Cour d'appel de Paris, Pôle 5 chambre 5, 15 novembre 2012, n° 10/16740

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 5 ch. 5, 15 nov. 2012, n° 10/16740
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 10/16740
Importance : Inédit
Décision précédente : Tribunal de commerce de Nancy, 5 juillet 2010, N° 2009000607
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Date de dernière mise à jour : 29 décembre 2022
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Sur les parties

Texte intégral

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 5

ARRÊT DU 15 NOVEMBRE 2012

(n° , 12 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 10/16740

Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Juillet 2010 -Tribunal de Commerce de NANCY – RG n° 2009000607

APPELANTE

SA DU JOURNAL L’EST REPUBLICAIN agissant poursuites et diligences de son Président du Conseil d’Administration, Directeur Général Administrateur Vice-Président et tout représentants légal

Ayant son siège social

[Adresse 7]

[Localité 2]

Représentée par Me François TEYTAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

Assistée de Me Marie-Josée VOHMANN, avocat au barreau de NANCY, plaidant pour la SELARL Nancy Avocats Associés

INTIMÉE

SARL AVISCOM prise en la personne de son gérant ou tout représentant légal

Ayant son siège

[Adresse 1]

[Adresse 9]

[Localité 3]

Représentée par Me Olivier BERNABE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0753

Assistée de Me Solange RECK, avocat au barreau de MULHOUSE, plaidant pour la SCP RECK BRUN

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 05 septembre 2012, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Colette PERRIN, Présidente chargée d’instruire l’affaire

Madame Patricia POMONTI, Conseillère

Madame Valérie MICHEL- AMSELLEM, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mademoiselle Emmanuelle DAMAREY

ARRÊT :

— contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Madame Colette PERRIN, Présidente et par Mademoiselle Emmanuelle DAMAREY, Greffier des services judiciaires auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

****

FAITS CONSTANTS ET PROCEDURE

La société du journal l’Est Républicain crée, édite et exploite le quotidien régional du même nom qui est principalement diffusé dans la région Lorraine et en Franche Comté.

Ce journal comporte une rubrique dénommée «carnet du Jour» faisant apparaître notamment les avis de décès des personnes originaires de la région et qui lui sont transmis soit par les familles, soit par les entreprises de pompes funèbres, soit par des organismes ou institutions au sein desquelles le défunt exerçait une activité.

La SARL Aviscom, créée en 2006, exploite un site internet sous le nom «www.avis-de-deces.net» qui a pour objet la publication sur internet d’un répertoire des décès et qui permet, à la demande de certaines familles, que leur soient envoyés par internet des messages de condoléances.

Cette prestation est proposée moyennant paiement par l’intermédiaire des entreprises de Pompes Funèbres qui font insérer dans les avis publiés dans la presse papier une ligne libellée «condoléances et témoignages sur www.avis-de-deces.net».

La société Aviscom indique que cette ligne, après avoir été insérée par le journal l’Est Républicain dans divers avis de décès, s’est heurtée à un revirement de position du journal qui a avisé les entreprises de Pompes Funèbres de son refus de faire figurer à l’avenir la mention «registre de condoléances et témoignages sur www.avis-de-deces.net» dans ses avis de décès.

Par courrier des 23 octobre et 4 novembre 2008, la société Aviscom a mis en demeure le journal l’Est Républicain de rétablir la ligne «condoléances et témoignages sur www.avis-de-deces.net» dans ses parutions nécrologiques ce qu’elle n’a pas obtenu.

Par acte du 22 décembre 2008, la société Aviscom a attrait la société du Journal de l’Est Républicain devant le tribunal de commerce de Nancy pour pratiques anticoncurrentielles constitutives d’entente illicite, d’abus de position dominante et de refus de vente;

Le 18 décembre 2009, la société Aviscom a sollicité l’insertion par la société l’Est Républicain d’un bandeau publicitaire dans la revue nécrologique de son journal ce qui lui a également été refusé.

