Cour d'appel de Douai, 1re chambre, 28 janvier 2014, n° 2011/04815

  • Exploitation sous une forme modifiée·
  • Exploitation de la marque contestée·
  • Exploitation d'une marque similaire·
  • Similarité des produits ou services·
  • Altération du caractère distinctif·
  • Atteinte au pouvoir attractif·
  • Atteinte à l'image de marque·
  • Similitude intellectuelle·
  • Forclusion par tolérance·
  • Dénomination cristalino

Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Douai, 1re ch., 28 janv. 2014, n° 11/04815
Juridiction : Cour d'appel de Douai
Numéro(s) : 2011/04815
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer, 10 janvier 2011, N° 06/02247
Décision(s) liée(s) :
  • Tribunal de grande instance de Boulogne sur Mer, 11 janvier 2011, 2011/04815
  • (en réquisition)
Domaine propriété intellectuelle : MARQUE
Marques : CRISTALINO JAUME SERRA
Numéro(s) d’enregistrement des titres de propriété industrielle : 5178538
Classification internationale des marques : CL32 ; CL33 ; CL35
Liste des produits ou services désignés : Vins de champagne / vins mousseux, blancs ou rosés
Référence INPI : M20140044
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Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL DE DOUAI CHAMBRE 1 SECTION 2 ARRÊT DU 28/01/2014

***

N° de MINUTE : N° RG : 11/04815 Jugement (N° 06/02247)

rendu le 11 Janvier 2011

par le Tribunal de Grande Instance de BOULOGNE SUR MER

REF : BP/AMD

APPELANTE

SA J. GARCIA C ayant son siège social Carretera de Murcia s/n Jumilla MURCIA (ESPAGNE) représentée par son représentant légal représentée par Maître Bernard FRANCHI de la SCP FRANCOIS DELEFORGE- BERNARD FRANCHI, avocat au barreau de DOUAI, anciens avoués

Assistée de Maître Pierre A, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMÉE

CHAMPAGNE LOUIS R C ayant son siège social […] 51100 REIMS représentée par ses dirigeants légaux Représentée par Maître Isabelle CARLIER, avocat au barreau de DOUAI, constituée aux lieu et place de la SCP CARLIER REGNIER, SCP d’avocats dissoute, anciens avoués

Assistée de Maître Pierre C, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Gisèle GOSSELIN, Président de chambre Dominique DUPERRIER, Conseiller Bruno POUPET, Conseiller
---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Claudine POPEK

DÉBATS à l’audience publique du 07 Octobre 2013 après rapport oral de l’affaire par Bruno POUPET

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 28 Janvier 2014 après prorogation du délibéré en date du 10 Décembre 2013 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Bruno POUPET, Conseiller en remplacement de Gisèle GOSSELIN, Président empêchée, et Claudine POPEK, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 17 septembre 2013

***

La société CHAMPAGNE LOUIS R, spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de vins de Champagne, est notamment titulaire de la marque CRISTAL, déposée en 1979, renouvelée le 20 décembre 1991 et régulièrement depuis lors.

La société espagnole J GARCIA C, auparavant dénommée JAUME S, a déposé en France en 1988 la marque internationale CRISTALINO JAUME S.

La société CHAMPAGNE LOUIS R, après avoir fait procéder à une saisie- contrefaçon dans un magasin de la société Les Celliers de Calais, et reprochant à la société J GARCIA C de commercialiser du 'cava', vin mousseux produit en Espagne, sous la seule appellation CRISTALINO, l’a assignée en 2006 devant le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer à diverses fins.

Par jugement contradictoire du 11 janvier 2011, le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer a :

— rejeté la fin de non recevoir tirée de la forclusion opposée par la société J GARCIA C à l’action en contrefaçon diligentée par la société CHAMPAGNE LOUIS R,

— prononcé la déchéance des droits de la société J GARCIA C sur la partie française de l’enregistrement de la marque internationale 'CRISTALINO JAIME S', n° 521.210, enregistrée le 7 avril 1988 pour désigner les 'vins et liqueurs’ de la classe 33,

— dit qu’en faisant usage de la dénomination 'CRISTALINO’ pour désigner du vin mousseux (cava), la société J GARCIA C s’est rendue coupable de contrefaçon par imitation des droits de la société CHAMPAGNE LOUIS R sur la marque française CRISTAL,

