Cour d'appel de Nancy, 5ème chambre, 18 novembre 2020, n° 19/00386

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Nancy, 5e ch., 18 nov. 2020, n° 19/00386
Juridiction : Cour d'appel de Nancy
Numéro(s) : 19/00386
Décision précédente : Tribunal de grande instance d'Épinal, 13 décembre 2018, N° 15/02108
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


COUR D’APPEL DE NANCY

CINQUIÈME CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT N° /20 DU 18 NOVEMBRE 2020

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 19/00386 – N° Portalis DBVR-V-B7D-EJXS

Décision déférée à la Cour : jugement du Tribunal de Grande Instance d’EPINAL,

R.G. n° 15/02108, en date du 14 décembre 2018,

APPELANTE :

SCP B C D, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux pour ce domiciliés audit siège, […] inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés de Metz sous le numéro 352 668 313

représentée par Me Bertrand GASSE de la SCP GASSE CARNEL GASSE TAESCH, avocat au barreau de NANCY

Avocat plaidant : Me Ivan MATHIS, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉS :

Maître Y X, commissaire priseur judiciaire

demeurant […]

représenté par Me Clarisse MOUTON de la SELARL LEINSTER WISNIEWSKI MOUTON LAGARRIGUE, avocat au barreau de NANCY

Avocat plaidant : Me Laurent PINIER, avocat au barreau d’ANGERS

S.C.I. JADAMO, prise en la personne de ses représentants légaux pour ce domiciliés audit siège […], dont le siège social se situe […] inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés d’Epinal sous le numéro 450 361 662

représentée par Me Aude PERRIN de la SCP FOUNES-PERRIN, avocat au barreau D’EPINAL

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 30 Septembre 2020, en audience publique devant la Cour composée de :

Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre,

Claude SOIN, Conseiller, qui a fait le rapport,

Jean-Louis FIRON, Conseiller,

qui en ont délibéré ;

Greffier, Madame Emilie ABAD, lors des débats ;

A l’issue des débats, le Président a annoncé que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 18 Novembre 2020, en application du deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

ARRÊT : contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

signé par Mme Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de la chambre et par M. Ali ADJAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


Copie exécutoire délivrée le à

Copie délivrée le à


Vu l’appel déclaré le 16 janvier 2019 par la SCP B C D, contre le jugement rendu le 14 décembre 2018 par le tribunal de grande instance d’Epinal, dans l’affaire qui l’oppose à la SCI Jadamo et à M. Y X ;

Vu le jugement entrepris ;

Vu les ultimes conclusions déposées par le réseau privé virtuel des avocats le :

—  04 avril 2019 par la SCP B C D, appelante à titre principal et intimée à titre incident,

—  02 juillet 2019 par la SCI Jadamo, intimée,

—  11 juin 2019 par M. Y X, intimé à titre principal et appelant à titre incident ;

Vu l’ordonnance de clôture du 18 septembre 2019 ;

Vu le renvoi du dossier aux audiences des 30 octobre 2019, 22 janvier et 27 mai 2020 ;

Vu l’ensemble des éléments du dossier ;

EXPOSE DU LITIGE

La SCI Jadamo a consenti un bail commercial à la SARL Revalor crédit, portant sur des locaux

situés […]), moyennant un loyer hors taxes de 750 euros assorti d’une provision sur charges d’un montant de 190 euros par mois.

La société Revalor crédit a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de grande instance de Metz du 13 mars 2013. La SCP B C D a été désignée en qualité de mandataire liquidateur.

Par lettre du 02 septembre 2013, la société B C D a informé la société Jadamo de sa volonté de résilier le bail et de libérer les locaux.

Par ordonnance du 18 décembre 2013, le juge-commissaire près le tribunal de grande instance de Metz a ordonné la vente aux enchères publiques du matériel, mobilier de bureaux et accessoires divers de la société Revalor crédit et a commis Me Y X en qualité de commissaire-priseur.

Après avoir vainement mis en demeure la société B C D de fixer une date pour la restitution des locaux, par lettre recommandée du 27 mai 2014 avec demande d’accusé réception, la société Jadamo a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance d’Epinal, par acte d’huissier du 02 octobre 2014. Le 03 octobre 2014, la société B C D a indiqué à la société Jadamo que les clés des locaux étaient tenues à sa disposition.

