Cour d'appel de Nancy, 5ème chambre, 13 mai 2020, n° 18/00005

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Nancy, 5e ch., 13 mai 2020, n° 18/00005
Juridiction : Cour d'appel de Nancy
Numéro(s) : 18/00005
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Bar-le-Duc, EXPRO, 30 octobre 2018, N° 18/00003
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


COUR D’APPEL DE NANCY

Chambre des Expropriations

ARRÊT N° /20 DU 13 MAI 2020

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/00005 – N° Portalis DBVR-V-B7C-EJCX

Décision déférée à la Cour : jugement du Juge de l’expropriation de BAR-LE-DUC,

R.G. n° 18/00003 en date du 31 octobre 2018 ;

APPELANTS A TITRE PRINCIPAL / INTIMÉS A TITRE INCIDENT:

Monsieur Y-E X

demeurant au […]

représenté par Me Olivier BIENFAIT, avocat au barreau de MEUSE

Madame A B épouse X

demeurant au […]

représentée par Me Olivier BIENFAIT, avocat au barreau de MEUSE

INTIMÉS A TITRE PRINCIPAL / APPELANTS A TITRE INCIDENT :

COMMUNE DE THILLOT, dont le siège se situe à l'[…]

représenté par Me Fabrice HAGNIER de la SCP DEMANGE & ASSOCIES, avocat au barreau de MEUSE

LE COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT dont le siège se situe à la Direction Départementale des Finances Publiques, […], […]

représentée aux débats par Madame C D, Inspectrice de la Direction Départementale des Finances Publiques de Meurthe-et-Moselle, remplissant les fonctions de Commissaire du Gouvernement ;

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 06 Février 2020, en audience publique devant la Cour composée de :

Mme C DIEPENBROEK, Présidente,

M. Claude SOIN, Conseiller,

M. Y-Louis FIRON, Conseiller,

qui en ont délibéré ;

Greffier, lors des débats : Mme Emilie ABAD,

ARRÊT : contradictoire, prononcé publiquement le 05 mars 2020 date indiquée à l’issue des débats, date à laquelle le délibéré a été prorogé au 18 mars 2020, et ensuite prorogé au 13 mai 2020, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile ;

signé par Mme C DIEPENBROEK, Présidente et par Mme Emilie ABAD, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire ;


Copie exécutoire délivrée le à

Copie délivrée le à


FAITS ET PROCÉDURE

Par arrêté du 13 décembre 2012, pris à la suite d’une enquête publique et d’une enquête parcellaire, le préfet de la Meuse a déclaré d’utilité publique les travaux nécessaires à l’élargissement de l’accès de la voie dite du Charot située sur la commune de Thillot (55) entre le chemin du jardinet et la route des côtes, et déclaré immédiatement cessibles, au bénéfice de ladite commune, les parcelles cadastrées section ZK n° 17 et 18 et […].

Par ordonnance du juge de l’expropriation du tribunal de grande instance de Bar-le-Duc datée du 25 avril 2013, la parcelle C 1947 a été déclarée expropriée immédiatement pour cause d’utilité publique au profit de la commune de Thillot, pour une surface à exproprier de 85 ca.

Faute d’accord sur le prix de la parcelle C 1947 appartenant à M. Y-E X et à son épouse née A B, expropriés, et l’expropriant, ce dernier a saisi le juge de l’expropriation et offert une indemnité globale de 1 450 euros se décomposant comme suit :

— indemnité principale : 1 150 euros, soit 10 euros/m²

— indemnité au titre d’un noyer : 300 euros.

Par mémoire daté du 21 juin 2018, les époux X ont sollicité la somme totale de 19 980 euros à titre d’indemnité d’expropriation, se décomposant comme suit :

— indemnité principale : 1 530 euros au titre de l’expropriation d’une surface de 85 m² à raison de 18 euros le m²,

— destruction d’un noyer : 450 euros,

— perte des fruits : 5 000 euros,

— pertes de trois arbres fruitiers : 1 000 euros,

— indemnité accessoire du fait des travaux nécessaires au réaménagement de la clôture et du portail d’accès à la propriété : 10 000 euros,

— perte d’exploitation de leur gîte : 2 000 euros.

