Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale b, 16 décembre 2016, n° 15/06003

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Lyon, ch. soc. b, 16 déc. 2016, n° 15/06003
Juridiction : Cour d'appel de Lyon
Numéro(s) : 15/06003
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Lyon, 24 juin 2015, N° F12/04407
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

AFFAIRE PRUD’HOMALE

RAPPORTEUR

R.G : 15/06003

X

C/

Etablissement Public LADOM

APPEL D’UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de
LYON

du 25 Juin 2015

RG : F 12/04407

COUR D’APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE B

ARRÊT DU 16 DECEMBRE 2016

APPELANTE :

Y X

née le XXX à XXX)

XXX

XXX

Non comparante, représentée par Me Georges MEYER de la SELARL DELGADO & MEYER, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

Établissement public administratif LADOM (L’AGENCE DE
L’OUTRE-MER POUR LA
MOBILITÉ) venant au droit de la SA
Ladom

XXX

XXX

Représentée par Me Benjamine FIELDER, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Maxime
BAILLY, avocat au barreau de PARIS

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 19 Octobre 2016

Présidée par Chantal THEUREY-PARISOT, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des

parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Gaétan PILLIE, Greffier.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

— Didier JOLY, conseiller faisant fonction de président

— Natacha LAVILLE, conseiller

— Chantal THEUREY-PARISOT, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 16 Décembre 2016 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Didier JOLY, conseiller faisant fonction de président et par Gaétan PILLIE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Madame Y X a été engagée à compter du 1er septembre 2008 pour une durée indéterminée par contrat de travail du 8 août 2008 en qualité de Déléguée Régionale à la
Délégation de Lyon par l’Agence Nationale pour l’Insertion et la Promotion des
Travailleurs d’Outre-Mer devenue L’AGENCE DE L’OUTRE-MER POUR LA MOBILITÉ (LADOM), établissement public administratif placé sous la tutelle conjointe du
Ministère de l’Outre-Mer et du Ministère du Budget, qui a pour mission première la qualification, la professionnalisation et l’inclusion dans l’emploi des originaires et résidents d’Outre-Mer au travers de parcours en mobilité. Elle emploie 156 salariés à temps plein répartis entre le siège et les 11 délégations régionales, dont celle de Lyon qui comprenait quatre conseillers en insertion professionnelle (CIP) et une secrétaire.

Au cours des trois derniers mois de la relation de travail, elle a perçu une rémunération mensuelle brute moyenne de 3.844,78 .

Il lui appartenait notamment de diriger et animer la délégation en assurant une mission de formation et d’insertion professionnelle des travailleurs de l’outre-mer, ainsi que la gestion de leur mobilité au travers d’un dispositif dit « passeport mobilité » permettant la prise en charge des frais de transport.
Elle précise qu’en mai 2009 les missions de LADOM ont été étendues et que son budget global a très fortement augmenté, ce qui a conduit les financeurs à exiger une plus grande transparence sur l’emploi des fonds publics et un retour sur l’efficacité des actions engagées.

Au mois d’août 2010, Madame X a été invitée à améliorer la productivité et les résultats de sa délégation tout en intégrant, en plus des régions Rhône-Alpes et Auvergne, la gestion de la région
Bourgogne. Le bilan de son activité à la fin de l’année 2010 révèle cependant que, conformément aux impératifs de la direction, les objectifs avaient été globalement atteints, voire dépassés, et que la progression se redressait nettement. Elle faisait cependant état des fortes inquiétudes des conseillers d’insertion et insistait sur la nécessité d’une formation professionnelle pour les accompagner dans la mise en 'uvre des nouvelles orientations.

Elle prétend encore que sur l’année 2011, la délégation lyonnaise a poursuivi son développement en augmentant sa production de 45 %, sans moyens supplémentaires, conduisant les conseillers

d’insertion à des situations de stress liées à l’évolution des méthodes de travail.

La Direction de LADOM soutient pour sa part que, contrairement à ses affirmations, les salariés des différents délégations, dont les conseillers d’insertion, se sont adaptés aux nouvelles méthodes de travail et notamment la recherche active de partenariats au lieu d’une simple prise de demandes, au travail en réseau, ainsi qu’à la mise en place d’outils de contrôle et de suivi.

