Cour d'appel de Montpellier, 6 novembre 2013, n° 12/01152

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Montpellier, 6 nov. 2013, n° 12/01152
Juridiction : Cour d'appel de Montpellier
Numéro(s) : 12/01152
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Carcassonne, 18 janvier 2012

Sur les parties

Texte intégral

IC/FC

4° chambre sociale

ARRÊT DU 06 Novembre 2013

Numéro d’inscription au répertoire général : 12/01152

ARRÊT n°

Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 JANVIER 2012 CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE CARCASSONNE

N° RG10/00236

APPELANT :

Monsieur AB F

XXX

Représenté par Maître Agnès BOTELLA, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMEE :

Association AJ 11

prise en la personne de son représentant légal

XXX

Représentée par Maître Valérie RENEAUD, avocat au barreau de CARCASSONNE

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 11 SEPTEMBRE 2013, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Marc PIETTON, Président de chambre

Monsieur Richard BOUGON, Conseiller

Mme U V, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Madame Isabelle CONSTANT

ARRÊT :

— Contradictoire.

— prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, initialement prévu le 23 octobre 2013 et prorogé aux 30 octobre et 06 novembre 2013, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure civile ;

— signé par Monsieur Marc PIETTON, Président de chambre, et par Madame Isabelle CONSTANT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*

* *

EXPOSE DU LITIGE

A compter du 1er septembre 2005 M. AB F, enseignant spécialisé, a été mis à disposition de l’association ELAN, devenue Association Pour Adultes et Jeunes Handicapés de l’Aude (AJ 11), et affecté au poste de directeur administratif du Centre Medico Pédagogique de Carcassonne.

A partir du 1er septembre 2007, il lui a été confié le poste de directeur de l’Institut médico-éducatif (IME) de l’Institut thérapeutique éducatif et pédagogique (ITEP) et du Service d’Education Spéciale et de soins à domicile (SESSAD) du centre W AG.

Le 27 octobre 2009 l’ITEP a fait l’objet d’un arrêté de fermeture temporaire du 2 au 16 novembre 2009, le préfet ordonnant la mise en oeuvre d’un certain nombre d’injonctions reprenant les préconisations édictées par la DDASS dans un délai de 15 jours à 6 mois.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 21 décembre 2009 l’AJ 11 a convoqué M. F pour le 21 janvier 2010 à un entretien préalable à une mesure de licenciement.

Par courrier du 14 janvier 2010 une mesure de mise à pied conservatoire à compter du 21 janvier 2010 a été notifiée à M. F.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 1er février 2010 M. F a été licencié pour faute grave dans les termes suivants :

'Au cours de l’entretien préalable en date du 21 janvier 2010, au cours duquel vous aviez les possibilités de vous exprimer, nous avons exposé les faits que nous vous reprochions et que nous reprenons ci-après:

1/ Les manipulations. les pressions et les agissements constituant un harcèlement moral sur certains membres du personnel qui étaient sous votre direction.

Nous avons été alertés de tels agissements de votre part, à l’occasion de différents événements et au travers de nombreux documents qui nous ont été transmis, dont notamment:

— le pré procès-verbal de la réunion plénière extraordinaire des comités CHSCT W AG AJ 11 du 24/11/09, et plus précisément le passage relatif à l’intervention de Monsieur N, qui a précisé que le personnel de l’ITEP était soumis aux pressions de Monsieur F.

— la lettre du 26 octobre 2009, de l’Inspection du travail adressée à la Présidente de I’AJ 11 et précisant que: « les représentants du personnel de cet établissement nous ont interpellés sur plusieurs situations de souffrance au travail vécues par les salariés de l’ITEP. Ainsi, ce jour, 19 salariés seraient en arrêt de travail ».

— les attestations de Mesdemoiselles H et Y du 14/11/09 et 3/11/09, témoignant de manipulations et de pressions de votre part :

Melle H: « Monsieur F a critiqué devant plusieurs témoins le travail effectué au sein de l’établissement par Monsieur S et Madame X (…) « pour me dire qu’il fallait que je me méfie des «fortes têtes » de l’ITEP, à ce moment il a nommé Monsieur S Monsieur D et Madame C (….)».

