Cour d'appel de Grenoble, Chambre commerciale, 30 juin 2022, n° 21/00976

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Grenoble, ch. com., 30 juin 2022, n° 21/00976
Juridiction : Cour d'appel de Grenoble
Numéro(s) : 21/00976
Importance : Inédit
Décision précédente : Tribunal de commerce de Romans-sur-Isère, 19 janvier 2021, N° 2019J166
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Date de dernière mise à jour : 29 septembre 2022
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Sur les parties

Texte intégral

N° RG 21/00976 – N° Portalis DBVM-V-B7F-KYP2

C8

Minute N°

Copie exécutoire

délivrée le :

la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC

Me Géraldine MERLE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT DU JEUDI 30 JUIN 2022

Appel d’un jugement (N° RG 2019J166)

rendu par le Tribunal de Commerce de ROMANS SUR ISERE

en date du 20 janvier 2021

suivant déclaration d’appel du 23 février 2021

APPELANTES :

S.A.S. HUWER HOLDING

SAS au capital de 13 691 100 euros, inscrite au RCS de ROMANS sous le n° 811 920 198, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

9, place Jules Nadi

26100 ROMANS SUR ISERE

S.A.S. EXIMIUM

SAS au capital de 1 216 496 € inscrite au RCS de ROMANS sous le n° 378 555 619 représentée par son Président en exercice M.[S] [D],

9, Place Jules Nadi

26100 ROMANS SUR ISERE

représentées par Me Josette DAUPHIN de la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant, plaidant par Me Eric VACASSOULIS de la SELARL AEGIS AVOCATS, avocat au barreau de la DROME,

INTIMÉE :

S.A.R.L. [P] INVEST au capital de 10 000 euros, immatriculée au RCS de GRENOBLE sous le numéro 510 191 927, représentée par son gérant Mme [W] [P],

30 B Descente des Lônes le Creux

38840 SAINT HILAIRE DU ROSIER

représentée par Me Géraldine MERLE, avocat au barreau de la DROME, postulant, plaidant par Me Martin JANNEAU du cabinet INLAW AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, substitué par Me BODIER, avocat au barreau de PARIS,

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Marie-Pierre FIGUET, Président,

Mme Marie-Pascale BLANCHARD, Conseillère,

M. Lionel BRUNO, Conseiller,

Assistés lors des débats de Madame Sarah DJABLI, Greffier placé.

DÉBATS :

A l’audience publique du 13 avril 2022, Mme FIGUET, Présidente, a été entendue en son rapport,

Les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries,

Puis l’affaire a été mise en délibéré pour que l’arrêt soit rendu ce jour, après prorogation du délibéré

Exposé du litige :

La société EXIMIUM gère de nombreux investissements dans le cadre d’une politique de diversification d’actifs.

La société [P] INVEST exerce une activité de société dite « Holding » spécialisée dans la détention de participations dans d’autres sociétés.

En 2015, Monsieur [B] [K] et Madame [W] [P], associés de la société [P] INVEST, sont entrés en contact avec la société EXIMIUM pour évoquer la reprise de la société HUWER spécialisée dans la fabrication de l’équipement des véhicules dédiés à l’assainissement des réseaux qui se trouvait en difficulté puisque faisant l’objet d’une procédure de redressement judiciaire ouverte près le tribunal de commerce d’Arras.

Le 26 mai 2015, en vue de la reprise de la société HUWER, a été constituée la société HUWER HOLDING dont le capital a été réparti par moitié entre ses deux associés, la société EXIMIUM et la société [P] INVEST. La société EXIMIUM a été nommée présidente de la société, la société [P] INVEST et Monsieur [B] [K] ont été nommés directeurs généraux. Madame [W] [P] exerçait les fonctions de directrice commerciale.

Le 1er juillet 2015, un contrat de prestation de service portant sur une activité de conseil et de prestation de services en stratégie, management, organisation, commerce, marketing, communication, investissement et développement économique a été conclue entre la société [P] INVEST (prestataire) et la société HUWER HOLDING (bénéficiaire) moyennant un prix pour l’année 2015 de 122.000 € HT puis sur une base annuelle de 240.000 € HT.

Le 21 décembre 2017, la société HUWER HOLDING a acquis les actions d’une société concurrente, la société HYDROVIDE. Madame [W] [P] a été nommée présidente de cette société et Monsieur [B] [K], directeur général.

