Cour d'appel de Douai, Sociale b salle 1, 21 décembre 2018, n° 16/01633

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Douai, soc. b salle 1, 21 déc. 2018, n° 16/01633
Juridiction : Cour d'appel de Douai
Numéro(s) : 16/01633
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Lille, 15 décembre 2015, N° 14/01370
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

ARRÊT DU

21 Décembre 2018

2432/18

N° RG 16/01633 – N° Portalis DBVT-V-B7A-PXYX

MD/VCO

Jugement du

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Lille

en date du

16 Décembre 2015

(RG 14/01370 -section )

GROSSE

le 21/12/18

[…]

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

— Prud’Hommes-

APPELANT :

M. A Y

[…]

[…]

[…]

Représenté par Me J DUCROCQ, avocat au barreau de LILLE, substitué par Me ARQUIER

INTIMÉ :

Etablissement Public PARTENORD HABITAT

[…]

[…]

[…]

Représenté par Me Paule WELTER, avocat au barreau de LILLE

DÉBATS : à l’audience publique du 23 Octobre 2018

Tenue par B Z

magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : C D

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

B Z : PRÉSIDENT DE CHAMBRE

E F : X

G H : X

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 21 Décembre 2018,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par B Z, Président et par Aurélie N O, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DES FAITS, DE LA PROCEDURE, DES PRETENTIONS ET MOYENS DES

PARTIES

Monsieur A Y a été embauché par la société Partenord Habitat en qualité de chargé d’entretien et de maintenance (CEM) par contrat à durée indéterminée à compter du 8 avril 1997.

L’article 7 de son contrat de travail intitulé « concession de logement » était ainsi libellé : « Compte tenu de l’utilité de service l’OPAC Nord met à disposition de Monsieur J Y un logement situé sur le patrimoine affecté. Le fait de quitter ledit logement est constitutif d’une rupture du fait du salarié, sauf autorisation expresse. Cette occupation précaire est la conséquence de l’emploi occupé et constitue une obligation. Monsieur Y s’engage à respecter pendant cette occupation les clauses prévues par le contrat de location.

Monsieur Y s’acquittera mensuellement du loyer et des charges locatives incombant aux occupants et fera face en qualité d’abonné individuel au règlement de ses redevances de consommation d’eau, gaz, électricité, chauffage collectif ou autres. A la cessation du contrat, Monsieur Y devra libérer les lieux, l’OPAC du Nord assurera dans toute la mesure du possible son relogement ».

Par avenant à effet au 1er avril 2013, l’article 7 du contrat de travail a été supprimé.

Faisant valoir qu’il s’était vu imposer une clause de résidence nulle de son embauche jusqu’au 1er avril 2013 et sollicitant la condamnation de la société Partenord Habitat au paiement de différentes sommes au titre de dommages et intérêts représentant le montant des loyers versés dans la limite de

la prescription quinquennale et des frais irrépétibles, Monsieur A Y a saisi le 12 septembre 2014 le conseil de prud’hommes de Lille qui, par jugement du 16 décembre 2015, a dit que sa demande était prescrite, a débouté la société Partenord Habitat de sa demande au titre des frais irrépétibles et a condamné le salarié aux dépens.

Par déclaration transmise au greffe par voie électronique le 26 avril 2016, Monsieur A Y a relevé appel de cette décision.

Il demande à la cour de :

— dire qu’il s’est vu imposer une clause nulle de son embauche au 1er avril 2013 ;

— condamner la société Partenord Habitat au paiement de la somme de 19 561 euros représentant le montant des loyers versés dans la limite de la prescription quinquennale jusqu’au 1er avril 2013 en réparation de son préjudice ;

— condamner la société Partenord Habitat au paiement d’une somme de 3000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Il fait valoir que :

— le délai de prescription n’a commencé à courir que le 1er avril 2013, date de la signature de l’avenant supprimant la clause de résidence de sorte que son action n’est pas prescrite ;

— la clause de résidence est illicite et il subit une différence de traitement par rapport aux salariés de droit public et aux responsables d’immeubles qui bénéficient d’une gratuité de leur logement ;

— la clause de résidence lui ayant été imposée jusqu’au 1er avril 2013, il a subi un préjudice alors qu’il a été constamment mis à contribution pour des problèmes de la collectivité et qu’il a perdu une chance d’accéder à la propriété en raison du loyer qu’il était tenu de verser ;

— ce préjudice réside dans les loyers payés dans la limite de la prescription quinquennale de 2009 au 1er avril 2013.

