Cour d'appel de Grenoble, Ch. sociale -section b, 3 juin 2021, n° 19/00814

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Grenoble, ch. soc. -sect. b, 3 juin 2021, n° 19/00814
Juridiction : Cour d'appel de Grenoble
Numéro(s) : 19/00814
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Grenoble, 20 janvier 2019, N° 17/00829
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

AMM

N° RG 19/00814

N° Portalis DBVM-V-B7D-J4PI

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

Me Sophie BAUER

la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 3 JUIN 2021

Appel d’une décision (N° RG 17/00829)

rendue par le conseil de prud’hommes – formation paritaire de GRENOBLE

en date du 21 janvier 2019

suivant déclaration d’appel du 18 février 2019

APPELANTE :

Madame Z X

de nationalité Française

[…]

[…]

représentée par Me Sophie BAUER, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMEE :

Société mutualiste OXANCE,

prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[…]

[…]

représentée par Me Dejan MIHAJLOVIC de la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC, avocat postulant au barreau de GRENOBLE,

et par Me Stéphane BOURQUELOT de la SELARL CAPSTAN RHONE ALPES, avocat plaidant au barreau de LYON substitué par Me E-Charles METZ, avocat au barreau de LYON

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Blandine FRESSARD, Présidente,

M. Frédéric BLANC, Conseiller,

M. Antoine MOLINAR-MIN, Conseiller,

Assistés lors des débats de M. Fabien OEUVRAY, Greffier,

DÉBATS :

A l’audience publique du 31 mars 2021, Monsieur MOLINAR-MIN, conseiller, a été chargé du rapport.

Les avocats ont été entendus en leurs observations.

Et l’affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l’arrêt a été rendu.

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES':

Z X a été embauchée à compter du 6 février 2006 par les MUTUELLES DE FRANCE RÉSEAU SANTÉ en qualité de kinésithérapeute à temps partiel modulé, selon contrat de travail écrit à durée indéterminée soumis à la convention collective nationale du travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966.

La durée hebdomadaire de travail de Z X a été portée à 24h50 par avenant n°1 au contrat de travail du 28 février 2009, puis à 31h50 par avenants temporaires au contrat de travail des 2 décembre 2015, 30 janvier et 5 octobre 2016 pour la période du 1er décembre 2015 au 31 décembre 2016.

Au cours de la relation de travail, Z X a été désignée en qualité de membre du comité d’hygiène, de la sécurité et des conditions de travail de l’entreprise en juin 2013, puis de nouveau en juin 2015, de sorte que son mandat a pris fin le 18 juillet 2017.

Z X a dû bénéficier d’un arrêt de travail à compter du 13 octobre 2016, et a pu reprendre son activité en temps partiel thérapeutique à compter du 6 mars 2017, à hauteur de 17h50 par semaine. L’intéressée a néanmoins dû bénéficier d’un nouvel arrêt de travail du 14 au 19 mars puis de nouveau à compter du 4 avril 2017, renouvelé par la suite de façon ininterrompue jusqu’au 5 juillet suivant.

Par correspondance en date du 15 mai 2017, les MUTUELLES DE FRANCE RÉSEAU SANTÉ ont sanctionné Z X d’un avertissement à raison de son insistance déplacée à l’égard de l’une de ses collègues de travail, le 26 avril précédant, concernant la prise de congés estivaux.

Le 20 septembre 2017, Z X a saisi le conseil de prud’hommes d’une demande tendant à la résiliation judiciaire de son contrat de travail, d’une contestation de l’avertissement dont elle a ainsi fait l’objet, ainsi que de demandes indemnitaires afférentes à l’exécution ' à son sens fautive ' du contrat de travail et à l’avertissement injustifié qui lui a été notifié.

Et, à l’issue de la visite de reprise du 26 octobre 2017, le médecin du travail a estimé Z X inapte à son poste, par avis rédigé dans les termes suivants': «'Inapte au poste de kinésithérapeute en structure d’accueil de polyhandicapés. Pourrait exercer une activité de kinésithérapeute sur un public diversifié (rééducation fonctionnelle)'».