Par décision du 11 décembre 2018, compte tenu des pertes des exercices antérieurs et des pertes de l’exercice clos au 31 décembre 2017 faisant apparaître un total de perte de 5.194.572 € et des capitaux propres négatifs de 5.135.124 €, il a été décidé une restructuration du capital qui s’est faite par incorporation des créances de compte courant que détenait la société EXIMIUM sur la société HUWER HOLDING.

Le 11 janvier 2019, la société [P] INVEST et Monsieur [K] ont démissionné des fonctions qu’ils occupaient au sein de la société HUWER HOLDING.

Parallèlement, il a été mis fin à la convention de prestations et d’assistance entre les parties signée le 1er juillet 2015.

Par acte d’huissier en date du 20 mai 2019, les sociétés HUWER HOLDING et EXIMIUM ont assigné la société [P] INVEST aux fins de voir engager sa responsabilité contractuelle à l’égard de HUWER HOLDING et de la condamner à régler la somme de 1.500.000 € à titre de dommages et intérêts du fait de la perte subie au titre de l’opération HYDROVIDE, de voir engager sa responsabilité délictuelle à l’égard de la société EXIMIUM et de la condamner à régler la somme de 600.000 € à titre de dommages et intérêts au titre de la perte d’une chance de mieux investir ses capitaux.

Le tribunal de commerce de Romans sur Isère, par jugement du 20 janvier 2021, a :

— débouté la société HUWER HOLDING de sa demande à l’encontre de la société [P] INVEST, à hauteur de 1.500.000 €, à titre de dommages et intérêts du fait de la perte subie au titre de l’opération HYDROVIDE à hauteur de sa participation de 50 % ;

— débouté la société EXIMIUM de sa demande à l’encontre de la société [P] INVEST, à hauteur de 600.000 € au titre de dommages et intérêts pour perte d’une chance de mieux investir ses capitaux ;

— dit non fondé l’ensemble des demandes reconventionnelles de la société [P] INVEST à l’encontre des sociétés HUWER HOLDING et EXIMIUM, au titre du préjudice moral subi suite à l’inexécution des prestations contractuelles et des actes de dénigrement ;

— dit qu’il n’y a pas lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile ;

— dit la demande d’exécution provisoire sans objet ;

— liquidé les dépens visés à l’article 701 du code de procédure civile à la somme de 78,62 € hors taxe et de 15,72 € de TVA soit la somme de 94,34 € TTC pour être mis à la charge commune des sociétés HUWER HOLDING et EXIMIUM.

Par déclaration du 23 février 2021, la société HUWER HOLDING et la société EXIMIUM ont interjeté appel du jugement du 20 janvier 2021 en ce qu’il a :

— débouté la société HUWER HOLDING de sa demande à l’encontre de la société [P] INVEST à hauteur de 1.500.000 € au titre de dommages et intérêts du fait de la perte subie au titre de l’opération HYDROVIDE à hauteur de sa participation de 50 % ;

— débouté la société EXIMIUM de sa demande à l’encontre de la société [P] INVEST à hauteur de 600.000 € au titre de dommages et intérêts pour perte d’une chance de mieux investir ses capitaux ;

— omis de statuer sur la demande de la société EXIMIUM de voir condamner la société [P] INVEST à lui payer la somme de 100.000 € à titre de dommages et intérêts pour réparation de son préjudice d’image ;

— dit qu’il n’y a pas lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile.

Prétentions et moyens de la société EXIMIUM et la société HUWER HOLDING

Dans leurs dernières conclusions déposées le 21 mai 2021, la société EXIMIUM et la société HUWER HOLDING demandent à la cour de :

— dire l’appel de la SAS HUWER HOLDING recevable et bien fondé ;

— dire l’appel de la SAS EXIMIUM recevable et bien fondé ;

— réformer partiellement la décision déférée en ce qu’elle a :

odébouté la société HUWER HOLDING de sa demande à l’encontre de la société [P] INVEST, à hauteur de 1.500.000 €, au titre de dommages et intérêts du fait de la perte subie au titre de l’opération HYDROVIDE à hauteur de sa participation de 50 % ;

odébouté la société EXIMIUM de sa demande à l’encontre de la société [P] INVEST, à hauteur de 600.000 € au titre de dommages et intérêts pour perte d’une chance de mieux investir ses capitaux ;

oomis de statuer sur la demande de la société EXIMIUM à l’encontre de la société [P] INVEST, à hauteur de 100.000 € au titre de dommages et intérêts pour réparation de son préjudice d’image ;

odit n’y avoir pas lieu de faire application de l’article 700 du Code de procédure civile et des dépens

