Cour d'appel de Grenoble, 2ème chambre, 21 septembre 2021, n° 19/00414

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Grenoble, 2e ch., 21 sept. 2021, n° 19/00414
Juridiction : Cour d'appel de Grenoble
Numéro(s) : 19/00414
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Grenoble, 24 janvier 2018, N° 15/00469
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Texte intégral

N° RG 19/00414 – N° Portalis DBVM-V-B7D-J3GO

N° Minute :

ALP

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

la SCP GUIDETTI BOZZARELLI LE MAT

la SELARL CDMF AVOCATS

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

2ÈME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU MARDI 21 SEPTEMBRE 2021

Appel d’un Jugement (N° R.G. 15/00469) rendu par le Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE en date du 25 janvier 2018, suivant déclaration d’appel du 23 Janvier 2019

APPELANTE :

SAS SPIE BATIGNOLLES SUD EST prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[…]

[…]

représentée par Me Gaëlle LE MAT de la SCP GUIDETTI BOZZARELLI LE MAT, avocat au barreau de GRENOBLE postulant, et plaidé par Me Yvan DAUMIN de la SELARL DAUMIN COIRATON-DEMERCIERE – AVOCATS, avocat au barreau de LYON

INTIMEE :

Société EUROPEAN SYNCHROTRON RADIATION FACILITY EUROPEAN SYNCHROTRON RADIATION FACILITY SOCIÉTÉ au capital de 15 200,00 ' immatriculée au RCS de GRENOBLE sous le […]

723 919 agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

[…]

[…]

représentée par Me Jean-luc MEDINA de la SELARL CDMF AVOCATS, avocat au barreau de

GRENOBLE postulant, et plaidé par Me Thierry LESCURE de la SELEURL CABINET LESCURE- SELARL d’Avocat, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Emmanuèle CARDONA, Présidente,

Mme Agnès DENJOY, Conseiller,

Mme Anne-Laure PLISKINE, Conseiller,

DÉBATS :

A l’audience publique du 14 Juin 2021

Mme Emmanuèle CARDONA, Présidente,

Mme Agnès DENJOY, Conseiller,

Mme Anne-Laure PLISKINE, Conseiller, a été entendue en son rapport,

Assistées lors des débats de Frédéric STICKER, Greffier

Les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries.

Puis l’affaire a été mise en délibéré pour l’arrêt être rendu ce jour.

EXPOSE DU LITIGE

Dans le cadre du projet d’extension de l’installation abritant le grand accélérateur de particules Synchrotron de Grenoble, la société European Synchrotron Radiation Facility (ci-après ESRF) a confié à plusieurs entreprises la construction d’un ensemble d’ouvrages comportant :

— deux […],

— un bâtiment de laboratoires et bureaux (LOB),

— une ligne de lumière de grande longueur (ID16),

— des modifications de locaux existants niveau zéro et un de l’EXPH1 au contact des extensions,

— l’extension des infrastructures de fluides et électriques.

L’opération a été divisée en trois macros lots : le n°1 gros 'uvre, le n°2 plomberie ' fluides spéciaux et le n°3 électricité.

La société SPIE Batignolles Sud-Est (ci-après SBSE), par contrat en date du 25 octobre 2011, s’est vue attribuer le marché de travaux n°649325 comprenant le macro lot 1 « Bâtiments et infrastructures » pour un prix global et forfaitaire de 15 250 000 euros HT.

Le procès-verbal de réception a été signé le 30 août 2013, avec réserves à lever avant le 30 septembre 2013.

Un litige est survenu entre les parties du fait de l’application de pénalités de retard et d’un désaccord sur des sommes figurant sur le décompte général définitif, la société SBSE faisant état d’une forclusion, rejetée par la société ESRF.

Par acte d’huissier en date du 16 juin 2014, la société SBSE a assigné en référé-provision la société ESRF afin de la voir condamner à lui payer à titre provisionnel la somme de 3 492 914,56 euros, majorée au taux de 7,04% à compter du 14 mai 2014, outre celle de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance en date du 22 octobre 2014, le président du tribunal de grande instance de Grenoble a :

— au principal, renvoyé les parties à se pourvoir ainsi qu’elles aviseront, mais dès à présent,

— rejeté la demande de provision de la société SBSE,

— fait droit à la demande d’expertise de la société ESRF.

