Cour d'appel de Grenoble, 2ème chambre, 5 décembre 2018, n° 15/05400

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Grenoble, 2e ch., 5 déc. 2018, n° 15/05400
Juridiction : Cour d'appel de Grenoble
Numéro(s) : 15/05400
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Bourgoin-Jallieu, 18 novembre 2015, N° 14/00118
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

R.G. N° 15/05400

N° Minute :

G.D./LG

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

la SELARL CDMF AVOCATS

la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

2EME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU MERCREDI 5 DECEMBRE 2018

Appel d’un Jugement (N° R.G. 14/00118)

rendu par le Tribunal de Grande Instance de BOURGOIN JALLIEU

en date du 19 novembre 2015

suivant déclaration d’appel du 18 Décembre 2015

APPELANTE :

SA MACIF

inscrite au RCS de NIORT sous le n° 781 452 511, prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés ès -qualités audit siège,

[…]

[…]

Représentée par Me Denis DREYFUS de la SELARL CDMF AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE, substitué par Me MEDINA, avocat au barreau de GRENOBLE,

INTIMÉE :

[…]

immatriculée au RCS de PARIS sous le n° B 310 499 959, prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés ès-qualité audit siège,

[…]

[…]

Représentée par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant, et ayant pour avocat plaidant Me Jean-François JULLIEN de la SELARL LEGI RHONE ALPES JULLIEN – PIOLOT, avocat au barreau d’ANNECY,

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Gérard DUBOIS, Président,

Monsieur Laurent GRAVA, Conseiller,

Monsieur Olivier CALLEC, Vice-Président placé désigné par ordonnance du Premier Président en date du 12 décembre 2017,

Assistés lors des débats de Madame Delphine CHARROIN, Greffier placé.

En présence de Madame Elsa SANCHEZ, greffier en pré-affectation.

DÉBATS :

A l’audience publique du 06 Mars 2018, Monsieur Gérard DUBOIS, Président,

a été entendu en son rapport,

Les avocats ont été entendus en leurs conclusions.

Puis l’affaire a été mise en délibéré, délibéré prorogé pour l’arrêt être rendu ce jour.

EXPOSÉ DU LITIGE

Dans la nuit du samedi 31 janvier 2009 au dimanche 1er février 2009, un incendie s’est produit dans l’appartement de M. Y X, copropriétaire occupant au 1er étage du bâtiment’D de la copropriété Chantereine’II à Bourgoin-Jallieu, provoquant le décès de ce dernier et d’importants dommages au bâtiment.

La SA AXA France, assureur de la copropriété, après avoir indemnisé les frais de réparations pour un montant de 414'563'€, s’est retournée contre la MACIF, assureur de M. X, qui a refusé sa garantie au motif que ce dernier s’était suicidé et avait cherché à causer le dommage à la copropriété.

Par exploit en date du 30 janvier 2014, la SA AXA France IARD a fait assigner la MACIF devant le tribunal de grande instance de Bourgoin-Jallieu en sollicitant, avec le bénéfice de l’exécution provisoire, la condamnation de cette dernière à lui payer la somme de 123'926,33'€ avec intérêts, outre celle de 2'500'€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile et en tous les dépens.

Par jugement contradictoire du 19 novembre 2015, le tribunal de grande instance de Bourgoin-Jallieu a':

— condamné la MACIF à payer à la SA AXA France IARD la somme de 123'926,33'€ outre intérêts au taux légal à compter du 30 janvier 2014, date de l’assignation,

— condamné la MACIF à payer à la SA AXA France IARD la somme de 1'500'€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamné la MACIF aux dépens.