Par ordonnance du 19 novembre 2014, le juge des référés a condamné à titre provisionnel la société B C D, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Révalor crédit, à payer la somme de 5'978,50 euros au titre de l’arriéré locatif du 13 mars 2013 au 02 septembre 2013 et la somme de 14'170 euros au titre de l’indemnité d’occupation entre le 02 septembre 2013 et le 03 octobre 2014.

Par acte d’huissier du 02 septembre 2015, la société Jadamo a fait assigner en responsabilité la société B C D devant le tribunal de grande instance de Nancy en paiement de la somme de 20'986,02 euros au titre de son préjudice matériel et de 2'000 euros au titre de son préjudice moral.

Par acte d’huissier du 26 avril 2016, la société B C D a fait assigner M. X, commissaire-priseur, devant le tribunal de grande instance d’Epinal, aux fins de voir ordonner la jonction de la présente instance avec celle pendante et engagée par la société Jadamo à son encontre, et de voir condamner le mis en cause à la garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre au profit de la société Jadamo. Les procédures ont été jointes par ordonnance du 23 septembre 2016.

Par jugement du 14 décembre 2018, le tribunal de grande instance d’Epinal a :

— condamné la SCP B C D à payer à la SCI Jadamo la somme de 18'189,18 euros au titre du préjudice matériel subi,

— rejeté la demande d’indemnisation au titre du préjudice moral de la SCI Jadamo,

— condamné la SCP B C D à verser la somme de 1'200 euros chacun à la SCI Jadamo et à Me X au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires,

— condamné la société B C D aux entiers dépens,

— dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.

Pour se déterminer ainsi, le tribunal a estimé que la société B C D a commis deux fautes : d’abord en ayant attendu le 02 septembre 2013, soit six mois après le jugement prononçant la liquidation judiciaire, pour informer la société Jadamo de sa volonté de résilier le bail, ensuite en n’ayant pas vérifié que la remise des clés avait été effectuée.

En l’absence de résiliation du bail, le tribunal a considéré que les loyers étaient dus

Par ailleurs, le tribunal a estimé que la société Jadamo avait subi un préjudice matériel du fait de l’absence de paiement des loyers, se trouvant en relation avec la faute commise par la société B C D, cette dernière ne s’étant en effet pas assurée qu’elle disposait des fonds nécessaires au paiement de ces loyers, postérieurement à la liquidation judiciaire. Il a considéré également que le préjudice ne se limite pas à une perte de chance de relouer les locaux, puisque le défaut de restitution des clés a empêché la société Jadamo de faire visiter les locaux pour les proposer à la location.

Enfin, le tribunal a considéré que seul le liquidateur judiciaire doit accomplir toutes les diligences pour permettre la restitution des locaux et qu’il ne peut pas se retrancher derrière une éventuelle faute du commissaire-priseur.

La société B C D a interjeté appel de ce jugement, en ce qu’il a :

— considéré que la société B C D avait commis deux fautes, un défaut de paiement des loyers postérieurs à l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire et un défaut de remise des clés à l’issue de la vente aux enchères,

— condamné la société B C D à payer':

—  18'189,18 euros à la société Jadamo,

—  1'200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile à la société Jadamo et à Me X,

— condamné la société B C D aux dépens,

— à titre subsidiaire, rejeté l’appel en garantie dirigé contre Me X.

Dans ses dernières conclusions, la société B C D demande à la cour de :

Vu les articles 1240 et 1353 du code civil,

— infirmer le jugement en ce qu’il a retenu la responsabilité de la société B C D et l’a condamnée à verser à la société Jadamo la somme de 18'189,18 euros à titre de dommages et intérêts, outre 1'200 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au profit de la société Jadamo et de Me X ainsi que des entiers dépens,

— dire que la société Jadamo ne rapporte la preuve d’aucune faute imputable à la société B C D personnellement, en lien causal direct avec un préjudice certain.

Par conséquent, de débouter la société Jadamo de l’ensemble de ses demandes fins et conclusions.

Subsidiairement, de :

— infirmer le jugement en ce qu’il a rejeté l’appel en garantie de la société B C D à l’encontre de Me X,

— condamner Me X à relever et garantir intégralement la société B C D de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre,

— condamner la partie succombante à verser à la société B C D une somme de 4'000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner la partie succombante aux entiers dépens.