Par acte d’huissier en date du 28 janvier 2015, la société SBSE a assigné au fond la société ESRF devant le tribunal de grande instance de Grenoble, aux fins la voir condamner notamment à lui payer la somme de 3 492 314,56 euros HT.

Par ordonnance en date du 21 juillet 2015, le juge de la mise en état a ordonné une mesure de médiation, mais cette médiation n’a pu aboutir.

Par jugement mixte en date du 25 janvier 2018, le tribunal de grande instance de Grenoble a :

— condamné la société ESRF à payer à la société SBSE la somme de 42 681,90 euros HT au titre du solde restant dû concernant le contrat de marché de travaux n°649325 signé le 25 octobre 2011, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 14 mai 2014 ;

— débouté la société SBSE de sa demande visant à voir réformer l’ordonnance du juge des référés du 22 octobre 2014 ayant octroyé une expertise ;

— rejeté la demande de dommages-intérêts de la société SBSE ;

— sursis à statuer sur les demandes de la société ESRF au titre des désordres et malfaçons ;

— dit que les intérêts des sommes dues à la société SBSE seront capitalisées par périodes annuelles ;

— dit n’y avoir lieu d’ordonner l’exécution provisoire du présent jugement ;

— réservé les demandes au titre des dépens et des frais irrépétibles.

Le rapport d’expertise a été déposé le 30 juin 2018.

Par déclaration en date du 23 janvier 2019, la société SBSE a interjeté appel du jugement du 25 janvier 2018 en ce qu’il a :

— condamné la société ESRF à payer à la société SBSE la somme de 42 681,90 euros HT au titre du solde restant dû concernant le contrat de marché de travaux n°649325 signé le 25 octobre 2011 avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 14 mai 2014 et a donc débouté la société SBSE de la demande en paiement de la somme de 3 492 314,56 euros HT au titre du solde dudit contrat avec intérêts.

— débouté la société SBSE de sa demande de dommages-intérêts.

Dans ses conclusions notifiées le 1er juin 2021, la société SPIE Batignolles demande à la cour de :

A titre liminaire, sur l’irrecevabilité des demandes de la société ESRF, formulées en-dehors du délai d’appel incident :

— déclarer irrecevables les demandes de la société ESRF comme infondées et formulées en dehors du délai d’appel incident, tendant à « infirmer le jugement entrepris uniquement en ce qu’il a rejeté la demande de la société ESRF de voir condamner la société SBSE à lui payer la somme de 176 735,85 euros HT à titre de moins-values,

— le confirmer pour le surplus »

Sur le fond,

— infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Grenoble en ce qu’il a :

— limité la condamnation de la société ESRF à l’égard de la société SBSE à 42 681,90 euros HT au titre du solde restant dû concernant le contrat de marché de travaux n°649325 signé le 25 octobre 2011 avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 14 mai 2014,

— rejeté la demande de la société SBSE au titre du versement de dommages et intérêts,

Statuant à nouveau,

A titre principal,

— dire et juger que la société ESRF est réputée avoir accepté les observations formulées par la société SBSE dans son projet de décompte final, et à tout le moins partiellement concernant le versement du solde de son marché initial, à savoir la somme de 1 652 283,09 euros HT dont 1 501 709,98 euros HT correspondant aux retenues prévues par l’article 5.4.2 qui n’ont jamais été payées par la société ESRF,

Par conséquent,

— condamner la société ESRF à verser les sommes suivantes majorées chacune d’un intérêt au taux de 7,04% et ce à compter du 14 mai 2014, outre anatocisme, à la société SBSE correspondant au décompte final de la société SBSE selon le détail suivant :

*1 652 283, 09 euros HT, soit 1 976 130,58 euros TTC au titre du solde du marché initial en raison de la forclusion au moins partielle intéressant les sommes du marché et avenants et OS :

*1 832 524,19 euros HT, soit 2 191 698, 93 euros au titre des demandes au-delà du montant forfaitaire si la forclusion de l’entier projet de décompte final est retenue,

A titre subsidiaire et pour les cas où la Cour ne ferait pas droit à la forclusion, ni à la forclusion partielle qui sont invoquées par la société SBSE,

— dire et juger que la société ESRF n’a ni demandé en première instance l’application de pénalités de retard, ni justifié de leur bien-fondé, de sorte que le tribunal ne pouvait les considérer comme acquises en ne condamnant pas la société ESRF à régler le solde du marché initial à la société SBSE,