Par correspondance en date du 15 décembre 2017, les MUTUELLES DE FRANCE RÉSEAU SANTÉ ont convoqué Z X à un entretien préalable à son éventuel licenciement, fixé au 28 décembre suivant, auquel l’intéressée n’a pas assisté.

Par décision en date du 28 février 2018, l’inspecteur du travail, saisi par les MUTUELLES DE FRANCE RÉSEAU SANTÉ par correspondance datée du 26 janvier 2018, a autorisé le licenciement pour inaptitude médicale de Z X.

Les MUTUELLES DE FRANCE RÉSEAU SANTÉ ont procédé au licenciement de Z X pour inaptitude et impossibilité de reclassement par correspondance en date du 5 mars 2018.

Par jugement en date du 21 janvier 2019, dont appel, le conseil de prud’hommes de Grenoble ' section activités diverses ' a':

— DIT recevables, mais mal fondées, les demandes de Z X';

— DÉBOUTÉ Z X de l’ensemble de ses demandes';

— DÉBOUTÉ les MUTUELLES DE FRANCE RÉSEAU SANTÉ de leur demande reconventionnelle';

— CONDAMNÉ Z X aux dépens.

La décision a été notifiée aux parties par lettres recommandées avec accusés de réception en date du 22 janvier 2021.

Z X en a relevé appel par déclaration de son conseil transmise par voie électronique au greffe de la présente juridiction le 18 février 2019.

Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 3 février 2021, auxquelles il convient expressément de se référer pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, Z X demande à la cour d’appel de':

— JUGER recevable la déclaration d’appel qu’elle a formée contre le jugement du conseil de prud’hommes du 21.01.2019';

— CONFIRMER ce jugement en ce qu’il a déclaré recevables ses demandes et rejeté les demandes reconventionnelles de l’employeur';

— L’INFIRMER pour le surplus';

— CONSTATER que la société OXANCE a manqué à son obligation de sécurité et a exécuté de manière gravement fautive le contrat de travail ce qui a notamment causé la perte injustifiée de son emploi';

— ANNULER l’avertissement abusif du 15 mai 2017 et condamner la société’OXANCE à lui payer la somme de 1'000'€ nets en réparation du préjudice subi';

— CONDAMNER la société OXANCE à lui verser la somme de 20'000'€ nets à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l’exécution fautive du contrat de travail par l’employeur';

— CONDAMNER la société OXANCE à lui régler les sommes suivantes':

—  5'542,72'€ bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

—  554,27'€ bruts au titre des congés payés afférents';

— CONDAMNER la Société OXANCE au paiement de la somme de 4'500'€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens';

— ASSORTIR la décision à intervenir de l’exécution provisoire intégrale.

Par ses dernières conclusions en réponse notifiées par voie électronique le 4 février 2021, auxquelles il convient expressément de se référer pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, la mutuelle OXANCE, venant aux droits des MUTUELLES DE FRANCE RÉSEAU SANTÉ, demande à la cour d’appel de':

A titre principal,

— RÉFORMER le jugement attaqué en ce qu’il a jugé recevables les demandes d’indemnisation formulées par Madame X découlant d’une prétendue exécution fautive du contrat de travail et de l’obligation de sécurité';

En conséquence,

— JUGER irrecevables les demandes de dommages et intérêts au titre d’une prétendue exécution fautive du contrat de travail et de condamnation à l’indemnité compensatrice de préavis, ces demandes se heurtant au principe de séparation des pouvoirs et d’autorité de la chose jugée';

A titre subsidiaire,

— CONFIRMER le jugement attaqué en ce qu’il a jugé qu’elle n’avait pas manqué à son obligation de sécurité et de loyauté';

— CONSTATER que les arrêts de travail et l’inaptitude de Madame X sont d’origine non-professionnelle';

— CONSTATER que les accusations proférées par Madame X quant à l’insuffisance d’outils de manutention, une prétendue situation de surmenage professionnel et de harcèlement moral sont contraires à la réalité et, en toute hypothèse, ne sont pas étayées par des éléments de faits précis et datés';

En toute hypothèse,

— DIRE ET JUGER bien-fondé et proportionné l’avertissement notifié à Madame X le 15 mai 2017 ;

— DÉBOUTER Madame X de sa demande tendant à la voir condamnée à lui verser la somme de 1'000 euros en réparation de l’avertissement prétendument abusif';

— DÉBOUTER Madame X de sa demande injustifiée au titre de l’indemnité compensatrice de

préavis';

— DÉBOUTER en conséquence Madame X de l’intégralité de ses demandes ;

— CONDAMNER Madame X à lui payer une indemnité de 4'500'€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 4 février 2021, et l’affaire fixée pour être plaidée à l’audience du 31 mars 2021.

