Cour d'appel de Nîmes, 3 mars 2015, n° 13/03459

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Nîmes, 3 mars 2015, n° 13/03459
Juridiction : Cour d'appel de Nîmes
Numéro(s) : 13/03459
Décision précédente : Conseil de prud'hommes d'Orange, 2 juillet 2013, N° 12/348

Sur les parties

Texte intégral

ARRÊT N°

R.G. : 13/03459

OT.CC

CONSEIL DE PRUD’HOMMES D’ORANGE

03 juillet 2013

Section: Industrie

RG:12/348

XXX

C/

A

COUR D’APPEL DE NÎMES

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 03 MARS 2015

APPELANTE :

XXX prise en la personne de son Président en exercice

XXX

XXX

représentée par Maître Benoît CHAROT de la SCP REEDSMITH, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉ :

Monsieur J A

né le XXX à FOUSSANA

XXX

XXX

comparant en personne, assisté de Maître Julie ANDREU de la SCP TEISSONIERE TOPALOFF LAFFORGE, avocat au barreau de MARSEILLE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Guénaël LE GALLO, Président,

Monsieur B LERNOULD, Conseiller,

Monsieur Olivier THOMAS, Conseiller,

GREFFIER :

Madame Fatima GRAOUCH, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision

DÉBATS :

à l’audience publique du 09 Décembre 2014, où l’affaire a été mise en délibéré au 03 Mars 2015

Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel ;

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort, prononcé et signé par Monsieur Guénaël LE GALLO, Président, publiquement, le 03 Mars 2015, par mise à disposition au greffe de la Cour

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS DES PARTIES

Monsieur J A, né le XXX, a été employé par la société Saint-Gobain Isover dans son Usine d’Orange du 01 octobre 1976 au 31 août 2007, dernièrement en qualité de Surfaceur.

Par arrêté du 19 mars 2010 pris en application de l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998, ce site a été inscrit sur la liste des établissements susceptibles d’ouvrir droit à l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante pour la période 1972-1996.

Par requête reçue le 12 octobre 2012, M. A a saisi le conseil de prud’hommes d’Orange afin de voir condamner la société Saint-Gobain Isover à l’indemniser de préjudices liés à son exposition à l’amiante (préjudice d’anxiété, bouleversement dans les conditions d’existence et perte de droits à la retraite).

Par jugement du 3 juillet 2013, assorti de l’exécution provisoire, le conseil de prud’hommes, constatant que le demandeur avait bien été exposé à l’inhalation de fibres d’amiante au sein de la société Isover Saint-Gobain, l’a débouté de sa demande pour perte de droits à la retraite mais a condamné cette société à lui payer les deux sommes distinctes de 13.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice d’anxiété, et 10.000 euros en réparation du bouleversement dans les conditions d’existence, et lui a alloué la somme de 300 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La société Saint-Gobain Isover a interjeté appel de cette décision le 22 juillet 2013.

' L’appelante a fait soutenir oralement à l’audience des conclusions écrites, communes aux autres affaires du rôle, aux termes desquelles elle présente les demandes suivantes :

— à titre principal, déclarer les actions prescrites, sauf en ce qui concerne deux salariés (MM. V W et N Y), et débouter en tout état de cause les intimés de leurs prétentions ;

— subsidiairement, dire et juger les intimés, y compris MM. W et Y, mal fondés en leurs demandes et réformer en conséquence les jugements déférés, sauf en ce qu’ils ont débouté ceux des salariés qui le demandaient de la réparation de la privation de leurs droits à la retraite ;

— plus subsidiairement, débouter les intimés de toutes demandes au titre du bouleversement dans les conditions d’existence et réduire à plus justes proportions les montants sollicités et alloués en première instance au titre du seul préjudice d’anxiété.