Statuant à nouveau,

— dire que la société [P] INVEST a engagé sa responsabilité contractuelle à l’égard de la société HUWER HOLDING ;

— condamner la société [P] INVEST à payer à la société HUWER HOLDING la somme de 1.500.000 € à titre de dommages et intérêts ;

— dire que la société [P] INVEST a engagé sa responsabilité délictuelle à l’égard de la société EXIMIUM ;

— condamner la société [P] INVEST à payer à la société EXIMIUM la somme de 600.000 € à titre de dommages et intérêts pour perte d’une chance de mieux investir ses capitaux ;

— condamner la même à payer à la société EXIMIUM la somme de 100.000 € à titre de dommages et intérêts pour réparation de son préjudice d’image ;

— condamner la société [P] INVEST à payer à la société EXIMIUM et à la société HUWER HOLDING à titre de contribution aux frais irrépétibles occasionnés tant par la première instance que par l’instance d’appel une somme de 10.000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et laisser à sa charge tous les dépens tant au titre de première instance que de l’instance d’appel, et la condamner à leur paiement en tant que de besoin ;

— la confirmer pour le surplus en ce qu’elle a débouté la société [P] INVEST de l’intégralité de ses demandes.

La société EXIMIUM et la société HUWER HOLDING font valoir :

— que lorsque l’obligation de conseiller et de renseigner est l’obligation principale, le professionnel spécialiste doit, malgré la compétence du client, établir qu’il a exécuté correctement son obligation,

— que la société [P] INVEST n’a pas émis la moindre mise en garde, ni la moindre réserve sur le fait que l’équilibre de la société HUWER HOLDING n’était pas atteint au 4ème trimestre 2017 et que les perspectives n’étaient pas positives pour 2018 ce qui a conduit la société HUWER HOLDING à conclure une opération, à savoir l’acquisition de la société HYDROVIDE, qui n’a fait qu’accroître son endettement,

— que le document intitulé « Etat de notre réflexion » versé par la société [P] INVEST est établi sur papier libre et n’émane pas de la société [P] INVEST, qu’il n’est pas justifié de sa transmission, que ce document ne mentionne pas que la société HYDROVIDE n’allait pas bien et ne contient aucune réserve sur la capacité de la société HUWER HOLDING à investir,

— que la société [P] INVEST a gravement manqué à ses obligations d’assistance et de conseil,

— qu’en outre, la société HUWER HOLDING peut douter des bonnes intentions de la société [P] INVEST à son égard dès lors que sa gérante, Madame [W] [P], a dû être licenciée pour une tentative de concurrence déloyale et de débauchage de personnel

— qu’il n’y a pas de lien entre la mise en place eu cours de l’année 2017 d’un outil de gestion de production ayant généré un écart sur plusieurs milliers d’euros et l’acquisition de la société HYDROVIDE ayant généré des pertes de plusieurs millions d’euros,

— que le fait que la société HUWER HOLDING a fait réaliser un audit général et que le pouvoir de décision n’appartenait pas à la société [P] INVEST ne sont pas de nature à exonérer l’intimée de sa propre responsabilité,

— que par ailleurs, le manquement de la société [P] INVEST à ses obligations a conduit la société EXIMIUM à soutenir en pure perte la société HUWER HOLDING et à subir les pertes laissées par la société HYDROVIDE,

— que la société EXIMIUM a été privée d’une chance de mieux utiliser les fonds investis et que son image a été ternie puisqu’elle se trouve engagée dans une opération qui affiche des résultats calamiteux.

En réponse à leurs prétendus manquements allégués par la société [P] INVEST, elles rétorquent que s’agissant de la modification du paramétrage de consommation de composants à l’occasion de la mise en place d’un nouvel outil de gestion CEGID, la société [P] INVEST animée par Madame [P] et Monsieur [K], en avait connaissance de par ses fonctions et aurait dû s’en préoccuper, que surtout, il n’y a pas de lien avec les manquements reprochés à la société [P] INVEST.

Elles relèvent enfin que la société [P] INVEST ne justifie pas des actes de dénigrement que les sociétés HUWER HOLDING et EXIMIUM lui auraient fait subir.