SUR CE':

- Sur l’avertissement du 15 mai 2017':

Aux termes des articles L.1333-1 et L.1333-2 du code du travail, le juge du contrat de travail peut, au vu des éléments que doit fournir l’employeur et de ceux que peut fournir le salarié, annuler une sanction irrégulière en la forme, injustifiée, ou disproportionnée à la faute commise.

En l’espèce, Z X demande à la cour d’annuler, comme étant injustifié, l’avertissement qui lui a été notifié par correspondance du 15 mai 2017, rédigée dans les termes suivants':

«'Vous nous avez informés par mail que vous ne seriez pas pré sente à l’entretien préalable auquel vous étiez convoquée le 10 mai 2017, en vue d’une sanction disciplinaire que nous envisagions à votre encontre. Malgré votre absence à cet entretien, la procédure suit son cours.

Nous vous informons que nous avons décidé de vous adresser un avertissement pour les motifs suivants':

Suite à l’expression de vos souhaits de congés annuels d’été 2017, je n’avais pas validé votre demande, ainsi que celle de Mme A B, la 2e kinésithérapeute de l’établissement. En effet, vous aviez exprimé le souhait d’une semaine de congés simultanée et je vous avais demandé, à toutes les deux, de me faire une proposition pour modifier vos périodes de congés. Vous comprendrez aisément que les deux personnes exerçant la fonction de kinésithérapeute ne peuvent être absentes simultanément notamment lors de pris de congés'; période d’absence qui peuvent s’anticiper. Vous n’avez pas réussi à vous mettre d’accord avec votre collègue.

Comme cela a été validé en réunion des délégués du personnel en février 2017, en tenant compte des critères prévus par la convention collective, il est indispensable que la continuité des soins soit assurée. Sans réponse favorable à ma requête ni de vous et ni de votre collègue et afin d’être le plus équitable possible vis à vis de vous deux, j’ai pris la décision de décaler de quelques jours, pour chacune, vos dates de congés.

Je vous ai donc communiqué, par mail le 26 avril 2017, les dates validées de vos congés payés.

Le 27 avril 2017 au matin, Mme A B nous a interpelés, Mme C D, responsable RH, et moi-même, pour nous dire que vous l’aviez sollicitée avec insistance pour qu’elle déplace sa semaine de congés payés qui posait problème. Ainsi, vous lui avez envoyé un SMS le 26 avril dans la journée. Comme elle n’avait pas répondu à votre message, votre mari l’a appelée le soir du 26 avril à son domicile en dehors du cadre professionnel, pour essayer de la faire changer d’avis.

Mme A B s’est sentie très mal du fait de votre insistance'; elle était très affectée en nous relatant les faits. Elle ne comprenait pas pourquoi vous reveniez ainsi de nouveau vers elle, soit directement puis par le biais d’une personne tiers de votre entourage ' alors que la décision finale a été prise par la direction, et qu’elle également était impactée par cette modification.

Je vous rappelle qu’avant d’organiser ses vacances, tout salarié doit attendre la validation des congés par la direction, comme cela est précisé sur les tableaux de demandes de congés.

Même si nous prenons le soin de demander à chaque salarié d’exprimer des souhaits de congés, la programmation des congés est une prérogative de l’employeur.

Vous n’aviez pas à relancer de cette façon votre collègue et en particulier de faire intervenir votre mari dans votre cadre professionnel. Cette intervention est totalement déplacée.

Nous ne pouvons accepter cela, c’est pour cette raison que nous vous adressons un avertissement.

A l’avenir, nous vous demandons de bien vouloir respecter les décisions de la direction'».