' Elle expose essentiellement que :

— depuis sa création, le 1er octobre 1972, l’établissement d’Orange a toujours été exclusivement dédié à la fabrication de produits d’isolation en laine de verre, sous forme de rouleaux ou de panneaux, et même lorsque son utilisation a été autorisée, l’amiante n’est jamais entré dans la composition de la laine de verre ;

— la demande d’inscription du site sur la liste des établissements ouvrant droit à l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante a été rejetée par le ministre de l’emploi, du travail et de la cohésion sociale, le

7 février 2005, puis par le tribunal administratif de Marseille, le 23 octobre 2006, et ce n’est qu’en application de l’arrêt infirmatif de la cour administrative d’appel de Marseille du 17 décembre 2009, que l’établissement a été inscrit sur cette liste, par arrêté du 19 mars 2010 ;

— la fabrication de la laine de verre nécessitant de porter les matières premières à leur point de fusion, laquelle ne se réalise qu’à très haute température (1400 °C), des matériaux comportant de l’amiante ont été utilisés en tant que moyens de protection thermique seulement au niveau du 'bout chaud’ de la chaîne de production, comme dans de très nombreux autres sites industriels, étant précisé que les produits comportant de l’amiante n’ont pas été les seuls matériaux utilisés et que la composition de la majorité d’entre eux était même dépourvue d’amiante ;

— c’est donc uniquement au 'bout chaud', lors d’interventions consistant, soit en des travaux de mise en oeuvre ou de retrait de moyens de protection thermique comportant de l’amiante, soit en des travaux de démolition ou de reconstruction de fours (tous les 7 ans environ), que certains salariés de l’usine d’Orange (4 seulement affectés au travail dit 'à chaud', sur une équipe de 23) ont pu être exposés à l’inhalation de poussières d’amiante ;

— compte tenu de la distance séparant le 'bout froid’ du 'bout chaud’ (50 à 200 m), ces interventions n’étaient pas susceptibles d’exposer l’ensemble des effectifs de l’établissement à l’inhalation de poussières d’amiante, ni même une part significative de ces effectifs ;

— les travaux de démolition et de reconstruction de fours étaient systématiquement confiés à des entreprises extérieures spécialisées, et seuls quelques ouvriers de l’établissement, affectés à des postes de maçon fumiste, apportaient une aide ponctuelle et temporaire aux équipes extérieures, uniquement à des fins de supervision ;

— les travaux d’application et de retrait de moyens d’isolation thermique comportant de l’amiante étaient effectués par quelques opérateurs de maintenance, électriciens et mécaniciens, qui changeaient occasionnellement des pièces protégées par des toiles d’amiante utilisées par exemple comme moyen de protection de câbles électriques ou des équipements d’alimentation en gaz ;

— il peut ainsi être estimé que 25 personnes seulement, sur un effectif de 800, occupant des postes d’électricien, mécanicien, fibreur, fondeur, chef de poste ou mécanicien fibreur, étaient concernées par des interventions sur les éléments du 'bout chaud', tandis que les autres salariés n’étaient nullement exposés, étant précisé que les installations du 'bout chaud’ nécessitaient des compétences particulières, que les salariés de l’établissement n’étaient pas polyvalents, que chaque opérateur était affecté à la maintenance et à l’entretien d’installations spécifiques, et qu’en conséquence, seuls quelques électriciens et quelques mécaniciens ont pu être exposés à des matériaux contenant de l’amiante, lors d’opérations ponctuelles de maintenance ;

— la plupart des interventions sur des éléments de protection thermique contenant de l’amiante ne pouvaient être réalisées que de manière très ponctuelle, pendant les arrêts de production ;

— le point de départ de la prescription des actions doit être situé au 20 août 1977, date de publication du décret du 17 août 1977 qui a réglementé l’usage de l’amiante en milieu industriel, pour les salariés qui travaillaient alors chez Saint-Gobain Isover, tandis que pour les autres ayant débuté leurs carrières postérieurement, la date à prendre en considération est celle de leur entrée dans les effectifs de l’établissement, en sorte que la plupart des actions, dont celle de M. A, sont prescrites ;

— l’inscription d’un établissement sur la liste de ceux ouvrant droit au bénéfice de l’ACAATA dépend exclusivement de son activité et ne caractérise pas, par elle-même, un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat, seule la survenance de la maladie professionnelle constituant un tel manquement ;

— si le salarié qui a travaillé dans un établissement inscrit n’a pas à

rapporter la preuve de contrôles médicaux réguliers pour caractériser son préjudice, il n’est pas pour autant dispensé de prouver la faute de l’employeur ; en l’espèce, aucun des intimés ne rapporte la preuve qu’il a été exposé de manière fautive au risque au sein de l’établissement d’Orange ;

— les seules pièces produites par certains intimés sont des attestations

d’autres intimés, et surtout, les reconstitutions de carrières montrent que nombre d’entre eux, dont M. A, ont exercé des fonctions qui n’ont pas pu les exposer à l’amiante ; pour les autres, l’exposition n’a pu être qu’éventuelle et en tout état de cause, occasionnelle et ponctuelle ;