Par jugement du 6 juillet 2010, assorti de l’exécution provisoire, le Tribunal de Commerce de Nancy a constaté l’abus de position dominante de la SA Société l’Est Républicain, lui a enjoint, sous astreinte de 1.000€ par refus d’insérer, de procéder, à la demande des familles, respectivement par le truchement des entreprises de Pompes Funèbres, à l’insertion dans les annonces de décès paraissant dans le journal l’Est Républicain de la ligne mentionnant le registre de condoléances en ligne sur «www.avis-de-deces.net», débouté la SARL Aviscom de ses demandes de dommages et intérêts et de publication du dispositif du présent jugement dans le Carnet du jour du journal L’Est Républicain, et condamné la SA société l’Est Républicain à payer à la SARL Aviscom la somme de 2.000€ au titre de dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens du jugement.

Vu l’appel interjeté le 28 juillet 2010 par la SA Société l’Est Républicain

Vu les dernières conclusions signifiées le 9 mai 2012 par lesquelles la société l’Est Républicain demande à la Cour:

— d’infirmer jugement entrepris sauf en ce qu’il a rejeté la demande de dommages et intérêts de la société Aviscom

— de dire que les pratiques qui lui sont reprochées ne sont pas constitutives d’un abus de position dominante, ni d’une entente illicite et ne sauraient faire l’objet d’une injonction de faire

— de condamner la société Aviscom à lui verser une indemnité de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile;

— de la condamner aux dépens, de la première instance et d’appel

La société l’Est Républicain prétend qu’en vertu de la liberté de la presse, le directeur de la publication est libre du contenu du journal, et qu’à ce titre il est libre de conserver une certaine rigueur et sobriété pour sa rubrique nécrologique.

Elle invoque ensuite qu’il ressort de l’argumentaire développé par la société Aviscom que si l’insertion de la ligne litigieuse relève de la volonté exprimée par les familles et que dès lors seules celles-ci pourraient aujourd’hui rechercher la responsabilité du journal.

Elle conteste l’éventuelle position dominante de la SA L’Est Républicain, remettant en cause la pertinence d’un marché de l’annonce nécrologique, et soutient que l’activité du journal du même nom se situe sur le marché de la presse quotidienne régionale, de sorte qu’il ne serait en situation de position dominante sur un éventuel marché des annonces nécrologiques en ligne.

Elle ajoute que son refus de publier les annonces repose sur des considérations réglementaires en matière de prestations commerciales proposées lors d’un décès.

Elle s’oppose à l’existence d’une entente illicite, en soulevant que la société Aviscom ne rapporte pas la preuve d’une hypothétique concertation, et que l’entrave au jeu de la concurrence ne peut exister, en l’absence d’un marché réellement pertinent.

Elle ajoute que la société Aviscom ne démontre pas l’existence d’un préjudice résultant de son refus et, en conséquence, ne caractérise pas un abus de position dominante.

Vu les dernières conclusions signifiées le 15 juin 2011 par lesquelles la société Aviscom demande à la Cour:

— de confirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Nancy en date du 6 juillet 2010 en ce qu’il a:

— constaté l’abus de position dominante de la société l’Est Républicain et enjointe, sous astreinte de 1.000€ par refus d’insérer, de procéder à la demande des familles, respectivement par le truchement des entreprises de Pompes Funèbres, à l’insertion dans les annonces de décès paraissant dans le journal l’Est Républicain , de la ligne mentionnant le registre de condoléances en ligne sur www.avis-de-deces.net

— d’infirmer ledit jugement pour le surplus;

et statuant a nouveau

— condamner la société l’Est Républicain à lui payer une somme de 15.000€ au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi.

— réserver la réparation de tout préjudice matériel.

— condamner la société l’Est Républicain à accepter l’insertion dans la page Carnet de son journal d’un bandeau publicitaire «ils nous ont quittés, le saviez-vous ' www.avis-de-deces.net» ou de toute autre insertion publicitaire similaire.

— condamner la société l’Est Républicain à lui payer une somme de 5.000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers frais et dépens

— ordonner la publication du dispositif de l’arrêt à intervenir dans la page «Carnet du Jour» du Journal l’Est Républicain , sur un quart de page, en faisant état qu’il s’est rendu coupable des pratiques anticoncurrentielles d’entente, d’abus de position dominante et de refus de vente au détriment de la société Aviscom exploitante du site Internet www.avis-de-deces.net .