Il apparaît à cet égard que, faisant suite à son précédent courriel du 6 avril qui l’avait informée de son refus de valider sa demande de congés pour l’été 2017, compte-tenu de la demande simultanée de sa collègue de travail de bénéficier également de congés au cours de la semaine du lundi 31 juillet 2017, d’une part, et de la nécessité d’assurer la continuité des soins au cours de cette période, d’autre part, le directeur de la maison d’accueil spécialisée «'Le Champ Rond'» E-F G a fait savoir à Z X, par correspondance électronique circonstanciée du 26 avril 2017 à 12h33, que': «'(') je ne valide pas vos congés en l’état et vous informe que vous serez en congé du 3 au 23 août 2017 inclus'».

Or, dès 14h20 ce 26 avril 2017, Z X a transmis à sa collègue de travail, sur son numéro de téléphone portable personnel, un message rédigé comme suit': «'Bonjour A. Comme je le redoutais E F G n’a pas inventé une autre solution comme tu le disais, mais impose nos dates de congés. Je ne peux me résoudre à voir mes vacances gâchées en ne pouvant pas partager la première semaine d’août en Thaïlande (où Mathilde sera en VIE) avec Agathe qui a du valider ses vacances avec son employeur avant ton retour à la MAS. Y s’est organisé comme d’habitude et le cabinet sera fermé les trois premières semaines d’août. Je regrette vraiment que tu aies changé les règles en cours de route avec les conséquences qui en découlent pour ma famille et moi'».

Il ressort, parallèlement, de l’attestation établie le 12 juin 2018 par A B, sa collègue de travail, que le mari de Z X l’avait contactée sur sa ligne téléphonique personnelle le 26 avril 2017, vers 21h30, dans les circonstances suivantes': «'Il m’a rappelé l’état de santé de Z, sa fatigue psychique. Puis il m’a demandé de renoncer à la semaine de vacances qui faisait conflit entre Z et moi, du lundi 31 juillet au vendredi 4 août 2017, afin de permettre à Z d’avoir cette semaine de vacances (…)'».

Il ne peut toutefois être déduit des seuls termes de cette attestation que ce serait à la demande ou à l’initiative de Z X que son mari Y X a pris contact avec A B dans les circonstances ci-dessus rappelées, de sorte que ces faits ' dont la matérialité ne semble pas discutée par l’appelante ' ne peuvent caractériser l’existence d’un manquement fautif susceptible de lui être reproché.

Pour autant, les termes culpabilisants, ci-dessus repris, du message téléphonique adressé par Z X à sa collègue de travail, qui avaient pour objet et ont eu pour effet, de faire pression psychologiquement sur cette dernière afin qu’elle revienne sur sa demande de congés, de façon à contourner la décision que venait de lui notifier son employeur à l’issue de la période de concertation à laquelle elle avait été invitée à participer, caractérise un manquement de l’intéressé à ses obligations découlant du contrat de travail.

Et, il ne peut être considéré, au regard de ces énonciations et de la portée mesurée d’une telle sanction, que l’avertissement qui lui a été notifié le 15 mai 2017 constituerait une sanction

disproportionnée au manquement fautif dont l’employeur établit la matérialité et l’imputabilité à l’égard de Z X.

Il convient, par conséquent, de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté l’intéressée des demandes qu’elle formait à cet égard.

- Sur la rupture du contrat de travail':

Suivant autorisation de l’inspecteur du travail en date du 28 février 2018, qui faisait suite à l’avis d’inaptitude définitive à l’emploi établi par le médecin du travail à l’issue de la visite de reprise du 26 octobre 2017, les MUTUELLES DE FRANCE RÉSEAU SANTÉ ont procédé au licenciement de Z X pour inaptitude et impossibilité de reclassement par correspondance en date du 5 mars 2018.

Il convient de rappeler à cet égard que, dans le cas où une demande d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé est motivée par son inaptitude, il appartient à l’administration du travail de vérifier que l’inaptitude physique du salarié est réelle et justifie son licenciement. En revanche, il ne lui appartient pas, dans l’exercice de ce contrôle, nonobstant la saisine antérieure du conseil de prud’hommes par la salariée aux fins de résiliation judiciaire de son contrat de travail, de rechercher la cause de cette inaptitude.