— les salariés ayant bénéficié de l’ACAATA n’étant pas fondés à obtenir

la réparation d’un préjudice économique, les jugements ayant rejeté les demandes au titre de la privation des droits à la retraite doivent être confirmés ;

— alors que le préjudice d’anxiété est par nature personnel et dépend de la personnalité et de la situation de chacun, la demande est présentée en termes identiques par tous les intimés, ce qui démontre l’absence de préjudice ;

— le préjudice au titre d’un bouleversement dans les conditions d’existence ne pouvant faire l’objet d’une réparation distincte, les demandes distinctes faites à ce titre doivent être rejetées.

' Dans ses écritures également communes aux autres affaires du rôle, M. A demande à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a constaté la réalité de son exposition à l’inhalation de fibres d’amiante au sein de la société Saint-Gobain Isover dans des conditions constitutives d’un manquement de l’employeur à l’obligation contractuelle de sécurité de résultat, mais de réformer ce jugement sur le montant des dommages-intérêts, qu’il demande de porter à la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice d’anxiété, comprenant l’inquiétude permanente et le bouleversement dans les conditions d’existence et de condamner en outre l’appelante à lui payer la somme de 1 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

' Il réplique principalement que :

— l’employeur est tenu envers le salarié à une obligation de sécurité de résultat en vertu du contrat de travail ; selon l’article L. 4121-1 du code du travail, il prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ; le seul fait d’exposer un salarié à un danger sans appliquer les mesures de protection nécessaires constitue une faute contractuelle engageant sa responsabilité en cas de préjudices subis par le salarié ;

— la société Saint-Gobain Isover utilisait l’amiante en grande quantité et sous différentes formes aux fins d’isolation, principalement dans les zones suivantes : un four à gaz et son 'Setrem’ (cheminée) ; des canaux dits 'feeder’ conduisant le verre aux machines de fibrage et chauffés au gaz (calorifugeage amiante) avec leurs brûleurs à gaz ; la plate-forme de fibrage où le verre en fusion s’écoulait dans des machines à fibrer ; un atelier composition (élaboration de la composition verrière) ; un atelier résine-encollage équipé

d’un recteur chauffé à la vapeur (calorifugeage amiante) de cuve de stockage : formol phénol, résine, etc… ; la ligne de l’atelier de production composée de : l’étuve pour polymériser les produits (calorifugeage amiante), la cave à papier pour le surfaçage avec un bac bitume et ses résistances chauffantes (calorifugeage amiante), le massicot (pour couper la laine de verre) avec son embrayage frein équipé de ferrodo (amiante), et des emballeuses avec leur four de rétraction équipé de résistantes électriques (calorifugeage amiante) ; des chaudières à gaz (calorifugeage amiante) avec leurs circuits vapeurs ; une centrale à bitume équipée de sa chaudière et de ses pompes de transfert de bitume (calorifugeage amiante); une centrale à gaz avec sa chaudière à gaz pour rendre le gaz liquide à l’état gazeux (calorifugeage amiante) ;

— l’inscription de l’usine d’Orange par arrêté du 19 mars 2010 sur la liste des établissements ouvrant droit à l’ACAATA, suite à une procédure devant les juridictions administratives clôturée par arrêt de la cour administrative d’appel du 17 décembre 2009, ne peut être remise en cause ;

— la société Saint-Gobain Isover, qui était tenue de prendre toutes les mesures de protection contre l’inhalation des poussières en vertu de la loi de 1893 et de ses décrets d’application, et plus spécifiquement contre l’inhalation des poussières d’amiante en application du décret du 17 août 1977, n’a pas fourni les moyens de protection individuelle et collective prévus par ce décret et ne prouve pas avoir procédé aux mesures atmosphériques imposées ;

— les éléments produits par l’appelante, pour preuve de son affirmation selon laquelle quelques salariés seulement ont été exposés, sont partiels et contredits par l’ensemble des témoignages versés aux débats, montrant que tous les salariés de l’établissement ont été exposés à l’inhalation de poussières d’amiante et que l’entreprise n’a pas mis en oeuvre les moyens de protection nécessaires, tout en imposant des travaux qui s’effectuaient au contact de ce matériau, de façon régulière et sans protection ;