La SARL Aviscom invoque le caractère informationnel du bandeau publicitaire et de la ligne mentionnant l’espace de condoléances en cause qui ne ferait pas obstacle à la liberté de la presse.

Elle soutient la pertinence du marché des annonces nécrologiques en se fondant sur un avis du Conseil de la Concurrence du 6 juillet 1993 qui distingue 3 marché pertinents au sein de la presse écrite: le lectorat, la publicité et les petites annonces. Elle compare les fonctions et utilisations des produits et fait valoir une similarité dans l’attitude du consommateur, refusant l’argument de la différence de prix et concluant au caractère substituable des deux prestations et à défaut l’existence d’un lien de connexité.

Elle invoque également l’existence d’une position dominante de la SA L’Est Républicain sur ce marché, et prétend donc à un abus d’une telle position du fait des refus de publication.

Elle allègue d’une concertation des entreprises du fait d’un refus brutal d’insérer la ligne litigieuse que lui ont opposé plusieurs journaux peu après celui de La voix du Nord, alors que ceux-ci avaient jusqu’à présent accepté, ainsi que d’une entrave au jeu de la concurrence du fait du cloisonnement artificiel que cela a engendré, caractérisant selon elle une entente illicite.

La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Considérant que l’article 420-2 du code de commerce prohibe les agissements abusifs d’une entreprise lorsqu’ils «ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché»;

Considérant que la société l’Est Républicain affirme que le marché sur lequel elle intervient est celui des publications d’avis de décès dans la presse écrite quotidienne et ne conteste pas sa position dominante sur ce marché mais affirme que celui-ci doit être distingué du marché des annonces nécrologiques en ligne sur lequel intervient la société Aviscom;

Que la société Aviscom soutient qu’il s’agit d’un seul marché, celui des annonces nécrologiques et que la société l’Est Republicain a fait, par son refus d’insérer la ligne relative à son site internet, obstacle au maintien et au développement de la concurrence sur ce marché;

Sur la détermination du marché en cause :

Considérant que la position dominante d’une entreprise ne peut s’apprécier que par rapport à un certain marché dit marché pertinent ou marché en cause que le Conseil de la Concurrence définit comme « le lieu sur lequel se rencontrent l’offre et la demande pour un produit ou un service que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leur caractéristique, de leur prix ou de l’usage auquel ils sont destinés »;

Que le Conseil de la Concurrence considère « comme substituables et comme se trouvant sur ce même marché les produits ou services dont on peut raisonnablement penser que les consommateurs les considèrent comme des moyens alternatifs entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande »;

Qu’il y a lieu en conséquence de déterminer non seulement les caractéristiques techniques et fonctionnelles du produit ou du service mais aussi de s’intéresser aux motivations des utilisateurs justifiant leur choix;

Considérant que la société Aviscom a pour objet «en France et à l’étranger, la conception, la réalisation et l’exploitation de sites internet d’annonces pour particuliers et professionnels liés à la publication d’annonces de décès, de mariage et de naissance»;

Que le site de la société Aviscom mentionne «les avis de décès c’est aussi sur internet»et propose :«Un registre national sur internet des publications nécrologiques

La parution régionale et nationale des avis de décès

un livre de condoléances et de témoignages en ligne, mis gratuitement à disposition des familles et des proches

les coordonnées et les services de l’entreprise de pompes funèbre reliées à chaque avis de décès

un livre du souvenir, espace permanent réservé pour le défunt (en service courant 2008)»;

Considérant que la société Aviscom fait valoir que son site est constitué à titre principal par les annonces nécrologiques et non par les condoléances ; qu’elle précise sur son site que«avis-de-décès.net s’impose aujourd’hui en tant qu’acteur majeur national pour la publication nécrologique»; que sa page d’accueil qui est la carte de France découpée en départements permet un accès rapide à son répertoire des défunts; qu’elle explique que son site comporte la liste complète des décès dans un même département en fonction de leur ordre de survenance ;

Considérant que la société Aviscom indique sur son site que son répertoire provient essentiellement des entreprises de pompes funèbres, admettant ainsi que sa source n’est pas celle des familles et que ses listes ne correspondent pas à des annonces émanant de celles-ci, contrairement à ce qui est le cas des annonces dans la presse, qui, elle, est destinataire d’avis à publier à la seule demande des familles;