Au soutien de son appel, la société B C D fait valoir que la société Jadamo ne rapporte pas la triple preuve cumulative que les conditions de la responsabilité civile sont réunies.

Elle conteste en premier lieu avoir commis une faute aux motifs d’une part que l’inexécution de l’ordonnance de référé ne saurait en soi caractériser une faute personnelle du mandataire liquidateur, puisque celui-ci n’était pas partie à la procédure à titre personnel et que cette ordonnance n’a donc aucune autorité de chose jugée à son égard, d’autre part que le mandataire liquidateur ne peut procéder au paiement que dans la double limite des fonds disponibles et du respect de l’ordre des créanciers. Elle rappelle qu’elle a résilié le bail par lettre du 02 septembre 2013.

S’agissant du préjudice, la société B C D expose que le bailleur a fait preuve de grave négligence, puisque n’ayant réclamé les clés que par lettre datée du 27 mai 2014, celles-ci ne lui ont été remises que le 22 octobre 2014. Elle soutient que cette faute, cumulée à celle de l’huissier de justice qui a conservé indûment les clés, et à celle du commissaire-priseur, qui n’a pas suivi les consignes du mandataire liquidateur, est directement à l’origine du préjudice allégué.

Après avoir en outre précisé que seule une perte de chance de relouer le local aurait dû être retenue par le tribunal, l’appelante soutient que cette chance était manifestement nulle. Elle estime enfin qu’en tout état de cause, ce préjudice doit être diminué de la TVA puisque la société Jadamo n’a pas vocation à percevoir cette taxe.

Sur l’appel en garantie, la société B C D expose que les contraintes légales concernant les procédures collectives l’ayant obligée à confier au commissaire-priseur la vente aux enchères des biens présents dans les locaux, vente qui a été autorisée par ordonnance du juge commissaire datée

du 18 décembre 2013, elle avait demandé au commissaire-priseur, par lettre du 30 décembre 2013, de restituer les clés à la société Jadamo après la réalisation de la vente. Elle soutient que c’est donc Me X qui est à l’origine exclusive du préjudice puisqu’après la vente, ce dernier a adressé les clés à l’huissier de justice, sans même en informer le mandataire judiciaire qui pouvait donc légitimement considérer, en l’absence d’indications particulières, que les clés avaient été restituées au bailleur.

Dans ses dernières conclusions, la société Jadamo demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, y ajoutant, de :

— condamner la société B C D à lui payer la somme de 4'000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel,

— condamner la société B C D aux entiers dépens de l’instance.

Elle fait valoir que le liquidateur a incontestablement engagé sa responsabilité personnelle à l’égard de la société Jadamo. En effet, par lettre du 02 septembre 2013, la société B C D lui a fait part de sa volonté de ne pas poursuivre le bail et de libérer les locaux dans les meilleurs délais. Cependant, elle n’a pas libéré les lieux malgré les demandes amiables réitérées en ce sens. La société Jadamo affirme avoir effectué toutes les démarches possibles, se trouvant in fine contrainte d’assigner le mandataire liquidateur en référé pour enfin obtenir la restitution des clés de son local.

Par ailleurs, la société Jadamo soutient que la société B C D s’est maintenue dans les lieux en sachant pertinemment qu’elle ne pouvait assurer le règlement des échéances mensuelles du loyer, attitude constitutive d’une faute. Elle ajoute que la société B C D ne peut se retrancher derrière une faute du commissaire-priseur ou du bailleur pour expliquer le délai d’un an qui sépare la manifestation de la volonté de résilier le bail de la restitution effective des clé,s alors que celle-ci ne justifie pas qu’elle a entrepris les démarches nécessaires pour s’assurer que la remise des clés au propriétaire du local avait été effectuée.

Enfin, la société Jadamo expose qu’elle a subi un préjudice qui ne se limite pas à la perte de chance de relouer les locaux et que dès lors, peu importe que le bien n’ait pas été reloué puisque le défaut de restitution des clés a immobilisé le bien, empêchant ainsi la bailleresse de le faire visiter pour le proposer à la location. Elle en déduit que le défaut de restitution de clés l’ayant privée des revenus locatifs durant une période équivalente à ce retard, son préjudice doit donc être fixé à l’aune des loyers perdus.

