Cour d'appel de Douai, 27 novembre 2008, 08/01371

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Résumé de la juridiction

La chambre de l’instruction saisie par ordonnance du magistrat instructeur concernant une personne mise en examen dont les experts ont conclu qu’au moment des faits il était atteint d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes, est fondée à prononcer une ou plusieurs mesures de sûreté. (art 706-125 du code de procédure pénale)

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Sur la décision

Référence :
CA Douai, ct0002, 27 nov. 2008, n° 08/01371
Juridiction : Cour d'appel de Douai
Numéro(s) : 08/01371
Importance : Inédit
Textes appliqués :
Article 706-125 du code de procédure pénale
Dispositif : other
Date de dernière mise à jour : 15 septembre 2022
Identifiant Légifrance : JURITEXT000020120064
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Sur les parties

Texte intégral

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS COUR D’APPEL DE DOUAI

CHAMBRE DE L’INSTRUCTION

ARRÊT N° 2074 rendu le 27 novembre 2008

Vu la procédure instruite au tribunal de grande instance de Valenciennes (cabinet de Monsieur TILLIE), information n° VA3 / 06 / 39

I. PARTIES EN CAUSE :

PERSONNE MISE EN EXAMEN :

X… Thomas

Né le 12 avril 1988 à ST SAULVE,

Célibataire,

Sans profession,

Demeurant…

59300 VALENCIENNES

Non comparant

Mis en examen pour assassinat et tentative d’assassinat,

Détenu actuellement hospitalisé au centre hospitalier spécialisé de Sarreguemines (mandat de dépôt criminel du 16 octobre 2006, ordonnances de prolongation de détention provisoire des 15 octobre 2007 à compter du 16 octobre 2007 et 14 avril 2008 à compter du 16 avril 2008, ordonnance de transmission en application de l’article 706-120 alinéa 1er du 30 juin 2008),

Ayant pour avocat Maître Dominique HARBONNIER, avocat au barreau de Valenciennes,

PARTIES CIVILES :

Y… Albert,

Demeurant…

Et autres…

Ayant tous pour avocat Me RIGLAIRE, Place du Théâtre 14-16-18 rue des 3 Couronnes BP 200-59002 LILLE CEDEX

II. COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats :

— Monsieur H…, Président de la chambre de l’instruction,

— Monsieur POIX, Madame SPAGNOL, Conseillers,

Tous trois désignés conformément à l’article 191 du Code de procédure pénale, et qui ont, à l’issue des débats, délibérés seuls conformément à l’article 200 dudit Code.

Assistés de Madame MAIRESSE, greffier,

En présence de Monsieur PETIT, substitut général,

Lors du prononcé de l’arrêt :

Il a été donné lecture de l’arrêt par Monsieur le président en présence du ministère public et de Mademoiselle G…,

III. RAPPEL DE LA PROCÉDURE :

Vu le réquisitoire de règlement en date du 19 mai 2008 aux termes duquel Monsieur le procureur de la République de Valenciennes requiert notamment du juge d’instruction d’ordonner la transmission du dossier de la procédure au procureur général de Douai aux fins de saisine de la chambre de l’instruction pour qu’il soit statué sur l’application du premier alinéa de l’article 122-1 du Code pénal,

Vu l’ordonnance de transmission rendue le 30 juin 2008 par le juge d’instruction faisant droit au réquisitoire susvisé, notifiée le 1er juillet 2008, à Thomas X…, aux parties civiles et aux avocats des parties et dont avis a été donné le même jour au procureur de la République,

Vu l’avis du Docteur I…, praticien hospitalier, en date de 1er octobre 2008 estimant que l’état psychique de Thomas X… ne permet pas sa comparution devant la chambre de l’instruction,