Que pour être complet tant au plan régional que national, le répertoire de la société Aviscom a nécessairement pour origine une source disposant de l’ensemble des données, que c’est le cas des entreprises de pompes funèbres qui, d’une part, ont le monopole des chambres funéraires, d’autre part, se sont vu confier par la société Aviscom la commercialisation de son «pack» comportant diverses prestations dont la possibilité pour les familles de recevoir des messages de condoléances; que, de plus, seules les entreprises de pompes funèbres ont accès au site créé par la société Aviscom dans sa phase annonce, les internautes n’ayant accès à ce répertoire que pour le consulter et non pour annoncer même en payant un décès ;

Que ce répertoire, dont la société Aviscom affirme qu’il constitue son activité principale, est en conséquence une base de données qui ne résulte nullement d’une intervention des familles et qui n’est consultable ni par les familles concernées, ni par les tiers dans la mesure où s’opère un tri entre des annonces consultables et les autres, celles consultables correspondant à la liste restreinte de défunts pour lesquels les entreprises de pompes funèbres ont vendu le pack créé par la société Aviscom et qui est alors activée pour donner la possibilité aux internautes de laisser un message de condoléances ;

Qu’ainsi, s’agissant des utilisateurs, les conditions d’utilisation du site «avis-de deces.net» distinguent «l’utilisteur» et le «visiteur», l’utilisateur étant le professionnel ayant ouvert le compte auprès de la société Aviscom et étant habilité à le faire fonctionner et à demander la publication d’avis de décès ou d’annonce payante et le visiteur étant «tout internaute autorisé à visiter ce site et pouvant demander la publication payante d’annonces et messages dès lors qu’un avis de décès du défunt concerné est en ligne»;

Qu’à partir du répertoire de la société Aviscom, il est seulement possible, de retrouver de façon immédiate la mention d’un décès , celui-ci étant tenu, département par département, de façon chronologique, puis de façon interactive, de déposer en ligne des messages de condoléances ou des témoignages ; qu’en conséquence, en ce qui concerne les annonces nécrologiques, la société Aviscom a créé un moteur de recherches sur internet sans limite géographique mais qui ne relève pas de la volonté des familles,

Considérant que le quotidien, lui, n’a pas vocation, à recenser tous les décès survenus , fût-ce sur son secteur de diffusion, mais à publier un nombre restreint d’annonces c’est à dire les seules dont il est saisi par les familles ou leur représentant; que les informations figurant sur le site créé par la société Aviscom, constitutives d’un répertoire des décès, ne sauraient être comparées avec les annonces de décès publiées par le journal l’Est Républicain qui identifient les personnes physiques, auteurs de la publication, qui

précisent la date et le lieu du décès, le déroulement des obsèques et le lieu de repos du corps alors que l’examen des listes répertoriées par la société Aviscom révèle que figurent les seules mentions du nom, de l’âge du défunt et de la date de son décès et l’absence de toute indication des noms de la famille ou des proches;

Considérant que les annonces par voie de presse locale tendent à toucher des lecteurs régionaux proches et dès lors susceptibles de participer aux funérailles et aux cérémonies organisées alors que le site de la société Aviscom s’adresse à des internautes sans limite géographique et tend à leur permettre de manifester, en dépit des distances, leur soutien à la famille ou aux proches par l’envoi de messages de condoléances sur un site dédié au défunt ;

Considérant que les prestations respectives sont proposées à des prix totalement distincts, la société Aviscom reconnaissant que le rapport de prix est de 1/40 ;

Considérant que la société Aviscom fait état de l’évolution du comportement des consommateurs en matière d’annonces notamment immobilières et de rencontres qui démontrent que ceux-ci se tournent de plus en plus vers les annonces via des sites internet;

Que cette réalité est incontestable, le nombre d’utilisateurs d’internet ayant régulièrement augmenté au cours de ces dernières années et un certain nombre de journaux de la presse quotidienne publiant eux-même leurs avis de décès, version papier, sur internet même si ce n’est pas encore le cas du journal de l’Est Républicain ;

