Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 9 octobre 2020, n° 19/01781

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Colmar, ch. 2 a, 9 oct. 2020, n° 19/01781
Juridiction : Cour d'appel de Colmar
Numéro(s) : 19/01781
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Strasbourg, 22 juillet 2018
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

CG

MINUTE N° 306/2020

Copies exécutoires à

Maître BISCHOFF – DE OLIVEIRA

Maître WIESEL

Le 09 octobre 2020

Le Greffier

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE COLMAR

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 09 octobre 2020

Numéro d’inscription au répertoire général : 2 A 19/01781 – N° Portalis DBVW-V-B7D-HB3R

Décision déférée à la cour : jugement du 23 juillet 2018 du TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de STRASBOURG

APPELANTE et demanderesse :

Madame B Y épouse X

demeurant […]

[…]

représentée par Maître BISCHOFF – DE OLIVEIRA, avocat à la cour

INTIMÉ et défendeur :

Monsieur D A

demeurant […]

[…]

(bénéficie d’une aide juridictionnelle totale n° 2019/003306 du 25/06/2019 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de COLMAR)

représenté par Maître WIESEL, avocat à la cour

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 11 septembre 2020, en audience publique, devant la cour composée de :

Monsieur Bernard POLLET, Président

Monsieur Emmanuel ROBIN, Conseiller

Madame Catherine GARCZYNSKI, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie SCHIRMANN

ARRÊT Contradictoire

— prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

— signé par Monsieur Bernard POLLET, président et Madame B DONATH, faisant fonction de greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Début 2006, Mme Y, épouse X, a confié à M. A, qui s’était présenté comme détective privé, une enquête, afin d’identifier le ou les auteurs d’appels malveillants réitérés, dont elle était victime de manière récurrente.

Ce dernier lui a facturé la somme de 1 750 euros le 28 avril 2006 et la somme de 5 232,50 euros, réduite à 3 000 euros, le 23 mai 2006 ; il lui a réclamé encore 800 euros, à titre de 'provision' le 11 septembre 2006, puis lui a facturé 1 571,50 euros le 27 octobre 2006. Elle lui a réglé tous ces montants par chèques débités les 28 avril 2006, 23 mai 2006, 12 septembre 2006 et 27 octobre 2006. M. A a, en dernier lieu, établi une facture le 22 décembre 2007 pour 300 euros, faisant mention du règlement de la somme par Mme X à la même date.

Par courrier recommandée daté du 16 juin 2008, expédié le 24 juin 2008 selon le justificatif de dépôt à la Poste, Mme X a écrit à M. A pour se plaindre de n’avoir reçu aucun rapport d’enquête, bien qu’elle ait réglé tous les honoraires à réception des factures, et lui réclamer 'tous les rapports d’enquêtes avec les enregistrements des écoutes téléphoniques des 35 jours du mois d’octobre 2006".

Par déclaration au greffe du tribunal d’instance de Haguenau, enregistrée le 9 janvier 2013, Mme X a saisi ce tribunal d’une demande en remboursement de la somme de 9 654 euros, outre 1 500 euros de dommages et intérêts, aux motifs que M. A n’avait jamais rien fait pour elle et que 'c’était de l’escroquerie'.

Le tribunal d’instance s’est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de Strasbourg le 12 novembre 2013.

Par jugement du 23 juillet 2018, le tribunal de grande instance a déclaré la demande irrecevable comme prescrite, débouté M. A de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile et condamné Mme X aux dépens.

Le tribunal a estimé que l’action avait été introduite plus de cinq ans après la dernière facture,

date à laquelle Mme X connaissait les faits lui permettant de l’exercer, soit le défaut de contrepartie réelle et sérieuse aux paiements effectués, puisque, selon elle, elle n’avait pas été informée des résultats de l’enquête.

*

Mme Y, épouse X, a interjeté appel de cette décision le 4 avril 2019.

Par conclusions du 2 juillet 2019, elle sollicite l’infirmation du jugement entrepris, en ce qu’il a déclaré sa demande irrecevable, et la condamnation de M. A à lui rembourser la somme de 7 421,50 euros, qu’elle lui a réglée sans contrepartie, assortie des intérêts au taux légal à compter du 9 janvier 2013, outre la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel et moral, ainsi que 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir, sur la prescription, que le délai de cinq ans n’est applicable qu’à compter de l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, le précédent délai étant de trente ans, s’agissant d’une action contractuelle, de sorte que sa demande n’est pas prescrite, que l’on se réfère à la dernière facture, à la date même du rapport d’enquête (4 février 2008) qu’elle n’a reçu qu’à la suite de sa lettre recommandée du 16 juin 2008 et qui est anti-daté, ou encore à la date du rapport du 26 mai 2006, qu’elle n’a jamais reçu.