Melle Y « à deux reprises j’ai été témoin de propos de Monsieur F envers Monsieur S. La première fois, il s’est adressé à la secrétaire en lui demandant de ne pas donner d’informations à Monsieur S, et de ne passer que par l’éducateur coordonnateur pour le « squizzer » Tout ceci exprimé avec mépris et violence j’ai quitté la pièce pour ne pas cautionner cette situation (…) la deuxième fois j’étais dans le bureau avec la directrice adjointe, Monsieur F est entré nous interrompant, il a montré sa satisfaction par rapport à la teneur de la réunion « vous avez vu il faut continuer à le tamponner comme ça il partira » n’étant pas à cette réunion j’ai appris ensuite qu’il s’agissait de Monsieur S'.

— la lettre de Monsieur Q à Monsieur K en date du 18/11/09 attestant de pressions et d’atteintes à l’intégrité personnelle des salariés: «Madame Z a souhaité me rencontrer pour m’informer d’un incident passé pendant mon congé maladie. Ainsi, suite à un entretien individualisé, Monsieur F a demandé à Madame Z d’effectuer un écrit sur les difficultés particulières qu’a rencontré son fils avec un de ses éducateurs (moi- même). Madame Z a refusé car elle ne tenait pas à diaboliser personne (…)je vous demande toute discrétion face à cette affaire afin d’éviter à Madame Z et moi-même toutes situations de représailles de la part de Monsieur F. ».

Ces agissements ont eu pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité des personnes concernées, d’altérer leur santé physique et mentale ou de compromettre leur avenir professionnel ; ils caractérisent le harcèlement moral, ce qui est constitutif d’une faute grave.

La jurisprudence est constante: « le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l’intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel » (Soc 10 novembre 2009, n°08-41.497).

En outre, les dispositions de l’article L.1152-5 du Code du travail prévoient que : 'tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement moral est passible d’une sanction disciplinaire'.

2/ La violation de certaines de vos obligations professionnelles:

Nous avons été alerté sur les faits ci-après

— le non-respect de l’alinéa 1 de l’article 25-4 du règlement intérieur de l’ITEP (relatif aux orientations éducatives et thérapeutiques définies par l’établissement et l’association) :

Vous n’avez pas maintenu le soutien, ni la cohésion des équipes éducatives, au contraire, vous avez même tenté de créer un conflit entre les équipes éducatives et les familles, comme en atteste la lettre adressée par Monsieur Q à Monsieur A en date du 18 novembre 2009, au travers de laquelle il décrit : «de retour de mon congé maladie le lundi 2 novembre 2009, j’apprends avec incompréhension et mécontentement une situation désobligeante à mon encontre. (..) Monsieur F a demandé à Madame Z d’effectuer un écrit sur les difficultés particulières qu’a rencontré son fils avec un de ses éducateurs (moi-même) ».

Ainsi, en sollicitant auprès de la mère d’un de nos pensionnaires, qu’elle rédige une attestation à l’encontre d’un membre du personnel, vous avez manqué à votre obligation de soutien des équipes pédagogiques, et commis une faute grave.

En effet, le non-respect de cette obligation constitue une faute grave conformément à l’article 25-4 alinéa 1 du règlement intérieur de l’ITEP, et à la circulaire interministérielle n°2007-194 du 14 mai 2007, s’imposant aux ITEP, page 17, prévoyant qu’il vous incombe de vous: « assurer de l’intéractivité des pôles thérapeutique éducatif et pédagogique dans une perspective soignante d’ensemble; exercer l’animation institutionnelle dans le respect des compétences, en entretenant la cohésion des équipes et en apportant un soutien permanent aux différentes catégories de personnel ».

— la faute ou négligence commise dans l’exécution du service ayant entraîné, ou susceptible d’entraîner des conséquences graves pour la vie ou la santé des jeunes ou des tiers.

Nous avons notamment été alerté sur ce point, par le courrier de Madame O, en date du 10/11/09, dont le fils est accueilli au sein de l’ITEP. Elle explique notamment que le vendredi des vacances lorsqu’elle est venue récupérer Dany, elle a pu constater que ce dernier était avec trois autres jeunes âgés entre 10 et 13 ans seuls sans surveillance.

Ces faits sont d’autant plus graves que, comme l’indique Madame O, ce n’est pas la première fois qu’un tel incident se produit, et que l’année précédente Monsieur F lui avait fait part de suspicions d’attouchements d’un « autre gamin » sur son fils. Ainsi, il était d’autant plus inadmissible de laisser cet enfant seul avec d’autres enfants, sans aucune surveillance, en connaissant la situation fragile de cet enfant et les risques encourus.