Partant, et contrairement à ce que soutient l’intimée, l’autorisation de licenciement donnée par l’inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l’origine de l’inaptitude lorsqu’il l’attribue à un manquement de l’employeur à ses obligations.

Or, il ressort des dispositions de l’article L. 4121-1 du code du travail que l’employeur est tenu de prendre l’ensemble des mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés. L’employeur est ainsi tenu, compte tenu de la nature des activités de l’établissement, d’évaluer les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, y compris dans le choix des équipements de travail, dans l’aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations et dans la définition des postes de travail. Il est en outre tenu, aux termes des dispositions de l’article L. 4141-1 du même code, d’organiser et de dispenser une information aux travailleurs sur les risques pour la santé et la sécurité, et les mesures prises pour y remédier.

Et, il incombe, en cas de litige, à l’employeur, tenu d’assurer l’effectivité de l’obligation de sécurité mise à sa charge par les dispositions précitées, de justifier qu’il a pris les mesures suffisantes pour s’acquitter de cette obligation.

Z X soutient, à cet égard, que son employeur aurait gravement manqué à ses obligations découlant du contrat de travail, en ce qu’il aurait laissé dégénérer les effets de la surcharge de travail née de l’absence prolongée de la seconde kinésithérapeute de l’établissement, d’une part, et n’aurait pas respecté les préconisations du médecin du travail émises à l’occasion et à la suite de sa reprise en temps partiel thérapeutique le 6 mars 2017, d’autre part.

Il convient ainsi de relever que, tandis que le besoin en kinésithérapie de l’établissement faisait l’objet d’une dotation financière de l’agence régionale de santé à hauteur d'1,40 ETP (emploi équivalent temps plein), Madame A B, qui occupait à temps partiel, à hauteur de 106,17 heures par mois (soit 0,7 ETP), l’un des deux emplois de kinésithérapeute de l’établissement, a été absente pour cause de maladie au cours de la période comprise entre le 14 octobre 2015 et le 21 mars 2017.

Or, tandis qu’il avait été fixé à 24,5 heures hebdomadaires par avenant n°2 au contrat de travail du 1er août 2012 (soit 106,17 heures par mois équivalent à 70'% de la durée légale de référence), le temps de travail de Z X a été porté à 31,5 heures hebdomadaires (soit 136,50 heures par mois équivalent à 90'% de la durée légale du travail) « 'pour faire face au surcroît d’activité temporaire au sein du service paramédical'» au cours d’une période initialement prévue du 1er décembre 2015 au 30 juin 2016, et finalement prolongée jusqu’au 30 septembre puis au 31 décembre suivants, par avenants n°3 à 5 régularisés entre l’intéressée et son employeur les 2 décembre 2015, 30 juin et 5 octobre 2016.

Il ressort, parallèlement, de l’examen des bulletins de paie qu’elle produit aux débats pour la période considérée que, nonobstant l’augmentation de la durée contractuelle du travail à compter du 1er décembre 2015, Z X a été amenée à effectuer 60 heures «'supplémentaires'» entre le 1er janvier et le 31 août 2016.

Les MUTUELLES DE FRANCE RESEAU SANTE ont d’ailleurs été amenées à attribuer à Z X, le 6 octobre 2016, une prime exceptionnelle en reconnaissance de son «'engagement exceptionnel (et) de l’investissement particulier dont (elle fait) preuve durant l’absence de A B'».

Mais, tandis que le médecin du travail l’avait estimée apte, sans restriction, à l’exercice de son emploi de kinésithérapeute, notamment ' et en dernier lieu ' à l’issue des visites du 10 octobre 2013 et du 4 janvier 2016, Z X a dû bénéficier d’un arrêt de travail à compter du 13 octobre 2016, renouvelé de façon continue jusqu’au 5 juillet 2017, sauf à permettre une reprise en temps partiel thérapeutique du 6 mars au 3 avril 2017, à raison d’un état anxio-dépressif, d’un état d’épuisement et de surmenage ou d’une asthénie psychique.