Vu les réquisitions écrites de Monsieur le procureur général en date du 12 septembre 2008, tendant à déclarer qu’il existe des charges suffisantes contre X… Thomas d’avoir commis les faits pour lesquels il est mis en examen, à le déclarer pénalement irresponsable et lui ordonner l’interdiction de paraître dans les départements Nord-Pas-de-Calais durant quinze ans et d’entrer en relation de quelque manière que ce soit avec les parties civiles,

Vu les lettres recommandées et les télécopies envoyées le 15 octobre 2008 au directeur du centre hospitalier spécialisé de Sarreguemines (pour notification à Thomas X…), aux parties civiles, aux avocats des parties, aux experts et aux témoins, les avisant de la date de l’audience à laquelle l’affaire sera appelée,

Vu la notification faite à X… Thomas le 17 octobre 2008,

Vu le dépôt de la procédure au greffe de la chambre de l’instruction dans les formes et délai prescrits à l’article 197 du Code de procédure pénale,

IV. DÉROULEMENT DES DÉBATS :

A l’audience, tenue publiquement, le 5 novembre 2008,

Ont été entendus :

— Monsieur H… en son rapport,

— Monsieur Daniel J…, témoin majeur, serment préalablement prêté, en sa déposition,

— Monsieur Michel K…, témoin majeur, serment préalablement prêté, en sa déposition,

— Madame Séverine L…, témoin majeur, serment préalablement prêté, en sa déposition,

— Madame Brigitte M…, expert psychologue, majeure, serment préalablement prêté, en son exposé,

— Docteur Bernard N…, expert psychiatre, majeur, serment préalablement prêté, en son exposé,

— Docteur Bernard O…, expert psychiatre, majeur, serment préalablement prêté, en son exposé,

— Docteur Jean-Louis P…, expert psychiatre, majeur, serment préalablement prêté, en son exposé,

— Maître RIGLAIRE, conseil des parties civiles, en sa plaidoirie,

— le ministère public en ses réquisitions,

— Maître RIGLAIRE, conseil des parties civiles, en sa demande fondée sur l’article 706-138 du Code de procédure pénale,

— Maître HARBONNIER, conseil de Thomas X…, en sa plaidoirie et ayant eu la parole le dernier.

V. DÉCISION :

Le 14 octobre 2006 vers 18 h 5, sur appel téléphonique, une patrouille du commissariat de police de Valenciennes intervenait au…, à la suite d’une agression par arme blanche. Sur les lieux, les sapeurs-pompiers ainsi que les membres du SAMU prodiguaient des soins à un couple de sexagénaires, les époux Y…, ayant manifestement été agressés à l’arme blanche à leur domicile. Le pronostic des médecins urgentistes était très pessimiste concernant l’état de la femme, Geneviève Q…, épouse Y…, 65 ans qui décédait à 19 h 9, et réservé quant à l’homme, Albert Y…, 66 ans, qui était transporté dans un état grave au centre hospitalier de Valenciennes (l’incapacité totale de travail devait ultérieurement être fixée à 30 jours). Les faits venaient d’être commis entre 17 heures 30 et 18 heures par un individu, qui avait pris la fuite en VTT, identifié rapidement comme étant Thomas X…, âgé de 18 ans.

Son signalement communiqué à l’ensemble des policiers du district de Valenciennes permettait de localiser l’intéressé, puis de l’interpeller sans difficulté dans le secteur de « La Chasse Royale » à Valenciennes. Thomas X… était trouvé porteur de vêtements maculés de sang ainsi que d’une arme, un couteau de cuisine dont la lame était tordue et fraîchement nettoyée. Les constatations médicales opérées sur Thomas X… faisaient apparaître que l’intéressé ne portait aucune trace de coups ou de blessures.

Les constatations effectuées sur les lieux mettaient en évidence que les crimes avaient eu lieu dans la cuisine où étaient trouvés des traces importantes de sang ainsi qu’une chaise renversée et un lampadaire brisé. Il en ressortait que l’agression avait commencé dans la cuisine et que l’auteur s’était ensuite enfui par une fenêtre en passant par le garage.