— fait interdiction à la SA J GARCIA C de poursuivre ou de renouveler l’usage de la dénomination CRISTALINO passé un délai d’un mois à compter de la signification du jugement, sous astreinte de 200 euros par infraction constatée,

— ordonné la publication du dispositif dudit jugement aux frais de la SA J GARCIA C dans deux journaux ou périodiques au choix de la SA CHAMPAGNE LOUIS R moyennant un coût maximum de 1500 euros par insertion,

— débouté la société CHAMPAGNE LOUIS R de sa demande de dommages et intérêts,

— débouté la société J GARCIA C de l’ensemble de ses demandes,

— condamné celle-ci aux dépens et à payer à la SA CHAMPAGNE LOUIS R la somme de 3500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La société J GARCIA C a relevé appel de cette décision le 6 juillet 2011.

Moyens et prétentions de l’appelante

La société J GARCIA C soulève en premier lieu, sur le fondement de l’article L 716-5 du code de la propriété intellectuelle, l’irrecevabilité, pour cause de prescription, de l’action engagée par la société CHAMPAGNE LOUIS R.

Elle fait valoir que les conditions de la prescription prévue par ce texte sont réunies dès lors :

— que la marque CRISTALINO JAIME SERRA est postérieure à la marque CRISTAL,

— que son usage en France, sérieux compte tenu de la vente des produits litigieux à et par de nombreux distributeurs sur toute l’étendue du territoire français, a nécessairement été connu de la société CHAMPAGNE LOUIS R, qui est une société prestigieuse et vigilante quant à la défense de l’image d’excellence et de luxe attachée à ses produits, et a été toléré par cette dernière pendant plus de cinq ans avant l’introduction de la procédure.

Elle soutient à cet égard – mais également pour s’opposer à la demande de déchéance de ses droits sur la partie française de l’enregistrement de la marque CRISTALINO JAUME SERRA, présentée à titre reconventionnel par la société CHAMPAGNE LOUIS R, et à laquelle le tribunal a fait droit - :

— qu’il importe peu que, sur certaines étiquettes, les mots 'Cristalino’ d’une part, 'Jaume S’ ou 'Jaime S’ d’autre part, ne soient pas accolés et/ou soient écrits en caractères différents, sur des lignes distinctes, dès lors qu’ils y figurent tous, étant précisé que 'Jaume’ et 'Jaime’ sont les deux formes du prénom du producteur, en catalan et en castillan, toutes deux langues officielles en Espagne,

— qu’il en résulte dans tous les cas un usage de la marque ou, à tout le moins, l’usage de celle-ci sous une forme telle qu’elle n’altère pas son caractère distinctif, prévu par l’article L 714-5 du code de la propriété intellectuelle, même si le tribunal de commerce de Bruxelles a jugé le contraire par une décision du 11 février 2009 frappée de recours.

— qu’en toute hypothèse, son vin a également été commercialisé en France avec des étiquettes portant en leur centre et en gros caractères majuscules CRISTALINO JAUME S, outre la mention du producteur en bas de l’étiquette.

Elle sollicite, si sa position n’était pas adoptée d’emblée par la cour, la présentation à la Cour de

Justice des Communautés Européennes des questions préjudicielles suivantes :

- 1°) L’usage de la marque, au sens de l’article 10 de la directive CE n° 89/104 du 21 décembre 1988, suppose-t-il nécessairement que l’ensemble des termes d’une marque complexe apparaissent sur le produit à la suite les uns des autres ou doit-on considérer que le titulaire de la marque satisfait à la condition d’usage lorsque tous ces termes figurent séparément sur l’étiquette du produit '

- 2°) Pour une marque complexe composée d’un nom de fantaisie suivi d’un nom patronymique, la mention sur l’étiquette apposée sur le produit du nom de fantaisie d’une part et, d’autre part, du nom patronymique précisant qu’il s’agit du producteur du produit, satisfait-elle à l’exigence d’usage de la marque au sens de l’article 10 de la directive CE n° 89/104 du 21 décembre 1988 '

***

A titre subsidiaire et au fond, la société J GARCIA C conclut à l’absence de contrefaçon par imitation en faisant valoir :

— qu’il n’existe pas de ressemblance visuelle et/ou sonore entre la marque CRISTALINO JAIME SERRA et la marque CRISTAL,