Prétentions et moyens de la société [P] INVEST

Dans ses conclusions récapitulatives déposées le 1er septembre 2021, la société [P] INVEST demande à la cour de :

— Réformer le jugement déféré en ce qu’il a :

odébouté la société [P] INVEST de sa demande de dommages et intérêts à l’encontre de la société HUWER HOLDING à hauteur de 25.000 € en réparation du préjudice moral qu’elle a subi du fait de l’inexécution des prestations contractuelles,

odébouté la société [P] INVEST de sa demande de condamnation de la société HUWER HOLDING à la relever de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son égard,

odébouté la société [P] INVEST de sa demande de dommages et intérêts à l’encontre de la société HUWER HOLDING à hauteur de 25.000 € en réparation du préjudice moral qu’elle a subi du fait du dénigrement opéré à son encontre,

odébouté la société [P] INVEST de sa demande de dommages et intérêts à l’encontre de la société EXIMIUM à hauteur de 25.000 € en réparation du préjudice moral qu’elle a subi du fait de l’inexécution des prestations contractuelles,

odébouté la société [P] INVEST de sa demande de dommages et intérêts à l’encontre de la société EXIMIUM à hauteur de 25.000 € en réparation du préjudice moral qu’elle a subi du fait du dénigrement opéré à son encontre,

odit qu’il n’y a pas lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau,

— déclarer que la société HUWER HOLDING a manqué à ses obligations contractuelles au terme du contrat de prestation de services conclu avec la société [P] INVEST le 1er juillet 2015 ;

— déclarer que la société HUWER HOLDING a commis des actes de dénigrement à l’égard de la société [P] INVEST ;

— déclarer que la société EXIMIUM a manqué à ses obligations contractuelles au terme des contrats de prestations de services conclus les 1er juillet 2015 et 1er juillet 2017 ;

— déclarer que la société EXIMIUM a commis des actes de dénigrement à l’égard de la société [P] INVEST

— condamner la société HUWER HOLDING à payer à la société [P] INVEST la somme de 25.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral qu’elle a subi du fait de l’inexécution des prestations contractuelles résultant du contrat de prestation ;

— condamner la société HUWER HOLDING à relever et à garantir la société [P] INVEST de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son égard ;

— condamner la société HUWER HOLDING à payer à la société [P] INVEST la somme de 25.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral qu’elle a subi du fait des actes de dénigrement ;

— condamner la société EXIMIUM à payer à la société [P] INVEST la somme de 25.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice

moral qu’elle a subi du fait de l’inexécution de ses prestations contractuelles résultant du contrat de prestation ;

— condamner la société EXIMIUM à payer à la société [P] INVEST la somme de 25.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral qu’elle a subi au titre des actes de dénigrement ;

— condamner la société HUWER HOLDING à payer à la société [P] INVEST la somme de 8.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamner la société EXIMIUM à payer à la société [P] INVEST la somme de 8.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamner la société HUWER HOLDING et la société EXIMIUM aux entiers dépens de la présente instance

La société [P] INVEST fait valoir :

— que la société [P] INVEST était tenue d’une obligation de moyen et non pas de résultat ainsi que cela ressort de façon explicite des termes du contrat,

— qu’il appartient donc à la société HUWER HOLDING de justifier l’existence d’une faute de la société [P] INVEST ce qu’elle ne fait pas,

— que c’est l’absence de communication des sociétés EXIMIUM et HUWER HOLDING qui ont empêché la société [P] INVEST de faire une juste appréciation des résultats de la société,

— qu’en effet, l’appréciation de la société [P] INVEST sur les résultats de la société HUWER HOLDING a été faussée par la mise en place d’un nouvel outil de la gestion de la production qui a fait diminuer le stock de plusieurs milliers d’euros alors que les prévisions de novembre 2017 donnaient à penser à un stock plus important ce qui a eu pour conséquence une réduction du résultat, modification dont elle n’a pas été informée,

— que sa responsabilité ne peut donc être engagée alors que les sociétés HUWER HOLDING et EXIMIUM lui ont caché des informations,

— que la société HUWER HOLDING était la plus à même de se rendre compte de sa propre situation et donc de l’opportunité d’investir dans la société HYDROVIDE, étant relevé que la gestion financière n’entrait pas dans la mission de la société [P] INVEST,