L’enquête établissait que Thomas X… connaissait bien la famille Y…, qui avait été sa famille d’accueil de l’âge de 3 ans à l’âge de 8 ans dans le cadre d’une mesure d’assistance éducative. Le 14 octobre 2006, vers 16 heures, Thomas X… était arrivé sur les lieux sous prétexte d’une visite, armé d’un couteau de cuisine avec le projet de tuer les époux Y… et leur fils David. Profitant qu’il était seul avec les époux Y…, Thomas X… portait un violent coup de couteau au niveau du coeur de Geneviève Y… puis frappait à plusieurs reprises avec le même couteau Albert Y… qui tentait de s’interposer muni d’un sécateur. Face à cette résistance, Thomas X… prenait la fuite en s’échappant par une fenêtre.

Entendu à quatre reprises par les policiers, Thomas X… déclarait connaître les époux Y… depuis l’âge de 3 à 9 ans, période au cours de laquelle il avait été placé chez eux en famille d’accueil. Il précisait que sa mère s’était suicidée alors qu’il était enfant et que son père était interné en milieu psychiatrique à Saint-Saulve (59).

Il déclarait en vouloir à la Société dans son ensemble, responsable selon lui des conséquences aboutissant au placement des enfants en famille d’accueil. Il vouait une haine particulière à la famille Y…, dont le fils David lui aurait jadis fait peur un soir dans sa chambre.

Depuis quelques semaines, l’idée d’exterminer la famille Y… l’obsédait et c’était dans cet état d’esprit que le matin du 14 octobre 2006, il décidait de passer à l’acte. Dans l’après-midi, il se munissait d’un couteau de cuisine lui appartenant, demandait par « SMS » à sa soeur Cathy des précisions quant à l’adresse des victimes, puis se dirigeait vers Maing, déterminé à exécuter son plan. Il se retrouvait ainsi chez les époux Y… en prétextant revoir le cadre de ses années d’enfance passées chez eux. Inquiet de la présence insolite de Thomas X…, Albert Y… demandait à un membre de sa famille de l’inviter à quitter les lieux, ce qui amplifiait le ressentiment de Thomas X… et sa colère. Attendant d’être à nouveau seul avec les époux Y…, il passait alors aux actes.

Après avoir pris la fuite, il repassait cependant plusieurs fois en bicyclette devant la maison. Il faisait « un doigt d’honneur » aux voisins accourus sur les lieux, où ils attendaient le SAMU, et s’éclipsait. Il trouvait refuge dans une masure abandonnée, où, avec une bouteille d’eau trouvée sur place, il s’efforçait de faire disparaître les taches de sang sur le couteau et ses vêtements. A la faveur de la tombée de la nuit, il partait en bicyclette vers « La Chasse Royale », où il était finalement interpellé.

Thomas X… revendiquait ses crimes, déplorant de ne pas avoir réussi à tuer Albert Y…. Il ajoutait avoir agi avec préméditation sans regret et même avec soulagement, voire jubilation, soulignant que s’il n’avait pas été arrêté, il aurait tué le fils, David Y…, et même d’autres personnes.

Lors de son interrogatoire de première comparution, puis lors d’un autre ultérieur, Thomas X… donnait une version identique de son dessein criminel (D 60, D 170).

*

* *

L’autopsie permettait de conclure que le décès de Geneviève Q… épouse Y… résultait des conséquences directes d’une plaie pénétrante thoracique gauche par instrument tranchant qui avait sectionné la pointe du ventricule droit du coeur en entraînant une abondante hémorragie interne.

Il était relevé sur la face dorsale du membre supérieur gauche de la victime trois fines estafilades par instrument tranchant qui étaient évocatrices de lésions de défense.

La victime portait un hématome de la pommette gauche évocateur d’un coup reçu au visage (D 110).