Ainsi, en laissant des pensionnaires sans surveillance, vous avez commis une faute susceptible d’entraîner des conséquences graves pour la vie ou la santé des jeunes pensionnaires. Il s’agit d’une faute grave en vertu de l’alinéa 19 de l’article 25-4 du Règlement intérieur de l’ITEP, et de la circulaire interministérielle s’imposant aux ITEP, page 17.

— les insuffisances et carences professionnelles ayant entraîné la fermeture de l’établissement malgré l’accompagnement dont vous avez pu bénéficier, et le manque de réactivité de votre part à la suite de cet arrêté:

L’arrêté de fermeture pris en date du 29/10/09 qui se fonde sur un courrier LRAR de la Préfecture en date du 27/10/09 ainsi qu’une lettre de l’Inspection du travail du 20/10/09, témoignent d’un certain nombre de négligences et de carences professionnelles au sein du personnel et de la Direction de l’ITEP.

Dans la lettre du 27 octobre 2009, la Préfecture estimait que l’ITEP n’était plus en mesure d’assurer la sécurité des jeunes pris en charge, et constatait les nombreux arrêts maladie, et surtout l’absence de plannings professionnels, et des cas de violences de la part des jeunes au sein de l’ITEP.

Il vous incombait en tant que directeur de gérer les plannings des professionnels placés sous votre direction. Ainsi, en omettant d’y procéder vous avez commis une faute, qui nous a été reprochée par la Préfecture.

A la suite de cet arrêté, la direction de l’AJ 11 vous a sollicité à de nombreuses reprises au travers de mails et d’échanges de courriers, afin de vous demander de respecter les injonctions préconisées par la Préfecture, et cela dans l’intérêt de tous en vue d’une réouverture prochaine de l’ITEP.

Malheureusement ces mises en garde sont demeurées infructueuses, comme en atteste le mail du 18 novembre 2009 au travers duquel Monsieur A vous demandait: «pourriez vous m’indiquer par retour l’état d’avancement de vos travaux relatifs aux injonctions Préfecture/DDASS à échéance à un mois, aux dernières demandes de l’inspecteur du travail (…)».

Nous vous sollicitions à nouveau par mail en date du 24 novembre 2009 à 10h54 qui a vous a été adressé par le secrétariat de la direction de 1'AJ 11 dans les termes suivants: « Monsieur, je vous rappelle ce que nous avons évoqué vendredi 20/11 lors de notre rencontre, à savoir que vous devez nous fournir en urgence maintenant ce que la commission de suivi vous a demandé le 6 novembre (parallèlement aux injonctions portées sur l’arrêté de fermeture) .. (…) afin de répondre à ce qui nous est demandé, veuillez nous adresser dans les plus brefs délais, les documents indiquant ce que vous avez mis en place en référence aux préconisations telles que demandées ».

Par mail en retour du 25 novembre, vous ne donniez aucun élément en réponse, et précisiez même que ces délais, selon vous, « mettaient le personnel sous pression ». Or, ces délais vous le savez, étaient imposés par les instances administratives et conditionnaient la réouverture de l’établissement, il vous incombait donc de les respecter absolument.

3/ Le manque de respect aux pensionnaires de l’ITEP et à leurs familles

Nous avons été informés de votre comportement intolérable vis-à-vis des pensionnaires de l’établissement et de leurs familles notamment au travers de plusieurs lettres envoyées par les mères de certains pensionnaires de l’ITEP.

Nous avons été alerté notamment par le courrier de Madame O en date du 10 novembre 2009, qui décrivait votre attitude passive face aux difficultés rencontrées par son fils: «j’en ai fait part à Monsieur F en lui demandant pour changer Dany d’établissement, car je pense que c’est ce qu’il faut. Lors d’une crise plus violente, Madame G a fait appel aux pompiers, après cela je lui en ai parlé aussi, tous deux m’ont répondu qu’ils m’avaient entendu et qu’ils étaient d’accord avec moi, que c’est ce qu’il fallait à Dany, mais rien ne m’est proposer. Tout va mal et j’ai très peur pour mon enfant. Le vendredi des vacances, lorsque je suis venue chercher Dany, ils étaient 4 jeunes, mon fils et 3 autres âgés entre 10 et 13 ans, seuls sans surveillance. Et ce n’est pas la première fois. ».

Vous avez fait preuve de négligence dans votre travail et d’un manque de respect envers la famille d’un pensionnaire en ne prenant pas en compte les demandes d’une mère dont l’enfant est dans une situation difficile, en n’entretenant pas des relations sociales de qualité avec les familles de nos pensionnaires.