La MACIF a interjeté appel du jugement.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 17 mars 2016, la MACIF demande à la cour de':

A titre principal,

Réformer le jugement entrepris';

En conséquence,

Constater que le contrat d’assurance souscrit par M. X auprès de la MACIF exclut expressément de sa garantie les dommages «'intentionnellement causés ou provoqués par l’assuré'»';

Dire et juger qu’il résulte des pièces du dossier que M. X a volontairement incendié son appartement';

Dire et juger qu’il résulte des pièces du dossier, qu’au-delà de sa volonté de se suicider, M. X souhaitait causer d’importants dommages à l’immeuble';

À tout le moins et en tout état,

Constater que la clause contractuelle du contrat d’assurance qui exclut de la garantie les dommages intentionnellement causés ou provoqués par l’assuré, n’exige pas que l’assuré ait voulu causer tous les dommages engendrés';

Dire et juger que la circonstance que M. X ait volontairement incendié son appartement pour se donner la mort supprime tout aléa';

Par conséquent,

Dire et juger que la MACIF se trouve bien fondée à opposer un refus de garantie à la SA AXA France IARD';

Rejeter l’ensemble des demandes formulées par la SA AXA France IARD';

A titre subsidiaire,

Rejeter la demande formulée par la SA AXA France IARD comme étant insuffisamment justifiée s’agissant de son montant';

À tout le moins,

Ramener cette demande à de plus justes proportions et dire et juger qu’aucune somme supérieure à celle de 112'388,50'€ ne peut être allouée à la SA AXA France IARD';

En tout état,

Condamner la SA AXA France IARD à lui payer la somme de 2'500'€ au titre de l’article 700 du

code de procédure civile';

Condamner la même aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SELARL CDMF représentée par maître Dreyfus, sur son affirmation de droit, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Elle indique que M. X a non seulement voulu se donner la mort mais qu’il avait aussi la volonté de causer des dégâts importants à l’immeuble.

Elle rappelle que M. X avait répandu des produits inflammables sur le palier et qu’il avait mis en place sur le palier, en direction de l’ascenseur, une sorte de «'cordon'» composé de sacs poubelles contenant des bidons imbibés de produits inflammables. Elle ajoute qu’il y avait un autre sac poubelle à l’intérieur même de l’ascenseur, lequel était justement arrêté à l’étage de l’appartement de M. X.

Elle fait aussi état des témoignages des voisins.

Dès lors, elle conclut à l’application de l’exclusion de garantie prévue par l’article 34 du contrat d’assurance.

Subsidiairement, elle estime que la demande de la SA AXA France IARD doit être cantonnée à la somme de 112'388,50'€.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 3 mai 2016, la SA AXA France IARD demande à la cour de':

Confirmer le jugement entrepris';

Condamner la société MACIF à lui payer la somme de 123'926,33'€, (cent vingt-trois mille neuf cent vingt-six euros et trente-trois centimes) sauf à parfaire, outre intérêts de droit à compter de l’acte introductif d’instance';

Condamner la société MACIF à lui payer la somme de 2'500'€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile';

Condamner la société MACIF aux entiers dépens qui comprendront les frais d’inscription d’hypothèque judiciaire, dont distraction pour ceux d’appel au profit de maître Grimaud, avocat, sur le fondement de l’article 699 du code de procédure civile.

Elle estime que la clause d’exclusion indiquant «'les dommages de toute nature intentionnellement causés ou provoqués par l’assuré ou avec sa complicité'» doit s’interpréter de manière stricte.

Elle maintient que son assuré, s’il a bien voulu se suicider, n’a jamais souhaité le dommage au tiers au sens de la police d’assurance et elle en conclut que la MACIF doit sa garantie.

Elle rappelle enfin qu’elle a pu obtenir une partie de l’indemnisation sur la succession du défunt et qu’elle ne demande que le reliquat, soit 123'926,33'€.

La clôture de la procédure est intervenue le 12 décembre 2017.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l’exclusion de garantie

L’exclusion de garantie légale

L’article L.'113-1 du code des assurances dispose «'Les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police.

Toutefois, l’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré'».

La faute intentionnelle et la faute dolosive, au sens de ce texte, sont autonomes, chacune justifiant l’exclusion de garantie dès lors qu’elles font perdre à l’opération d’assurance son caractère aléatoire.

* La faute intentionnelle

La faute intentionnelle, qui exclut la garantie de l’assureur, implique que l’assuré a voulu non seulement l’action ou l’omission génératrice du dommage mais encore le dommage lui-même tel qu’il est survenu, avec la conscience des conséquences de son acte.