*

* *

L’expert, qui examinait Albert Y…, concluait qu’il avait reçu de multiples coups de couteau à l’origine de sept plaies : une plaie thoracique sous-claviculaire gauche profonde, trois plaies de l’épaule gauche, une plaie du creux épigastrique associée à une plaie de la partie gauche du ventre (hypochondre gauche), qui avait été pénétrante, et enfin une plaie de la face dorsale de l’avant-bras gauche.

La plaie sous-claviculaire gauche par instrument tranchant avait été à l’origine d’un saignement intra-thoracique gauche évacué par un drain au niveau de l’aisselle gauche.

La plaie abdominale de l’hypochondre gauche, qui avait été aussi pénétrante, avait comporté une plaie du lobe gauche du foie, donc un saignement intra-abdominal qui avait été évacué lors d’une intervention chirurgicale d’ouverture de l’abdomen de laparotomie médiane.

L’incapacité totale de travail s’était étendue durant toute la période de séjour et de soins en milieu hospitalier, du 14 octobre 2006 jusqu’au 2 novembre 2006, soit au total dix-neuf jours complets (C 137).

Un rapport complémentaire était déposé le 31 mars 2008 par ce même expert, au vu d’un rapport d’examen médical du Docteur Philippe R… du 19 octobre 2007 mentionnant l’hospitalisation d’Albert Y… du 5 au 10 janvier 2007 et d’un certificat du Docteur S… du 23 avril 2007.

L’expert concluait que l’agression s’avérait avoir été à l’origine de trois périodes successives de déficit fonctionnel temporaire total :

— d’abord du 14 octobre 2006 jusqu’au 2 novembre 2006 inclus ;

— ensuite du 5 janvier 2007 jusqu’au 10 janvier 2007 inclus ;

— enfin, du 22 janvier 2007 jusqu’au ler février 2007 inclus.

Ces trois périodes prenaient en compte trois hospitalisations successives.

S’étaient intercalées entre ces trois périodes de déficit fonctionnel temporaire

total, trois périodes de déficit fonctionnel temporaire partiel :

— d’abord de 1 / 3 du 3 novembre 2006 jusqu’au 4 janvier 2007 ;

— de nouveau de 1 / 3 du 11 janvier 2007 jusqu’au 21 janvier 2007 inclus ;

— enfin de 1 / 4 du 2 février 2007 jusqu’au 22 avril 2007 inclus.

Il fixait au 23 avril 2007 la date de consolidation de l’état, puisque stabilisé à cette date à la fois sur le plan vasculaire radiologique mais aussi médical clinique (D 308).

*

* *

Thomas X… faisait l’objet d’une première expertise psychiatrique réalisée par les docteurs Bruno T… et Jean-Louis P…, experts inscrits sur la liste de la cour d’appel de Douai, les experts ayant vu séparément la personne mise en examen, le docteur T… les 22 décembre 2006 et 22 mars 2007, le docteur P… le 14 mars 2007.

Ces experts relevaient les points suivants :

«  (…) Il est persuadé d’avoir dans la tête un criminel dont il essaie de se débarrasser. II se regarde dans un miroir, grimace, gesticule et s’énerve dans l’espoir de le voir s’en aller. Comportements bizarres, étranges, qu’il faut considérer comme significatifs d’un processus de dissociation psychotique et pour tout dire schizophrénique.

Il dit avoir réussi à se libérer de l’Hydre qui le possédait, et pourtant, quelques semaines plus tard, il est hospitalisé en psychiatrie pour des troubles du comportement et un syndrome délirant. (…)

Nous pensons que le geste meurtrier dont il s’est rendu coupable est un acte médico-légal témoin de l’entrée dans une schizophrénie ".

Les experts concluaient en conséquence qu’au moment des faits qui lui étaient reprochés, Thomas X… était atteint d’un trouble psychique ayant aboli son discernement au sens de l’alinéa 1 de l’article 122-1 du Code pénal (B 14).