— qu’à s’en tenir au seul mot 'Cristalino', la ressemblance visuelle est faible (longueur du mot, prédominance des voyelles ou des consonnes), la ressemblance sonore plus encore (deux syllabes dans un cas, quatre dans l’autre),

— qu’il n’existe pas davantage de ressemblance intellectuelle, 'Cristalino’ n’étant ni la traduction ni le diminutif (qui serait 'cristalito') du mot 'cristal',

— qu’il ne peut exister de confusion dans l’esprit du public entre le champagne Cristal de Roederer, produit d’exception qui ne se vend pas à moins de 350 euros la bouteille et peut atteindre des prix nettement supérieurs, et le cava Cristalino Jaume S, vin mousseux de consommation courante produit uniquement en Espagne dont le prix moyen est de 8 euros la bouteille, que la clientèle visée par le champagne Cristal est fondamentalement différente de celle du cava Cristalino Jaume S, que la présentation et le conditionnement du produit, extrêmement raffiné pour l’un, ordinaire pour l’autre, n’ont rien à voir.

A titre très subsidiaire, la société J GARCIA C conteste l’existence d’un préjudice subi par la société CHAMPAGNE LOUIS R et estime que cette dernière ne rapporte d’ailleurs pas la preuve d’un tel préjudice.

Elle demande en conséquence à la cour de réformer le jugement en ce qu’il a de contraire à ses conclusions et, statuant à nouveau, de :

— dire que la société CHAMPAGNE LOUIS R est irrecevable à agir en contrefaçon,

— à défaut, débouter celle-ci de ses demandes,

— plus subsidiairement, poser à la Cour de Justice de l’Union européenne les questions préjudicielles suivantes :

- 1°) L’usage de la marque, au sens de l’article 10 de la directive CE n° 89/104 du 21 décembre 1988, suppose-t-il nécessairement que l’ensemble des termes d’une marque complexe apparaissent sur le produit à la suite les uns des autres ou doit-on considérer que le titulaire de la marque satisfait à la condition d’usage lorsque tous ces termes figurent séparément sur l’étiquette du produit

- 2°) Pour une marque complexe composée d’un nom de fantaisie suivi d’un nom patronymique, la mention sur l’étiquette apposée sur le produit du nom de fantaisie d’une part et, d’autre part, du nom patronymique précisant qu’il s’agit du producteur du produit, satisfait-elle à l’exigence d’usage de la marque au sens de l’article 10 de la directive CE n° 89/104 du 21 décembre 1988 '

— condamner la société CHAMPAGNE LOUIS R à lui payer la somme de 20 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens, dont distraction au profit de la SCP Deleforge-Franchi.

Moyens et prétentions de l’intimée

La société CHAMPAGNE LOUIS R précise à titre préliminaire que :

— la marque dont la contrefaçon est alléguée est la marque 'CRISTAL',

— le fait reproché à la société J GARCIA C est de mettre sur le marché un vin mousseux (cava) revêtu d’étiquettes portant la dénomination 'CRISTALINO'.

***

Pour contester le bien-fondé de la fin de non recevoir que lui oppose la société J GARCIA C, elle fait valoir :

— que la 'marque postérieure enregistrée’ dont se prévaut la société J GARCIA C pour prétendre à la mise en oeuvre de l’article L 716-5 du code de la propriété intellectuelle, soit la marque 'Cristalino Jaime Serra', n’est pas l’objet de la présente action en contrefaçon,

— qu’en effet, ce qu’elle incrimine est l’apposition sur le produit commercialisé par l’appelante de la dénomination 'CRISTALINO’ seule, en caractères gras très apparents, parfaitement en évidence sur l’étiquette dorée, alors que les autres indications, relatives au producteur, Jaume S, et au lieu de production sont écrites en caractères minuscules, sur un bandeau distinct d’une couleur foncée les rendant peu lisibles, et apparaissent totalement distinctes de la marque elle-même,

— que cette présentation ne constitue pas un usage de la marque 'CRISTALINO JAUME SERRA', ainsi que cela ressort de la jurisprudence des juridictions françaises et de la cour de justice des communautés européennes, ce qui rend inutile la présentation à cette dernière juridiction des questions préjudicielles suggérées par l’appelante,

— que la société GARCIA CARRION ne démontre ni avoir fait un usage, à tout le moins un usage sérieux, de la marque CRISTALINO JAUME SERRA, ni, a fortiori, que la société CHAMPAGNE LOUIS R aurait eu connaissance de cet usage et l’aurait toléré pendant plus de cinq ans avant l’introduction de la présente procédure.