Le 14 décembre 2011 une grave altercation est intervenue entre Madame X et Monsieur Z, l’un des conseillers d’insertion de la délégation lyonnaise, qui s’en est pris violemment à elle en se montrant agressif, de sorte que la déléguée régionale, qui ne s’est plus sentie en sécurité sur son lieu de travail, a exercé son droit de retrait en reprenant toutefois ensuite rapidement son poste.

A la suite de cet incident, Monsieur Z a fait l’objet d’un blâme et une aide à la gestion du personnel a été apportée à Madame X à partir du mois de février 2012 par le biais du cabinet spécialisé MBC, en la personne de Madame A, notamment en vue de permettre une meilleure collaboration entre les membres de son équipe dans un contexte de changements.

Le rapport de ce cabinet, faisant la synthèse des entretiens individuels conduits le 5 juin 2012 à la délégation de Lyon, a toutefois mis en évidence une

« pression »

ressentie par tous les agents, un

contrôle et un

« reporting »

considérés excessifs, des changements organisationnels connus mais pas

nécessairement intégrés ou acceptés, un réel intérêt porté par les agents à leur travail qui peuvent l’effectuer dans de très bonnes conditions avec un grand professionnalisme, mais une rupture du dialogue entre la cadre et certains membres de l’équipe, la cadre étant perçue comme

« peu constante »

avec des réactions de colère disproportionnée et imprévisible et prenant souvent une

« posture de

maîtresse d’école »

, exerçant trop de contrôle et manquant de souplesse, l’unanimité des agents ne se

sentant plus en confiance et ayant peur face à ses réactions d’autorité non adaptée, de sorte que le climat s’est très vite dégradé et la situation

« enkystée »

.

Parallèlement, l’enquête menée par le
Comité d’Hygiène et de Sécurité et des
Conditions de Travail (CHSCT) de LADOM a permis de constater un état de

« souffrance »

générale et généralisée, des

tensions entre l’équipe et le manager, une dégradation des relations et des conditions de travail des salariés depuis plus de six mois accentuée depuis les dernières altercations, tenant à un management directif où la prise d’initiative et l’autonomie sont exclus, le stress de la déléguée régionale impactant les conditions de travail de ses salariés, et la situations de deux personnes sous forte pression et en état de détresse psychologique suite aux agissements de la déléguée régionale.

Se disant dès lors soucieuse de préserver la santé et la sécurité des salariés, la Direction de LADOM a pris l’initiative d’engager une procédure pouvant conduire à un éventuel licenciement en convoquant Madame X le 4 juillet 2012 à un entretien préalable fixé au 13 juillet.

Madame X, qui se trouvait en arrêt de travail depuis le mois de juin mais n’avait produit aucun avis d’arrêt de travail couvrant cette date, ne s’est pas rendue à cet entretien qui n’a pas été reporté comme elle l’avait demandé. Elle a ensuite été licenciée par lettre recommandée avec accusé de réception du 18 juillet 2012 pour le motif ainsi énoncé :

« En dépit de votre expérience confirmée dans la formation professionnelle et l’insertion de demandeurs d’emploi et l’encadrement, la délégation régionale que vous dirigez rencontre des difficultés de fonctionnement.

Ces difficultés, les plaintes des salariés de votre équipe et la procédure de retrait que vous avez vous-même adoptée en réaction à un incident vous opposant à un salarié, ont amené le CHSCT à diligenter une enquête afin de recueillir les observations et témoignages du personnel concerné.

Celle-ci met en évidence un état de souffrance au travail généralisé.

Aux dires des salariés, celui-ci provient de tensions entre l’équipe et la direction aboutissant à des altercations et à une dégradation des relations et des conditions de travail.

Il vous est reproché un management trop directif et l’usage de pressions psychologiques délétères.

Vous vous employez à isoler les salariés en entravant les moments de communication informels (pauses-café, déjeuner en commun').

Vos collègues déplorent des erreurs d’organisation du travail d’équipe, une gestion inappropriée des priorités mais aussi votre comportement, devenant vite agressif ou excessivement stressant et désobligeant lorsque vous êtes confrontée à une situation caractérisant votre incompétence ou vos défaillances.