Et il apparaît, à l’examen des attestations respectivement établies par ces praticiens les 5 et 15 septembre 2017 que Z X a dû bénéficier d’un suivi régulier par son médecin généraliste à compter du 18 novembre 2016 «'dans le cadre de troubles anxieux et d’une tristesse de l’humeur ayant un retentissement physique (asthénie, perte d’appétit, troubles du sommeil avec difficultés d’endormissement') (qui) seraient apparus suite à des changements dans l’organisation des conditions de travail'», et débuter un suivi auprès d’un psychothérapeute, à compter du 15 décembre 2016 ,«'suite à un épuisement et des souffrances psychologiques que Madame X (dit avoir) rencontré dans le cadre de son milieu professionnel et dans le cadre de l’exercice de son métier de kinésithérapeute'».

A l’issue de la visite de pré-reprise de Z X du 17 février 2017, le médecin du travail a estimé que «'La reprise peut être envisagée sur un mi-temps équivalent temps-plein organisé de préférence sur les matins et sur 4 jours. Possibilité de faire un jour complet'». Et, par courriel en date du 28 février 2017, le médecin du travail a fait savoir au directeur de la MAS LE CHAMP ROND que la répartition du temps de travail qu’il envisageait pour la reprise à temps partiel thérapeutique de Z X, à compter du 6 mars 2017, soit «'le lundi de 9h00 à 12h30, le mercredi de 9h00 à 12h30, le jeudi de 9h00 à 12h30 et de 13h30 à 15h00, le vendredi de 9h00 à 12h30'», outre deux heures hebdomadaires décomptées au titre de son mandat de représentante du personnel, lui paraissaient «'correspondre aux préconisations notées sur la fiche de pré-reprise'».

Ainsi, conformément à la prescription de son médecin traitant portant ' initialement ' sur la période du 6 mars au 7 avril 2017, Z X a été amenée à reprendre son activité professionnelle en temps partiel thérapeutique à compter du 6 mars 2017 selon les modalités détaillées dans l'«'avenant dans le cadre d’un temps partiel thérapeutique'» qu’elle a régularisé le même jour avec son employeur, et prévoyant que son temps hebdomadaire de travail serait réduit à 17h50 centièmes, soit 75h84 centièmes mensuelles, «'répartis de la manière suivante': lundi-mercredi-vendredi': 3h50 centièmes'; Jeudi': 5h50 centièmes. Les heures de préparation et de réunions dans le cadre du CHSCT viendront compléter ces horaires'».

Faisant suite à l’avis qu’il avait été amené à émettre à l’issue de la visite de reprise du 30 mars 2017, selon lequel Z X lui semblait «'apte à la reprise à temps partiel thérapeutique organisé de préférence sur les matins et sur 4 jours en essayant d’octroyer une coupure de 3 jours'», le médecin du travail a été amené à faire savoir à son employeur, qui l’avait interrogé le même jour sur la compatibilité avec l’état de santé de l’intéressée d’une organisation du travail prévoyant que celle-ci pourrait «' quelquefois'» travailler le vendredi en remplacement du mardi « 'lorsque sa collègue est absente'», que cette organisation lui semblait correspondre à ses préconisations.

Z X a, toutefois, dû bénéficier d’un nouvel arrêt de travail à compter du 4 avril 2017, initialement prescrit jusqu’au 18 avril suivant par son médecin traitant à raison d’un «'Sd de surmenage'; Sd dépressif réactionnel'». Et, à l’issue de la visite de pré-reprise du 13 avril 2017'le médecin du travail a relevé que : «'La reprise prévue le 19 avril me paraît prématurée. Quand la reprise pourra se faire, l’organiser sur le mi-temps de son temps de travail en temps partiel thérapeutique'». Et l’arrêt de travail ainsi prescrit à Z X a par la suite dû être prolongé de façon ininterrompue à raison d’une «'souffrance psychologique'» et de «'troubles de l’adaptation face à situation éprouvante'».