Sur le fond, elle soutient que M. A ne justifie d’aucune des diligences facturées et réglées par elle ; que le rapport qu’il produit en annexe 3 en date du 26 mai 2006 ne lui a jamais été adressé et a été établi pour les besoins de la cause ; que la mention 'rapport remis à Mtr F G' sur la facture du 23 mai 2006 n’est pas probante, alors que la date du rapport est postérieure ; que M. A a réclamé encore des montants substanciels après le 26 mai 2006 ; que c’est en vain que M. A conteste le règlement de la facture du 22 décembre 2007, au vu des mentions de celle-ci, comportant un reçu avec signature ; que la facture du 27 octobre 2006 mentionne des écoutes téléphoniques qu’il n’a pu réaliser, faute de pouvoir en ce sens ; qu’il ne justifie pas plus des diligences qu’il invoque auprès d’opérateurs téléphoniques et que le seul rapport transmis est celui qu’elle produit en annexe 6, du 4 février 2008, non étayé. Elle ajoute que M. A n’avait pas d’agrément de détective privé avant le 12 juillet 2006, de sorte qu’il ne pouvait accomplir aucune prestation, ni établir les factures des 28 avril et 23 mai 2006, et que, postérieurement, il n’a pas respecté le code de déontologie applicable, qui prévoit la signature d’un contrat de mandat avec le client et une convention d’honoraires.

*

Par conclusions du 1er octobre 2019, M. A demande la confirmation du jugement dont appel et, en tout état de cause, la réduction des montants réclamés et le rejet des demandes de dommages et intérêts et d’indemnité fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

Il estime que l’action est bien prescrite, plus de sept ans s’étant écoulés, lors de son introduction, depuis le paiement de la dernière facture.

Sur le fond, il soutient avoir rempli sa mission consistant à identifier le ou les auteurs d’appels malveillants et réitérés dont Mme X se disait victime, puisqu’il a identifié son ex-mari, son fils, sa belle-fille et son neveu, et que, le 4 février 2008, il a indiqué 'je me propose d’être présent à l’audience pénale comme témoin et confrontation des individus'.

Il fait valoir, subsidiairement, que Mme X ne justifie que du paiement de 7 121,50 euros,

qu’elle n’a subi aucun préjudice et que lui-même bénéficie de l’aide juridictionnelle totale, de sorte qu’il ne pourrait faire face à la somme réclamée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

*

L’ordonnance de clôture a été rendue le 5 novembre 2019.

MOTIFS

Sur la prescription

L’action engagée par Mme X aux fins de remboursement des sommes qu’elle a versées à M. A est fondée sur l’inexécution du contrat conclu avec ce dernier.

En conséquence, cette action était soumise, avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, à un délai de prescription de trente ans.

Le délai de prescription de cinq ans, applicable aux actions personnelles et mobilières, prévu par l’article 2224 du code civil, est issu de cette loi, laquelle dispose, en son article 26 II, que, lorsque ses dispositions réduisent la durée de la prescription, elles ne s’appliquent qu’à compter du jour de son entrée en vigueur, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

Dès lors, ce n’est qu’à compter du 19 juin 2008 que le délai de cinq ans était susceptible de s’appliquer, ce dans la limite du précédent délai de trente ans, contrairement à ce qu’a retenu le premier juge.

Le point de départ du délai est au plus tôt la date de la première facture payée par Mme X pour les prestations correspondantes, soit le 28 avril 2006. Or elle a saisi le tribunal d’instance le 9 janvier 2013, soit avant l’expiration du délai de cinq ans ayant couru après l’entrée en vigueur de la loi nouvelle (19 juin 2013) et dans la limite du délai de trente ans à compter du 28 avril 2006 (28 avril 2036). Cette saisine, même si le tribunal d’instance s’est déclaré incompétent, a interrompu le délai de prescription.

Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu’il a déclaré la demande irrecevable comme prescrite et cette fin de non-recevoir sera écartée.