Parallèlement, au motif tiré de l’absence d’usage sérieux, pendant une période ininterrompue de cinq ans, de la marque CRISTALINO JAUME SERRA par la société J GARCIA C, et sur le fondement de l’article L 714-5 du code de la propriété intellectuelle, la société CHAMPAGNE LOUIS R conclut à la confirmation du jugement en ce qu’il a prononcé la déchéance de l’appelante de ses droits attachés à cette marque en France.

***

Sur le fond, et pour caractériser la contrefaçon par imitation qu’elle dénonce, la société

CHAMPAGNE LOUIS R fait valoir qu’il existe :

— une identité des produits désignés, la dénomination 'CRISTALINO’ étant apposée sur des bouteilles de vin mousseux, blanc ou rosé, présentant l’aspect de bouteilles de champagne,

— des similitudes visuelles, phonétiques et intellectuelles, les syllabes du vocable CRISTAL retenant principalement l’attention et le mot CRISTALINO étant intuitivement perçu comme une déclinaison ou un diminutif du mot CRISTAL,

— un risque de confusion, déjà consacré par de nombreuses décisions de justice en France et à l’étranger, dans la mesure, notamment et contrairement à ce que soutient la société J GARCIA C, où la présentation de son produit est proche de celle du champagne CRISTAL (étiquette recherchées à motifs de volutes, bouteilles en verre transparent pour le rosé …), le champagne CRISTAL n’a pas la rareté que lui attribue l’appelante (81 143 bouteilles vendues en 2005) et est accessible par une clientèle beaucoup plus diversifiée dès lors qu’il se trouve à un prix voisin de 150 euros dans les magasins de grande distribution tels que ceux de la marque Auchan.

La société CHAMPAGNE LOUIS R soutient enfin que la contrefaçon en question lui cause un préjudice moral en ce qu’elle est victime d’une dilution et d’une vulgarisation de sa marque notoire 'CRISTAL', d’une atteinte au caractère distinctif, à l’image de luxe et de qualité de sa marque, qui en dégrade le pouvoir attractif, et que ce préjudice perdure dès lors que la société J GARCIA C continue à vendre des bouteilles de CRISTALINO en France.

***

La société CHAMPAGNE LOUIS R demande en conséquence à la cour :

— de confirmer le jugement en ce qu’il a :

* rejeté la fin de non recevoir tirée de la forclusion opposée par la société J GARCIA C,

* prononcé la déchéance des droits de la société J GARCIA C sur la partie française de l’enregistrement de la marque internationale 'CRISTALINO JAIME S', n° 521.210, enregistrée le 7 avril 1988 pour désigner les 'vins et liqueurs’ de la classe 33,

* dit qu’en faisant usage de la dénomination 'CRISTALINO’ pour désigner du vin mousseux (cava), la société J GARCIA C s’est rendue coupable de contrefaçon par imitation des droits de la société CHAMPAGNE LOUIS R sur la marque française CRISTAL,

* fait interdiction à la SA J GARCIA C de poursuivre ou de renouveler l’usage de la dénomination CRISTALINO passé un délai d’un mois à compter de la signification du jugement, sous astreinte,

— ordonné la publication du dispositif dudit jugement aux frais de la SA J GARCIA C,

— sur appel incident, de :

* dire que l’astreinte provisoire sera de 1000 euros par infraction constatée,

* dire que la publication de l’arrêt se fera dans cinq journaux ou périodiques au choix de la SA CHAMPAGNE LOUIS R moyennant un coût maximum de 10 000 euros HT par insertion, ainsi que sur le site internet de la société CHAMPAGNE LOUIS R,

* condamner la société J GARCIA C à lui payer la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts,

— de condamner encore la société J GARCIA C :

* à lui rembourser les frais de saisie-contrefaçon ainsi que les frais des différents constats réalisés avant la présente procédure et au cours de celle-ci,

* à lui payer la somme supplémentaire de 30 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

* aux dépens, dont distraction au profit de Maître Isabelle Carlier.