En effet, d’une part, vous n’avez pas apporté de réponse à cette mère, d’autre part, vous lui avez promis que vous interviendriez pour protéger son fils, vous l’avez confortée dans ses projets mais vous n’avez donné aucune suite. Votre attitude est constitutive d’un manque de respect profond vis-à-vis d’une mère d’un de nos pensionnaires.

De tels faits constituent à nouveau une faute grave, et correspondent à la violation d’une obligation qui vous incombait en vertu de la circulaire interministérielle des ITEP et de l’article 25-4 du règlement intérieur de l’ITEP alinéa 16, qui prévoit que constitue une faute grave justifiant un licenciement, le « manque de respect, les sévices et violences à l’égard des pensionnaires ».

Cette obligation faisait également partie de vos missions vous imposant: «des relations sociales de qualité, respectant la dignité et l’intégrité de chacun, devront être un objectif permanent du directeur ».

L’ensemble de ces faits constituent des fautes graves. Nous sommes donc contraints de mettre fin à votre contrat de travail, votre attitude rendant impossible la poursuite de votre activité professionnelle au sein de notre association.

En outre, votre attitude au cours de l’entretien préalable, ne nous ont pas permis d’envisager une autre mesure à votre encontre.

Par la présente, il vous est donc notifié votre licenciement, qui prend effet immédiatement, sans préavis ni indemnité de rupture.

Compte tenu de la faute grave retenue, la période de la mise à pied conservatoire n’est pas rémunérée.

Vous ne ferez plus partie du personnel de l’entreprise à réception de cette lettre.

Votre certificat de travail est à votre disposition. Les salaire, ainsi que l’indemnité compensatrice de congés payés, qui vous sont dus à ce jour vous seront adressés ultérieurement.

Nous vous informons qu’en raison de la gravité de la faute qui vous est reprochée, vous perdez vos droits acquis au titre du droit individuel à la formation.'

Contestant cette mesure de licenciement M. F a, le 3 septembre 2010, saisi le conseil de prud’hommes de Carcassonne qui, suivant jugement en date du 19 janvier 2012 a :

dit que les pièces fournies tardivement par M. F à l’AJ 11 ne sont physiquement pas recevables car ne respectant pas le contradictoire entre les parties convenu lors du bureau de conciliation;

condamné M. F à payer à l’AJ 11

1 000 € au titre de dommages-intérêts pour procédure abusive

2 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile

condamné aux entiers dépens

débouté les parties de leurs autres demandes.

Par déclaration au secrétariat-greffe le 13 février 2012 M. F a fait appel de ce jugement.

M. F demande à la cour de réformer le jugement et, statuant à nouveau, de :

déclarer abusif le licenciement,

en conséquence, constatant que la moyenne de rémunération était de 2 748,29 € de condamner l’AJ 11 au paiement des sommes suivantes :

16 489,74 € d’indemnité compensatrice de préavis (6 mois)

1 648,97 € de congés payés afférents

24 735 € de dommages-intérêts pour rupture abusive

10 000 € de dommages-intérêts pour rupture vexatoire

dire n’y avoir lieu à sa condamnation à des dommages-intérêts pour procédure abusive et en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

condamner l’employeur à lui payer la somme de 2 500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

condamner l’employeur aux dépens de première instance et d’appel ;

dire que les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes.

Il soutient principalement les éléments suivants :

— La fonction de directeur au sein du centre W Signole a été sabordée par l’attitude réfractaire à toute forme de hiérarchie d’une partie du personnel, ainsi que cela ressort du rapport d’inspection de la DDASS intervenu en 2009 à la suite de la dénonciation de faits à caractère sexuel s’étant déroulés entre deux jeunes mineurs hébergés au centre.

— La faute grave, qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, exige que la procédure soit mise en oeuvre dans un délai restreint. Par rapport à la date des faits incriminés dans la lettre de licenciement l’employeur a attendu près de 4 semaines pour le convoquer à l’entretien préalable et un mois de plus pour prononcer une mise à pied conservatoire, ce qui rend abusive la rupture prononcée pour faute grave.

— En tout état de cause les griefs invoqués sont non-fondés. L’avis de M. N, délégué syndical CGT, exprimé lors du CHSCT n’était pas partagé par les autres représentants du personnel et par les cadres de la structure.