Par conséquent,

— dire et juger que les sommes réclamées au titre de son décompte final par la société SBSE sont justifiées et bien fondées,

— condamner la société ESRF à payer une somme de 4 167 829, 51 euros TTC (3 484 807 euros HT) correspondant au détail suivant :

*1 652 283,09 euros HT, soit 1 976 130, 58 euros TTC au titre du solde du marché initial

*1 832 524,19 euros HT, soit 2 191 698,93 euros TTC au titre des demandes au-delà du montant forfaitaire initial qui sont parfaitement justifiées et fondées au regard du mémoire en réclamation,

outre intérêts au taux de 7,04% et ce à compter du 14 mai 2014 et anatocisme

En tout état de cause,

— rejeter l’intégralité des demandes de la société ESRF et notamment sa demande de paiement par la société SBSE d’une somme de 156 375,85 euros HT au titre de moins-values demandées par la société ESRF pour la première fois en cause d’appel,

— déclarer irrecevables les demandes de la société ESRF tendant à dire bien fondée l’application des pénalités de retard à l’encontre de la société SBSE, car nouvelles en cause d’appel,

— moduler les pénalités de retard en application de l’article 1231-5 du code civil

— condamner la société ESRF à verser une somme de 100 000 euros à la société SBSE au titre de dommages et intérêts du fait du retard dans le paiement du solde de son marché,

— ordonner l’exécution provisoire de l’arrêt à intervenir,

— condamner la société ESRF à payer une somme de 20 000 euros à la société SBSE au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens distraits au profit de la SCP Guidetti Bozzarelli Le Mat, avocat, sur son affirmation de droit.

Au soutien de ses demandes, la société SBSE énonce que la demande de la société ESRF tendant à voir infirmer le jugement en ce qu’il a rejeté la demande de la société ESRF de voir condamner la société SBSE à lui payer la somme de 176 735,85 euros HT à titre de moins-values est irrecevable au motif qu’il s’agit d’une demande nouvelle et formulée en-dehors du délai d’appel incident.

Elle énonce qu’aux termes de l’article 21.5.1.2 du marché, le maître d’ouvrage est forclos faute d’avoir présenté ses observations dans les délais requis. Elle précise qu’en l’espèce, elle a transmis son mémoire définitif au maître d''uvre par courrier du 31 octobre 2013 reçu le 4 novembre 2013, que la société ESRF a répondu à ce projet de décompte final par un courrier du 23 décembre 2013, faisant état d’un solde de contrat négatif à hauteur de 177 100 euros HT, que la société SBSE a présenté un courrier d’observations du 15 janvier 2014 reçu par la société ESRF le 16 janvier 2014 et par la société Ginger Sechaud Bossuy le 21 janvier 2014, courrier qui n’a jamais reçu de réponse, qu’en conséquence, la société ESRF est réputée avoir accepté les observations en application de l’article 21.5.2.5 du contrat.

Elle fait valoir que si elle a formulé des observations peu pertinentes, c’était parce qu’elle était dans l’impossibilité de faire mieux puisque le courrier ne comportait ni explication ni justification.

S’agissant du montant du décompte, elle énonce que même si une partie du décompte dont elle se

prévaut au titre de l’acceptation tacite porte partiellement sur des travaux supplémentaires, une autre partie de la somme sollicitée correspond pour partie aux abattements opérés par le maître d’ouvrage ou retenues prévues par le marché et que cette somme ne constitue pas des travaux supplémentaires même sur le fondement de l’article 1793 du code civil, contrairement a ce qu’a jugé le tribunal.

Elle ajoute qu’en déboutant la société SBSE de ses demandes, le tribunal a implicitement considéré que la somme litigieuse de 1 519 437,55 euros HT correspondait à des pénalités de retard qui n’étaient ni réclamées ni justifiées en première instance, et qui sont en conséquence irrecevables en appel sur le fondement de l’article 564 du code de procédure civile.

Elle rappelle qu’en tout état de cause, et en application de l’article 1231-5 du code civil, le montant sollicité au titre des pénalités est manifestement excessif par rapport au montant initial du marché et au nombre de jours de retard allégué.

Selon elle, le décompte final montre qu’elle a dû faire face à plusieurs événements découlant tous de la faute du maître d’ouvrage, qu’ainsi de nombreux travaux ont été réalisés à la demande du maître d’ouvrage et du maître d''uvre sans qu’ils soient matérialisés par un ordre de service écrit ou un avenant, travaux issus de la modification des données du dossier de consultation des entreprises, qu’en conséquence, le forfait initialement conçu ne peut plus s’appliquer.