Ainsi votre comportement professionnel et personnel inadapté porte atteinte à la cohésion et à la bonne marche du service et se trouve être une source de souffrance au travail exprimé par la quasi totalité de vos subordonnés.

Il se révèle donc incompatible avec la poursuite de votre collaboration.

La première présentation de ce courrier par les services postaux marque le point de départ de votre préavis de trois mois’ ».

Madame X a contesté le bien-fondé de la rupture de son contrat de travail en saisissant le 21 novembre 2012 la juridiction prud’homale de demandes tendant à voir condamner L’AGENCE
DE L’OUTRE-MER POUR LA MOBILITÉ (LADOM) à lui payer les sommes de 51.678,90 correspondant à quinze mois de salaire à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre un reliquat de l’indemnité de préavis et une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

LADOM s’est opposée à sa demande.

Par jugement rendu le 25 juin 2015, le conseil de prud’hommes de Lyon, section encadrement, a :

Dit et jugé que le licenciement de Madame X est bien fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

Débouté Madame X de sa demande à ce titre ;

Dit et jugé que Madame X a été régulièrement réglée de ses droits relatifs au préavis;

Débouté Madame X de sa demande à ce titre ;

Débouté Madame X de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile;

Condamné Madame X aux éventuels dépens.

Par lettre recommandée en date du 22 juillet 2015 enregistrée au greffe le lendemain, Madame X a régulièrement interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 29 juin 2015.
Elle en demande l’infirmation par la cour en reprenant oralement à l’audience du 19 octobre 2016 par l’intermédiaire de son conseil les conclusions n°2 régulièrement communiquées qu’elle a fait déposer à l’ouverture des débats et auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé de ses prétentions et moyens en application de l’article 455 du code de procédure civile, et tendant à :

Dire et juger que le licenciement de Madame X est sans cause réelle et sérieuse ;

Condamner LADOM à lui payer une somme de 51.678,90 net à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamner LADOM à payer à Madame X une somme de 3.415,88 à titre de reliquat sur indemnité de préavis, outre 341,59 au titre des congés payés afférents ;

Dire que les condamnations porteront intérêt au taux légal ;

Ordonner la remise d’un bulletin de salaire, d’un certificat de travail et d’une attestation POLE
EMPLOI conformes à la décision à intervenir ;

Condamner LADOM à payer à Madame X la somme de 2.500,00 sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamner LADOM aux entiers dépens, en ce compris ceux de première instance.

L’AGENCE DE L’OUTRE-MER POUR LA MOBILITÉ (LADOM) a pour sa part fait reprendre à cette audience par l’intermédiaire de son conseil les conclusions régulièrement communiquées qu’elle a fait déposer le 18 octobre 2016 et auxquelles il est pareillement référé pour l’exposé de ses prétentions et moyens, aux fins de voir:

A titre principal,

Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 25 juin 2015 par le conseil de prud’hommes de Lyon ;

En conséquence,

Dire et juger fondé sur une cause réelle et sérieuse le licenciement de Madame X ;

Dire et juger que l’intégralité des sommes dues au titre du préavis et des congés payés afférents a été versée à Madame X, ou subsidiairement, ordonner la compensation avec l’indemnité compensatrice de congés payés versée lors du solde de tout compte ;

Dire et juger que Madame X n’a subi aucun préjudice ;

Débouter Madame X de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

En tout état de cause,

Condamner Madame X à verser à LADOM la somme de 2.500,00 au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamner Madame X aux entiers dépens.

SUR CE,

La Cour,

Attendu qu’aux termes de l’article L.1235-1 du code du travail, il appartient au juge d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur dans la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, et de former sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, de sorte

que celles-ci concourent pareillement à l’administration de la preuve ;

Attendu que Madame X prétend tout d’abord que le motif de licenciement invoqué par son employeur ne serait pas le motif exact, L’AGENCE DE L’OUTRE-MER
POUR LA MOBILITÉ ayant instrumentalisé les contraintes et les tensions qu’elle avait elle-même créées pour restructurer son activité en les imputant en des termes similaires à certains directeurs régionaux, les rendant responsable des difficultés qui étaient en réalité d’origine structurelle et liées à l’évolution des missions de l’agence ;