Considérant, néanmoins, que les deux prestations ne répondent pas à la même finalité, l’annonce presse étant éphémère puisque marquée par sa quotidienneté avec des annonces nouvelles au jour le jour et destinée à annoncer localement le décès et les obsèques, l’annonce internet étant pérenne et destinée à permettre l’expression de condoléances outre d’autres prestations comme la constitution d’un livre souvenir, ces prestations s’inscrivant, elles dans la durée et dans l’absence de limites géographiques ;

Qu’ainsi les deux publications, l’une par voie de presse écrite, l’autre par voie internet donc sur deux supports distincts se distinguent aussi par leurs caractéristiques, le site internet créé par la société Aviscom ayant pour objet de répertorier des décès afin permettre une recherche, puis, en cas de décès consultable, de recueillir des messages, l’annonce presse ayant celui d’informer d’un événement qui est survenu dans un temps récent et d’annoncer les obsèques et n’a pas vocation à évoluer dans son contenu ; que la publication du quotidien sur un site internet ne modifie en rien cette différence ;

Considérant en conséquence que les deux prestations proposées ne sont pas substituables;

Considérant néanmoins que si l’avis de décès publié par le journal l’Est Républicain constitue une annonce ayant pour objet principal l’annonce du décès et la cérémonie des obsèques, le répertoire de la société Aviscom a aussi pour objet la référence au décès sous forme non pas d’avis mais d’une liste exhaustive avec des prestations «liées» dont l’envoi de condoléances ; qu’il s’agit à l’évidence de prestations ayant toutes deux comme support un avis nécrologique et que dans les deux cas la finalité est l’information donnée aux tiers mais en poursuivant des buts différents ;

Que les familles et proches sont susceptibles d’être intéressés par les deux types de prestation et ce au moment même de la survenance du décès ;

Qu’il s’ensuit que doit être retenu le caractère connexe de ces deux prestations;

Qu’il convient dès lors de rechercher si la décision de la société l’Est Républicain a constitué un abus visant à préserver sa position dominante en évinçant la société Aviscom du marché des annonces nécrologiques en ligne.

Sur l’abus de position dominante allegué

Considérant que les publications nécrologiques par voie de presse papier ont des années durant occupé seules le terrain des annonces nécrologiques ; qu’elles possèdent encore aujourd’hui une part prépondérante de ce marché et bénéficient en conséquence d’une position dominante ;

Que la quasi totalité des décès survenant dans les départements de la Meuse, de la Meurthe et Moselle, de la Haute Saône, du Territoire de Belfort et du Doubs donnent lieu à une publication dans le journal l’Est Républicain ainsi que ceux survenus dans une partie du département des Vosges ce qui n’est pas contesté; qu’il s’agit bien de l’occupation d’une position dominante sur ce secteur;

Que la société Aviscom soutient que le refus de publier la mention « espace de condoléances sur www.avis-de-décès.net » et le refus de faire paraître un bandeau publicitaire ayant pour objet son site a constitué un abus de cette position dominante en cherchant ainsi à l’évincer de son marché;

Considérant que la société l’Est Républicain fait valoir que son refus repose sur deux fondements, d’une part des dispositions réglementaires, d’autre part le principe de la liberté de la presse ;

Que s’agissant des dispositions réglementaires, elle invoque l’article L2223-33 du code général des collectivités territoriales qui dispose que « A l’exception des formules de financement des obsèques, sont interdites les offres de services faites en prévision d’obsèques ou pendant un délai de deux mois à compter du décès en vue d’obtenir ou de faire obtenir , soit directement, soit à titre d’intermédiaire , la commande de fournitures ou de prestations liées à un décès»;

Que la société Aviscom prétend que la mention espace de condoléances sur www.avis-de-décès.net ne peut s’analyser comme une offre de services faite en prévision d’obsèques ou en vue d’obtenir ou de faire obtenir la commande de fournitures ou de prestations liées à un décès, dans la mesure où elle a pour objet de créer un espace internet sur lequel pourront s’exprimer des tiers ;