Dans ses dernières conclusions, M. X demande à la cour de :

Vu les dispositions de l’article 1240 du code civil,

Vu l’ensemble des pièces versées aux débats,

— confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance d’Épinal du 14 décembre 2018 en ce qu’il a rejeté la demande en garantie formulée à son encontre par la société B C D,

— le dire recevable et bien fondé en l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

— dire la société B C D mal fondée en l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions formulées à l’encontre de Me X,

— l’en débouter en conséquence.

Y ajoutant,

— condamner la société B C D à lui verser la somme de 5'000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

— condamner la société B C D à lui verser la somme de 6'000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner la société B C D aux entiers dépens, comprenant notamment ceux de première instance et d’appel.

Contestant avoir commis une faute, M. X expose qu’il n’avait pas la charge d’assurer la libération du local ni de dresser un procès-verbal de remise des clés et d’état des lieux de sortie, cette responsabilité, incombant au liquidateur judiciaire, ne relevant en effet nullement de ses attributions. Il estime ainsi que c’est le liquidateur judiciaire qui avait l’obligation personnelle de restituer les locaux, de faire procéder à l’enlèvement des meubles qui les garnissaient et de remettre les clés. Il ajoute que les règles régissant ses missions sont d’ordre public et qu’il ne peut donc en aucun cas y être dérogé par une quelconque délégation de ces missions.

En outre, M. X fait observer qu’à l’issue de la vente, il n’a pas remis les clés du local à un simple tiers, mais à l’huissier de justice que le tribunal de grande instance avait désigné pour que la libération des locaux soit effectuée, en lien avec cet auxiliaire de justice. Il rappelle que c’est d’ailleurs cet huissier qui disposait des clés avant la vente et qu’il les lui a donc remises tout naturellement après cette vente, afin que celui-ci organise la libération des locaux.

M. X fait aussi remarquer que la société B C D a conclu à la responsabilité du commissaire-priseur devant le tribunal de grande instance, bien qu’elle n’ait conclu qu’à la seule responsabilité de l’huissier de justice devant le juge des référés.

Enfin, M. X soutient que sa garantie intégrale ne pourrait en tout état de cause pas être sollicitée, puisqu’ayant été désigné par ordonnance du 18 décembre 2013, les arriérés locatifs dont le paiement est réclamé concernent pour partie la période du 13 mars au 02 septembre 2013. Il ajoute que l’indemnité d’occupation ne peut pas lui être réclamée puisqu’il a organisé la vente dans un délai raisonnable, en l’espèce le 31 janvier 2014, après avoir eu connaissance de l’ordonnance l’autorisant, le 30 décembre 2013.

Concernant les sommes postérieures à son intervention, M. X soutient qu’en ayant remis les clés à l’huissier immédiatement après la vente, sa responsabilité ne peut être qu’exclue.

SUR CE, LA COUR,

Sur la responsabilité civile délictuelle de la SCP B C D

S’agissant de la période du 13 mars 2013, date d’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire de la société Revalor crédit, au 02 septembre 2013, date à laquelle la SCP B C D, ès qualités, a notifié au bailleur sa volonté de résilier le bail et de libérer les lieux, il est constant que les loyers ont continué à courir sans que le mandataire liquidateur puisse satisfaire à son obligation de paiement, le respect du rang des créanciers cumulé à l’impécuniosité révélée de la procédure collective n’ayant en effet pas permis le désintéressement de la société Jadamo.

S’il n’est pas douteux que, sur cette période de près de six mois, le bailleur a subi un préjudice économique résultant de ce manquement de la SCP B C D, ès qualités, à son obligation de paiement, la société Jadamo ne peut cependant valablement reprocher au mandataire liquidateur une faute caractérisée par son incurie ou son impéritie.

En effet, alors que la mission du mandataire liquidateur consiste à agir dans l’intérêt de l’ensemble des créanciers et pas seulement dans l’intérêt de l’un d’entres eux, fût-il bailleur, la cour ne peut que constater que sur cette période, la SCP B C D, ès qualités, s’est efforcée de céder dans les meilleures conditions les actifs, et notamment le fonds de commerce du débiteur, afin d’apurer tout ou partie du passif.