SUR CE

Sur la fin de non recevoir opposée par la société J GARCIA C à la société CHAMPAGNE LOUIS R et sur la demande, présentée par cette dernière, de déchéance de l’appelante de ses droits attachés en France à la marque CRISTALINO JAIME SERRA

Attendu que l’article L 716-5 du code de la propriété intellectuelle dispose notamment que :

— l’action en contrefaçon se prescrit par trois ans,

— est irrecevable toute action en contrefaçon d’une marque postérieure enregistrée dont l’usage a été toléré pendant cinq ans, à moins que son dépôt n’ait été effectué de mauvaise foi; toutefois, l’irrecevabilité est limitée aux seuls produits et services pour lesquels l’usage a été toléré ;

attendu, par ailleurs, qu’aux termes de l’article L 714-5 du même code, encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés à l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans; est assimilé à un tel usage l’usage de la marque sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif ;

qu’il est opportun d’examiner ensemble la fin de non recevoir et le moyen susvisés qui posent tous deux la question de l’usage sérieux de la marque CRISTALINO JAIME SERRA par la société J GARCIA C puisque :

— la société CHAMPAGNE LOUIS R fait valoir que l’article L 716-15 précité est inapplicable en l’espèce dès lors que son action en contrefaçon ne vise pas l’usage de la marque postérieure enregistrée dont se prévaut l’appelante, soit CRISTALINO JAIME S mais l’usage du simple vocable CRISTALINO, et conclut à la déchéance en France des droits de l’appelante sur ladite marque CRISTALINO JAIME SERRA faute d’usage de celle-ci,

— la société J GARCIA C soutient que c’est bien de la marque CRISTALINO JAIME SERRA qu’elle a toujours fait usage puisque les trois mots qui la composent figurent sur toutes les étiquettes des bouteilles commercialisées ;

que le tribunal a repris en détail la description minutieuse que fait le procès-verbal de la saisie-contrefaçon pratiquée le 13 juillet 2006, portant sur deux bouteilles de CRISTALINO, blanc et rosé, et deux cartons de conditionnement, de laquelle il ressort, ce que confirment les photographies annexées à ce document, que :

— sur chaque bouteille, le mot CRISTALINO figure en gros caractères, souligné, au centre d’une étiquette dorée tandis qu’un bandeau sombre situé plus bas porte la mention, en caractères très petits et peu lisibles, en anglais dans un cas et en espagnol dans l’autre, de ce que le vin en question a été élaboré et mis en bouteille par Jaume S avec son adresse,

— les cartons portent quant à eux, sur des bandeaux haut et bas sur les côtés les plus larges et en gros caractères les mentions 'CRISTALINO’ et 'CAVA ROSADO', et , sur les petits côtés, en caractères minuscules et en italique, la mention 'The Jaume serra’cavas are located on the top oh hill slopes gently down to the Mediterranean in Vilanova i la Geltru';

qu’il est constant que l'usage d’une marque ne s’entend pas de tout usage du signe enregistré mais de son usage en tant que marque, non, par exemple, en tant que raison sociale ou indication d’un lieu de production ;

qu’au cas présent, si les mots 'Jaime S’ ou 'Jaume S’ figurent certes sur le produit, ce n’est pas en tant que marque mais expressément et exclusivement pour désigner le producteur puisqu’ils sont précédés des mots 'mis en bouteille par’ ou 'élaboré par’ ;

que l’usage des mots CRISTALINO d’une part, JAIME S ou JAUME S d’autre part, tel qu’il apparaît sur les bouteilles saisies, ne constitue donc pas un usage de la marque CRISTALINO JAIME SERRA ;

qu’il en résulte que l’action en contrefaçon engagée par la société CHAMPAGNE LOUIS R, qui vise l’usage du seul terme CRISTALINO, n’est pas dirigée contre une 'marque postérieure enregistrée’ ni, a fortiori, contre une marque postérieure enregistrée 'dont l’usage aurait été toléré pendant cinq ans', et ne tombe pas sous le coup de l’irrecevabilité prévue par l’article L 716-5 précité ;

que le jugement entrepris doit donc être confirmé en ce qu’il a écarté la fin de non- recevoir proposée par la société J GARCIA C;