Le transport sur les lieux a eu lieu le 25 juin 2018.

Par une note en délibéré datée du 16 juillet 2018, autorisée par le juge de l’expropriation, le commissaire du gouvernement a proposé de retenir une indemnité principale de 1 156 euros correspondant à une valeur du terrain nu de 17 euros/m² auquel doit être appliqué un abattement de 20 % pour encombrement en raison de la présence de bâti sur ce terrain, ainsi qu’une indemnité de remploi de 231,20 euros, soit un total arrondi à 1 387 euros.

Par jugement avant dire droit du 25 juillet 2018, le juge de l’expropriation du département de la Meuse a sursis à statuer sur l’ensemble des demandes, a ordonné la réouverture des débats, a invité les parties à se prononcer sur l’intérêt à agir (sic) des époux X et a renvoyé le dossier à l’audience du 05 septembre 2018.

En réponse à ce jugement, les époux X ont demandé à titre principal de déclarer irrecevables les demandes formées par la commune de Thillot à leur encontre et de renvoyer cette dernière à mieux se pourvoir. A titre subsidiaire, ils ont conclu conformément à leurs dernier mémoire.

Le commissaire du gouvernement et la commune de Thillot ont pour leur part conclu respectivement à la recevablité de la procédure comme orientée vers les associés d’une société civile immobilière dissoute et radiée et donc en situation de propriétaires indivis sur les parcelles objets de l’expropriation.

Par jugement du 31 octobre 2018, le juge de l’expropriation du tribunal de grande instance de Bar-le-Duc a :

— fixé le montant de l’indemnité principale due au titre de l’expropriation de la parcelle sise sur la commune de Thillot, cadastrée […] pour une contenance de 85 m², par la commune de Thillot à M. Y-E X et à Mme A X, à la somme de 1 156 euros,

— débouté M. Y-E X et Mme A X du surplus de leurs prétentions,

— laissé les dépens à la charge de l’expropriant.

Pour statuer ainsi, après avoir rappelé les principes posés par les articles L. 321-1 et L. 322-2 du code de l’expropriation, le juge a fixé en premier lieu l’indemnité principale en considération des transactions réalisées dans les années précédant le jugement, dans un périmètre géographique proche, en excluant les ventes concernant des communes de plus grande importance et en appliquant un abattement de 20 % pour encombrement du terrain, par des constructions existantes.

Il a en outre motivé la privation des époux X du bénéfice de l’indemnité de remploi en relevant que cette indemnité n’avait pas été sollicitée par ceux-ci et en mettant en oeuvre les dispositions de l’article R. 311-22 du code de l’expropriation.

Sur les indemnités accessoires, il a rejeté :

— l’indemnisation pour la perte d’un noyer, au motif que le terrain a été qualifié de terrain à bâtir,

— les indemnités relatives aux autres arbres fruitiers, au motif notamment que la preuve n’est pas rapportée de leur plantation avant ou après le 30 août 2012, date de l’arrêté préfectoral ayant ordonné l’enquête publique,

— l’indemnité sollicitée au titre de la clôture au motif que parfaitement informés du projet d’élargissement du chemin, ils ont implanté en parfaite connaissance de cause ladite clôture et amélioré ainsi l’état de leur parcelle dans le but d’obtenir une indemnisation complémentaire,

— l’indemnisation au titre de la perte d’exploitation du gîte au motif que le préjudice n’est pas certain.

*

Selon déclaration enregistrée le 14 décembre 2018, les époux X ont relevé appel de ce jugement.

*

Selon mémoire déposé le 27 août 2019, notifié à la commune de Thillot et à son conseil le 10 septembre 2019, ainsi qu’à Mme le commissaire du gouvernement à la même date, les appelants sollicitent l’infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et demandent à la cour, statuant à nouveau, de déclarer irrecevables les demandes de la commune de Thillot et de renvoyer cette dernière à mieux se pourvoir.