— que dans une note intitulée « Etat de notre réflexion », la société [P] INVEST a mis en garde la société HUWER HOLDING des risques afférents à l’acquisition de la société HYDROVIDE, ce document étant présenté à la société HUWER HOLDING lors d’une réunion physique en présence de la société EXIMIUM,

— que la société HUWER HOLDING est un professionnel averti en matière d’investissement, qu’elle était en mesure de connaître parfaitement sa situation financière et avait pleinement connaissance de la situation de la société HYDROVIDE par le biais d’audits réalisées par le cabinet FIDAL et le cabinet ADVANCE, et ainsi que le révèle sa lettre d’intérêt du 15 novembre 2017 à l’ancien propriétaire d’HYDROVIDE,

— que curieusement, les appelantes tiennent uniquement pour responsable des résultats négatifs la société [P] INVEST alors que plusieurs sociétés du groupe HUWER dans lesquelles la société [P] INVEST n’exerce aucune mission de conseil ou de gestion affichent également des résultats négatifs et alors qu’une société dirigée par Madame [P] affiche un résultat positif,

— que les appelantes poursuivent le développement du groupe HUWER sur la base de chantiers mis en place par la société [P] INVEST et ne peuvent ainsi sans se contredire remettre en cause la qualité de ses conseils,

— que le préjudice allégué par la société HUWER HOLDING est inexistant et non sérieusement justifié,

— qu’il n’est pas cohérent de solliciter 50% des pertes de la société HYDROVIDE d’un montant de 3.081.854 € alors même que la société EXIMIUM possède la quasi totalité des titres de la société HUWER HOLDING, que tout au plus le dommage réclamé peut l’être en raison d’un manquement de

la société [P] INVEST à ses obligations contractuelles lequel n’est pas démontré, et non pas en sa simple qualité d’associé,

— qu’au demeurant, l’investissement de la société HUWER HOLDING au sein de la société HYDROVIDE n’est pas un mauvais investissement puisqu’un groupe comme le groupe ORTEC serait intéressé pour l’acquérir,

— que s’agissant de la demande de la société EXIMIUM, celle-ci bénéficie d’une grande expérience dans le domaine de l’investissement, que sa qualité de professionnelle avertie dans le domaine de l’investissement résulte notamment de ses échanges de mails, du rapprochement envisagé avec le groupe ORTEC et de la reconnaissance de ses pairs,

— que la société EXIMIUM, présidente de la société HUWER HOLDING, en charge de la gestion des finances, disposait de toutes les informations nécessaires sur l’état financier de la société HUWER HOLDING et en sa qualité de professionnelle avertie, était pleinement en mesure d’apprécier la situation financière de la société HYDROVIDE, qu’elle a d’ailleurs assisté seule à certaines réunions avec les vendeurs de la société HYDROVIDE et a pris seule la direction des opérations d’acquisition,

— que l’investissement réalisé n’a pas été à perte puisqu’il a permis l’acquisition indirecte d’autres titres de sociétés générant des bénéfices,

— que la société EXIMIUM ne justifie pas du quatum sollicité,

— qu’elle ne démontre pas la réalité de la dégradation de son image, qu’au contraire, les rapprochements envisagés avec d’autres groupes ne témoignent pas d’une image écornie,

— que par ailleurs, la société HUWER HOLDING est mal fondée à reprocher une prétendue activité concurrente alors qu’elle a toujours toléré une telle activité et, qu’aucune clause de non-concurrence ne figure aux contrats de travail ou au contrat de prestation,

Sur ses demandes reconventionnelles, la société [P] INVEST relève :

— que la rétention d’informations détenues par les sociétés HUWER HOLDING et EXIMIUM a causé à la société [P] INVEST un préjudice moral ;

— que les compétences de la société [P] INVEST ont été remises en cause par la société HUWER HOLDING devant ses clients en visant notamment ses associés, Madame [P] et Monsieur [K], en les accusant de concurrence déloyale et en les licenciant, constituant de fait un dénigrement à son encontre,

— qu’en ne fournissant pas des informations cruciales à la société [P] INVEST dans le cadre de sa mission, la société EXIMIUM a privé celle-ci des moyens nécessaires pour réaliser sa mission de conseil,

— que cela a porté atteinte à la société [P] INVEST, en sa qualité d’associé, dans l’appréciation et l’orientation des investissements qu’elle pouvait effectuer au travers de la société HUWER HOLDING.

Pour le surplus des demandes et des moyens développés, il convient de se reporter aux dernières écritures des parties en application de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 10 février 2022.