Parallèlement, à l’issue de l’étude de poste qu’il a réalisée le 24 octobre 2017, à l’occasion de laquelle il a notamment été amené à constater («'VI -'contraintes du poste'») l’existence de contraintes physiques et posturales et d’une charge mentale importante dans les termes suivants': «'Charge mentale': travail auprès d’un public très dépendant ' difficultés de communication ' travail de maintien afin d’éviter une dégradation trop rapide (kiné respiratoire très prenante) ' issue inévitablement fatale'», le médecin du travail a pu en conclure que': «'La charge psychique du poste est très importante. Cette charge apparaît incompatible avec l’état de santé actuel de Mme X. Une diversification du public pris en charge serait nécessaire pour permettre à Mme X de poursuivre son activité de kinésithérapeute'».

Et, à l’issue de l’étude de poste qu’il avait ainsi réalisée, le médecin du travail a estimé Z X définitivement «'inapte au poste de kinésithérapeute en structure d’accueil de polyhandicapés'», en précisant que l’intéressée «'pourrait exercer une activité de kinésithérapeute sur un public diversifié (rééducation fonctionnelle)'».

Il apparaît enfin que':

— les MUTUELLES DE FRANCE RESEAU SANTE avaient recensé dans le document unique prévu aux articles L. 4121-2 et suivants du code du travail les risques psycho-sociaux auxquels étaient exposés ses salariés au titre, notamment, de l’organisation du travail, de l’intensité et de la complexité du travail, des exigences émotionnelles, des rapports sociaux au travail et des conflits de valeur, et prévu la mise en 'uvre de mesures de prévention corrélatives tenant plus particulièrement à l’évaluation de la charge de travail et à sa répartition, à la mise en 'uvre d’échanges avec la direction sur les difficultés au travail, à l’organisation d’entrevues périodiques avec un psychologue, la rédaction d’une liste des postes à risques, et l’organisation de la formation professionnelle';

— le directeur de la maison d’accueil spécialisé LE CHAMP ROND, au sein de laquelle était affectée Z X, avait été amené à relever, au cours des entretiens qu’il atteste avoir eus avec l’intéressée «'pour faire le point avec elle sur sa charge de travail mais surtout pour évoquer les tensions qu’elle pouvait vivre dans ses relations avec les autres salariés, pas suffisamment rigoureux selon elle'», la nécessité de lui rappeler régulièrement «'le champ d’intervention qui était le sien pour lui éviter de «'dépenser'» son énergie sur des sujets confiés aux champ de compétences d’autres professionnels (constitution des menus, planning d’activité, supervision des soins infirmiers, matériel d’accompagnement au repas, aménagement des espaces extérieurs'). Particulièrement engagée, Mme X avait tendance à vouloir être impliquée dans toutes les décisions supportant mal que, dans le débat pluridisciplinaire, son avis ne soit pas toujours celui retenu'»';

— parallèlement à l’augmentation de la durée contractuelle du travail de sa salariée dans les circonstances ci-dessus rappelées, l’employeur soutient, et justifie avoir eu recours ' pour des temps

limités ' à des vacations de kinésithérapeutes exerçant une activité libérale ainsi qu’à une modification ' modeste ' de la répartition des champs d’interventions des ergothérapeutes et psychomotricien salariés de l’établissement pour faire face à l’absence prolongée pour maladie de la seconde kinésithérapeute A B.

Pourtant, aux termes de l’ensemble de ces énonciations, et au regard des risques psychosociaux auxquels étaient exposés ses salariés, tels qu’il les avait lui-même recensés, de la «'charge psychique'» à laquelle était directement confrontée Z X, et de la dégradation de son état de santé psychique ayant justifié les prescriptions et avis médicaux ci-dessus rappelés, à compter du 13 octobre 2016 au moins, la seule participation de l’intéressée aux actions de formation «'douleur et polyhandicap'; prise en charge de la douleur au quotidien'» (28 heures de formation entre le 26 septembre et le 6 décembre 2006), «'L’évaluation de la douleur des adolescents & adultes polyhandicapés': l’échelle EDAAP'» (7 heures de formation le 19 novembre 2014) et «'la bientraitance'» (les 22 et 23 septembre 2016), ou la participation régulière de l’intéressée à des réunions d’équipe, dont justifie l’employeur, sont largement insuffisantes à objectiver qu’il aurait effectivement mis en 'uvre les mesures de prévention qu’il avait lui-même recensées dans le document unique d’évaluation des risques pour protéger sa salariée ni, plus généralement, à établir qu’il se serait valablement libéré de l’obligation de sécurité et de prévention pesant sur lui.