Elle allègue que tant le maître d''uvre que l’entreprise EMTE ont pris du retard, générant une désorganisation dans les travaux effectués par la société SBSE, ainsi pour les travaux de serrurerie, le lot charpente métallique, avec au total un décalage de planning de trois mois, que de surcroît, 26 jours d’intempéries ont été validés au lieu de 20 prévus dans le contrat.

Dans ses conclusions notifiées le 4 mai 2021, la société ESRF demande à la cour de :

— déclarer la société SBSE recevable mais non fondée en son appel,

— débouter en conséquence la société SBSE de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

— déclarer la société ESRF recevable et bien fondée en son appel incident,

— infirmer le jugement entrepris uniquement en ce qu’il a rejeté la demande de la société ESRF de voir condamner la société SBSE à lui payer la somme de 176.735,85 euros HT à titre de moins-values,

— le confirmer pour le surplus,

En conséquence

1°/ Sur l’absence de forclusion de la société ESRF

A titre principal,

— constater que la procédure contractuelle de vérification du mémoire définitif de l’entreprise et d’établissement du décompte définitif par le maître d’ouvrage a institué une « présomption de rejet» tant du mémoire définitif par le maître d’ouvrage que du décompte définitif par l’entreprise en cas de non-respect par l’un ou par l’autre du délai qui lui était donné pour faire valoir ses observations;

— constater qu’en raison de l’inapplication au contrat de la norme NF P 03-001, le risque pour la société SBSE de perdre le droit de contester le montant du décompte définitif, en cas d’absence d’observations de sa part suite à la notification qui lui en aurait été faite par la société ESRF, était inexistant ;

— constater qu’en application des dispositions claires et précises de l’article 21.5.2.4 du contrat, qui stipulaient que passé le délai de trente jours après la notification du décompte définitif par le maître d’ouvrage, si le titulaire n’avait pas formulé par écrit ses observations il était réputé avoir rejeté le décompte définitif, l’absence de présentation d’observations de la part de la société SBSE ne lui faisait en aucun cas perdre le droit de contester le montant de ce décompte définitif ;

— dire en conséquence que la lettre adressée le 15 janvier 2014 par la société SBSE n’était pas un courrier d’observations comme prévu à l’article 21.5.2.5 du Contrat, puisqu’il se bornait à signifier son désaccord total sur le montant du décompte définitif notifié par le maître d’ouvrage et à maintenir l’intégralité de sa réclamation initiale, que cette lettre n’appelait dès lors aucune réponse de la part de la société ESRF et n’avait pu faire courir le délai qui lui était imparti pour y répondre ; qu’en toute hypothèse, l’absence de réponse du maître d’ouvrage ne pouvait être assimilée à une acceptation du mémoire définitif de l’entreprise.

— constater surabondamment qu’une réponse écrite manifestant le désaccord total de la société ESRF sur l’ensemble des postes du mémoire définitif de la société SBSE, dont cette dernière s’était bornée à reprendre le montant dans son courrier du 15 janvier 2014, a bien été portée à la connaissance de l’entreprise dans le délai de 30 jours prescrit, sous la forme du compte rendu de la réunion 13 février 2014 à laquelle assistaient outre l’entreprise, le maître d’ouvrage et le maître d’oeuvre.

— dire en tout état de cause qu’aucune forclusion ne peut être prononcée en application de l’article 21.5.2.5 du marché de travaux.

A titre subsidiaire

— confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit que la déchéance contractuelle, qui frapperait le maître d’ouvrage du droit de contester le mémoire définitif de l’entreprise en application de l’article 21.5.2.5 demeure contraire aux dispositions de l’article 1793 du code civil, dans la mesure où le décompte de la société SBSE intègre des travaux supplémentaires qui n’ont jamais fait l’objet d’une autorisation écrite, préalable et chiffrée de la part de la société ESRF et qui ont toujours été contestés par cette dernière ; qu’en l’absence de toute autorisation écrite, préalable et chiffrée des travaux supplémentaires revendiquée par la société SBSE et contestés par la société ESRF, les dispositions de l’article 21.5.2.5 du marché de travaux demeurent nulles et de nul effet.