— La recherche d’élément objectif pour évaluer les manquements d’un salarié ne peut pas être analysée comme une tentative 'de créer un conflit entre les équipes éducatives et les familles'.

— La fermeture administrative de l’ITEP W AA ne lui est pas imputable, au regard des conclusions du rapport d’inspection de la DDASS transmis à l’ AJ le 4 juin 2009. L’association, en ne faisant rien pour réaffirmer la fonction de directeur, ne lui a pas donné les moyens d’exercer correctement sa mission et s’est servi de lui comme fusible pour masquer ses propres carences sans remettre en cause la politique managériale menée par son prédécesseur devenu directeur général de l’AJ 11 et les comportements de certains professionnels.

— Son affectation sur un nouveau poste n’a été effective qu’à compter de juin 2010, de sorte qu’il a subi un préjudice financier justifiant l’octroi de dommages-intérêts. En outre, les griefs infondés de harcèlement moral et les accusations de l’employeur suggérant un irrespect à l’égard des familles l’ont profondément heurté.

L’AJ 11 conclut à la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions et demande à la cour de condamner M. F au paiement de la somme de 1 000 € de dommages-intérêts pour procédure abusive, outre celle de 2 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient en substance les éléments suivants :

— La procédure de licenciement a été engagée dans le délai prévu par l’article L.1332-4 du code du travail.

— M. F s’est livré à une pression incessante sur ses subordonnés ayant abouti à de nombreuses absences pour maladie du personnel. Les agissements de harcèlement moral sont démontrés. Elle avait l’obligation de faire cesser la souffrance au travail de ses salariés.

— Elle a suivi les préconisations du rapport de la DDASS en réorganisant l’équipe de direction. Or M. F n’a pas su redresser l’établissement dont la situation n’a cessé de se dégrader à compter de septembre 2009 pour aboutir à la fermeture administrative.

— Il a manqué à ses attributions et délégations de pouvoir en faisant tout pour diviser son équipe et déstabiliser l’institution.

— Il n’a pas répondu aux ordres de sa hiérarchie dans le cadre de la commission de suivi pour contrôler le suivi des actions menées pour répondre aux préconisations du Préfet afin de parvenir à la réouverture de l’établissement.

— Il a manqué de respect aux familles ainsi qu’en attestent les courriers de Mme O et de M. Q.

— M. F, fonctionnaire mis à disposition par l’éducation nationale, ne justifie d’aucun préjudice puisqu’il a pu réintégrer son corps d’origine.

— Elle gère des fonds publics sous tutelle de l’ARS et du CG et elle ne peut admettre que des demandes abusives soient de nature à remettre en cause le financement des structures accueillant des personnes en situation de handicap. Un tel comportement justifie une condamnation à des dommages-intérêts pour procédure abusive.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions respectives des parties, la cour se réfère au jugement du conseil de prud’hommes et aux conclusions écrites auxquelles elles se sont expressément rapportées lors des débats.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le licenciement

L’employeur qui prend l’initiative de rompre le contrat de travail doit énoncer son ou ses motifs dans la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige.

Les motifs avancés doivent être précis et matériellement vérifiables, des motifs imprécis équivalant à une absence de motif.

La faute grave, dont la preuve incombe à l’employeur et à lui seul, est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et situe nécessairement le débat sur le terrain disciplinaire.

L’AJ 11 qui retient trois griefs à l’appui du licenciement pour faute grave de M. F doit en démontrer la matérialité.

1/Les manipulations, les pressions et les agissements constituant un harcèlement moral sur certains membres du personnel.

La DDASS de l’Aude, dans le cadre de son inspection effectuée sur l’ITEP W AG en avril et mai 2009 à la suite du signalement de faits à caractère sexuel mettant en cause des jeunes mineurs au sein de l’internat, a mis en évidence l’existence au sein de la structure 'd’un climat social interne dégradé marqué par de très forts clivages entre groupes de professionnels’ avec 'des dysfonctionnements essentiellement perceptibles au niveau de la prise en charge éducative’ qui a été jugée comme n’étant 'pas satisfaisante'.

Le rapport note que M. F est un 'directeur isolé’ auquel 'une partie de l’équipe ne reconnaît pas sa place de directeur'. Le rapport constate ainsi que le chef de service ne jouait pas son rôle de relais entre le directeur et les équipes éducatives, plusieurs éléments montrant qu’il n’informait pas celui-ci des problèmes rencontrés par les équipes ou des dysfonctionnements repérés.