La société Partenord Habitat demande à la cour de :

— confirmer le jugement déféré en tant qu’il a considéré que l’action de Monsieur A Y était prescrite ;

— subsidiairement, constater que la licéité de la clause de résidence figurant dans le contrat de travail et l’absence de différence de traitement injustifiée entre Monsieur A Y et les agents relevant de la fonction publique ainsi que les responsables d’immeubles et, en conséquence, débouter Monsieur A Y de ses demandes ;

— à titre plus subsidiaire, constater que d’une part, la demande est partiellement prescrite et la ramener à 17583 euros et d’autre part, Monsieur A Y n’a subi ni préjudice certain ni perte de chance du fait de l’application de la clause de résidence et, en conséquence, le débouter de ses demandes ;

— en tout état de cause, condamner Monsieur A Y au paiement de la somme de 1500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir que :

— Monsieur A Y a connu ou aurait du connaître les faits lui permettant d’exercer son action au

jour de la conclusion du contrat, en 2004, 2005 et au plus tard 2008 de sorte que celle-ci est prescrite ;

— la clause de résidence est licite et il n’existe pas de différence de traitement injustifiée avec les agents relevant de la fonction publique et les responsables d’immeubles;

— la demande au titre du remboursement des loyers est partiellement prescrite et l’application de la clause n’a généré ni préjudice certain pour Monsieur A Y ni perte de chance.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions reprises oralement à l’audience qui ont été transmises par voie électronique :

— le 19 octobre 2018 pour Monsieur A Y,

— le 12 octobre 2018 pour la société Partenord Habitat.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la prescription de l’action tendant à voir constater la nullité de la clause de résidence

A l’instar d’une infraction continue, une stipulation illégale produit ses effets tant qu’elle n’a pas été supprimée et que le contrat de travail s’exécute de sorte que le délai de prescription de l’action tendant à en voir constater la nullité ne peut commencer à courir qu’une fois que la situation illicite a pris fin.

En l’espèce, la clause de résidence litigieuse a été supprimée le 1er avril 2013 de sorte que le délai de prescription de l’action tendant à en voir constater la nullité a commencé à courir à compter de cette date.

Les dispositions de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013, qui ont réduit de cinq à deux ans, les actions portant sur l’exécution du contrat se sont appliquées à l’action tendant à voir constater la nullité de la clause de résidence à compter de sa promulgation, soit le 17 juin 2013, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

En conséquence, l’action tendant à voir constater la nullité de la clause de résidence engagée par Monsieur A Y le 12 septembre 2014 n’est pas prescrite puisque le délai de prescription n’a expiré que le 17 juin 2015. Le jugement déféré sera infirmé en ce sens.

Sur la nullité de la clause de résidence

Vu les articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et L1121-1 du code du travail ;

Toute personne dispose de la liberté de choisir son domicile et nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché.

Jusqu’à la réorganisation de ses métiers réalisée fin 2012 début 2013 par la société Partenord Habitat, la fiche de poste de l’emploi de CEM avec obligation de résidence qu’occupait Monsieur A Y était ainsi libellée (version 14 février 2005) :

« DENOMINATION DU POSTE : CHARGE D’ENTRETIEN ET DE MAINTENANCE FINALITE:

Conformément au texte réglementaire en matière de Proximité, le Chargé d’Entretien et de Maintenance s’assure de la qualité des conditions de vie et d’habitat des clients, en garantissant l’hygiène, la propreté du site et en veillant au bon fonctionnement des équipements concourant à la sécurité des biens et des personnes.

K L – RESPONSABILITES (Complément si nécessaire page 4)

[…]

- Il effectue régulièrement le nettoyage des parties communes et s’assure quotidiennement de la propreté du site

- Il assure l’évacuation des ordures ménagères (sortie et nettoyage de containers) et des encombrants.

- II assure l’entretien des abords immédiats

- II assure la maintenance de premier niveau : réparations usuelles telles que remplacement d’ampoules, retouches de peinture, réparation des boites aux lettres et actions préventives telles que graissage de gonds, manipulation de vannes …

SURVEILLANCE : il est responsable du respect des règles d’hygiène et de sécurité sur son site

Il veille au bon fonctionnement des installations et équipements collectifs

II détecte les anomalies et en informe le RS, s’il n’est pas habilite a traiter lui-même le problème.

Par sa présence permanente sur son site, il veille au maintien du calme et de la tranquillité. En cas de troubles de voisinage, il peut intervenir directement, en référer à sa hiérarchie ou faire appel aux

services concernés (police, pompiers).

Il veille au respect des règlements de sécurité (Responsabilité du Bailleur et BADGE). Pour toute situation mettant en danger la sécurité des biens et des personnes, il met en 'uvre toutes les mesures conservatoires nécessaires, en informe la hiérarchie ou le service d’urgence.

A titre préventif, il remplit de façon régulière au maximum toutes les 6 semaines la fiche securité CEM.

Il doit détecter et signaler toutes les conditions anormales d’occupation et d’utilisation des logements

(squatt, départs furtifs … ), si présence d’ascenseurs, il vérifie une fois/mois le verrouillage de chaque porte palière.

En cas d’intervention d’une entreprise, il contrôle et s’assure de la bonne exécution de la prestation en relation avec le Technicien du Secteur.

Traitement de la réclamation

II prend en charge toutes les réclamations des locataires sur son site.

Dans le cadre de l’organisation générale du secteur, il peut être amené à assurer des permanences

physiques et téléphoniques. II traite les demandes et réclamations du secteur relevant de sa compétence.