Que comme il a été relevé précédemment, la société Aviscom vend aux entreprises funéraires un ' pack 'comprenant l’ouverture aux tiers d’un site dédié au défunt et ouvert à leurs messages qui est alors proposée aux familles, l’achat de ce pack induisant pour celles-ci l’insertion dans leur avis de décès publié dans la presse la mention du site d’Aviscom et son ouverture à des tiers;

Que le document publicitaire transmis par la société Aviscom aux entreprises de pompes funèbres précise «Les professionnels qui proposent ce nouveau service aux familles sont convaincus de l’utilité de ce nouveau mode de publication et de la publicité qu’il apporte à leur établissement; chaque avis de décès publié sur le site met en exergue votre entreprise»;

Qu’il s’ensuit que la société Aviscom n’intervient pas dans la commercialisation de ses prestations, celles-ci étant proposées exclusivement par les entreprises de pompes funèbres qui, elles, recueillent l’accord des familles ; que dès lors la société Aviscom, qui propose des prestations à des tiers, peu importe qu’elles soient gratuites ou payantes, ne saurait être concernée par les dispositions de l’article L2223-33 du code général des collectivités territoriales;

Considérant que la société l’Est Républicain tente de justifier sa position par la nature des annonces nécrologiques comme ne pouvant être le lieu de la confrontation de différents sites marchands, faisant valoir que les condoléances adressées par les internautes ne sont pas toutes gratuites dans la mesure où les conditions d’utilisation du site indiquent que chaque internaute peut «demander la publication payante d’annonces et messages dès lors qu’un avis de décès du défunt concerné est déjà en ligne» et invoque sa liberté de rédacteur;

Considérant que l’annonce publiée par voie de presse par les familles a pour but d’informer les tiers ; qu’à ce titre la mention de l’ouverture d’un site internet destiné à recueillir des condoléances fait partie intégrale du texte d’annonce rédigé par la famille, le journal n’intervenant pas dans la rédaction du texte publié ; que le journal bénéficie certes d’une liberté rédactionnelle pour la rédaction et l’organisation de ses rubriques et peut décider à cette occasion de bannir de la rubrique nécrologique toute annonce à caractère publicitaire comme celle résultant de la mention d’un site marchand qui se trouverait ainsi médiatisé par voie de presse ; qu’il convient de relever que la société l’Est Républicain a pourtant laissé se développer ce type d’annonces dans son carnet nécrologique, reconnaissant ainsi que cette ligne ne portait pas atteinte à sa liberté de rédacteur; que, lorsqu’elle a décidé brutalement de modifier sa position, elle n’a pas, pour autant, refusé l’intégralité de l’annonce payante à paraître dans son carnet mais a seulement refusé d’insérer la ligne de référence au site internet destinée à recevoir des condoléances, alors que celle-ci n’avait pas lieu d’être dissociée du reste de l’annonce, faisant ainsi obstacle à la manifestation de la volonté des familles;

Considérant que le refus opposé par la société l’Est Républicain peut être qualifié d’ingérence de la presse dans l’organisation des funérailles telle que voulue par les familles et qu’ il n’est pas justifié par une prétendue politique rédactionnelle qui n’a pas été la sienne précédemment;

Que de plus cette décision a été prise alors que les différents organes de presse écrite ont mis en place d’une part, des sites internet de lecture des journaux en ligne, d’autre part des sites spécialisés similaires à celui créé par la société Aviscom.

Considérant en conséquence que société L’Est Républicain ne justifie pas de motifs pertinents pour justifier de son refus de publier la ligne d’annonces faisant mention du site de la société Aviscom afin de recueillir des messages de condoléances en ligne;

Considérant que la société Aviscom prétend que cette pratique injustifiée a engendré pour elle un double préjudice, d’une part, un préjudice financier qu’elle ne chiffre pas, d’autre part, un préjudice moral, caractérisant un abus de position dominante ;

Que si elle fait état d’une régression de ses annonces en ligne, elle mentionne seulement avoir constaté celle-ci «contrairement au plan prévisionnel d’activité établi alors» et prétend que la moyenne des annonces nécrologiques sur son site n’est plus que d’une à deux par jour contre 6 en septembre 2009;