Mais attendu que le licenciement de Madame X n’est pas intervenu dans un contexte de réorganisation des délégations régionales, dans la mesure où celle-ci, si elle a été d’envisagée, n’a pas eu d’incidence sur les effectifs au motif que la déléguée régionale de le région
Rhône-Alpes
Auvergne Bourgogne a été immédiatement remplacée après la rupture de son contrat de travail ;

que l’appelante ne peut à cet égard invoquer la situation prétendument comparable de Madame B et de Messieurs C et D qui ont été tous trois licenciés pour des contraintes et des contrôles considérés excessifs, alors que ceux-ci n’auraient été en réalité que le reflet des exigences de la Direction de LADOM, dans la mesure où Madame B et Monsieur C, respectivement délégués régionaux de Marseille et de Toulouse, ont vu leur contrat de travail rompu pour des motifs qui leur étaient strictement personnels et qu’en outre la situation de Monsieur D était toute différente en raison du poste d’agent administratif et d’accueil qu’il occupait ;

Attendu que Madame X fait encore observer qu’elle n’a pas été informée préalablement des griefs qui ont motivé son licenciement pour n’avoir fait l’objet d’aucune remarque critique sur ses aptitudes relationnelles et son management, et pour avoir été notée en 2009 très supérieure aux attentes de son employeur en matière de gestion de personnel, avec la reconnaissance de ses qualités humaines et professionnelles ;

qu’il apparaît cependant que si la Direction de l’Agence ne remet pas globalement en cause ses compétences techniques, ses résultats n’ont pas toujours été à la hauteur de ses attentes de sorte qu’elle l’a invitée au mois d’août 2010 à améliorer la productivité et les résultats de sa délégation, tout en intégrant la gestion de la région Bourgogne ;

que Madame X pu s’exprimer lorsqu’elle a été entendue dans le cadre de l’enquête diligentée par le CHSCT, à l’instar des autres agents de la délégation régionale, sur son management et le comportement qu’elle adoptait à l’égard des personnes travaillant sous son autorité ;

qu’en outre, elle ne s’est pas rendue à l’entretien préalable à son licenciement qui avait précisément pour objet de porter à sa connaissance les griefs qui lui étaient reprochés et recevoir ses observations, de sorte qu’elle ne peut invoquer l’absence d’information préalable sur le motif de son licenciement et moins encore le caractère non contradictoire de la procédure ayant abouti à la rupture de son contrat de travail ;

Attendu que la lettre de licenciement impute tout d’abord à Madame X son comportement générateur de souffrance pour les agents placés sous sa responsabilité et aboutissant à des altercations et à une dégradation des relations et des conditions de travail ; qu’il s’agit là de son savoir être et de son attitude générale à l’égard du personnel de la délégation régionale, indépendamment des instructions et consignes données par la direction de l’agence ;

Attendu que le CHSCT de LADOM a diligenté sur le fondement de l’article L. 4614-6 du code du travail une enquête relative à des situations de risque grave ou à des incidents répétés ayant révélé un risque grave pour des faits de

« risques psychosociaux, stress, arrêts de travail, sanctions disciplinaires »

constatés entre le 14 décembre 2011 et le mois de mai 2012 et affectant l’ensemble du personnel de

la délégation régionale Rhône-Alpes, soit les quatre conseillers d’insertion, la secrétaire et la déléguée régionale, de sorte que Madame X ne peut valablement soutenir que l’enquête menée par le CHSCT n’a été effectuée qu’à la suite de l’exercice de son droit de retrait ;

qu’il apparaît en revanche que c’est précisément après qu’elle ait usé de son droit de retrait que l’employeur et le CHSCT ont eu connaissance du climat social dégradé qui existait au sein de la délégation et qu’une enquête a été réalisée le 29 mai 2012 par l’audition de tous les salariés, dont la déléguée régionale ; que son compte rendu a été restitué lors de la réunion du CHSCT du 27 juin suivant ;

Attendu que le rapport d’enquête du CHSCT décrit un état de

« souffrance générale et généralisée à

l’ensemble des salariés »