Subsidiairement, dans l’hypothèse de la recevabilité de la demande de l’expropriant, de condamner la commune de Thillot à leur payer les sommes suivantes :

— au titre de l’expropriation d’une surface de 85 m², la somme de 1 530 euros à raison de 18 euros le m²,

—  450 euros au titre de la destruction du noyer,

—  5 000 euros au titre de la perte des fruits,

—  1 000 euros supplémentaires au titre de la perte de trois arbres fruitiers qui vont être impactés du fait de la limite imposée par le code civil en matière de distance de plantation,

—  10 000 euros à titre d’indemnité accessoire du fait des travaux nécessaires au réaménagement de la clôture et du portail d’accès à leur propriété,

—  2 000 euros au titre de la perte d’exploitation de leur gîte.

Sur l’irrecevabilité de la demande de la commune, les appelants relèvent que le juge de l’expropriation n’a pas tiré les conséquences du propre moyen qu’il a soulevé d’office, alors que les époux X n’étaient pas, au moment de sa saisine, titulaires du droit réel immobilier sur l’immeuble objet de l’expropriation.

Sur le fond, pour justifier en premier lieu leur demande de valorisation à 18 euros le m² de la parcelle, ils contestent d’une part l’abattement de 20 % pratiqué par le juge, soutenant ainsi qu’ils ne comprennent pas à quoi cet abattement correspond, et rappelent d’autre part qu’ils produisent les justificatifs suffisants du bien-fondé d’une telle valorisation, en versant notamment aux débats un acte de vente daté du 05 octobre 2009.

S’agissant en second lieu du noyer, les époux X maintiennent leur demande d’indemnisation, tant au titre de la perte intrinsèque de l’arbre qu’au titre de la perte des fruits, en faisant valoir que, notamment en zone rurale, seule une certaine fraction de l’assiette d’un terrain à bâtir a vocation à recevoir une construction, les arbres préexistants pouvant en effet subsister, nonobstant cette construction.

Le rejet de l’indemnisation des autres arbres fruitiers est également contesté par les expropriés, au motif qu’après avoir notamment invoqué les dispositions de l’article 671 du code civil, le juge n’a procédé à aucune vérification de leur implantation à moins de deux mètres de la limite de propriété.

Sur le préjudice lié à la réfection du portail et de la clôture, les appelants contestent également la motivation adoptée par le juge en arguant du fait qu’en considération de la durée de la procédure, soit dix années entre la date à laquelle la commune a envisagé de procéder à l’expropriation (2008) et la date du jugement (2018), ils avaient parfaitement le droit de clore leur terrain, tant dans la perspective d’assurer la protection de leur bien que d’y accéder.

S’agissant enfin du préjudice tiré de la perte d’exploitation, les époux X font état de nouvelles pièces versées en cause d’appel aux débats, afin de démontrer le chiffre d’affaires réalisé au titre de la location du gîte rural, au titre de l’année 2018.

*

Par mémoire déposé le 03 mai 2019, notifié à la même date à M. Y-E X, à Mme A B épouse X et à Mme le commissaire du gouvernement, la commune de Thillot, au visa de l’article L. 13-13 posant le principe de la réparation intégrale du préjudice direct, matériel et certain causé par le préjudice, demande à la cour de déclarer recevable mais mal fondé l’appel des époux X, de rejeter à titre principal l’argument d’irrecevabilité comme argument nouveau soulevé à hauteur d’appel par ces derniers, de dire en conséquence recevable l’action en indemnisation des expropriés engagée par elle et sur le fond :

— d’infirmer le jugement entrepris sur l’indemnisation principale et, statuant à nouveau, de fixer le montant de celle-ci pour l’expropriation de la parcelle dont s’agit sur la base de 10 euros le m²,

— confirmer pour le surplus le jugement,

— débouter les époux X de l’intégralité de leurs demandes accessoires,

— condamner solidairement M. et Mme X à lui payer la somme de 1 300 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre leur condamnation solidaire aux entiers dépens.