Si le rapport d’inspection souligne que les actions engagées par le directeur autour du diagnostic organisationnel en cours de réalisation avec l’appui du CREAI vont dans le bon sens, il est cependant précisé qu’une partie de l’équipe éducative ne souhaite pas s’engager dans une démarche de changement et que le directeur se trouve isolé et dans l’incapacité d’exercer pleinement sa fonction.

L’inspection a conclu que le directeur essayait d’impulser une nouvelle dynamique, que les actions engagées s’inscrivaient dans un processus de changement positif, mais que pour autant ce changement était rendu extrêmement difficile par une situation clivée et des dysfonctionnements ancrés.

Il est ainsi indiqué 'qu’au-delà de toutes les mesures internes qui devront être mises en oeuvre au sein de l’ITEP, l’association et son conseil d’administration en particulier devront soutenir le changement et engager de leur côté une réflexion sur le projet associatif qu’il leur appartiendra de formaliser à brèves échéances'.

Les courriers d’octobre 2009 et de novembre 2009 visés par l’AJ 11 pour démontrer que M. F aurait eu des agissements de harcèlement moral à l’égard de plusieurs membres du personnel doivent être examinés à la lumière du contexte ainsi décrit par le rapport de l’inspection.

Si M. N, moniteur éducateur, délégué syndical a pu faire état lors de la réunion du CHSCT du 24 novembre 2009 que les salariés de l’ITEP en arrêt maladie 'ont été sous pression de M. F et 'qu’ils ne rentreront pas tant que…'. il ressort de la lecture du procès-verbal que ce point de vue apparaît isolé au sein des salariés membres du CHSCT.

Mme E, assistante de direction, membre du CHSCT et membre élu au conseil de la vie sociale de l’IME W AG, a déclaré en effet qu’elle ne partageait pas cette opinion et Mme T, secrétaire de direction, déléguée du personnel, atteste avoir exprimé elle aussi son désaccord.

Par courrier adressé à la Présidente de l’AJ dès le 26 novembre 2009 plusieurs membres du personnel, Mmes T, E, Mme L, chef des services logistiques L. AG, Mme R, chef de service IME L. AG, M. M informaticien L. AG et M. J, chef de service ITEP, se sont offusqués des propos de M. N visant en filigrane à poser comme condition sine qua non le départ du directeur au retour des salariés en congés maladie à l’ITEP, propos qualifiés de 'chantage n’honorant pas le secteur médico social', et ont tenu à réaffirmer leur total soutien à M. F, souhaitant solidairement s’attacher à oeuvrer pour l’évolution de leurs institutions vers une situation favorable durable et stable dans l’unique intérêt des usagers'.

Dans ce contexte, l’évocation dans la lettre de licenciement du courrier de l’inspection du travail en date du 26 octobre 2009 faisant état de signalement de situation de souffrance au travail et de ce que '19 salariés seraient en arrêt de travail', ne peut suffire à imputer la responsabilité de ces arrêts de travail à des agissements de M. F.

M. F indique d’ailleurs, sans être utilement contesté par l’association sur ce point, qu’il y avait 14 salariés, et non 19, en arrêt maladie sur la période considérée et que peu étaient concernés par les évolutions du projet d’établissement dont la mise en oeuvre lui incombait.

Il doit être observé que le rapport de la DDASS, à l’issue de son inspection en mai 2009 sur la structure de l’ITEP qui comptait 39 salariés, n’a relevé aucun comportement manipulateur de M. F ni signalé aucun agissement de harcèlement qui lui soit imputable, notamment vis à vis du chef de service éducatif, M. P, en arrêt maladie à compter de l’été 2009.

M. B, éducateur spécialisé, en arrêt de travail depuis le 24 août 2009 témoigne de ce qu’il n’a pas subi de pression ou harcèlement de la part de M. F et que la détérioration de ses conditions de travail est antérieure à l’arrivée de celui-ci. S’il indique avoir subi intimidation et pression de façon régulière et répétée il les impute à un conflit avec le chef de service éducatif décrit comme étant 'dans la toute puissance’ et ne supportant pas la hiérarchie.

De nombreux membres du personnel attestent n’avoir jamais été victimes ni témoins de harcèlement ou de pression quelconque exercée par M. F.

Au regard des pièces produites, les faits rapportés par Mmes H et Y sur les propos que M. F aurait tenus à l’encontre de M. S et de Mme X, s’inscrivent dans le contexte décrit par l’inspection de la DDASS relativement à la réticence de certains éducateurs à changer leurs pratiques, de tels comportements induisant nécessairement des frictions.