En l’espèce, M. X a expressément voulu mettre fin à ses jours, ce à quoi il est parvenu.

La motivation première de l’acte incendiaire est donc bien le suicide et non pas la destruction des biens.

Dès lors, la faute intentionnelle ne peut pas être retenue quant aux conséquences matérielles de l’incendie.

* La faute dolosive

La faute dolosive, quant à elle, requiert le même élément intentionnel quant au passage à l’acte premier (incendie) mais ne requiert pas la recherche des conséquences dommageables telles qu’elles en ont résulté de l’acte intentionnel initial.

La prise de risque en ayant manifestement conscience de commettre un dommage suffira à caractériser la faute dolosive.

En l’espèce, s’il est exact que l’incendie n’avait pas pour motivation principale la destruction de matériels ou de tout ou partie de l’immeuble, il n’en demeure pas moins qu’une telle destruction était inévitable et ne pouvait pas être ignorée par l’incendiaire, même s’il lui était difficile d’en apprécier l’importance réelle et définitive.

Les procès-verbaux d’enquête ont mis en évidence les éléments matériels suivants:

— M. X s’est suicidé dans son appartement, en s’y enfermant et en mettant le feu à des carburants (super et gasoil)';

— il est décédé de brûlures pulmonaires et sur l’ensemble du corps, ces lésions étant incompatibles avec une survie';

— dans l’appartement calciné ont été retrouvées deux bouteilles de gaz avec une cuisinière à gaz au milieu du salon';

— sur le palier se trouvaient des sacs poubelles, partiellement calcinés contenant des bouteilles vides sentant l’essence';

— les vitres de l’appartement ont été partiellement soufflées par une explosion.

Ainsi, ces éléments démontrent qu’en se suicidant par asphyxie avec les gaz de combustion et par brûlures sur le corps, M. X avait également l’intention d’incendier tout l’immeuble.

Les moyens qu’il a déployés dépassent très largement ce qui était nécessaire pour uniquement se suicider.

En effet, il convient de rappeler que M. X a installé une cuisinière à gaz et 2 bouteilles de gaz dans le séjour, qu’il a déversé des carburants et y a mis le feu.

L’utilisation de bouteilles de gaz pendant un incendie témoigne de la volonté de provoquer une forte explosion dont les conséquences destructrices ne peuvent pas être banalisées, étant rappelé que l’immeuble est habité majoritairement par des personnes âgées à mobilité réduite.

La faute de M. X sera qualifiée de dolosive et les conditions requises pour l’application de l’exclusion légale prévue par l’article L.'113-1 du code des assurances sont réunies.

La garantie de la MACIF ne sera donc pas due et la SA AXA France IARD sera déboutée de ses demandes.

Le jugement sera infirmé.

L’exclusion contractuelle

Dès lors que l’exclusion légale trouve à s’appliquer, le moyen supplémentaire tiré de l’application des dispositions contractuelles n’a plus à être examiné.

Sur les frais irrépétibles

La SA AXA France IARD, dont les prétentions sont rejetées, supportera les dépens avec distraction.

Pour la même raison, il ne sera pas fait droit à sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Il n’est pas inéquitable de laisser à la charge de la MACIF les frais engagés pour la défense de ses intérêts. Aucune condamnation ne sera prononcée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi':

Infirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris';

Statuant à nouveau et y ajoutant';

Dit que la faute commise par M. Y X est une faute dolosive';

Dit que l’exclusion de garantie légale de l’article L.'113-2 alinéa'2 du code des assurances doit s’appliquer';

Déboute la SA AXA France IARD de l’ensemble de ses demandes';

Dit n’y avoir lieu à condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile';

Condamne la SA AXA France IARD aux dépens de première instance et d’appel, avec application au profit des avocats en ayant fait la demande des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Arrêt signé par Monsieur Laurent GRAVA, conseiller pour le Président empêché et par le Greffier Morgane MATHERON, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LE CONSEILLER,

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code des assurances
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