Pour conclure au rejet du moyen pris de l’irrecevabilité de sa demande, la commune de Thillot, après avoir soutenu que ce moyen est lui-même irrecevable comme nouveau en cause d’appel, rappelle qu’à la date à laquelle la procédure d’expropriation a été engagée, la SCI des Roises, propriétaire originaire de la parcelle expropriée, était dissoute et avait fait l’objet d’une radiation publiée au BODACC depuis le 27 septembre 2009, de sorte qu’en l’absence de preuve contraire rapportée par les expropriés, ceux-ci, associés de cette société civile immobilière, se retrouvent propriétaires indivis des biens immobiliers non vendus antérieurement ou à l’occasion de la phase de liquidation.

Sur le fond, la commune rappelle que sa proposition de fixation de l’indemnité principale liée à la dépossession , soit 10 euros le m², atteint le double de la valorisation de la parcelle faite par le service des domaines (5 euros le m²) et précise que ses propres références sont plus actuelles que celle de 2009 proposée par les expropriés.

Sur les postes de préjudice accessoires, elle fait valoir que :

— outre le fait que l’indemnisation proposée naguère à hauteur de 300 euros pour indemnisation du noyer, comprenait l’indemnisation de l’arbre lui-même mais aussi celle de la perte des fruits, le premier juge doit être approuvé en ce qu’il s’en est tenu à l’indemnisation d’une parcelle qualifiée de terrain à bâtir, excluant en conséquence l’indemnisation au titre des plantations,

— l’indemnisation sollicitée au titre des autres arbres fruitiers doit être rejetée, dans la mesure où manifestement ces arbres ont été plantés postérieurement au début de la procédure d’expropriation, et ce en parfaite connaissance de cause,

— la preuve étant rapportée de l’information des gérants et associés de la SCI des Roises, préalablement à la date de l’acquisition par cette dernière de la parcelle objet du litige, du projet d’élargissement du chemin longeant ladite parcelle, c’est donc également en parfaite connaissance de cause que les expropriés ont pris le risque de clore leur terrain, au risque de devoir déplacer la clôture,

— le préjudice lié aux pertes d’exploitation du gîte doit de la même manière être rejeté comme étant purement hypothétique.

*

Par conclusions reçues au greffe de la cour le 04 octobre 2019 et notifiées à la commune de Thillot, à M. Y-E X et à Mme A B épouse X le 07 octobre suivant, le commissaire du gouvernement demande à la cour de déclarer recevable l’appel principal et l’appel incident, de faire droit à ce dernier, d’infirmer le jugement et de fixer comme suit les indemnités dues en réparation du préjudice subi du fait de l’expropriation d’une emprise de 85 m² sur la parcelle […] commune de Thillot :

— indemnité principale : 1 156 euros,

— indemnité de remploi : 231,20 euros,

soit un total de 1 387,20 euros.

Sur l’irrecevabilité de la demande, le commissaire du gouvernement estime d’une part qu’il s’agit là d’un moyen nouveau soulevé par les expropriés à hauteur d’appel, d’autre part que l’intérêt à agir des époux X est indiscutable à la date de saisine du juge de l’expropriation, en considération de la date de publication de la radiation de la SCI des Roises, et ce nonobstant le fait que le transfert de propriété entre la société civile immobilière et ses associés n’ait pas été publié au service de la publicité foncière (SPF).

Sur le fond, il demande à la cour de mettre en oeuvre de manière stricte les dispositions des articles L. 321-1 à L. 322-12 du code de l’expropriation et, après avoir rappelé que la partie bâtie du terrain en cause couvrant environ un tiers de la surface, ledit terrain doit être qualifié de terrain à bâtir encombré, s’agissant notamment de l’indemnité principale, il soutient que :

— le terrain exproprié devant être estimé selon la méthode par comparaison, elle verse aux débats des actes de vente s’échelonnant de 2015 à 2017, soit à une période contemporaine à la date du jugement, permettant de retenir une valeur de terrain à bâtir nu de 17 euros le m², auquel il convient d’appliquer un abattement de 20 % pour encombrement,

— l’annonce parue sur le journal 'Le bon coin’ ne peut utilement être retenue comme terme de comparaison, comme ne constituant pas une transaction effective,

— la vente de 2009 dont se prévalent les appelants est trop ancienne pour pouvoir être retenue à titre de terme de comparaison,

— bien que les époux X n’aient pas sollicité l’octroi d’une indemnité de remploi, celle-ci est de droit et aurait donc dû être accordée, circonstance justifiant l’infirmation du jugement.