, en énonçant qu’il a pour origine des tensions et altercations entre les salariées

et la déléguée régionale dont les savoirs être, l’attitude et le comportement à l’égard des membres de son équipe sont dénoncés de façon accablante ;

que la déléguée régionale, qui a déclaré ne subir aucune pression de la part de sa hiérarchie mais avoir subi un stress post-traumatique à la suite de l’altercation dont elle avait été victime, a en effet été mise en cause par les agents placés sous son autorité pour les pressions devenues constantes qu’elle exerçait depuis lors elle-même à leur égard ;

que deux personnes ont même déclaré être totalement incapables de reprendre leur travail dans les conditions actuelles en précisant qu’elle était à l’origine de leur état de détresse psychologique, dénonçant ses

« brimades »

, paroles intimidantes ou infantilisantes, au point qu’une personne

« au bord

des larmes »

et qui

« avait très peur d’être entendue »

a exprimé sa détresse et sa souffrance en précisant

qu’elle avait informé le médecin du travail, sa famille et avait même envisagé de quitter son poste;

qu’à titre d’exemple, le personnel de la délégation régionale a été destinataire par courrier électronique d’une note infantilisante de Madame X portant sur l’entretien du réfrigérateur, dans laquelle la déléguée régionale détaille de façon très technique la manière de procéder pour le nettoyage de cet appareil, en demandant l’utilisation d'

« une lingette par étagère »

et un planning où

chaque personne doit indiquer sa plage hebdomadaire de nettoyage, considérant ainsi son équipe composée de personnes irresponsables, incapables d’effectuer une tâche aussi simple que le nettoyage d’un réfrigérateur ;

que chaque personne s’est déclarée isolée à son poste sans coopération, les pauses-café, repas en commun où se confrontent les opinions, les règles de métier et où se coordonnent les façons de travailler, ayant été proscrits par la déléguée générale, de sorte que pour pouvoir échanger, les salariés devaient le faire le soir après leur travail, en dehors du bureau, ne pouvant en outre faire remonter leur expérience par peur, ce qui ne pouvait qu’aboutir à la démobilisation collective et à l’appauvrissement du contenu du travail des agents ;

qu’enfin, à la suite de l’altercation du 14 décembre 2011 et de l’exercice de son droit de retrait, Madame X avait organisé une réunion d’équipe de deux heures pour exiger des salariés qu’ils se dénoncent d’avoir rapporté à la Direction
Générale une mauvaise appréciation de l’incident pour avoir omis de déclarer l’acte violent qu’elle avait subi et afin qu’ils modifient leur témoignage en ce sens, allant même jusqu’à

« séquestrer »

une employée dans son bureau en l’accusant d’être une

menteuse et en la menaçant

« d’aller plus loin »

si elle ne revenait pas sur son témoignage, au point

que cette dernière avait consulté un homme de loi pour connaître ses droits, mais qu’elle présentait encore des signes de détresse par peur de représailles ;

Attendu par ailleurs que Madame SEKHARI, secrétaire, a précisé que les réunions de service avec Madame X étaient devenues insupportables car les moindres réflexions de ses subordonnés étaient assimilées à un désaccord, au point que ces derniers en étaient venus à ne plus s’exprimer pour donner leur avis par crainte des réactions disproportionnées de la déléguée générale, qui

souhaitait ensuite à chaque fois régler le problème en tête à tête dans son bureau ;

que Madame X lui a récemment reproché de ne pas la laisser parler en hurlant alors qu’elle-même n’avait pas ouvert la bouche, et qu’elle l’a finalement reconnu pour lui dire que si elle n’avait pas parlé, l’expression de son visage lui avait dit de se taire ;

que la déléguée régionale était très versatile au point qu’elle ne savait plus comment réagir devant elle et que la vie au travail était devenue très difficile ;

Attendu que Madame E a confirmé le caractère instable et colérique de Madame X en indiquant qu’il était de plus en plus difficile pour elle de venir travailler car elle ne savait pas quel comportement adopter ni quels mots pouvaient la froisser et déclencher sa mauvaise humeur ;

Attendu que la synthèse du cabinet MBC ,mandaté pour effectuer un audit de la situation de la délégation régionale dans un contexte de changements, a établi le même constat, en précisant que le personnel de se sent pas soutenu par sa hiérarchie directe et que le dialogue est rompu entre la cadre et certains membres de l’équipe, Madame X étant perçue comme

« peu constante »

avec des

réactions de colère disproportionnées et imprévisibles, prenant souvent une

« posture de maîtresse

d’école »