Au surplus, alors que l’article L. 641-12 3° du code de commerce permettait au bailleur de demander la résiliation judiciaire du bail de l’immeuble utilisé par la société Revalor crédit pour exercer son activité commerciale, ou faire constater la résiliation de plein droit du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une période postérieure au jugement de liquidation judiciaire, à condition que ces demandes ne soient formulées qu’au terme d’un délai de trois mois à compter de ce jugement, force est de constater que la société Jadamo s’est abstenue d’user de ce droit, celle-ci n’ayant ainsi réclamé à la SCP B C D, ès qualités, le paiement des loyers dus depuis mars et celui de la taxe foncière, ainsi que la libération du local encombré par les meubles de la société Revalor crédit, que par lettre du 22 août 2013, courrier auquel le mandataire a d’ailleurs très rapidement répondu en se déterminant pour la non poursuite du contrat de bail.

Par ailleurs, sur la période du 02 septembre 2013, date de résiliation du bail, au 31 janvier 2014, date de la vente aux enchères des actifs appartenant à la société débitrice, la cour ne peut que constater l’absence de faute commise par l’appelante, celle-ci ayant en effet accompli, en considération des contraintes de délais liées aux procédures collectives, ainsi que de la spécificité du dossier, et notamment l’impécuniosité du débiteur révélée en cours de procédure, les diligences nécessaires à l’accomplissement de sa mission, en :

— obtenant de la SCP Veritti-Gassmann-Pepe, huissiers de justice désignés par le jugement de liquidation judiciaire pour y procéder, le procès-verbal d’inventaire du patrimoine du débiteur, daté du 17 septembre 2013, après relances successivement adressées à la sus-nommée, par lettres des 10 juin et 22 août 2013,

— adressant à M. Z A, représentant légal de la société Jadamo, une lettre datée du 18 novembre 2013, fondée sur les dispositions de l’article L. 642-19 du code de commerce, afin de solliciter l’avis de celui-ci sur d’orientation du dossier vers la cession des actifs, par voie des enchères publiques,

— adressant le 09 décembre 2013 une requête au juge commissaire, à fin de voir ordonner la réalisation, par voie d’enchères publiques, des actifs inventoriés, demande à laquelle il a été fait droit par ordonnance du 18 décembre suivant,

— demandant dès le 30 décembre suivant à Me X, commissaire-priseur désigné par l’ordonnance précitée, de procéder dans les meilleurs délais à cette vente, laquelle est intervenue le 31 janvier 2014.

Dès lors, aucune faute ne pouvant être reprochée à la SCP B C D, jusqu’à cette dernière date, il y a lieu d’infirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société B C D à payer’la somme de18'189,18 euros à la société Jadamo, à titre de dommages et intérêts, ce quantum couvrant en effet une période d’indemnisation s’échelonnant notamment de la date d’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire au 31 janvier 2014.

S’agissant de la période comprise entre le 31 janvier 2014, date de la vente aux enchères, et le 22 octobre 2014, date de la remise effective, par la SCP Veritti-Gassmann-Pepe, des clés au bailleur, certes la société Jadamo a fait preuve d’une singulière absence de réactivité en ne demandant au mandataire liquidateur de lui remettre, dans les meilleurs délais, les clés du local commercial, que par lettre recommandée du 27 mai 2014, courrier aux termes duquel elle lui demandait également, par l’intermédiaire de son conseil, de lui indiquer les perspectives de recouvrement des loyers demeurés impayés depuis avril 2013, au regard des fonds disponibles.

Toutefois, cette inertie de la société Jadamo, durant près de quatre mois, n’exonérait pas pour autant le mandataire liquidateur de son obligation d’accomplir toutes les diligences destinées à limiter le préjudice subi par le bailleur, sur cette période, la poursuite de l’occupation des locaux commerciaux se traduisant en effet par une charge excessive eu égard à l’activité nulle de la société en liquidation, incapable en conséquence d’honorer le paiement de chaque échéance mensuelle depuis celle d’avril 2013.

En ne se préoccupant pas de la restitution effective des clés à la société Jadamo, alors même que par lettre du 30 décembre 2013, il avait demandé à Me X, commissaire-priseur, de dresser au terme de la vente, un procès-verbal de restitution des clés au bailleur, la SCP B C D, ès qualités, a en conséquence commis une faute, fait générateur de responsabilité civile en relation causale directe avec le préjudice subi par la société intimée.