Sur les indemnités accessoires, il fait valoir que :

— en matière d’expropriation, une indemnité ne peut être allouée à la fois au titre d’un terrain à bâtir et au titre d’un terrain supportant des plantations fruitières, dès lors que ces dernières ne sont pas l’un des éléments déterminant sa valeur vénale,

— le préjudice causé par le déplacement de la clôture n’est pas directement lié à la procédure, mais à la décision prise en parfaite connaissance de cause par les époux X d’implanter une clôture en limite de propriété,

— les expropriés ne produisant aucune preuve de la date d’acquisition des arbres fruitiers implantés à moins de deux mètres de la clôture après expropriation, aucune indemnisation pour perte de ces arbres ne doit être accordée,

— le préjudice sollicité au titre de la perte d’exploitation n’étant qu’éventuel, le jugement doit être également confirmé en ce qu’il a rejeté ce chef de prétentions.

SUR CE, LA COUR,

SUR LA RECEVABILITE DE LA DEMANDE DE LA COMMUNE DE THILLOT

A titre liminaire, il convient d’observer qu’en réponse au jugement avant dire droit du 25 juillet 2018, par lequel le juge de l’expropriation avait invité les parties à se prononcer sur l’intérêt à agir des époux X, ces derniers avaient conclu à titre principal à l’irrecevabilité de la demande formée par la commune de Thillot à leur encontre.

Dès lors, la fin de non-recevoir contenue dans les conclusions d’appel des époux X ne constituant pas un moyen de défense nouveau, il convient de la déclarer recevable.

S’agissant par ailleurs du droit à agir des époux X, les pièces versées aux débats démontrent qu’à la date à laquelle la procédure d’expropriation a été engagée par la commune de Thillot, la SCI des Roises, propriétaire originaire de la parcelle en litige, était d’ores et déjà dissoute et avait fait l’objet d’une décision de radiation publiée au BODACC depuis le 27 septembre 2009.

M. Y-E X et son épouse née A B, associés de la SCI des Roises, ne rapportant en outre pas la preuve de la perte, par cette société, de ladite parcelle, antérieurement à sa dissolution ou à l’occasion des opérations de liquidation, les appelants sont donc nécessairement devenus propriétaires indivis du bien immobilier à cette date, et ce nonobstant le fait qu’aucune mesure de publicité n’ait été faite en ce sens auprès du SPF.

Il s’ensuit que la demande de la commune de Thillot doit être déclarée recevable et le jugement, qui a implicitement retenu cette recevabilité en ayant toutefois omis, tant dans ses motifs que dans son dispositif, de se prononcer sur le moyen soulevé d’office, pris d’un éventuel défaut de droit à agir des époux X, doit en conséquence être complété sur ce point.

SUR LES INDEMNITES DUES A LA PARTIE EXPROPRIEE

La description du bien et sa situation au regard de l’urbanisme

Le bien exproprié, représentant une emprise de 85 m² à prélever sur la parcelle sise commune de Thillot, cadastrée […], parcelle formant une unité foncière avec les parcelles section C n° 756 et 755, est constitué d’une bande de deux mètres de largeur sur toute la longueur de ladite parcelle, soit environ 42 mètres. Un bâtiment est implanté sur la parcelle C 755 et l’emprise expropriée est située en bordure de chemin.

Le bien se situe en outre en zone constructible de la carte communale, approuvée le 29 juillet 2011, cette date constituant la date de référence.