2°/ Sur la demande de paiement de la société ESRF au titre des pénalités de retard,

— constater que la demande de paiement de la société ESRF, au titre des pénalités de retard appliquées à la société SBSE, résultait de sa demande de règlement au titre de son propre décompte définitif, qu’elle n’est donc pas nouvelle en cause d’appel.

— déclarer en conséquence recevable la société ESRF en sa demande de paiement de la somme de 1.519.437,55 euros HT correspondant aux pénalités de retard appliquées à la société SBSE

— la déclarer en outre bien fondée au regard des dispositions claires et précises des articles 18-1 et 18-3 qui prévoient l’application de plein droit des pénalités de retard sur la facturation et sans mise en demeure préalable, en cas de non-respect par le titulaire des délais d’exécution aux échéances fixées à l’article 8,

— dire en conséquence que la société ESRF était bien fondée à retenir la somme de 1 519 437 euros HT à titre de pénalités qui se compensait avec celle de 1 501 709,98 euros HT réclamée par la société SBSE pour la libération des retenues opérées sur les décomptes mensuels, dès lors qu’il était établi que la livraison des trois bâtiments Belledonne, Chartreuse et LOB avait subi plus de 50 jours de retard cumulé.

3°/ Sur l’absence de fondement des demandes de la société SBSE de règlement de sommes complémentaires au-delà du montant du forfait

— débouter la société SBSE de sa demande de paiement de la somme de 1.832.524,19 euros HT au titre de demandes au-delà du montant forfaitaire du marché qui ne sont nullement justifiées ni fondées tant au regard de l’article 1793 du code civil que des dispositions contractuelles

4°/ Sur l’absence de fondement des demandes de la société SBSE de règlement de sommes accessoires

— débouter la société SBSE de sa demande de majoration des intérêts moratoires et d’indemnisation au titre de l’abus de droit.

5°/ Sur l’appel incident de la société ESRF

— dire que l’ensemble des pièces versées aux débats par la société ESFF, notamment celles composant le dossier d’analyse fait par la maîtrise d’oeuvre du projet de décompte général de l’entreprise et les 24 annexes qui y étaient jointes, permettent de justifier, d’une part, le montant des moins-values appliquées pour les prestations non réalisées par la société SBSE et, d’autre part, le montant fixant le solde négatif du décompte général de l’entreprise à la somme de 156 375,85 euros HT.

— condamner en conséquence la société SBSE à payer à la société ESRF la somme de 156 375,85 euros HT correspondant au solde négatif révisé du montant des travaux exécutés par l’entreprise au titre de son marché, avec intérêts au taux légal, à compter de la notification du 13 décembre 2013 qui lui en a été faite.

— ordonner la capitalisation des intérêts.

6°/ Sur les frais irrépétibles et les dépens

— condamner la société SBSE à payer à la société ESRF la somme de 25 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

— la condamner en outre aux entiers dépens.

La société ESRF déclare qu’aucune forclusion n’est prévue ni encourue tant à l’égard du maître d’ouvrage que du titulaire du marché, en cas de défaillance de l’un ou de l’autre en termes de délai ou de réponse à formuler.

Elle fait valoir qu’au contraire, la procédure contractuelle de vérification du mémoire définitif de l’entreprise et d’établissement du décompte définitif par le maître d’ouvrage a institué une « présomption de rejet » tant du mémoire définitif par le maître d’ouvrage que du décompte définitif par l’entreprise en cas de non-respect par l’un ou par l’autre du délai qui lui était donné pour faire valoir ses observations et ce contrairement à la norme NF P03-001 sur laquelle se fonde selon elle la société SBSE.

Elle considère que la lettre adressée par la société SBSE le 15 janvier 2014 à la société ESRF n’était pas un courrier d’observations, tel que prévu à l’article 21.5.2.5 du contrat, qu’elle n’appelait donc pas de réponse.A titre surabondant, elle allègue que la société SBSE a bien été informée par écrit de l’absence d’accord de la société ESRF sur les termes du mémoire définitif de l’entreprise, ainsi que cela résulte des termes exprès du compte rendu de la réunion du 13 février 2014 établi par la société SBSE elle-même et de la lettre d’accompagnement du 4 mars 2014 de la société SBSE.

