Cour d'appel de Paris, 1er juillet 2016, n° 15/02869

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, 1er juill. 2016, n° 15/02869
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 15/02869
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Paris, 9 septembre 2014, N° 11/10064

Sur les parties

Texte intégral

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 2 – Chambre 2

ARRÊT DU 01 JUILLET 2016

(n° 2016- , 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 15/02869

Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Septembre 2014 -Tribunal de Grande Instance de PARIS – RG n° 11/10064

APPELANTS

Madame Z N Y agissant tant en son nom personnel qu’en qualité de représentante légale de sa fille mineure D X née le XXX au XXX son fils mineur P B C X né le XXX au Chesnay

Née le XXX TANANARIVE (MADAGASCAR)

XXX

XXX

Représentée par Me Karima OUELHADJ, avocat au barreau de PARIS, toque : C2558

Monsieur F X agissant tant en son nom personnel qu’en qualité de représentant légal de sa fille mineure D X née le XXX au XXX son fils mineur P B C X né le XXX au Chesnay

Né en 1960 à HASSEINDJE (COMORES)

XXX

XXX

Représenté par Me Karima OUELHADJ, avocat au barreau de PARIS, toque : C2558

INTIMÉE

Société J – K L prise en la personne de son représentant légal

XXX

Box 1183

SANA (K)

Représentée par Me Jacques BELLICHACH, avocat au barreau de PARIS, toque : G0334

Assistée de Me Benjamin POTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : P429

COMPOSITION DE LA COUR :

Madame T U-V, ayant été préalablement entendue en son rapport dans les conditions de l’article 785 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 26 Mai 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Dominique GREFF-BOHNERT, présidente de chambre

Madame Isabelle CHESNOT, conseillère

Madame T U-V, conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Monsieur Guillaume LE FORESTIER

ARRÊT :

— contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Madame Dominique GREFF-BOHNERT, présidente de chambre et par Monsieur Guillaume LE FORESTIER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*****

Le 30 juin 2009, un Airbus A310 de la compagnie J K L, assurant un vol Paris-Marseille-Sanaa-Moroni s’est abîmé en mer au large des Comores, entraînant le décès de 152 des 153 personnes à bord, parmi lesquelles l’enfant H X, née le XXX.

Par un jugement rendu le 10 septembre 2014, le tribunal de grande instance de Paris a :

* condamné la compagnie J K L à verser, en réparation de leur préjudice moral, à :

— Z N, mère de la défunte : 35 000 € soit, compte tenu des 20 000 € qui lui avaient d’ores et déjà été versés à titre d’avance, la somme finale de 15 000 €,

— F X, père de la défunte : 35 000 € soit, compte tenu des 20 000 € qui lui avaient d’ores et déjà été versés à titre d’avance, la somme finale de 15 000 €,

— D X, soeur de la défunte : 12 500 € soit, compte tenu des 7 500 € qui lui avaient d’ores et déjà été versés à titre d’avance, la somme finale de 5 000 €,

— P B C, frère de la défunte : 12 500 € soit, compte tenu des 7 500 € qui lui avaient d’ores et déjà été versés à titre d’avance, la somme finale de 5 000 €,

* dit que les demandeurs, en qualité d’héritiers, sont recevables à demander, au bénéfice de la succession, l’indemnisation du préjudice subi par leur auteur ;

* condamné la société J K L à verser à la succession de Mademoiselle H X, la somme de 10 000 € en réparation de son préjudice d’angoisse ;

* condamné la compagnie J K L à verser à chacun des quatre demandeurs, 1 000 € au titre de l’article 700 code de procédure civile ;

* condamné la compagnie J K L aux entiers dépens de l’instance.

Par un acte du 6 février 2015, Madame Z Y et Monsieur F X, agissant tant en leur nom personnel qu’en qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs D et P B C X, ont interjeté appel de ce jugement.

Par des dernières conclusions notifiées par voie électronique le 5 mai 2015, Madame Y et Monsieur X demandent à la cour, au visa des conventions de Montréal et de Varsovie, de :

— dire et juger que la responsabilité contractuelle de la société J L dans le décès d’H X, est établie.

— condamner la société J L à payer les sommes suivantes sur l’indemnisation définitive du préjudice moral subi :

—  100 000 € à Madame Z N Y, mère de la victime,

—  100 000 € à Monsieur F X, père de la victime,

—  70 000 € à Madame Z N Y et F X, en leur qualité de représentant légal de l’enfant mineure D X, s’ur de la victime,

—  70 000 € à Madame Z N Y et F X, en leur qualité de représentant légal de l’enfant mineur P B C X, frère de la victime,

— condamner la société J L à payer aux ayants droit, en leur qualité d’héritiers de la victime, la somme de 35 000 € au titre des souffrances endurées par cette dernière,

— condamner la société J L à payer aux ayants droits en leur qualité d’héritiers de la victime, la somme de 30 000 € au titre de la perte de l’espérance de vie subie par la victime,

— condamner la société J L à payer à chaque ayant droit la somme 3 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

— condamner la société J L aux entiers dépens.