L’indemnité principale

Selon l’article L. 321-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, les indemnités allouées couvrent l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l’expropriation.

Selon l’article R. 311-22 du même code, le juge statue dans la limite des conclusions des parties, telles qu’elles résultent de leurs mémoires et des conclusions du commissaire du gouvernement si celui-ci propose une évaluation inférieure à celle de l’expropriant.

Sur la consistance du bien :

L’article L. 322-1 alinéa 1er énonce que le juge fixe le montant des indemnités d’après la consistance des biens à la date de l’ordonnance portant transfert de propriété.

L’immeuble exproprié doit être estimé au jour du jugement, soit le 31 octobre 2018, mais en tenant compte de sa consistance matérielle au jour de l’ordonnance d’expropriation, soit le 25 avril 2013, et en fonction de son usage effectif à la date d’opposabilité du plan d’occupation des sols, s’agissant d’une parcelle située dans le périmètre d’exercice du droit de préemption urbain, soit le 18 septembre 2011.

Sur la qualification du bien :

Aucune des parties ne conteste le fait que l’unité foncière dont s’agit, prise dans sa globalité, remplit bien les conditions exigées par l’article L. 322-3 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique pour être qualifiée de terrain à bâtir, à savoir qu’elle se trouve dans un secteur désigné comme constructible et qu’elle est desservie par une voie d’accès, un réseau électrique, un réseau d’eau potable et un réseau d’assainissement.

La partie non bâtie de l’unité foncière appartenant aux époux X, en ce compris le bien exproprié, peut donc être qualifiée de terrain à bâtir (TAB).

La partie bâtie occupant cependant une part importante de l’unité foncière (environ le tiers), et cette circonstance limitant en conséquence les possibilités de construction d’un nouveau bâtiment, il convient de juger que le bien exproprié est un TAB encombré, justifiant l’application d’un abattement de 20 % à sa valeur.

Sur la détermination de la valeur vénale du bien :

La méthode d’évaluation par comparaison consiste à évaluer le bien avec des termes de référence constitués par des mutations de biens de même nature.

Certes, les époux X fournissent à titre de terme de comparaison une vente intervenue selon acte authentique du 05 octobre 2009.

Toutefois, en considération de l’ancienneté de cette transaction, qui est en effet éloignée de près de dix ans de la date à laquelle le premier juge a statué, il y a lieu d’écarter ce terme de comparaison, insuffisamment probant.

De la même manière, une simple annonce immobilière parue sur un journal spécialisé ne pouvant à l’évidence être retenue comme terme de comparaison, faute de justification par les appelants de l’effectivité d’une vente réalisée au prix figurant dans ladite annonce, il convient de fixer la valeur vénale du bien en litige en écartant cette pièce, non probante, produite par les époux X.

Le premier juge doit en conséquence être approuvé en ce qu’il a fixé le montant de l’indemnité principale due par la commune de Thillot à la partie expropriée, à l’aune des seules transactions réalisées dans les années précédant le jugement et dans un périmètre géographique proche, soit en fonction des ventes citées par le commissaire du gouvernement, sur la période 2015-2017, sur la base d’un prix au mètre carré de 17 euros.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a fixé l’indemnité principale à la somme de 1 156 euros, montant correspondant à 17 € x 85 m² – 20 %

L’indemnité de remploi

Si les époux X n’ont pas expressément formulé de prétention au titre de l’indemnité de remploi, il résulte cependant des dispositions de l’article R. 322-5 du code de l’expropriation que cette indemnité est calculée compte-tenu des frais de tous ordres normalement exposés pour l’acquisition de biens de même nature, moyennant un prix égal au montant de l’indemnité principale.

Par ailleurs, aucun élément du dossier ne permettant de conclure que les biens expropriés étaient notoirement destinés à la vente, ou mis en vente par le propriétaire exproprié au cours de la période de six mois ayant précédé la déclaration d’utilité publique, c’est donc à tort que le jugement a dit, dans ses seuls motifs, qu’aucune indemnité de remploi ne pouvait être accordée aux époux X.

