’expert judiciaire a très précisément repris l’ensemble des conséquences inhérentes à la reprise des dommages causés par les bouchons non conforme et chiffré le préjudice en découlant à la somme de 98 745 euros.

Au regard des pièces produites (annexes 17 à 53 de la SARL WUNSCH & MANN) le préjudice est effectivement justifié, étant précisé que les frais de constat d’huissier ou de laboratoire seront intégrés aux frais irrépétibles pour :

• le remplacement de 20 000 bouchons, à dire d’expert 3769 euros,

• bouteilles neuves : 3391,50 euros,

• l’ensemble des opérations de débouchage (facture SAE Cheveau) : 2683,84 euros,

• le dédommagement des clients (remboursements et avoirs) : 1871,95 euros,

• le manque à gagner entre la revente de 20 196 bouteilles de 0,75 l

• de pinot gris à 5,60 euros HT et la revente en vrac de 11 662 litres

• à 2,30 euros : 60 263,40 euros,

• outre le repli de 3470 litres en edelzwicker, valeur 3,09 euros : 8709,70 euros,

• le reconditionnement de l’edelzwicker précité : 2267,30 euros.

Soit à minima une somme effective de 82 956,69 euros, étant précisé que des frais de transport des bouteilles, de conditionnement et de matériel (carton et emballages) se rajoutent nécessairement à ce montant mais ne sont justifiés par aucune pièce permettant d’en évaluer le coût.

En outre il ne saurait être contesté que la société WUNSCH & MANN a subi un préjudice d’image auprès de ses clients, qu’elle a engagé des dépenses, démarches et autres explications pour réparer les désordres, qu’il convient d’indemniser par l’allocation d’un montant de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts. La SARL WUNSCH & MANN sollicite encore l’indemnisation de préjudice distinct ; la cour n’étant pas en mesure de comprendre à quoi se réfère cette demande elle sera rejetée.

Ces sommes seront majorées des intérêts au taux légal à compter de la présente décision.

5. Sur les demandes accessoires :

La SARL Z A ET LEAL LDA succombant en l’intégralité de ses prétentions supportera la charge des entiers frais et dépens de la procédure, comprenant ceux de l’expertise. L’équité n’impose pas de faire application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile à son profit.

L’équité commande de ne pas laisser à la charge de la SARL WUNSCH & MANN l’intégralité des frais irrépétibles qu’elle a dû engager pour faire valoir ses droits, une indemnité de 3 000 euros lui sera accordée par application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.

P A R C E S M O T I F S

La Cour,

Annule le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Colmar en date du 26 mai 2016,

Statuant sur l’entier litige,

Condamne la société Z A ET LEAL LDA à verser à la SARL WUNSCH & MANN une indemnité de 82 956,69 euros (quatre-vingt-deux mille neuf cent cinquante-six euros et 69 centimes), majorée des intérêts au taux légal à compter de ce jour,

Condamne la société Z A ET LEAL LDA à verser à la SARL WUNSCH & MANN une somme de 10 000 euros (dix mille euros) à titre de dommages et intérêts en indemnisation de son préjudice d’image,

Déboute la SARL WUNSCH & MANN du surplus de ses demandes,

Déboute la société Z A ET LEAL LDA de l’intégralité de ses demandes,

Condamne la société Z A ET LEAL LDA aux entiers frais et dépens de la procédure en ce compris les frais de l’expertise,

Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile au profit de la société Z A ET LEAL LDA,

Condamne la société Z A ET LEAL LDA à verser à la SARL WUNSCH & MANN la somme de 3000 euros (trois mille euros) en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.

La Greffière : la Présidente :

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Cour d'appel de Colmar, Chambre 1 a, 1er juillet 2020, n° 18/00164