— l’entreprise a joué un rôle actif dans le démontage partiel du four n° 2, objet d’un appel d’offre lancé en 1980, sans prévoir aucune mesure de protection contre l’inhalation des poussières d’amiante ;

— aucune conséquence ne peut être tirée de l’absence de délivrance d’une attestation d’exposition, ces attestations étant dépourvues de force probante ;

— la faute inexcusable de la société Saint-Gobain Isover a été reconnue par de nombreuses décisions concernant des salariés ayant développé des pathologies liées à l’amiante ;

— les salariés intimés ont été exposés à l’inhalation de poussières d’amiante tout au long de leur carrière et souffrent, du fait de l’employeur et indépendamment du dispositif de l’ACAATA, d’un préjudice d’anxiété légitime et compréhensible, qu’ils se soumettent ou non à des contrôles et examens médicaux réguliers ;

— ces salariés n’avaient pas conscience du risque encouru en l’absence d’information de leur employeur, de sorte que leur action n’est pas prescrite en application des dispositions de l’article 2224 du code civil selon lesquelles les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des prétentions et des moyens des parties, il convient de se référer à leurs écritures déposées et soutenues oralement à l’audience.

MOTIFS

— sur la prescription

L’article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

Selon l’ancien article 2262 du même code, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, cette prescription était de trente ans.

L’article 2222 al. 2 prévoit qu’en cas de réduction de la durée du délai de prescription, le nouveau délai court à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

Pour soutenir que l’action est prescrite comme ayant été introduit plus de trente ans après la publication du décret du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d’hygiène dans les établissements où le personnel est exposé à l’action des poussières d’amiante, pour les salariés alors employés dans l’établissement, dont M. A, ou plus de trente ans après la date de leur embauche, pour les autres, la société appelante se prévaut de ce décret, ainsi que des éléments suivants : décret du 24 décembre 1996 relatif à l’interdiction de l’amiante ; loi de financement de la sécurité sociale du 23 décembre 1998 instituant le dispositif de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante ; demande d’inscription du site Saint-Gobain Isover d’Orange sur la liste des établissements concernés faite par le comité d’établissement le 27 décembre 2002 ; attestations de MM. Roussery, Fournier, Kazandjian, Bon, Karaszi, C, Canet et Asnard, anciens salariés de l’établissement, datées de septembre à décembre 2002 ; question d’un député lors d’une séance de l’Assemblée Nationale du 18 mai 2004 sur la procédure de classement du site et article de presse subséquent du 22 mai 2004 ; procès-verbal de la réunion du comité d’établissement du 15 juillet 2004 au cours de laquelle la direction a été questionnée sur l’utilisation de l’amiante.

Toutefois, ces éléments ne permettent pas de considérer que M. A était personnellement et suffisamment informé des risques liés à l’amiante, auxquels il avait pu être exposé dans l’exercice de son emploi, et qu’il connaissait ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son action, avant l’arrêté du 19 mars 2010 qui a inscrit l’Usine d’Orange (Saint-Gobain Industrie, puis Isover Saint-Gobain) parmi les établissements susceptibles d’ouvrir droit à l’allocation de cessation anticipée des travailleurs de l’amiante, pour la période de 1972 à 1996.

L’action, qui a été introduite par requête reçue le 12 octobre 2012, n’est donc pas prescrite.

— sur le fond

En application des dispositions des articles 1134 et 1147 du code civil et L. 4121-1 du code du travail (anciennement L. 233-1, puis L. 230-2 issu de la loi n° 91-1414 du 31 décembre 1991), l’employeur est tenu envers le salarié d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées du fait des produits fabriqués ou utilisés par l’entreprise.

Dès la loi du 12 juin 1893 concernant l’hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels, il a été fait obligation à ces établissements de présenter les conditions d’hygiène et de salubrité nécessaires à la santé du personnel.

Le décret d’application du 11 mars 1894 prévoyait notamment que 'les locaux soient largement aérés… évacués au dessus de l’atelier au fur et à mesure de leur production avec une ventilation aspirante énergique… et que l’air des ateliers soit renouvelé de façon à rester dans l’état de pureté nécessaire à la santé des ouvriers.'

Le décret n° 77-949 du 17 août 1977 a imposé des mesures particulières d’hygiène applicables dans les établissements où le personnel était exposé à l’action des poussières d’amiante.

La loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 a créé un dispositif spécifique destiné à compenser la perte d’espérance de vie que peuvent connaître des salariés en raison de leur exposition à l’amiante, pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l’amiante ou des matériaux contenant de l’amiante.

Il en résulte que le salarié qui a travaillé dans l’un des établissements figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pris en application de ces dispositions, pendant la période visée dans l’arrêté, peut demander à être indemnisé d’un préjudice d’anxiété résultant de la situation d’inquiétude permanente dans laquelle il se trouve, du fait de l’employeur, face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante, qu’il se soumette ou non à des contrôles et examens médicaux réguliers.

L’indemnisation accordée au titre du préjudice d’anxiété répare l’ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d’existence, résultant du risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante.

En l’espèce, M. A verse aux débats le certificat de travail établi par la société Saint-Gobain Isover France, à Orange, le 27 septembre 2007, mentionnant qu’il a été employé dans l’établissement du 01 octobre 1976 au 31 août 2007, dernièrement en qualité de Surfaceur.

Par arrêté du 19 mars 2010, pris suite à l’arrêt n° 08MA00803 du 17 décembre 2009 de la cour administrative d’appel de Marseille, l’Usine d’Orange de la société Saint-Gobain Isover (anciennement Saint-Gobain Industrie), a été inscrite sur la liste des établissements de fabrication de matériaux contenant de l’amiante, de flocage et de calorifugeage à l’amiante, mentionnée à l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et fixée par arrêté du 3 juillet 2000, pour la période de 1972 à 1996.

Outre diverses pièces générales relatives aux dangers de l’amiante, M. A communique des pièces spécifiques à l’entreprise, notamment :

— les documents produits lors de la procédure administrative relative à l’inscription du site, listant les points de calorifugeage à l’amiante (services généraux, fours 1 et 2, feeders 1 et 2, fibrage et machine à fibrer, fours étuves, caves à papier, four machine coquille), ainsi que les matériaux utilisés (tresses, plaques, bourrelets et toiles d’amiante), et décrivant précisément les travaux effectués sur ces installations au cours desquels les salariés (opérateurs de maintenance aidés par les opérateurs de production) étaient exposés à l’amiante lors des opérations de décalorifugeage et recalorifugeage ;

— le procès-verbal de réunion du comité d’établissement en date du 15 juillet 2004, rapportant la réponse du président à la question concernant la manipulation d’amiante sur le site : 'il est certain que depuis que l’entreprise a été construite, en feu continu, à haute température, de l’amiante a été utilisé sur le site. Il n’y a aucune ambiguïté sur le sujet. Jusqu’à l’interdiction en 1996, les produits amiantés à usage de protection thermique ont été utilisés pour cet usage, depuis sont mis en oeuvre des produits de substitution’ ;

— la lettre de l’inspection du travail datée du 22 avril 2008, communiquant à la CPAM du Vaucluse son avis sur la déclaration de maladie professionnelle n° 030 bis effectuée par M. T X : '(…) Si l’établissement n’a jamais participé à la fabrication de produits contenant de l’amiante, il a utilisé dès sa création des produits à base d’amiante sous forme de calorifugeage dans le processus de fabrication de la laine de verre pour faire face aux hautes températures. M. X a donc participé à des travaux d’électricité en intervenant sur des calorifugeages en amiante et a donc été exposé au risque d’inhalation de fibres d’amiante libérées dans l’atmosphère par les matériaux dégradés sous l’effet de la chaleur ou par percement. Les travaux de calorifugeage font partie des travaux figurant sur la liste des travaux susceptibles de provoquer des affections professionnelles. La pathologie développée par M. X est bien symptomatique d’une exposition à l’amiante', ainsi que l’arrêt prononcé par la cour de céans le 8 novembre 2011, disant que la maladie professionnelle de ce salarié est due à la faute inexcusable de la société Saint-Gobain Isover ;

— les témoignages d’anciens employés de l’établissement (Z

XXX électricien ; B C, fondeur-fibreur puis chef de poste four-fibrage ; AA AB, agent de ligne, fibreur relais fondeur, conducteur de ligne et contrôleur qualité ; E-AH AR, dessinateur industriel puis chef de poste four fibrage ; E-AH AI, affecté au service transport expédition et programmation, puis au service contrôle qualité ; H I, auxiliaire à la fabrication ; R Q, chaudronnier ; P Q, emballeur fabrication, surfaceur fabrication, mécanicien fabrication et mécanicien fibrage ; F G, agent eaux recyclés ; E-AA AO, fondeur fibreur ; E-AK AL, affecté temporairement à la machine coquille), décrivant les conditions dans lesquelles ils ont été exposés à l’amiante, sans avoir été informés des risques encourus, ni avoir bénéficié d’aucune protection individuelle ou collective.