En recourant aux pourcentages dégressifs habituels, l’indemnité due à ce titre se calcule de la manière suivante : 20 % jusqu’à 5 000 euros, soit 231,20 euros sur la base d’une indemnité principale fixée à 1 156 euros.

Le jugement doit en conséquence être complété en ce sens.

Les indemnités accessoires

Il convient en premier lieu de confirmer le jugement en ce que d’une part il a débouté les époux X de leur demande d’indemnité au titre de la destruction d’un noyer et de la privation des fruits de cet arbre, la qualification de TAB du terrain s’opposant en effet à toute indemnisation réclamée à ces titres, et en ce que d’autre part il a débouté les expropriés de leur demande d’indemnisation au titre des autres arbres fruitiers, l’absence d’éléments suffisamment probants quant à la date réelle d’implantation de ces arbres ne permettant ainsi pas au juge de l’expropriation de mettre en oeuvre, le cas échéant, les dispositions de l’article L. 322-1 alinéa 2 du code de l’expropriation.

S’agissant par ailleurs de l’indemnité pour réfection de la clôture, c’est par des motifs pertinents et circonstanciés que le premier juge, après avoir constaté d’une part que les expropriés avaient été parfaitement informés, tant de la décision de la commune de Thillot de procéder à l’élargissement du chemin dit du Charot que de l’emprise de l’élargissement de ce chemin, et jugé d’autre part que ceux-ci avaient la possibilité d’implanter, le cas échéant, une clôture provisoire à moindre frais, pour répondre à leur volonté légitime de mieux clore leur terrain, la cour relevant sur ce point qu’il résulte des propres pièces et conclusions des appelants qu’une haie de charmille marquait d’ores et déjà leur limite de leur propriété, il a jugé que c’est en parfaite connaissance de cause que les époux X ont implanté une clôture et un portail d’accès, en limite de leur propriété, prenant ainsi le risque de devoir à terme déplacer ces infrastructures.

Le jugement doit en conséquence être confirmé en ce que, faisant à bon droit application des dispositions de l’article L. 322-1 alinéa 2 du code de l’expropriation, il a débouté les consorts X de ce chef de prétentions.

S’agissant enfin de l’indemnité sollicitée au titre de la perte d’exploitation de leur gîte, les pièces versées aux débats par les appelants n’étant pas suffisantes à établir le caractère certain d’une telle perte, c’est également à bon droit que le premier juge a fait application de l’article L.321-1 du code précité, et a débouté en conséquence les époux X de ce chef de prétentions.

SUR LES PRETENTIONS ACCESSOIRES

Conformément à l’article L. 312-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, l’expropriant supporte seul les dépens de première instance. Il convient en conséquence de confirmer le jugement ayant laissé les dépens de la procédure de première instance à la charge de la commune de Thillot.

Les expropriés, partie perdante pour l’essentiel, doivent en revanche être condamnés aux entiers dépens de la procédure d’appel.

Il n’y a pas lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

DECLARE recevable la fin de non-recevoir soulevée par M. Y-E X et par son épouse née A B,

DECLARE recevable la demande formée par la commune de Thillot,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement déféré.

Y ajoutant,

FIXE l’indemnité accessoire de remploi revenant à M. Y-E X et à son épouse née A B à la somme de deux cent trente et un euros et vingt centimes (231,20 €),

CONDAMNE en conséquence la commune de Thillot au paiement à M. Y-E X et à son épouse née A B de la somme ainsi fixée,

DEBOUTE la commune de Thillot de sa demande formée au titre des frais irrépétibles d’appel,

CONDAMNE in solidum M. Y-E X et son épouse née A B à payer les dépens d’appel.

Le présent arrêt a été signé par Mme C DIEPENBROEK, Présidente de chambre à la Cour d’Appel de NANCY, et par Mme Emilie ABAD, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER : LA PRÉSIDENTE :

Minute en douze pages.

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Cour d'appel de Nancy, 5ème chambre, 13 mai 2020, n° 18/00005