Motifs de la décision :

1) Sur la demande de la société HUWER HOLDING

En application de l’article 1134 du code civil dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites, elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, pour les causes que la loi autorise, elles doivent être exécutées de bonne foi.

L’article 1147 dispose: « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part. »

Aux termes du contrat signé le 1er juillet 2015 entre les parties, la société [P] INVEST s’est engagée à exécuter auprès de la société HUWER HOLDING une mission de conseil et de prestations de service en stratégie, management, organisation, commerce, marketing, communication, investissement et développement économique en France et à l’international. La convention a stipulé que les obligations souscrites par la société [P] INVEST sont considérées comme des obligations de moyens.

L’obligation de conseil est donc l’obligation principale du contrat et se trouve qualifiée par les parties comme étant une obligation de moyens.

Non tenue d’une obligation de résultat dans sa mission de conseil, la société [P] INVEST n’est pas tenue de garantir la bonne réussite de la stratégie ou de l’investissement préconisé. Elle ne doit répondre que de sa faute dans l’exercice de ses conseils.

En l’espèce, s’agissant des conseils dispensés, la société [P] INVEST produit une note intitulée « Etat de notre réflexion ». La société HUWER HOLDING ne peut sérieusement soutenir que cette note n’émane pas de la société [P] INVEST pour avoir été rédigée par [W] [P] et [B] [K] alors que ces personnes sont les associés de la société [P] INVEST.

Si la société [P] INVEST indique dans sa note qu’un rapprochement des deux entités (HUWER – HYDROVIDE) permettrait de faire gagner du temps aux deux et constituerait un « goodwill » au regard du marché de l’assainissement, elle fait néanmoins apparaître les faiblesses d’HYDROVIDE et liste les risques du scénario (mener une nouvelle restructuration, ne pas arriver à se positionner au niveau Groupe, Cash nécessaire). Elle souligne que la société HYDROVIDE n’a pas réussi à se vendre à un autre constructeur français ou étranger et s’interroge sur les raisons d’une telle absence de vente (raisons financières – SAV insuffisant – prix sollicité trop important). Elle questionne sur la situation financière exacte de la société en indiquant que HYDROVIDE ne va pas très bien même si elle considère que sa situation doit être moins dégradée que celle de HUWER, la précédente acquisition, qui faisait l’objet d’un redressement judiciaire. Elle conclut à la nécessité d’avoir un maximum d’éléments rapidement afin de dégager des scenaris au plus vite pour estimer le Goodwill.

Par ailleurs, lorsque [B] [K] transmet par courriel du 15 novembre 2017 un document intitulé Projet 2 H en indiquant avoir remis à jour les esquisses financières sur la base du budget 2018 d’Hydrovide, il mentionne avoir tout de même « un peu de doutes sur leurs chiffres ». Par ailleurs, si ce document présente l’option hydrovide comme un levier de croissance dans une logique industrielle, il fait aussi état de la nécessité d’une recapitalisation de trésorerie à définir selon les comptes HYDROVIDE et d’un coût de restructuration.

La société [P] INVEST a donc informé la société HUWER HOLDING des risques et faiblesses du projet.

La société HUWER HOLDING reproche à la société [P] INVEST de n’avoir pas émis une mise en garde sur le fait que l’équilibre de HUWER n’était pas atteint au 4ème trimestre 2017 et que les perspectives n’étaient pas positives pour 2018.

Toutefois, il ressort du contrat de prestations et d’assistance conclu le 1er juillet 2017 et reprenant des contrats signés le 1er juillet 2015 que les missions de contrôle de gestion (reporting financier, business intelligence, contrôle interne), de gestion des ressources humaines et de gestion des systèmes d’information concernant le groupe HUWER (sociétés HUWER HOLDING, HUWER ASSAINISSEMENT et HUWER SERVICES) ont été confiées à la société EXIMIUM, par ailleurs présidente de la société HUWER HOLDING.

La société HUWER HOLDING, par l’intermédiaire de son président la société EXIMIUM, était donc la mieux à même de connaître la situation financière de HOOVER d’autant qu’il n’est pas contesté que des informations sur la gestion d’un outil de production n’ont pas été communiquées à la société [P] INVEST par la société HUWER HOLDING par l’intermédiaire de son président, la société EXIMIUM.