, ses subordonnés lui reprochant

« trop de contrôle »

et

« un manque de souplesse »

de sorte

qu’ils ont peur face à ses réactions d’autorité non adaptées et à sa volonté

de « se faire respecter à tout

prix »

, tout devenant prétexte à conflit, à critiques dans le service, notamment vis-à-vis de la cadre ;

Attendu que le médecin du travail a pour sa part établi un rapport d’activité pour les années 2011 et 2012 confirmant l’état de stress mais aussi de conflits affectant les agents placés sous l’autorité de Madame X du fait de la dégradation de leur situation et conditions de travail, générant deux départs de la délégation régionale ainsi que des arrêts maladie ;

Attendu en conséquence que cette situation ne ressort que du seul fait de la déléguée régionale et non des exigences prétendument très fortes de son employeur en matière de résultats ;

que pour tenter de justifier son comportement, Madame X ne peut davantage invoquer l’état de stress post-traumatique qui aurait été induit par l’agression dont elle-même a été victime au mois de décembre 2011 de la part de Monsieur Z, alors qu’elle reconnaît que sa
Direction l’avait encouragée à exercer son droit de retrait, qu’elle a repris très rapidement le travail sans produire le moindre certificat médical, que le salarié concerné a fait l’objet d’un blâme et qu’elle a pu bénéficier elle-même d’une aide à la gestion du personnel par l’intermédiaire d’une consultante extérieure ;

Attendu que la lettre de licenciement reproche ensuite à Madame X son management trop directif et l’usage de pressions psychologiques délétères ;

Attendu que le CHSCT a pour sa part constaté un management qui divise l’équipe en mettant en péril le collectif de travail au sein de la délégation de Lyon, en précisant que l’accentuation des individualismes issus du management de Madame X , tels les dossiers individuels à gérer, l’interdiction de communiquer entre les agents et le bannissement de tout travail en équipe, entraîne une désagrégation du collectif de travail et des fortes pressions psychologiques qui portent atteinte à la dignité des personnes ou ont pour effet de dégrader les conditions de travail, allant jusqu’à caractériser

« un management par le stress , par la peur »

;

que le cabinet MBC a établi un constat similaire en faisant état d’un contrôle et d’un reporting ressentis comme

« excessifs »

, avec une sensation de contrôle permanent, l’existence d’une pression

institutionnelle et de la hiérarchie directe privant les agents d’autonomie dans leur travail et de marge de man’uvre, l’absence d’utilisation des réunions de travail comme lieu de résolution des problèmes et

de construction de coopérations, le peu d’occasion pour les agents de faire des propositions ;

que les correspondances adressées à la Direction
Générale par Madame E, Madame SEKHARI et Madame F confirment cette situation en faisant état d’agissements devenus insupportables pour elles, leur occasionnant fatigue, mal de dos, migraines et anxiété, ajoutant qu’elles ressentaient également la souffrance de leurs collègues ;

Attendu que Madame X conteste être à l’origine de la culture de productivité et d’efficacité exigée des délégations régionales par la
Direction Générale, celle-ci s’étant traduite par la mise en place d’un contrôle renforcé de l’activité des salariés tant au plan quantitatif que qualitatif qui a été mal vécu par ces derniers mais qui n’était en aucune façon le fait de ses exigences et d’agissements de harcèlement de sa part, ajoutant que le même constat s’impose également pour leur charge de travail qui s’est trouvé accrue; qu’elle cite à cet égard le rapport d’information établi en juillet 2011 par la commission des finances du Sénat sur l’enquête de la Cour des Comptes relative à L’AGENCE DE
L’OUTRE-MER POUR LA MOBILITÉ ;

qu’il apparaît cependant que ce rapport a été établi sur la base des seules données

« lacunaires »

alors

disponibles, qu’il n’engage pas l’Agence mais contient des considérations générales; qu’il émet enfin de simples propositions en vue de son évolution, sans lien direct avec les pratiques managériales reprochées à Madame X ;

qu’en tout état de cause, les mutations mises en place par la Direction Générale ne sont pas la cause de la dégradation des conditions de travail des salariés, le constat du CHSCT, des salariés et du cabinet MBC, mettant en avant la solidarité entre collègues, le bon environnement de travail et le plaisir d’exercer leurs fonctions au sein de la délégation régionale, la dégradation de leurs conditions de travail ne ressortant que du management excessif et trop directif de Madame X ;