Sur la demande en remboursement des sommes versées

M. A a facturé à Mme X:

— la somme de 1 750 euros le 28 avril 2006, à raison de 175 euros par jour pendant dix jours, pour, selon la facture, 'rapports de travaux effectués, enquêtes préliminaires concernant M. H I pour escroquerie et malfaçon financières et parcellement morale et téléphoniques, rapports d’enquêtes remis à Mt F G',

— la somme de 5 232,50 euros le 23 mai 2006, à raison de 25 jours à 175 euros, outre la TVA de 857,50 euros, somme réduite à 3 000 euros après remise de 2 232,50 euros, pour, selon la facture, 'rapport de travaux à effectuer, rapport remis à Mt F G…',

— la somme de 800 euros le 11 septembre 2006, à titre de 'provision de prestation à exécuter',

— la somme de 1 571,50 euros le 27 octobre 2006 pour ' intervention du détective' (800 euros

HT) et 'écoutes' sur 35 jours (15 euros HT par jour),

— la somme de 300 euros le 22 décembre 2007 pour 'enquête'.

Or il n’est établi aucune remise d’un quelconque rapport d’enquête à M. F G, tel que mentionné sur les factures des 28 avril et 23 mai 2006, et le rapport daté du 26 mai 2006, produit par M. A dans le cadre de l’instance, est même postérieur à la date de ces factures. Par ailleurs, les écoutes téléphoniques, mentionnées sur la facture du 27 octobre 2006, ne peuvent avoir été effectuées, alors que M. A n’est qu’un simple agent de recherches privées.

Le rapport du 4 février 2008, que Mme X admet avoir reçu à la suite de sa lettre recommandée expédiée le 24 juin 2008, ne fait état que d’un suivi de l’affaire par M. A depuis février 2007 et, en tout état de cause, il est rédigé de façon peu compréhensible et mentionne, outre une journée passée par M. A chez Mme X pour constater s’il y avait des appels, la prise de renseignements auprès d’opérateurs de téléphonie, ce qui n’est pas possible ; de plus, M. A n’y fait que proposer d’être présent à l’audience pénale comme témoin, sans donner le nom des auteurs des appels téléphoniques, au prétexte de ne pas enfreindre 'la loi pénale pour atteinte à la vie privée'.

Si le rapport daté du 26 mai 2006 est mieux rédigé et vise à justifier des heures de travail facturées les 28 avril et 23 mai 2006, M. A n’y rapporte également, comme seule investigation, que sa mise en relation avec les différents services de téléphonie, prétendant cette fois avoir obtenu des relevés téléphoniques lui ayant permis d’identifier les auteurs des appels malveillants, lesquels seraient des membres de la famille de Mme X J à troubler sa vie avec son nouveau mari. Or sa qualité de détective privé ne lui permettait pas d’obtenir de tels relevés, qu’il ne produit d’ailleurs pas, d’autant qu’il n’était même pas agréé à cette date, n’ayant été agréé pour exercer l’activité d’agent de recherches privées, dans l’agence dénommée 'M. A détective privé', que par arrêté du 12 juillet 2006.

Dès lors, M. A n’a pas rempli son obligation d’effectuer une enquête pour le compte de Mme X, c’est-à-dire de réelles investigations en lien avec la mission confiée.

Mme X justifie lui avoir payé au total la somme de 7 421,50 euros, y compris celle de 300 euros, puisque son règlement résulte de la facture du 22 décembre 2007, indiquant qu’elle a été réglée par une mention manuscrite, suivie de la signature et du cachet de M. A.

En conséquence, M. A doit être condamné à lui rembourser cette somme, payée sans contrepartie du fait de l’inexécution du contrat par M. A, outre les intérêts au taux légal à compter du 9 janvier 2013, date de sa demande.

Sur la demande en dommages et intérêts

La cour estime que Mme X a subi un préjudice moral du fait du comportement de M. A, qui lui a fait croire qu’il effectuerait une enquête, en sa qualité de détective privé, alors qu’il n’était même pas agréé avant le 12 juillet 2006, et qui s’est fait rémunérer en émettant des factures faisant état d’un travail jamais réalisé.

M. A sera condamné à l’indemniser à hauteur de la somme de 1 500 euros.

Sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile

M. A, succombant, sera condamné aux dépens de première instance et d’appel.

Il convient également de le condamner à payer à Mme X la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais non compris dans les dépens qu’elle a exposés en première instance et en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant après débats en audience publique, par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement entrepris , sauf en ce qu’il a débouté M. D A de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,

REJETTE la fin de non-recevoir, soulevée par M. D A, tirée de la prescription ;

CONDAMNE M. D A à payer à Mme B Y, épouse X, les sommes suivantes:

—  7 421,50 € (sept mille quatre cent vingt et un euros et cinquante centimes), assortie des intérêts au taux légal à compter du 9 janvier 2013, en remboursement des sommes versées en exécution du contrat,

—  1 500 € (mille cinq cents euros), assortie des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

—  3 000 € (trois mille euros) en application de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais non compris dans les dépens exposés en première instance et en appel ;

CONDAMNE M. D A aux dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE

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