Il résulte donc des éléments précédents comme relevé justement par le tribunal que la société [P] INVEST était chargée de donner la vision du marché chargée dans lequel s’inscrivait l’activité de HYDROVIDE, les finances relevant des missions de EXIMIUM.

Ainsi que résultant de la note transmise et des courriers adressés les 15 et 20 novembre 2017, la société EXIMIUM était chargée de la négociation directe.

Après communication des informations par la société [P] INVEST sur le projet HYDROVID soulignant notamment la nécessité de recueillir d’autres éléments, le cabinet GRANT THORTON a été missionné et son rapport prévoyait un résultat déficitaire de 1,5 millions d’euros pour 2018. Il a été aussi procédé à un audit des comptes sociaux de la société HYDROVIDE par le cabinet FIDAL.

Il n’est pas caractérisé un manquement fautif de la société [P] INVEST dans l’exécution de son obligation de conseil résultant du contrat du 1er juillet 2015.

La cour relève comme l’a fait le tribunal que la société HUWER HOLDING est présidée par la société EXIMIUM qui se présente comme spécialisée dans la stratégie d’investissement orientée vers les PME et un investisseur de long terme. Son site internet la présente comme une holding d’investissement qui a gardé sa culture entrepreunariale par des prises de participations tantôt majoritaires, tantôt minoritaires tout en développant des activités financières. C’est donc un spécialiste de l’investissement.

Compte tenu des éléments précédemment exposés, la société HUWER HOLDING disposait des informations nécessaires pour apprécier les risques liés à l’acquisition de la société HYDROVIDE.

Elle était informée de la situation financière délicate de cette société, étant observé qu’elle avait déjà par le passé procédé à une acquisition d’une société en redressement judiciaire.

La défaillance de la société [P] INVEST n’étant pas démontrée, il convient de confirmer le jugement du 20 janvier 2021 en ce qu’il a débouté la société HUWER HOLDING de sa demande de dommages et intérêts.

2) Sur les demandes de la société EXIMIUM

Au vu des éléments exposés précédemment et des motifs pertinents du tribunal que la cour adopte, le jugement doit être confirmé en ce qu’il a débouté la société EXIMIUM de ses demandes. Y ajoutant, le tribunal n’ayant pas statué sur cette demande, la société EXIMIUM sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts au titre de son préjudice d’image en l’absence de faute de la société [P] INVEST.

3) Sur les demandes de la société [P] INVEST

Elle considère que l’absence de communication relative au nouveau paramétrage du mode de consommation des composants sur les OF constitue une atteinte à sa réputation.

Toutefois, cette seule absence de communication ne permet pas de caractériser une atteinte à la réputation de la société [P] INVEST d’autant que sa responsabilité n’a pas été retenue au titre de sa mission.

S’agissant du dénigrement allégué, le mail du 11 décembre 2018 de Monsieur [D], président du conseil de surveillance de la société EXIMIUM, dans lequel il indique avoir « l’impression d’être le dindon de la farce », ne permet pas de caractériser ce dénigrement.

Pour ce qui est du communiqué du groupe HUWER faisant état de la révocation de madame [P] et de monsieur [K] pour avoir commis des actes déloyaux à des fins personnelles, il n’est pas justifié du préjudice de la société [P] INVEST en relation avec ces faits.

Par ailleurs, si dans le corps de ses conclusions, la société [P] INVEST fait état de la perte de chance de mieux orienter ses investissements, cette demande n’est pas reprise dans le dispositif de ses conclusions.

Il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la société [P] INVEST de ses demandes reconventionnelles à l’encontre de la société HUWER HOLDING et la société EXIMIUM.

4) Sur les mesures accessoires

Les sociétés HUWER HOLDING et EXIMIUM qui succombent dans leur appel seront condamnés aux dépens d’appel et à payer la somme de 5.000 € à la société [P] INVEST sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 21 janvier 2021 par le tribunal de commerce de Romans sur Isère.

Y ajoutant,

Déboute la société EXIMIUM de sa demande de dommages et intérêts au titre de son préjudice d’image.

Condamne la société HUWER HOLDING et la société EXIMIUM aux entiers dépens d’appel.

Condamne la société HUWER HOLDING et la société EXIMIUM à payer la somme de 5.000 € à la société [P] INVEST sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

SIGNÉ par Mme FIGUET, Présidente et par Mme RICHET, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La GreffièreLa Présidente

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code civil
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Cour d'appel de Grenoble, Chambre commerciale, 30 juin 2022, n° 21/00976