Elle énonce que la présomption d’acceptation du décompte de l’entreprise que revendique la société

SBSE contrevient à la règle de l’article 1793 du code civil qui exige que les travaux supplémentaires, dont il est demandé le paiement dans ce décompte, aient fait impérativement l’objet d’une autorisation écrite préalable et chiffrée de la part du maître d’ouvrage, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

S’agissant des pénalités de retard, elle déclare que sa demande n’est pas nouvelle, sur le fondement de l’article 565 du code civil et rappelle le nombre de jours de retard.

Elle s’oppose à l’abandon du forfait en réfutant tout bouleversement dans l’économie du contrat, notant que la différence entre le montant du marché initial de 15 250 000 euros HT et le montant des travaux supplémentaires dont la société SBSE revendique le paiement à hauteur de 892 399,25 euros HT ne représente même pas 6% de ce coût initial.

Elle indique notamment que la pose des éléments de serrurerie s’est faite dans les délais et l’entreprise SBSE n’a pas été pénalisée pour un retard quelconque pour cette prestation particulière, que de même, les plans d’exécution du lot charpente étaient à la charge de SBSE, que les intempéries n’ont pas réellement eu d’incidence, que l’entreprise ne pouvait ignorer les contraintes liées à la nappe phréatique.

Elle conclut au rejet de la demande de majoration des intérêts moratoires au motif que ce taux n’est pas contractuel et qu’il ne figure dans aucune des dispositions du marché, ni du CCAP.

Elle se fonde sur les 24 annexes jointes à l’analyse du décompte général de la société SBSE pour justifier de sa demande incidente visant à voir condamner la société SBSE à lui payer la somme de 156 375,85 euros HT.

La clôture a été prononcée le 2 juin 2021.

MOTIFS

Sur la recevabilité des demandes de la société ESRF concernant la demande tendant à voir condamner la société SBSE à lui payer la somme de 176 735,85 euros HT à titre de moins-values

La société SBSE conclut à titre liminaire à l’irrecevabilité des demandes de la société ESRF, comme formulées en dehors du délai d’appel incident, tendant à « infirmer le jugement entrepris uniquement en ce qu’il a rejeté la demande de la société ESRF de voir condamner la société SBSE à lui payer la somme de 176 735,85 euros HT à titre de moins-values', mais elle ne motive pas cette demande, sachant que la demande en paiement figurait tant dans les conclusions récapitulatives en première instance, et qu’il ne s’agit donc pas d’une demande nouvelle, que dans les premières conclusions d’intimée de la société ESRF.

Cette demande est rejetée.

Sur l’existence d’une forclusion

L’article 21.5 du contrat de marché de travaux est ainsi rédigé :

« ARTICLE 21.5 – Etablissement du décompte définitif

21.5.1 – Mémoire définitif

21.5.1.1 – Le Titulaire fournira au maître d’oeuvre dans un délai de 60 jours maximum à dater de la réception définitive des travaux ou la résiliation, le mémoire définitif des sommes qu’il estime lui

être dues au titre du contrat. Ces sommes doivent être évaluées conformément aux conditions du contrat.

21.5.1.2 – En l’absence de remise de ce mémoire dans le délai prescrit, l’ESRF pourra, après mise en demeure restée sans effet, demander au maître d’oeuvre d’établir ce mémoire aux frais du Titulaire.

21.5.2 ' Vérification du mémoire définitif ' Etablissement du décompte définitif

21.5.2.1 – Le maître d’oeuvre examine le mémoire définitif et établit le décompte définitif des sommes dues qu’il transmet à l’ESRF, dans le délai maximum de 30 jours calendaires, à compter de l’accusé de réception du document ou du récépissé de remise du mémoire définitif.

21.5.2.2 ' L’ESRF notifie au Titulaire ce décompte définitif dans les 45 jours à dater de la réception du mémoire définitif par le maître d’oeuvre. Ce délai est porté à 4 mois à dater de la réception définitive des travaux s’il est fait application du § 21.5.1.2.

21.5.2.3 – Si le décompte n’est pas notifié dans ce délai, l’ESRF est réputée avoir refusé le mémoire définitif après mise en demeure restée infructueuse pendant 15 jours.

La mise en demeure est adressée par le Titulaire à l’ESRF et au maître d’oeuvre.

21.5.2.4 – Le Titulaire dispose de 30 jours à compter de la notification pour faire part de ses observations par écrit au maître d’oeuvre avec copie simultanée à l’ESRF. Passé ce délai le Titulaire est réputé avoir rejeté le décompte définitif.