*

* *

Une seconde expertise psychiatrique de Thomas X… était diligentée les 4 et 8 octobre 2007 par les docteurs Bernard N… et Pierre Z…, experts agréés par la Cour de cassation.

Ils concluaient :

— que l’examen de Thomas X… révélait chez lui des anomalies mentales et psychiques sous la forme d’une schizophrénie avec une composante héboïdophrénique dont l’activité délirante était centrée spécifiquement sur sa filiation brisée et les familles d’accueil persécutrices ;

— que l’infraction qui lui était reprochée était en relation directe avec sa maladie mentale ;

— qu’en l’état, il présentait une dangerosité psychiatrique et criminologique persistante ;

— qu’il n’était pas accessible à une sanction pénale ;

— que la maladie mentale dont souffrait l’intéressé était au jour de l’expertise susceptible d’être considérablement améliorée par les thérapeutiques contemporaines dans des conditions requises d’observance thérapeutique et de surveillance médicale. L’amélioration qui pouvait être escomptée avec le bénéfice de structures d’aide et d’accompagnement spécialisées était de nature à permettre une réadaptation relative dans la vie sociale ;

— que Thomas X… était atteint au moment des faits d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement et le contrôle de ses actes et qu’il était pénalement irresponsable au sens de l’article 122-1 du Code pénal (B 80).

*

* *

Madame M…, qui procédait à l’expertise psychologique, relevait notamment :

— que Thomas X… était au moment de l’examen un jeune adulte de 19 ans et 2 mois, non inscrit dans l’expression déficitaire mais ayant eu à vivre, précocement, à distance de sa famille d’origine, soit d’un couple parental fragile sur le plan psychique (suicide maternel et maladie mentale chronique paternelle) ;

— que l’échange mené avec lui se caractérisait par l’émergence de troubles du cours de la pensée, une perte ponctuelle de contact avec la réalité ainsi que par une labilité (pouvant être déconcertante) de l’humeur (qui pouvait aller jusqu’à une exaltation dysphorique) ;

— que, comme il avait pu lui-même l’exprimer, Thomas X… avait été placé, déplacé (eu égard, semblait-il, aux troubles du comportement qu’il avait pu développer), voire remplacé, notamment dans les familles supplétives qui l’avaient accueilli ; qu’il avait donc été confronté à des ruptures plus ou moins brusques de liens affectifs avec l’environnement ;

— que sa quête de la place qu’il occupait atteignait son paroxysme dès lors qu’il se rendait chez les époux Y… et qu’il voulait pénétrer dans son ancienne chambre ; que c’était une résurgence de souvenirs de nature diverse qui s’imposait alors à lui ; qu’il parvenait, à distance, à mettre en mots l’angoisse diffuse et envahissante qu’il ressentait et qui s’apparentait à une inquiétude et détresse tout à fait désorganisante ; que celle-ci se traduisait et s’était traduite, tout particulièrement en cette journée du 14 octobre 2006, de manière massive et prépondérante, par une pulsion déchaînée contre laquelle il avait tendance, le jour de l’expertise, à avoir recours à des défenses de type primitif (comme le déni favorisé par un processus dissociatif, soit la cohabitation de deux personnes).

L’expert concluait que la question essentielle était la capacité de Thomas X… à parvenir à s’inscrire dans une réversibilité de son état psychique qui, semblait-il, s’organisait sur un mode rigide où conflits et culpabilité étaient encore trop absents (B 42).

*

* *

Le casier judiciaire de Thomas X… ne fait état d’aucune condamnation.

Sa scolarité médiocre a été marquée par de multiples incidents qui ont justifié plusieurs exclusions : son orientation vers un brevet d’études professionnel « installation sanitaire » a été un échec (B 7).

Connu défavorablement des services de police, Thomas X… avait fait l’objet de plusieurs rappels à la loi par des délégués du procureur de Valenciennes pour diverses incivilités, notamment en milieu scolaire (B 7).