Madame Z Y et Monsieur F X font principalement valoir que les fautes commises par la compagnie J K L, constituent une succession de fautes inexcusables, c’est-à-dire des fautes dont un professionnel ne peut méconnaître les effets dommageables et qui révèlent que le transporteur a accepté de façon téméraire un risque ne lui permettant pas de limiter sa responsabilité. Ils ajoutent que l’accident du 30 juin 2009 a occasionné un préjudice moral spécifique dû à l’aspect collectif du drame, à sa brutalité et à l’angoisse de l’attente. Ils précisent qu’il résulte des déclarations de la seule survivante que beaucoup de passagers ont survécu au crash et sont décédés par noyade en pleine mer dans le désespoir et l’angoisse de la mort, cherchant vainement à être secourus.

Par des dernières conclusions notifiées par voie électronique le 3 juillet 2015, la société J K L, au visa de la convention de Montréal de 1999, demande à la cour de :

Sur le préjudice d’affection

' juger que les montants sollicités à ce titre par les demandeurs sont manifestement exorbitants au regard de la jurisprudence applicable par les cours et tribunaux français en matière de préjudice moral.

En conséquence,

' confirmer le jugement en ce qu’il a alloué les montants suivants :

— Z N, mère de la défunte : 35 000 € soit, compte tenu des 20 000 € qui lui ont d’ores et déjà été versés à titre d’avance, la somme finale de 15.000 €,

— F X, père de la défunte : 35 000 € soit, compte tenu des 20 000 € qui lui ont d’ores et déjà été versés à titre d’avance, la somme finale de 15 000 €,

— D X, s’ur de la défunte : 12 500 € soit, compte tenu des 7 500 € qui lui ont d’ores et déjà été versés à titre d’avance, la somme finale de 5 000 €,

— P B C, frère de la défunte : 12 500 € soit, compte tenu des 7 500 € qui lui ont d’ores et déjà été versés à titre d’avance, la somme finale de 5 000 €,

Sur le préjudice d’angoisse subi par la victime

' infirmer le jugement en ce qu’il a accueilli la demande formée au titre du préjudice d’angoisse de la victime et, ce faisant, la rejeter.

Sur la perte de l’espérance de vie des victimes

' rejeter la demande formée pour la première fois en appel comme irrecevable en application de l’article 564 du Code de procédure civile.

' rejeter la demande comme non fondée.

Sur l’article 700 du code de procédure civile

' réduire à de plus justes proportions la demande formée à l’encontre de J sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

' statuer ce que de droit sur les dépens.

La société J fait principalement valoir qu’en l’espèce elle n’entend pas s’exonérer de sa responsabilité, de sorte que les longs développements des appelants à ce sujet ne sont pas pertinents. Elle ajoute que le principe de la réparation intégrale, ou principe indemnitaire, impose de réparer tout le préjudice, mais rien que le préjudice et ce, afin de rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage et replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu. Elle précise que le préjudice d’angoisse est une déclinaison du préjudice moral. Elle précise que les montants réclamés sont exorbitants au regard de la jurisprudence actuelle des cours et tribunaux français. Elle soulève l’irrecevabilité des demandes formées au titre de l’action successorale au motif que d’autres ayants-droit de la victime, représentées par Maître Ali Mihidoiri, ont assigné la société J devant le tribunal de première instance de Moroni, afin d’être indemnisés de leurs préjudices successoraux et réclament à ce titre sa condamnation à leur payer la somme de 30 043,43 € et que les demandeurs n’ont produit à ce jour aucune pièce permettant de conclure à leur qualité d’héritiers et de connaître l’étendue de leurs droits successoraux. Elle précise que les appelants soulèvent pour la première fois devant la cour la perte de l’espérance de vie des victimes et entendent en obtenir indemnisation au titre de l’action successorale de sorte que cette demande est irrecevable.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 4 mai 2016 avant l’ouverture des débats le 26 mai 2016.

Par application de l’article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.