21.5.2.5 En cas d’observations du Titulaire, le maître d’ouvrage dispose d’un délai de 30 jours pour informer le Titulaire par écrit s’il les accepte ou non. Passé ce délai, l’ESRF est réputé avoir accepté ces observations ».

En l’espèce, le procès-verbal de réception a été signé le 30 août 2013.

La société SBSE a adressé son projet de décompte final le 31 octobre 2013.

Par courrier en date du 23 décembre 2013, la société ESRF lui a répondu qu’après examen de son projet de décompte final, celui-ci s’avérait infondé en totalité et qu’elle aboutissait à un décompte négatif de 177 000 euros. Aucune précision n’était apportée sur le mode de calcul, mais il était fait état d’une réunion devant se tenir début janvier 2014 sur ce point.

Le 15 janvier 2014, la société SBSE a contesté cette réponse en indiquant : « nous sommes malheureusement dans l’impossibilité de faire valoir nos observations puisque ce courrier ne comporte aucune explication ni justification nous permettant de comprendre les raisons qui ont amené l’ESRF à écarter l’ensemble de nos arguments ».

L’ESRF allègue qu’il résulte des propres propos de la société SPSE qu’il ne s’agit pas d’un courrier d’observations, toutefois il résulte clairement de la procédure que ce courrier fait suite au courrier du 23 décembre 2013, et il ne saurait être reproché à la société SBSE de ne pas avoir formulé d’observations précises, sachant que le termes « d’observations » est employé, alors que le courrier du 23 décembre 2013 était particulièrement laconique, aucun détail n’étant fourni.

En conséquence, il doit être considéré comme un courrier d’observations,

En revanche, l’analyse du projet de décompte final montre que la somme de 892 399,25 euros HT est sollicitée, correspondant à des travaux complémentaires. Dès lors que les parties sont en désaccord sur la question de savoir si le maître d’ouvrage a ou non donné son accord, il appartient à la société

SBSE d’en rapporter la preuve, ce qu’elle ne fait pas.

La société SBSE énonce que l’absence d’accord le cas échéant n’empêche pas le paiement desdits travaux dans la mesure où leur importance a conduit à bouleverser l’économie du contrat, qu’en conséquence, l’article 1793 du code civil est inapplicable. Toutefois, compte tenu de l’ampleur des travaux litigieux, qui représentent environ 6 % du coût total du marché, la société SBSE ne rapporte pas une telle preuve, et il y a lieu d’appliquer l’article 1793 du code civil.

Or il résulte des termes de cet article repris par l’article 21.5.2.5 que la norme AFNOR à laquelle la société SBSE se réfère ne peut s’appliquer sur des travaux complémentaires non acceptés, qu’en l’espèce la société ESRF a contesté avoir commandé lesdits travaux. En l’absence d’autorisation écrite donnée par cette dernière et d’un prix convenu avec elle, étant observé que le marché a été conclu pour un marché global et forfaitaire, de telles sommes ne pouvaient figurer dans le projet de décompte final, et la lettre du 15 janvier 2014 n’appelait pas obligatoirement de réponse. La forclusion n’était pas encourue, le jugement déféré sera confirmé.

Sur la demande en paiement de la somme de 4 167 829, 51 euros TTC

Les parties se sont accordées sur les sommes suivantes :

— montant du marché : 1 525 0000 euros HT

— déduction avenant n°1 : -382 649,56 euros HT

— ordres de service 2, 5, 7 et 10 : 206 436,59 euros HT

— demande complémentaire pour décalage suite au retard lié à l’entreprise EMTE : 24 387,37 euros HT.

La preuve n’est pas rapportée par la société SBSE que les autres travaux supplémentaires ont été autorisés par la société ESRF, puisqu’il résulte au contraire du compte-rendu établi le 4 mars 2014 qu’à plusieurs reprises, le maître d’oeuvre a indiqué que la prestation était incluse dans le marché initial.

Le jugement sera infirmé en ce qu’il a retenu la somme de 203 436, 59 euros au lieu de 206 436, 59 euros.

S’agissant de la révision du prix, le premier juge, se fondant sur les dispositions de l’article 3.6 du contrat, a procédé à une exacte appréciation des sommes dues, la somme de 7 523,93 euros HT sera retenue.