Les différentes équipes éducatives l’ayant pris en charge au cours de ses placements décrivaient un enfant puis un jeune homme solitaire, renfermé et instable, laissant apparaître de multiples troubles du comportement caractérisés par une importante violence (B 7). Les multiples suivis psychiatriques et psychologiques mis en place dès son plus jeune âge s’étaient soldés par des échecs. Le placement judiciaire de Thomas X… et de sa soeur avait été ordonné le 15 juillet 1992 par le juge des enfants de Valenciennes en raison de carences éducatives graves liées à l’alcoolisme chronique de leur père, la dépression de leur mère, et aggravées par le refus des parents de collaborer avec les services sociaux.

Selon le référent social de l’époque, si ce placement devait être limité dans le temps afin de provoquer une mobilisation des parents, les conditions de réalisation du placement avaient été très violentes : intervention de la police en appui des services sociaux, interpellation et placement en garde à vue du père suite à une rébellion.

Les conséquences s’étaient révélées encore plus dramatiques dans la mesure où la mère des enfants s’était suicidée par défenestration le 6 août 1992 et le père interné d’office suite au choc. Le renouvellement du placement avait alors été ordonné jusqu’à la majorité des deux enfants (B 7 pages 4 et 5).

Placé en détention provisoire à la maison d’arrêt de Valenciennes depuis le 16 octobre 2006, Thomas X… a été transféré à la maison d’arrêt de Douai le 16 mars 2007 puis à la maison d’arrêt de Loos le 10 octobre 2007.

Sa détention a été émaillée de deux incidents disciplinaires le 17 janvier 2007 (agression de son co-détenu-C 8) et le 14 février 2007 (tapage en détention-C 9).

*

* *

En raison de ses troubles graves de la personnalité, signalés à plusieurs reprises par les psychiatres intervenant en détention, Thomas X… a fait l’objet d’arrêtés préfectoraux d’hospitalisation d’office les 15 février 2007 (C 10), 18 septembre 2007 (C 16) et 20 décembre 2007 (C 38). Cette mesure d’hospitalisation d’office était maintenue par arrêtés du préfet de région de Lorraine, préfet de Moselle, en date des :

-25 janvier 2008 pour une période 3 mois à compter du 27 janvier 2008 jusqu’au 27 avril 2008 inclus ;

-23 avril 2008 pour une période 6 mois à compter du 27 avril 2008 jusqu’au 27 octobre 2008 inclus ;

-24 octobre 2008 pour une période 6 mois à compter du 27 octobre 2008 jusqu’au 27 avril 2009 inclus ;

Lors de cette dernière hospitalisation d’office, la gravité des troubles psychiatriques dont souffrait Thomas X… et la persistance de pulsions meurtrières avait justifié son internement au sein de l’unité pour malades difficiles du centre hospitalier spécialisé de Sarreguemines (C 39 et C 50).

*

* *

Le 19 mai 2008, le procureur de la République de Valenciennes (D 383) :

— constatait qu’il existait des charges contre Thomas X… d’avoir commis les crimes d’assassinat et de tentative d’assassinat ;

— requérait l’application des dispositions de l’article 122-1 alinéa1 du Code pénal, Thomas X… ayant été déclaré pénalement irresponsable par les experts psychiatres car atteint au moment des faits d’un trouble psychique ayant aboli son discernement ;

— au visa des dispositions des articles 706-119 à 706-121 du Code de procédure pénale issus de la loi no 2008-174 du 25 février 2008 relative à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, requérait du juge d’instruction la transmission du dossier au procureur général près la cour d’appel de Douai aux fins de saisine de la chambre de l’instruction afin que celle-ci statue sur l’application du premier alinéa de l’article 122-1 du Code pénal conformément aux articles 706-122 à 706-127 du Code de procédure pénale.