L’intimé verse enfin aux débats l’attestation d’un ancien collègue de travail (M. N O employé au dernier poste d’agent chargés palettisées de février 1977 à juin 2010) déclarant : « Notre usine a été classée amiante. Périodiquement j’ai travaillé aux côtés de Mr A J, D E,.. Ensemble. Nous avons occupé les différents postes, surfaceur cave à papier, bout de ligne, ligne coquille, fibrage, cariste, . Parmi ces travaux, participation au démontage des fours et reconstruction, décalorifugeage et calorifugeage, manipulation et utilisation de plaques, tresses, joints, le tout en amiante. Certaines interventions se faisaient à chaud pour arrêter la fusion du fibrage. La seule recommandation hiérarchique pour la chaleur était que nous devions utiliser les protections, gants, veste, cagoule, casquette le tout en fibres d’amiante pas toujours en état. Durant toutes ces années nous n’avons jamais été informés de la dangerosité de l’amiante ».

Il communique enfin les témoignages de proches attestant de son anxiété liée à son ancienne exposition à l’amiante.

Le salarié établit ainsi qu’il a été exposé au risque de développer une pathologie liée à l’amiante et qu’il se trouve, de par le fait de l’employeur, dans un état d’inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante, qu’il se soumette ou non à des contrôles et examens médicaux réguliers.

Soutenant que 'l’emploi de moyens de protection thermique au sein de l’usine d’Orange n’a, le plus souvent, pas impliqué l’utilisation de produits ou matériaux comportant de l’amiante', la société Saint-Gobain Isover verse aux débats :

— diverses pièces confirmant qu’elle utilisait des matériaux dépourvus d’amiante (réfractaires ZAC 1681 ou ER 1681, réfractaires argileux, silice légère tel le calor A, ou laines minérales pour l’isolation des cheminées) ;

— appel d’offres du 13 février 1980 pour des opérations de démontage/remontage de réfractaires sur le four à gaz n° 2, impliquant l’utilisation de produits non amiantés (360 LP, Calor, Cimleg etc…)

— un document relatif au four à gaz n° 2 démontrant que l’amiante n’entrait pas dans la composition des réfractaires utilisés pour le calorifugeage.

Ajoutant que 'cette utilisation, déjà peu importante antérieurement, a été encore plus réduite à partir de 1985, date de l’avènement de la fusion électrique, le dernier four à gaz étant remplacé par un four électrique, ce qui a généré de très importantes commandes de réfractaires ne contenant pas d’amiante', elle communique une 'demande d’engagement de dépense', datée du 25 juillet 1984, estimant les besoins en produits réfractaires (dépourvus d’amiante) pour la remise en état des feeders et du four II (ER 1681, ER 1711, ER 2161), à 149 tonnes.

Au soutien de son affirmation selon laquelle 'c’est donc uniquement lors d’interventions sur des éléments de protection thermique comportant de l’amiante, au bout chaud, que certains salariés de l’usine d’Orange ont pu être exposés à l’inhalation de poussières d’amiante, ces interventions consistant soit en des travaux de mise en oeuvre ou de retrait de moyens de protection thermique comportant de l’amiante, soit en des travaux de démolition ou de reconstruction des fours, lesquels n’avaient lieu que tous les 7 ans environ', elle produit un document présenté comme une 'fiche de suivi de travaux'.

Exposant que 'les fours et le poste de fibrage, qui comportaient seuls ces éléments de protection thermique, sont très éloignés des postes sur lesquels travaillait et travaille l’essentiel des effectifs de l’établissement', et qu’une 'distance importante (de 50 à 200 mètres)… sépare le four et le poste de fibrage d’une part, du reste de la chaîne de production d’autre part', elle verse aux débats un plan de cette chaîne.