Qu’elle ne saurait prétendre que la venue de concurrents directs sur le marché internet n’a pas eu d’incidence au motif qu’elle aurait débuté son activité dans les départements de l’est de la France où ces nouveaux intervenants seraient absents alors que le propre des sites internet est de ne pas avoir de frontières géographiques ; que d’ailleurs elle n’apporte aucun élément à l’appui de son affirmation;

Qu’elle fait état de ce que de nombreuses entreprises de pompes funèbres lui ont fait savoir que ce refus de la possibilité d’insérer la référence au site réduisait l’intérêt de recourir aux services de la société Aviscom et qu’elles hésiteraient à proposer ce service aux familles tant que le journal maintiendrait sa position ; que dès lors la société Aviscom ne saurait imputer au seul refus de la société l’Est Républicain la baisse des annonces qu’elle dit avoir enregistrées, celle-ci étant aussi liée à la politique des entreprises de pompes funèbres chargées de commercialiser son pack de prestations ;

Qu’elle ne justifie pas que son essor a été bloqué du fait des refus opposés par la société l’Est Républicain de procéder aux annonces litigieuses dans la mesure où son activité a pour support son répertoire des annonces nécrologiques, dont elle ne prétend pas qu’il ait été, de quelque manière que ce soit, affecté, et qu’à partir de celui-ci elle pouvait construire son activité connexe notamment de réception de messages de condoléances ; que la seule ligne insertion de son site dans les annonces nécrologiques du Journal l’Est Républicain n’était pas son seul vecteur d’action et de promotion;

Qu’enfin elle ne chiffre pas son préjudice matériel, faisant seulement état d’un plan prévisionnel ce qui constitue un élément parfaitement aléatoire, alors même que les pratiques dénoncées ont porté sur la période du 23 octobre 2008, date à partir de laquelle la société Aviscom s’est vue refuser l’insertion de la mention de son site, jusqu’à la date du jugement, soit le 6 juillet 2010 ; que, de plus, dans la mesure où celui-ci, assorti de l’exécution provisoire a enjoint à la société l’Est Republicain, sous astreinte de 1.000€ par refus d’insérer, de procéder à la demande des familles, respectivement par le truchement des entreprises de Pompes Funèbres, à l’insertion dans les annonces de décès paraissant dans le journal l’Est Républicain de la ligne mentionnant le registre de condoléances en ligne sur « www.avis-de-deces.net » et que celle-ci s’est exécutée, la société Aviscom pouvait de manière comparative par les chiffres réalisés démontrer son préjudice;

Que dès lors si la pratique alléguée lui avait été préjudiciable, elle aurait été en mesure d’apporter à la cour les éléments financiers justifiant de la réalité d’un préjudice matériel alors qu’elle n’en rapporte aucun et demande à la cour de réserver son préjudice;

Que ce défaut de preuve d’un préjudice à l’occasion de pratiques alléguées sur une période de près de deux ans d’une part sur le plan local, d’autre part, à l’occasion d’une prétendue entente entre des quotidiens diffusant à travers tout le territoire national, démontre qu’il n’y a pas eu d’entrave ayant affecté de façon sensible le développement de la société Aviscom sur le marché connexe qu’elle a développé à l’occasion des annonces nécrologiques ;

Que la société Aviscom ne justifie pas davantage que le refus de d’insertion aurait nui à sa réputation et qu’elle aurait de ce fait subi un préjudice moral;

Considérant que l’absence de justification d’un préjudice démontre que la pratique alléguée n’a pas perturbé de façon sensible la société Aviscom dans l’organisation de son marché et que dès lors celle-ci ne saurait être retenue comme constitutive d’un abus de position dominante;

Considérant en conséquence qu’il y a lieu de réformer le jugement entrepris.