Attendu que l’appelante ne peut enfin prétendre que la montée en compétence des conseillers d’insertion n’a pas été accompagnée des actions de formation indispensables au changement de fonctions en dépit de ses réclamations, et qu’elle-même a sollicité la mise en place d’une formation sur le management de projet qui est restée sans suite, dans la mesure où son employeur justifie par les plans de formation des années 2009 à 2012 et la listes des formations réalisées ces années qu’il verse aux débats, avoir mis en 'uvre les actions de formation nécessaires au bénéfice des agents et de la déléguée générale ;

Attendu dans ces conditions que c’est par une juste appréciation des éléments de la cause et des pièces versées aux débats par chacune des parties, que le conseil de prud’hommes de Lyon a retenu que la mésentente existant entre Madame X et les salariés placés sous ses ordres était bien de son fait ;

qu’eu égard :

— aux constatations accablantes du CHSCT tenant à la gravité de la situation du fait de son management par la peur et infantilisant mettant en danger la santé physique et mentale des agents, ainsi qu’à la totale inadéquation entre la vision du manager et la réalité vécue par les agents de la délégation de Lyon, confirmées par le témoignage des salariés concernés et par le rapport de synthèse du Cabinet MBC,

— aux préconisation du CHSCT pour une évaluation du système managérial mis en place par Madame X à la limite du harcèlement institutionnel et à une protection rapide des agents afin de réduire leur souffrance au travail et éviter les exclusions,

il convient de confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes en ce qu’il a dit que le licenciement de Madame X était fondé sur une cause réelle et sérieuse et a débouté la

déléguée régionale de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Attendu par ailleurs que Madame X sollicite le paiement d’un reliquat d’indemnité de préavis et des congés payés afférents en faisant valoir que si elle bénéficiait d’un préavis d’une durée de trois mois du 18 juillet au 18 octobre 2012, son terme aurait dû être repoussé de 29 jours jusqu’au 16 novembre 2012 pour avoir bénéficié de congés payés du 30 juillet au 27 août 2012;

Mais attendu que Madame X, qui était en arrêt maladie pendant cette période, a été régulièrement indemnisée par la Sécurité
Sociale ainsi qu’il apparaît de ses bulletins de paie;

qu’elle n’a finalement pas pris sa période de congés payés, mais que celle-ci lui a été réglée sous forme d’une indemnité compensatrice apparaissant sur son bulletin de paie du 1er au 18 octobre 2012 valant solde de tout compte pour un montant de 3.394,02 , de sorte qu’elle ne peut prétendre que sa période de congés payés aurait retardé la fin de son contrat de travail ;

qu’il importe dès lors de confirmer encore le jugement entrepris en ce qu’il a débouté la salariée de ce chef de demande ;

Attendu en outre que, pour assurer la défense de ses intérêts devant la cour, L’AGENCE DE
L’OUTRE-MER POUR LA MOBILITÉ a été contrainte d’exposer des frais non inclus dans les dépens qu’il paraît équitable de laisser, au moins pour partie, à la charge de l’appelante ;

qu’il convient en conséquence de condamner Madame X à lui payer une indemnité de 1.000,00 en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

que Madame X, qui ne voit pas davantage aboutir ses prétentions devant la cour, ne peut obtenir l’indemnité qu’elle sollicite sur le fondement du même article et supporte la charge des entiers dépens ;

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant contradictoirement par arrêt rendu public par mise à disposition des parties, après que ces dernières aient été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 25 juin 2015 par le conseil de prud’hommes de Lyon ;

DEBOUTE Madame Y X de l’ensemble de ses demandes ;

Y ajoutant,

CONDAMNE Madame Y X à payer à L’AGENCE DE L’OUTRE-MER
POUR LA
MOBILITÉ (LADOM) la somme de 1.000,00 (MILLE EUROS) en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

LA CONDAMNE en outre aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Le Greffier Le Président

Gaétan PILLIE Didier JOLY

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code du travail
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Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale b, 16 décembre 2016, n° 15/06003