CECI ÉTANT EXPOSÉ LA COUR :

Considérant qu’aux termes de l’article 17 de la convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, faite à Montréal le 28 mai 1999 applicable en l’espèce, l’enfant H X étant décédée lorsque l’Airbus A 320 appartenant à la société J s’est abîmé en mer au large des Comores le 30 juin 2009, le transporteur est responsable du préjudice survenu en cas de mort ou de lésion corporelle subie par un passager, par cela seul que l’accident qui a causé la mort ou la lésion s’est produit à bord de l’aéronef ou au cours de toutes opérations d’embarquement ou de débarquement ;

Considérant que l’article 29 de cette convention dispose que les actions en dommages et intérêts ne pourront permettre d’obtenir de dommages et intérêts punitifs ou exemplaires ni de dommages à un titre autre que la réparation et que la réparation du dommage doit être égale à l’intégralité du préjudice subi, sans jamais pouvoir le dépasser, aucune perte ni aucun profit ne pouvant en résulter pour la victime ;

Que dès lors les circonstances de l’accident et les éventuelles fautes de pilotage ne sont pas de nature à influer sur le montant des réparations ;

Considérant que les sommes de 35 000 € à chacun accordées par le tribunal aux parents de la jeune victime, ainsi que celles de 12 500 € accordées à ses frère et soeur, en réparation de leur préjudice moral, sont de nature à réparer entièrement sur le plan financier, le préjudice moral issu du décès de leur fille de 5 ans survenu lors de la catastrophe aérienne, de sorte que le jugement déféré sera confirmé de ce chef ;

Considérant que pour accorder une somme de 10 000 € au titre du préjudice d’angoisse éprouvé par la victime avant son décès, le tribunal a relevé qu’il était constant que l’appareil s’est abîmé en mer et qu’il ne peut s’agir d’un phénomène instantané, puisque par définition précédé d’une phase de descente, et que l’ensemble des passagers, même ceux morts au moment de l’impact, ont vécu dans l’angoisse les moments qui l’ont précédé ;

Que les ayants droits de l’enfant sollicitent une somme de 35 000 € de ce chef tandis que la société J conclut à l’infirmation au motif que le préjudice d’angoisse est déjà réparé au titre du préjudice moral ;

Considérant que l’avion s’est abîmé en mer à l’atterrissage et qu’une jeune fille de 14 ans a survécu ; qu’elle a indiqué lors d’une de ses auditions qu’après s’être retrouvée dans l’eau et s’être accrochée à une épave, elle a entendu des gens crier en comorien, qu’ils avaient peur et qu’ils ne comprenaient pas, qu’elle a essayé de les rejoindre mais n’y est pas parvenu et qu’ensuite elle s’est endormie ; qu’elle n’a pu décrire les circonstances de l’accident ; que pour elle l’avion allait atterrir, les consignes d’attacher les ceintures avaient été données, que l’avion est remonté puis est redescendu, qu’elle a senti de l’électricité en touchant sa ceinture et s’est retrouvée dans l’eau sans bien avoir compris comment ;

Considérant que les intimés produisent des extraits du rapport d’expertise médico-légale concernant plusieurs passagers concluant à : 'Décès par polytraumatisme par accident d’avion. Toutefois l’hypothèse d’une noyade ne peut être écartée'; qu’aucun de ces documents ne concerne l’enfant H X ;

Considérant que les circonstances exactes du décès de cette enfant âgée de 5 ans au moment des faits restent inconnues de sorte qu’il ne peut être établi que cette fillette de 5 ans a eu conscience de son destin funeste ; que dès lors le jugement déféré sera infirmé en ce qu’il a retenu et indemnisé un préjudice d’angoisse subi par l’enfant ;

Considérant que les ayants droits d’H X sollicitent également l’allocation de 30 000 € à titre d’indemnisation de la perte d’espérance de vie des victimes au motif qu’il ' s’agit d’un préjudice distinct de celui résultant des souffrances endurées avant la survenance de la mort et qui résulte de la conscience aigüe de sa fin compte tenu de la survenue du fait générateur’ ;

Considérant que cette demande nouvelle en appel ne saurait être retenue, le droit de vivre jusqu’à un âge statistiquement déterminé n’étant pas suffisamment certain au regard des aléas de la vie quotidienne et des fluctuations de l’état de santé de toute personne pour constituer un droit acquis, entré dans le patrimoine de celle-ci de son vivant, et transmissible aux héritiers lorsque survient un événement tragique qui emporte le décès ;

Que dès lors qu’aucun préjudice résultant de son propre décès n’a pu naître du vivant de la victime dans son patrimoine, la demande des héritiers quant à un droit d’indemnisation présentée à ce titre doit être rejetée ;

Sur les autres demandes :

Considérant qu’il n’est pas inéquitable de laisser à chacun la charge de ses frais irrépétibles ;

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement rendu le 10 septembre 2014 par le tribunal de grande instance de Paris sauf en ce qu’il a condamné la compagnie J K L à verser à la succession de Mademoiselle H X, la somme de 10 000 € en réparation de son préjudice d’angoisse ;

Statuant à nouveau :

Déboute la succession de Mademoiselle H X, de ses demandes en réparation d’un préjudice d’angoisse et d’espérance de vie subis par celle-ci ;

Rejette les autres demandes,

Condamne in solidum Madame Z Y et Monsieur X au paiement des dépens de l’appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

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