Il doit tout particulièrement être constaté que la société mutualiste OXANCE, venant aux droits des MUTUELLES DE FRANCE RESEAU SANTE, ne justifient pas des mesures susceptibles d’avoir été mises en 'uvre pour évaluer les risques psycho-sociaux auxquels elle a exposée sa salariée ensuite de l’augmentation de sa charge de travail et des mesures de réorganisation mises en 'uvre suite à l’absence durable de sa collègue de travail A B à compter du 14 octobre 2015, d’une part, pour la protéger des effets de la charge psychique auquel elle était exposée dans l’exercice de ses fonctions, telle qu’identifiée dans les termes ci-dessus repris par le médecin du travail, d’autre part, ni que, nonobstant la compatibilité de la répartition du travail qu’il envisageait avec ses aptitudes résiduelles, il aurait mis en 'uvre les mesures permettant de préserver à suffisance l’état de santé psychique de sa salariée à l’occasion de la reprise en temps partiel thérapeutique qui lui avait été prescrite à compter du 6 mars 2017, enfin.

Or, les énonciations qui précèdent mettent en évidence que le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, ainsi caractérisé, est directement à l’origine de l’inaptitude définitive de Z X à occuper son emploi, constatée par le médecin du travail dans les termes ci-dessus rappelés le 26 octobre 2017.

Il convient par conséquent, au regard de l’ensemble des éléments qui précèdent, de condamner la société mutualiste OXANCE, venant aux droits des MUTUELLES DE FRANCE RESEAU SANTE, à indemniser Z X des conséquences du manquement à l’obligation de sécurité et de prévention ayant conduit à son inaptitude définitive à occuper son emploi et, partant, à son licenciement, à hauteur d’une somme qui ' au regard notamment de la situation personnelle et professionnelle dont elle justifie ' peut être évaluée à 18'000'€, ainsi qu’au paiement de la somme de 5'542,75'€ bruts, outre congés payés afférents, au titre du préavis qu’elle n’a pu exécuter par la faute de son employeur.

- Sur les demandes accessoires':

La société mutualiste OXANCE, qui succombe à l’instance, doit être tenue d’en payer les entiers dépens.

Et il serait particulièrement inéquitable, au regard des circonstances de l’espèce comme des situations économiques des parties, de laisser à la charge de Z X les sommes qu’elle a été contrainte d’exposer en justice pour la défense de ses intérêts, en première instance puis en cause d’appel.

Il convient, dès lors, de condamner la société mutualiste OXANCE à lui verser la somme de trois mille euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt étant exécutoire de droit, nonobstant l’exercice éventuel des voies de recours exceptionnelles, la demande de Z X tendant à «'l’exécution provisoire intégrale'» de la présente décision apparaît sans objet.

PAR CES MOTIFS':

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,

CONFIRME le jugement dont appel en ce qu’il a dit recevables les demandes formées par Z X, et en ce qu’il l’a déboutée de sa demande tendant à l’annulation de l’avertissement qui lui a été notifié le 15 mai 2017 et de sa demande indemnitaire afférente';

INFIRME le jugement déféré pour le surplus et, statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

CONDAMNE la société mutualiste OXANCE à verser à Z X les sommes de':

— dix-huit mille euros nets à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice né de son manquement à l’obligation de sécurité,

— cinq mille cinq cent quarante-deux euros et soixante-quinze centimes (5'542,75'€) à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

— cinq cent cinquante-quatre euros et vingt-sept centimes (554,27'€) au titre des congés payés afférents';

CONDAMNE la société mutualiste OXANCE à verser à Z X la somme de trois mille euros (3'000'€) en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile';

DEBOUTE la société mutualiste OXANCE de la demande qu’elle formait sur le même fondement';

CONDAMNE la société mutualiste OXANCE au paiement des entiers dépens de première instance et d’appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par M. Frédéric BLANC, conseiller ayant participé au délibéré, pour Mme Blandine FRESSARD, Présidente empêchée, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière Le Conseiller

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Cour d'appel de Grenoble, Ch. sociale -section b, 3 juin 2021, n° 19/00814