Le préjudice subi par le bailleur ne se résolvant cependant pas en une simple addition mathématique des loyers impayés, mais consistant en réalité en une perte de chance de relouer le local sur la période considérée, il convient, à l’aune des conclusions et pièces versées au dossier, de fixer le préjudice subi par la société Jadamo à 20 % du montant desdits loyers, étant précisé sur ce point que si la SCP B C D demande à la cour de déduire des éventuels dommages et intérêts alloués au bailleur, le montant du dépôt de garantie, l’appelante ne versant aux débats aucun justificatif permettant d’établir l’effectivité et le quantum du versement d’un tel dépôt, cette demande d’imputation ne peut être que rejetée.

En définitive, il convient donc de condamner la SCP B C D à payer à la société Jadamo la somme de 1 692 euros à titre de dommages et intérêts, montant correspondant à 20 % de 8 460 euros, soit neuf mois de loyers à 940 euros HT, charges comprises, du 1er février au 30 octobre

2013.

Cette somme portera intérêts au taux légal à compter de la date de l’arrêt et la société Jadamo sera déboutée du surplus de sa demande de dommages et intérêts.

Par ailleurs, la société Jadamo n’ayant pas formé appel incident à l’encontre de la décision du tribunal de rejet de la demande de dommages et intérêts formée au titre du préjudice moral, il convient de constater que le jugement est devenu définitif de ce chef.

Sur l’appel en garantie

Si par lettre du 30 décembre 2013, le mandataire liquidateur a effectivement demandé au commisaire priseur de dresser, au terme de la vente aux enchères publiques des biens du débiteur, un procès-verbal de restitution des clés au bailleur, la restitution par Me X des clés à SCP Veritti-Gassmann-Pepe, huissier de justice, ne permet cependant pas de conclure à la commission, pour ce simple motif, d’une faute par la partie appelée en intervention forcé, cette dernière, désignée expressément par le tribunal pour remplir une mission entrant dans sa sphère de compétences, à savoir procéder à la vente aux enchères, n’ayant pas en effet à supporter la charge de la remise effective des clés au bailleur, une telle mission relevant incontestablement de la seule responsabilité du mandataire judiciaire.

Il convient en conséquence de débouter la SCP B C D de son appel en garantie.

Si dans ses motifs, le jugement a développé une motivation spécifique destinée à trancher ce chef de prétentions, la cour ne peut toutefois que constater qu’en ayant eu recours, dans son dispositif, à la formule 'rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires', les premiers juges n’ont pas expressément répondu à l’ensemble des prétentions exprimées par les parties.

Le jugement doit en conséquence également être complété de ce chef.

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

L’exercice d’une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages-intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur grossière équipollente au dol.

En l’espèce, Me X ne rapportant pas la preuve de la malice ou de la mauvaise foi de la SCP B C D, il y a donc lieu de le débouter de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Sur les demandes accessoires

Le jugement doit être confirmé dans ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles de première instance.

L’appelante, partie perdante, doit être condamnée aux dépens d’appel.

Les intimés ayant exposé des frais irrépétibles afin de faire valoir leurs droits, il convient de leur allouer à chacun la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, sans que la partie adverse puisse prétendre à une telle indemnité.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les limites de l’appel et des appels incidents,

INFIRME le jugement déféré, sauf dans ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles de première instance.

Statuant à nouveau,

DECLARE la SCP B C D responsable du préjudice matériel subi par la SCI Jadamo, sur la période du 1er février au 22 octobre 2014,

CONDAMNE en conséquence la SCP B C D à payer à la SCI Jadamo la somme de mille six cent quatre vingt douze euros (1 692 €) à titre de dommages et intérêts, avec intérêts légaux à compter de la date du présent arrêt,

DEBOUTE la SCI Jadamo du surplus de sa demande en paiement,

DEBOUTE la SCP B C D de sa demande visant à voir Me X la relever et garantir intégralement de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre,

DEBOUTE M. Y X de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, dirigée à l’encontre de la SCP B C D,

CONDAMNE la SCP B C D à payer à chacun de la SCI Jadamo et de M. Y X la somme de mille cinq cents euros (1 500 €) au titre des frais irrépétibles d’appel,

DEBOUTE la SCP B C D de ce chef de demandes,

CONDAMNE la SCP B C D à payer les dépens d’appel.

Le présent arrêt a été signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre à la Cour d’Appel de NANCY, et par Monsieur Ali ADJAL, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,

Minute en douze pages.

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