M. J chef de service éducatif successeur de M. P, atteste que l’équipe éducative refusait les contraintes hiérarchiques sans argument et que M. F avait fait preuve d’un grand professionnalisme face à une équipe réfractaire'.

Le fait pour le directeur d’avoir demandé à Mme Z de relater par écrit les difficultés rencontrées par son fils avec un éducateur dont elle venait de lui faire part, ne peut être considéré objectivement comme 'une pression et une atteinte à l’intégrité personnelle’ de l’éducateur, d’autant qu’en l’occurrence le comportement de l’éducateur concerné, M. Q, avait été précédemment remis en cause dans le cadre de l’enquête de la DDASS et avait donné lieu à une lettre d’observation écrite versée à son dossier.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que l’AJ ne démontre pas que des salariés au sein de l’ITEP ont été victimes d’agissements répétés de la part de M. F constitutifs de harcèlement moral.

2/ La violation de certaines obligations professionnelles

Comme souligné précédemment il n’est pas établi au regard des faits concernant M. Q et Mme Z que M. F ait tenté de créer un conflit entre les équipes éducatives et les familles. Ainsi qu’il l’explique dans son courrier du 24 avril 2010 il incombait à M. F, conformément aux préconisations du rapport d’inspection de la DDASS de tenir à jour les registres d’incidents et de réclamation des parents.

L’AJ reproche à M. F 'une faute ou négligence commise dans l’exécution du service ayant entraîné ou susceptible d’entraîner des conséquences graves pour la vie ou la santé des jeunes ou des tiers'.

Si Mme O par courrier du 10 novembre 2009 s’est plainte d’avoir constaté un manque de surveillance de son fils lorsqu’elle est venue le chercher le vendredi des vacances, il n’est pas pour autant établi que ce défaut de surveillance soit directement imputable à M. F dès lors que celui-ci justifie avoir, en sa qualité de directeur, établi les plannings prévoyant la présence d’un éducateur.

En tout état de cause, l’exécution défectueuse de la prestation de travail due à une inadaptation au poste ou à une insuffisance professionnelle est en elle-même dépourvue de caractère fautif, et l’employeur qui fonde un licenciement disciplinaire sur les conditions d’exécution du contrat de travail doit rapporter la preuve que l’ exécution défectueuse alléguée est due à l’abstention volontaire du salarié ou à sa mauvaise volonté délibérée, ce que n’établit pas l’AJ 11 à l’encontre de M. F.

Il est établi par les pièces du dossier que M. F a alerté dès le 21 août 2009 la présidente de l’AJ sur l’état de fragilité dans laquelle se trouvait l’établissement malgré tous les efforts de l’ensemble des personnels investis dès fin juin. 'Aujourd’hui nous nous apprêtons à ouvrir la structure sans chef de service ou adjoint de direction, sans assistante sociale et surtout sans médecin psychiatre.'

M. F justifie de la préparation des plannings et de la répartition des salariés par module en septembre 2009. Néanmoins, le courrier qu’il a adressé à l’association le 19 octobre 2009 témoigne des difficultés d’application résultant des réticences de certains personnels : 'il est impossible d’oeuvrer à partir d’une véritable équipe de direction tant l’insubordination des cadres intermédiaires est prégnante’ et souligne également 'les difficultés nées des divergences techniques et politiques de l’AJ 11 quant à l’analyse de la situation et au soutient au directeur.'

Il s’évince des pièces versées aux débats que l’AJ ne peut valablement imputer à la responsabilité de M. F la décision de fermeture provisoire de l’établissement prise par le Préfet de l’Aude fin octobre 2009.

Il est établi que par arrêté du 20 novembre 2009 le Préfet de l’Aude a prononcé la réouverture de l’internat et du semi internat de l’ITEP W AG à compter du 23 novembre 2009.

Cette décision a été prise en considération notamment de ce qu’une partie des mesures préconisées par le rapport d’inspection a été mise en oeuvre, que l’établissement a bénéficié d’aménagements de son calendrier d’ouverture, que des personnels supplémentaires ont été recrutés, que des injonctions d’application immédiate relatives à la sécurisation du circuit du médicament, à l’élaboration de protocoles d’aide à la prise des traitements médicamenteux, et à la mise en oeuvre de plannings conformes à la réglementation ont été mis en oeuvre, de sorte que les motifs ayant entraîné la fermeture provisoire sont levés.