***

attendu que la déchéance de la société J GARCIA C sur les droits attachés en France à sa marque CRISTALINO JAIME SERRA est encourue s’il est avéré qu’elle s’est abstenue de faire usage de cette marque en France pendant une période ininterrompue de cinq ans ;

que sont versées aux débats les photographies de nombreuses autres étiquettes de bouteilles de cava CRISTALINO ayant une présentation similaire à celle qui a été décrite ci-dessus ;

qu’il a été jugé supra que la commercialisation de bouteilles revêtues de telles étiquettes ne constitue pas un usage de la marque CRISTALINO JAIME SERRA;

qu’à tout le moins, le tribunal a pu considérer à bon droit que la présentation des trois mots composant la marque telle qu’elle a été décrite ci-dessus, par la dissociation radicale qu’elle opère entre l’un de ces termes et les deux autres, alors que le signe déposé est constitué des trois mots CRISTALINO JAIME S accolés et de même importance, en altère manifestement le caractère distinctif, sans qu’il soit nécessaire de poser à la cour de justice de l’union européenne les questions préjudicielles suggérées par l’appelante, et ne constitue pas un usage sérieux de cette marque ;

que par ailleurs, la cour observe, à l’instar du tribunal :

— que la photographie, non datée, de deux bouteilles ornées d’étiquettes présentant les trois mots CRISTALINO JAIME S non dissociés est insuffisante pour démontrer

l’exploitation de la marque et permettre de déterminer la période de cette exploitation,

— que les pièces relatives à la commercialisation des produits de l’appelante aux Etats-Unis ne démontrent pas l’usage sérieux de la marque en France,

— qu’un listing des ventes de 'CRISTALINO CAVA’ en France comportant le nombre de bouteilles vendues en 2004 et 2005 ne démontre pas davantage que la marque CRISTALINO JAIME SERRA a été utilisée pour la commercialisation desdits produits,

— que le dépôt, le 22 septembre 2006, d’une marque communautaire figurative 'CAVA CRISTALINO JAUME SERRA BRUT', distincte de la marque CRISTALINO JAIME SERRA, ne constitue pas un usage de cette dernière ;

qu’aucune des pièces produites par la société J GARCIA C n’établit donc la preuve de l’usage sérieux en France de la marque internationale 'CRISTALINO JAIME S’ n° 521.210 enregistrée le 7 avril 1988 pour des produits de la classe 33, de sorte qu’il y a lieu de confirmer la déchéance prononcée par le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer ;

Sur l’action en contrefaçon

attendu qu’aux termes de l’article L 713-3 du code de propriété intellectuelle, sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public :

— la reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque reproduite, pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l’enregistrement,

— l’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l’enregistrement ;

que d’après la directive n° 89/104/CEE du 21 décemb re 1988, l’appréciation du risque de confusion dépend de nombreux facteurs et notamment de la connaissance de la marque sur le marché, de l’association qui peut en être faite avec le signe utilisé ou enregistré, du degré de similitude entre la marque et le signe et entre les produits ou services désignés ;

que les produits proposés sous la dénomination CRISTALINO, à savoir des vins mousseux, blancs ou rosés, conditionnés dans des bouteilles présentant l’aspect de bouteilles de Champagne, présentent une similitude avec les vins de Champagne, notamment ceux qui sont désignés par la marque CRISTAL ;

que si le mot CRISTALINO est certes plus long que le mot CRISTAL il intègre celui- ci qui en constitue les syllabes d’attaque et apparaît, pour toute personne n’ayant pas une connaissance approfondie de la langue espagnole, comme un diminutif du mot CRISTAL et par voie de conséquence une déclinaison de la marque CRISTAL;

que la description des bouteilles de CRISTALINO par le procès-verbal de saisie- contrefaçon et les photographies annexées à celui-ci révèlent des bouteilles identiques aux bouteilles de champagne, des étiquettes dorées et une esthétique de la présentation du texte voulant visiblement donner une impression d’élégance et de raffinement ;

qu’il est démontré que le cava CRISTALINO comme le champagne CRISTAL se vendent et se côtoient tant chez des cavistes que dans des magasins de la grande distribution tels que les magasins Auchan et que ladite marque de champagne touche un public plus étendu que ce que prétend l’appelante ;