Relations Clients

Par sa présence sur le site, il est l’interlocuteur privilégié des locataires. II connait la population en place, il est consulté lors des propositions d’attribution.

II participe à l’accueil des nouveaux locataires et les informe en permanence sur leurs droits et devoirs, et fait respecter le règlement d’occupation.

II développe des qualités d’écoute et de conseil afin de juguler les conflits de voisinage.

Consulté régulièrement, il est force de propositions sur les actions à mener pour améliorer l’environnement et le cadre de vie des habitants.

II favorise la mise en 'uvre d’actions d’animation de quartier en collaboration avec les associations locales de locataires.

II pourra être amené à réaliser les EDL entrants selon l’organisation définie par le RS. »

Les CEM exerçaient leurs fonctions selon un horaire de travail précis réparti comme suit dans la semaine : du lundi au jeudi 8 heures à 12 heures puis 13 heures à 16 heures 30 et le vendredi de 8 heures à 11 heures 45. Ils n’étaient pas soumis à des astreintes.

La société Partenord Habitat indique qu’il lui est apparu essentiel d’imposer au CEM de résider sur leur lieu de travail dans le dessein de développer une politique de proximité notamment avec ses locataires afin d’améliorer les conditions de vie dans les ensembles immobiliers.

L’obligation de loger sur place imposée aux CEM poursuivait ainsi un but légitime.

Pour autant, l’atteinte portée au libre choix de leur domicile n’était pas justifiée par les fonctions qu’ils exerçaient, ne nécessitant pas qu’ils habitent sur leur lieu de travail, ni proportionnées au but poursuivi, la proximité avec les résidents pouvant s’établir par des moyens moins contraignants.

Au demeurant, contrairement à ce que la société Partenord Habitat soutient, ils ne bénéficiaient que d’un avantage dérisoire en contrepartie de l’obligation de loger sur place.

En 2012, la remise de loyer accordée par la société Partenord Habitat à Monsieur A Y ne correspondait qu’à 20% du montant du loyer acquitté par un locataire lambda pour un logement présentant les mêmes caractéristiques. En ajoutant à cette remise le remboursement de la taxe d’habitation par la société Partenord Habitat, l’avantage financier octroyé à Monsieur A Y ne s’élevait qu’à une somme d’un peu plus de 130 euros par mois.

En conséquence, il convient de constater la nullité de la clause de résidence. Le jugement déféré sera complété en ce sens.

Sur la différence de traitement

En l’absence d’énonciation d’éléments de l’article L1132-1 du code du travail et alors que la reconnaissance d’un avantage en nature constitue un élément de rémunération, Monsieur A Y fonde sa demande sur la différence de traitement avec les agents de droit public ou les responsables d’immeubles qui bénéficient de la gratuité de leur logement sur la violation du principe « à travail égal, salaire égal ».

Selon ce principe, l’employeur doit assurer pour un même travail ou un travail de valeur égal l’égalité de traitement entre les salariés placés dans une situation identique ou comparable au regard de l’avantage en cause, sauf à ce que la différence de traitement pratiquée repose sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence.

En l’espèce, la clause de résidence étant nulle, elle ne peut produire d’effets.

Dès lors, les CEM, avant la réorganisation des métiers par la société Partenord Habitat, ne sont pas placés dans une situation identique par rapport à l’avantage que constitue la gratuité du logement que les agents publics et les responsables d’immeubles puisque contrairement à eux ils ne sont pas soumis à une clause de résidence.

En conséquence, le principe de l’égalité de traitement ne peut trouver application. Le jugement déféré sera complété en ce sens.

Sur les dommages et intérêts

L’atteinte abusive au libre de choix son domicile pendant de nombreuses années a causé un préjudice à Monsieur A Y justifiant l’attribution de dommages et intérêts à hauteur de la somme de 15 000 euros. Le jugement déféré sera complété en ce sens.

Sur les autres demandes

Le jugement déféré confirmé en tant qu’il a débouté la société Partenord Habitat de sa demande au titre des frais irrépétibles et infirmé en tant qu’il a condamné Monsieur A Y aux dépens de première instance.

La société Partenord Habitat sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles d’appel et condamnée à payer à Monsieur A Y la somme de 3000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d’appel.

Elle sera également condamnée aux dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement rendu le 16 décembre 2015 par le conseil de prud’hommes de Lille en toutes ses dispositions à l’exception de celle déboutant la société Partenord Habitat de sa demande au titre des frais irrépétibles ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déclare recevable l’action tendant à voir constater la nullité de la clause de résidence ;

Constate la nullité de la clause de résidence ;

Dit que le principe d’égalité de traitement ne peut trouver application ;

Condamne la société Partenord Habitat à payer à Monsieur A Y la somme de 15 000 euros au titre de dommages et intérêts ;

Déboute la société Partenord Habitat de sa demande au titre des frais irrépétibles d’appel ;

Condamne la société Partenord Habitat à payer à Monsieur A Y la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel ;

Condamne la société Partenord Habitat aux dépens de première instance et d’appel.

Le Greffier, LePrésident,

A. N O M. Z

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