Pour preuve de ce que 'les travaux de démolition et de reconstruction de fours étaient systématiquement confiés à des entreprises extérieures spécialisées', et que 'seuls quelques ouvriers, affectés à des postes de maçon fumiste, apportaient une aide ponctuelle et temporaire aux équipes extérieures chargées de ces travaux, et ceci uniquement aux fins de supervision', outre l’appel d’offres précité, elle communique une copie du 'suivi détaillé des engagements et des dépenses’ de 1979 à 1982, confirmant qu’elle recourait notamment à la société Meyet citée dans ses écritures.

Elle produit en outre une note de service datée du 16 avril 1985, interdisant l’accès du chantier du four 3 à 'toute personne n’ayant pas professionnellement à intervenir sur ce chantier', sous peine de sanction disciplinaire, ainsi qu’une estimation de l’effectif de l’établissement susceptible d’avoir effectué des travaux sur des éléments de protection thermique, contenant ou non de l’amiante, pendant la période de 1977 à 1988, ce qui la conduit à conclure que 25 personnes environ seulement, occupant des postes d’électriciens, de mécaniciens, de fibreurs, de fondeurs, de chefs de poste ou de mécaniciens-fibreurs étaient concernées par des interventions sur de tels éléments, sur un effectif total moyen de 800 personnes.

La société Saint-Gobain Isover se prévaut par ailleurs d’un courrier du médecin du travail, daté du 19 décembre 2000, indiquant :

'Suite à votre demande, nous avons recensé parmi le personnel incorporé dans l’étude fibre 34 personnes ayant pu être exposées à l’amiante, réparties de la manière suivante :

— Exposition possible à l’extérieur d’Isover : 14

— Exposition certaine à l’extérieur d’Isover : 4

— Exposition possible chez Isover : 15

— Exposition certaine chez Isover : 3.

Certaines personnes sont exposées à la fois à l’extérieur et à l’intérieur d’Isover, d’où un nombre supérieur à 34 salariés.'

Elle communique enfin une 'note d’information sur l’évolution des produits d’amiante Ferlam’ ainsi que le courrier explicatif adressé par cette société, le 1er juin 1978, suite à la parution du décret n° 77-949 du 17 août 1977, entré en vigueur le 1er mars 1978.

Ces éléments, qui ne démontrent pas que toutes les mesures nécessaires ont été prises sur le site pendant l’ensemble de la période contractuelle, notamment celles prévues par le décret précité (prélèvements atmosphériques périodiques, vérification des installations et appareils de protection collective, attribution d’équipements respiratoires et de vêtements de protection personnels, vérification et nettoyage de ces équipements après chaque emploi, remise de consignes écrites individuelles, déclaration à l’inspection du travail, suivi médical périodique comportant notamment des examens radiographiques pulmonaires, tenue d’un dossier médical individuel…), ni ne révèlent l’existence d’une cause étrangère non imputable à l’employeur, ne sont pas de nature à exonérer la société Saint-Gobain Isover de sa responsabilité.

En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a condamné l’employeur à indemniser le salarié de son préjudice d’anxiété mais infirmé en ce qu’il a alloué des dommages et intérêts distincts au titre du bouleversement dans les conditions d’existence.

Toutefois, compte tenu des éléments de l’espèce (poste occupé, durée d’exposition, âge du salarié, pièces individuelles produites), ce préjudice sera plus exactement réparé par une somme de 11.000,00 euros à titre de dommages-intérêts, et le jugement sera ainsi réformé sur le quantum.

— sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

Ces dispositions du jugement seront confirmées, une somme de 200,00 euros sera allouée à l’intimé au titre de ses frais irrépétibles d’appel et l’appelante qui succombe supportera les dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud’homale, par mise à disposition au greffe,

Infirme le jugement entrepris, mais seulement en ce qu’il a alloué des dommages et intérêts distincts au titre du bouleversement dans les conditions d’existence et sur le montant des dommages et intérêts en réparation du préjudice d’anxiété,

Statuant de nouveau de ce chef et y ajoutant,

Condamne la société Saint-Gobain Isover à payer à M. J A les sommes suivantes :

—  11.000,00 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d’anxiété comprenant l’ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d’existence,

—  200,00 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,

Confirme le jugement pour le surplus,

Condamne l’appelante aux dépens d’appel.

Arrêt signé par Monsieur Guénaël LE GALLO, Président et par Madame Fatima GRAOUCH, Greffière.

LE GREFFIER. LE PRÉSIDENT.

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Cour d'appel de Nîmes, 3 mars 2015, n° 13/03459