*

* *

Par ordonnance en date du 30 juin 2008, le juge d’instruction de Valenciennes :

constatait qu’étaient établies à l’encontre de Thomas X… des charges suffisantes d’avoir à MAING, le 14 octobre 2006, en tout cas sur le territoire national avant extinction de l’action publique et avec préméditation :

— volontairement donné la mort à Geneviève Q… épouse Y…, née le 7 mars 1941 ;

— tenté de volontairement donner la mort à Albert Y…, né le 7 décembre 1940 ;

faits prévus et réprimés par les articles 121-4, 121-5, 221-3, 221-8, 221-9, 221-9-1 et 221-11 du Code pénal ;

constatait qu’il existait des raisons plausibles d’appliquer le premier alinéa de l’article 122-1 du Code pénal compte tenu notamment des conclusions des experts psychiatres commis déclarant Thomas X… atteint au moment des faits d’un trouble psychique ayant aboli son discernement ;

ordonnait que le dossier de la procédure fût transmis par le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Valenciennes au procureur général près la cour d’appel de Douai aux fins de saisine de la chambre de l’instruction ;

rappelait que conformément aux dispositions de l’article 706-121 alinéa 2 du Code de procédure pénale, l’ordonnance ne mettait pas fin à la détention provisoire ; que Thomas X… restait donc placé en détention provisoire jusqu’à sa comparution devant la chambre de l’instruction dans les conditions fixées par l’article 706-121 alinéa 2.

*

* *

Aux termes de ses réquisitions écrites, Monsieur le Procureur général fait valoir que l’information a péremptoirement établi des charges suffisantes contre Thomas X… d’avoir à Maing le 14 octobre 2006 commis le meurtre de Geneviève Q… épouse Y… et la tentative de meurtre de Albert Y… ; que Thomas X… a reconnu les faits tant devant les policiers enquêteurs que devant le juge d’instruction ; que les deux expertises psychiatriques de Thomas X… ont indiscutablement établi que ce dernier était au moment des faits atteint d’un trouble psychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes.

Il demande à la chambre de l’instruction :

— de déclarer qu’il existe contre Thomas X… des charges suffisantes d’avoir à Maing le 14 octobre 2006 commis le meurtre de Geneviève Q… épouse Y… et la tentative de meurtre de Albert Y… ;

— de déclarer Thomas X… pénalement irresponsable à raison d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes au moment des faits ;

d’ordonner conformément aux dispositions l’article 706-136, D. 47-27 à D. 47-32 du Code de procédure pénale que Thomas X… ne devra pas paraître pendant quinze ans dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais et ne pas entrer en contact de quelque manière que ce soit avec les parties civiles visées par l’ordonnance de transmission rendue par le juge d’instruction de Valenciennes le 30 juin 2008.

SUR CE

Attendu que par certificat médical en date du 1er octobre 2008, le docteur B. I…, praticien hospitalier au centre hospitalier spécialisé de Sarreguemines (Moselle) indiquait que l’état psychique de Thomas X… restait fragile, avec en particulier une dissociation mentale et un déni des troubles psychiatriques ; qu’il restait convaincu de ne pas être malade, de ne pas relever des soins et de pouvoir se passer de tout traitement psychotrope ; que le discours était froid, rationnel et non critique ; que s’il apparaissait relativement bien adapté à la vie quotidienne de l’unité, l’importance des troubles dissociatifs rendait compte d’une imprévisibilité comportementale qui justifiait la poursuites des soins attentifs ;

Que ce praticien concluait que la comparution personnelle de Thomas X… devant la chambre de l’instruction n’était pas possible ; que dès lors la comparution n’a pas été ordonnée ;

Attendu qu’à l’audience du 5 novembre 2008 ont été entendus Daniel J…, commandant de police au commissariat de police de Valenciennes, Michel K…, brigadier chef au commissariat de police de Valenciennes et Séverine L…, brigadier, officier de police judiciaire, qui ont indiqué dans quelles conditions ils étaient intervenus et confirmé les aveux faits par Thomas X… ;