Sur le refus d’insertion du bandeau publicitaire

Considérant que la société Aviscom soutient que le refus d’insertion de son bandeau publicitaire dans le carnet des annonces nécrologiques du journal l’Est Républicain serait fondé sur la volonté d’écarter un concurrent du marché porteur des annonces de décès en procédant à un cloisonnement artificiel de ce marché et constitue un abus de position dominante;

Qu’elle fait observer que la société l’Est Républicain comporte dans ses pages des publicités au profit d’enseignes nationales et dans ses pages nécrologiques, la publicité de certaines entreprises liées à l’industrie des obsèques telles que les entreprises de pompes funèbres, les marbriers et la publicité pour son propre journal ;

Considérant que la société l’Est Républicain fait valoir que de nombreux sites, proches de celui de la société Aviscom, se sont développés avec pour elle le risque de se voir sollicitée de demandes de ventes d’espaces publicitaires dans la page particulière des annonces nécrologiques ;

Considérant que la société l’Est Républicain, en tant qu’organe de presse, dispose du droit de refuser de vendre un espace et de celui de faire paraître dans son journal toute publicité qu’elle considère comme contraire à ses principes éditoriaux ou à son éthique; qu’il n’est pas démontré que son refus de publier le bandeau publicitaire dans son carnet nécrologique ait été discriminatoire envers la société Aviscom ;

Que, de plus, la société Aviscom a d’autres modes de communication publicitaire et ne démontre pas que le refus de la société l’Est Républicain a freiné le développement des annonces en ligne dès lors que son répertoire d’annonces est alimenté par les entreprises de pompes funèbres et ne dépend donc pas de l’insertion de sa publicité; que son registre répertoriant l’ensemble des décès survenus dans les départements dans lesquels la société l’Est Républicain diffuse son quotidien, n’a donc pas pu être affecté par ce refus; qu’en conséquence l’attitude du journal n’a pas porté atteinte au développement normal de son activité qui a pour objet principal le répertoire des annonces nécrologiques, support de son activité accessoire de réception de condoléances;

Sur les faits d’entente illicite alléguée

Considérant que la société Aviscom allègue d’une politique concertée de plusieurs journaux diffusés sur tout le territoire national qui aurait eu pour objet de freiner l’émergence d’autres modes de publications d’annonces nécrologiques et donc son propre développement;

Qu’elle affirme que les sociétés éditant dix des journaux cités font partie du même groupe de presse, le groupe Ebra et observe que « la société Le Républicain Lorrain n’a pas conclu sur ce point. Son mutisme est particulièrement révélateur… » alors que c’est la société l’Est Républicain qui est dans la cause ; que la société Aviscom n’apporte aucun élément sur l’existence de ce groupe et d’une entente au sein de celui-ci pour adopter une politique rédactionnelle unique qui aurait eu pour conséquence d’entraver le jeu de la concurrence en maintenant de façon rigide les parts de marché des annonces nécrologiques;

Que si la société l’Est Républicain ne conteste pas que plusieurs journaux régionaux ont adopté une politique similaire en matière d’annonces nécrologiques et ont refusé de publier dans les avis de décès la ligne de son site, celle-ci ne saurait à elle seule caractériser une action concertée;

Que la société l’Est Républicain a relevé l’existence de dix autres sites similaires à celui de la société Aviscom dont l’existence n’est pas contestée ; que ce développement de ces sites explique la politique de refus des insertions prises par plusieurs quotidiens sans qu’il soit démontré que cette politique ait eu pour objet d’empêcher le développement de ce nouveau marché ;

Sur l’article 700 du code de procédure civile

Considérant que la société l’Est Républicain a dû engager des frais non compris dans les dépens qu’il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge , qu’il y a lieu de faire application des dispositions de l’article 700 dans la mesure qui sera précisée au dispositif.

PAR CES MOTIFS

Et , adoptant ceux non contraires des Premiers Juges,

LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

REFORME le jugement entrepris en ce qu’il a retenu l’existence d’un abus de position dominante,

DIT que les pratiques reprochées à la société l’Est Républicain par la société Aviscom ne constituent pas un abus de position dominante et ne sauraient faire l’objet d’une injonction de faire,

DIT que les pratiques reprochées à la société l’Est Républicain par la société Aviscom ne constituent pas une entente illicite et ne sauraient faire l’objet d’une injonction de faire,

REJETTE toute autre demande,

CONDAMNE la société Aviscom à payer à la société l’Est Républicain la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Aviscom aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Le GreffierLa Présidente

E. DAMAREYC. PERRIN

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Cour d'appel de Paris, Pôle 5 chambre 5, 15 novembre 2012, n° 10/16740