En ce qui concerne les intérêts moratoires, alors que le premier juge avait relevé que la somme de 49 857,11 euros n’était pas explicitée, ni dans ses conclusions, ni dans une annexe 10 non produite, cette somme n’est pas davantage explicitée en cause d’appel et le jugement sera confirmé en ce qu’il a retenu la somme de 28 118,06 euros reconnue par la société ESRF.

Il n’y a pas lieu de faire application d’un taux majoré à 7, 04%, non prévu contractuellement.

Sur l’application des pénalités de retard

Selon l’article 564 du code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.

Selon l’article 565, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.

Selon l’article 566, les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

Même si la société ESRF n’a pas, dans ses conclusions devant le juge de première instance, évoqué la question des pénalités de retard, il ne peut être considéré qu’elle formule de nouvelles demandes, puisqu’elle se fonde sur l’existence de telles pénalités pour refuser de payer les sommes sollicitées par la société SBSE, refus déjà exprimé en première instance.

Sur le fond, ces pénalités sont justifiées au vu des pièces produites, le courrier du 13 décembre 2013 mentionnant expressément que l’ESRF a subi plus de 50 jours cumulés de retard.

La société SBSE déclare que les pénalités de retard étaient implicitement incluses dans les calculs de la société ESRF notifiant son projet de décompte général dans ses courriers des 13 et 23 décembre 2013 et que c’est le tribunal qui a implicitement et de manière erronée appliqué lesdites pénalités à la société SBSE en ne condamnant la société ESRF à ne lui verser que la somme de 42 681, 90 euros.

Toutefois, cette affirmation est démentie par l’analyse du jugement qui n’a jamais mentionné les pénalités de retard et qui a surtout, en l’absence de pièces justificatives, retenu les sommes sur lesquelles les parties étaient d’accord. Le tribunal n’a donc pas pris en compte dans son calcul.

Il sera en revanche relevé que dans son dispositif, la société ESRF ne demande pas de condamner la société SBSE à lui verser la somme de 1 519 437,55 euros au titre des pénalités de retard, mais demande seulement à ce que cette demande soit déclarée recevable et qu’il soit dit qu’elle était fondée à retenir ladite somme.

La société SBSE demande à bénéficier des dispositions prévues par l’article 1231-5 du code civil, mais elle ne démontre pas, compte tenu de l’importance du marché, en quoi les sommes sont excessives. Sa demande sera rejetée.

Sur les demandes reconventionnelles de la société ESRF tendant à voir condamner la société SBSE à lui payer la somme de 176 735,85 euros HT à titre de moins-values

La société ESRF sollicite le paiement de la somme de 176 735,85 euros HT à titre de moins-values, mais cette somme ne repose que sur un décompte établi de manière unilatérale par le maître d''uvre dans la pièce intitulée « analyse DGD SBSE » (pièce 31.2 ESRF).

Ce calcul n’est accompagné d’aucun justificatif, l’analyse des travaux dont il est allégué qu’ils n’ont pas été effectués n’ayant pas été effectuée par l’expert et il n’appartient pas à la cour de se livrer à une expertise technique et comptable des pièces produites.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande.

Sur la demande de dommages et intérêts

Au vu de ce qui précède, cette demande n’apparaît pas justifiée et sera rejetée.

Sur les autres demandes

Chacune des parties succombant partiellement à l’instance, il n’y a pas lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile et chacune conservera la charge de ses dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Déclare recevables les demandes formées par la société ESRF s’agissant des moins-values et des pénalités de retard,

Infirme le jugement déféré en ce qu’il a condamné la société ESRF à payer à la société SBSE la somme de 42 681, 90 euros HT au titre du solde restant dû concernant le contrat de marché de travaux n°649325 signé le 25 octobre 2011, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 14 mai 2014,

et statuant de nouveau,

Condamne la société ESRF à payer à la société SBSE la somme de 45 681, 90 euros HT au titre du solde restant dû concernant le contrat de marché de travaux n°649325 signé le 25 octobre 2011, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 14 mai 2014,

Dit que la société ESRF était fondée à retenir la somme de 1 519 437 euros HT au titre de pénalités de retard,

Confirme le jugement déféré pour le surplus,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

Dit n’y avoir lieu à l’application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,

Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens d’appel.

Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Arrêt signé par Mme Emmanuèle Cardona, Présidente de la deuxième chambre civile et par la Greffière Bertolo Caroline, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIERE, LA PRÉSIDENTE,

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code civil
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Cour d'appel de Grenoble, 2ème chambre, 21 septembre 2021, n° 19/00414