Qu’ont également été entendus Madame Brigitte M…, expert psychologue ainsi que les Docteurs Bernard N…, expert psychiatre, Bernard O…, expert psychiatre, Jean-Louis P…, expert psychiatre ; que les trois experts psychiatres ont confirmé les conclusions de leurs expertises, aux termes desquelles il résultait que Thomas X… était atteint au moment des faits d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement et le contrôle de ses actes et qu’il était pénalement irresponsable au sens de l’article 122-1 du Code pénal ;

Attendu qu’il résulte ainsi de la procédure d’une part qu’il existe des charges suffisantes contre Thomas X… d’avoir commis l’assassinat et la tentative d’assassinat qui lui sont reprochés d’autre part que la personne mise en examen est irresponsable pénalement en raison d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes au moment des faits ;

Attendu qu’il y a lieu, à la demande du conseil des parties civiles, de renvoyer l’affaire devant le tribunal correctionnel de Valenciennes pour qu’il se prononce sur la responsabilité civile de Thomas X… et statue sur les demandes de dommages et intérêts ;

Attendu que figurent au dossier d’instruction deux expertises psychiatriques, la seconde faite par deux experts agréés par la Cour de cassation ;

Attendu que, si Thomas X… fait actuellement l’objet d’un arrêté de placement d’office du préfet de région de Lorraine, préfet de Moselle, du 24 octobre 2008 pour une période de 6 mois à compter du 27 octobre 2008 jusqu’au 27 avril 2009 inclus, néanmoins des mesures de sûreté, en l’espèce interdictions pour une durée de vingt ans de rentrer en contact avec les parties civiles, de paraître dans les départements du Nord, du Pas-de-Calais, de la Somme, de l’Aisne et des Ardennes, de porter une arme, doivent être prononcées, de telles interdictions ne constituant pas un obstacle aux soins dont Thomas X… fait l’objet ;

PAR CES MOTIFS

La chambre de l’instruction, statuant publiquement,

Dit qu’il résulte de l’information charges suffisantes contre Thomas X… d’avoir à Maing, le 14 octobre 2006, en tout cas dans le département du Nord depuis moins de dix ans :

1- volontairement donner la mort à Geneviève Q… épouse Y… avec cette circonstance que ledit meurtre a été commis avec préméditation ;

crime prévu et réprimé par les articles 221-1, 221-3, 221-8, 221-9 et 221-9-1 du Code pénal ;

2- tenté de volontairement donner la mort à Albert Y…, avec cette circonstance que ledit meurtre a été commis avec préméditation, tentative manifestée par un commencement d’exécution et n’ayant manqué son effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur ;

crime prévu et réprimé par les articles 121-4, 121-5, 221-1, 221-3, 221-8, 221-9 et 221-9-1 du Code pénal ;

Déclare Thomas X… pénalement irresponsable en raison d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes au moment des faits ;

Renvoie, à la demande des parties civiles, l’affaire devant le tribunal correctionnel de Valenciennes pour qu’il se prononce sur la responsabilité civile de Thomas X… et statue sur les demandes de dommages et intérêts ;

Prononce à l’encontre de Thomas X… pour une durée de vingt ans :

l’interdiction d’entrer en relation avec :

— Albert Y…, victime de l’infraction et partie civile ;

— les autres parties civiles…

l’interdiction de paraître dans les départements du Nord, du Pas-de-Calais, de la Somme, de l’Aisne et des Ardennes ;

l’interdiction de détenir ou de porter une arme ;

Laisse à la diligence du ministère public l’exécution du présent arrêt,

L’arrêt a été signé par le président et le greffier.

quatorzième et dernière page (V. M)

audience du 27 novembre 2008

2008 / 01371

aff. : X… Thomas

VA3 / 06 / 39

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Cour d'appel de Douai, 27 novembre 2008, 08/01371