Il s’ensuit que l’AJ ne démontre pas que les mails des 24, 25 et 27 novembre 2009 ont été adressés à M. F vainement pour qu’il respecte les préconisations nécessaires à la réouverture de l’établissement.

3/Le manque de respect aux pensionnaires et à leurs familles

La seule expression subjective du mécontentement de Mme O décrivant une attitude passive de M. F face aux difficultés rencontrées par son fils, ne peut suffire à apporter la démonstration objective que celui-ci a manqué de respect aux pensionnaires et à leur famille, d’autant que plusieurs autres témoins attestent du respect des personnes dont faisait preuve le directeur et des relations empreintes de courtoisie et de sollicitude qu’il entretenait notamment avec les jeunes et les familles.

Il résulte de l’ensemble des ces éléments que l’association AJ 11 ne démontre pas l’existence de fautes graves imputables à M. F, de telle sorte le licenciement prononcé doit être considéré comme injustifié et dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La décision déférée doit donc être infirmée en ce qu’elle a rejeté les demandes de M. F.

Sur les conséquences

M. F qui exerçait des fonctions de cadre dirigeant avait conventionnellement droit à un préavis d’une durée de 6 mois dès lors qu’il n’est retenu aucune faute disciplinaire à son encontre.

L’indemnité compensatrice de préavis est égale au montant du salaire brut, assujetti au paiement par l’employeur des cotisations sociales, que le salarié aurait perçu s’il avait travaillé pendant la durée du délai-congé incluant les primes et indemnités dues ou versées aux salariés pendant cette période, autres que celle représentatives de frais

Compte tenu du montant de la rémunération moyenne brute mensuelle d’un montant de 2 748,29 €, il convient d’allouer à M. F une indemnité compensatrice de préavis d’un montant de 16 489,74 € outre 1 648,97 € de congés payés afférents.

Au moment de la rupture de son contrat de travail M. F avait au moins deux ans d’ancienneté et l’AJ employait habituellement au moins onze salariés.

En application de l’article L.1235-3 du code du travail M. F peut prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui ne peut pas être inférieure au montant des salaires bruts qu’il a perçus pendant les six derniers mois précédent son licenciement.

Compte tenu de son ancienneté de 4 ans et 5 mois, de ce qu’il n’a été réaffecté par son administration sur un nouveau poste qu’à compter de juin 2010 il convient de lui allouer la somme de 17 000 € de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail.

En outre, il apparaît que le licenciement injustifié de M. F est intervenu dans des circonstances particulièrement vexatoires au regard des accusations faussement portées à son encontre dans le contexte décrit, et de l’éviction immédiate qu’il a subie par l’effet de la mise à pied conservatoire. Le préjudice moral ainsi causé doit être réparé par l’allocation d’une somme de 7 000 € de dommages-intérêts.

Sur la demande reconventionnelle de l’AJ 11

Dès lors qu’il est fait droit à la demande principale de M. F sur la déclaration du caractère abusif de son licenciement, l’AJ 11 échoue à démontrer un quelconque abus dans l’exercice des voies de droit par le salarié.

La décision déférée doit donc être infirmée en ce qu’elle a condamné M. F à des dommages-intérêts pour procédure abusive et l’I sera déboutée de cette demande.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par la section encadrement du conseil de prud’hommes de Carcassonne le 19 janvier 2012 ;

Statuant à nouveau et ajoutant,

Dit que l’AJ 11 ne rapporte pas la preuve de fautes graves imputables à M. AB F ;

Dit le licenciement de M. AB F sans cause réelle et sérieuse;

Condamne l’AJ 11 à payer à M. AB F les sommes suivantes :

16 489,74 € d’indemnité compensatrice de préavis

1 648,97 € de congés payés afférents

les intérêts au taux légal sur ces sommes calculées en brut à compter du 13 octobre 2010, date de convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation valant demande en justice ;

17 000 € de dommages-intérêts pour rupture injustifiée du contrat de travail ;

7 000 € de dommages-intérêts pour rupture vexatoire ;

les intérêts au taux légal sur ces sommes à compter de la présente décision ;

Déboute l’I de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Condamne l’AJ 11 aux dépens de la procédure de première instance et de la procédure d’appel ;

Condamne l’AJ 11 à payer à M. F la somme de 2 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE, LE PRESIDENT,

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code du travail
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Cour d'appel de Montpellier, 6 novembre 2013, n° 12/01152