que l’association du mot CRISTALINO à un vin mousseux, blanc ou rosé, vendu dans des bouteilles identiques aux bouteilles de champagne, revêtues d’étiquettes élégantes, donne une impression de similitude avec des bouteilles de champagne et en particulier celles qui sont commercialisées sous la

marque CRISTAL, impression que la différence de prix ne suffit pas à dissiper dès lors qu’un certain nombre de maisons 'de luxe’ 'déclinent’ désormais leurs produits selon une gamme de prix plus étendue et en commercialisent certains à travers la grande distribution ;

que l’utilisation de la dénomination CRISTALINO apparaît dès lors indubitablement comme une imitation de la marque CRISTAL, susceptible d’introduire une confusion dans l’esprit d’un client d’attention moyenne n’ayant pas simultanément les deux produits sous les yeux ;

que le jugement entrepris doit dès lors être également confirmé en ce qu’il a déclaré la société J GARCIA C coupable de contrefaçon et lui a interdit de poursuivre ou de renouveler l’usage de la dénomination CRISTALINO dans les conditions ci-dessus analysées ;

Sur les autres demandes

attendu que, comme le fait valoir la société CHAMPAGNE LOUIS R, le risque de confusion caractérisé ci-dessus alors que le nom CRISTALINO désigne en réalité un produit dont la société J GARCIA C déclare elle-même qu’il s’agit d’un vin mousseux ordinaire, porte atteinte à l’image de marque de son propre signe, CRISTAL, et lui fait subir une vulgarisation de nature à affaiblir son caractère attractif ;

que le préjudice moral qui en résulte justifie qu’il soit fait droit, après infirmation du jugement sur ce point, à la demande de l’intimée de ce chef, en son principe ;

que cependant, l’excellence n’implique pas la notoriété; que s’il a été admis supra que le champagne CRISTAL, par la variété de son réseau de distribution, touche un public plus large que ce que prétend l’appelante, il n’est pas démontré pour autant que le seul nom de CRISTAL évoque immédiatement pour tout un chacun le champagne en question, qu’une bonne partie des journaux et magazines figurant dans la revue de presse produite par l’intimée et évoquant ce produit (Vintage International Magazine, Citizen K International, Club Cigare, Demeures et Châteaux …), ne sont pas vraiment les média ayant la plus grande diffusion, et que la société J

GARCIA C souligne à juste titre que l’enquête de notoriété également produite par l’intimée a été réalisée, ainsi que cela est précisé en page 2, auprès de sommeliers ou chefs de cave d’hôtels, restaurants et cavistes haut de gamme ;

que la société CHAMPAGNE LOUIS R ne justifie dès lors que d’une notoriété réelle mais limitée de sa marque CRISTAL qui conduit la cour à ne faire droit à sa demande de dommages et intérêts qu’à hauteur de 35 000 euros ;

***

attendu que la société CHAMPAGNE LOUIS R ne démontre pas l’insuffisance de l’astreinte et des mesures de publication prévues par le premier juge qui seront par conséquent confirmées ;

attendu que les frais de saisie et de constat dont elle demande le remboursement sont des frais irrépétibles, pris en compte à ce titre ;

attendu que les considérations qui précèdent conduisent au rejet de toutes les demandes de la société J GARCIA C ;

que celle-ci, partie perdante, doit être condamnée aux dépens conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile ;

qu’il serait en outre inéquitable, vu l’article 700 du même code, de laisser à l’intimée la charge

intégrale des frais non compris dans les dépens qu’elle a été contrainte d’exposer pour assurer la défense de ses intérêts en cause d’appel et qu’il convient de faire droit à sa demande de ce chef à concurrence de 8000 euros.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a débouté la société CHAMPAGNE LOUIS R de sa demande de dommages et intérêts;

Statuant à nouveau sur ce seul chef de demande, condamne la société J GARCIA C à verser à la société CHAMPAGNE LOUIS R la somme de trente cinq mille euros (35 000) à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de ce jour;

Déboute la société J. GARCIA CARRION de ses demandes;

La condamne à payer à la société CHAMPAGNE LOUIS R une indemnité de huit mille euros (8000) par application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel;

La condamne aux dépens qui pourront être recouvrés par Maître Isabelle Carlier conformément aux dispositions de l’article 699 du même code.

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Cour d'appel de Douai, 1re chambre, 28 janvier 2014, n° 2011/04815