Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 10, 27 février 2017, n° 14/00177

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 5 - ch. 10, 27 févr. 2017, n° 14/00177
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 14/00177
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Paris, 18 novembre 2013, N° 13/01069
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS Pôle 5 – Chambre 10 ARRÊT DU 27 FÉVRIER 2017 (n° , 7 pages) Numéro d’inscription au répertoire général : 14/00177

Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Novembre 2013 -Tribunal de Grande Instance de PARIS – RG n° 13/01069

APPELANTE

XXX

ayant son siège XXX

XXX

XXX

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Charles-Hubert OLIVIER de la SCP LAGOURGUE & OLIVIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0029

Représentée par Me Arnaud BENTATA, avocat au barreau de PARIS, toque : J056

INTIMEE

MONSIEUR LE DIRECTEUR RÉGIONAL DES FINANCES PUBLIQUES D’ILE DE FRANCE ET DU DÉPARTEMENT DE PARIS

XXX

XXX

ayant ses bureaux XXX

XXX

Représentée par Me Pascale NABOUDET-VOGEL de la SCP NABOUDET – HATET, avocat au barreau de PARIS, toque : L0046

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 Janvier 2017, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant Madame Christine SIMON-ROSSENTHAL, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Edouard LOOS, Président

Madame Christine SIMON-ROSSENTHAL, Conseillère

Madame Y Z, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mme Cyrielle BURBAN

ARRÊT :

— contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Monsieur Edouard LOOS, président et par Madame Cyrielle BURBAN, greffière auquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

La société SA Trust San Vitale (ci-après « la société »), immatriculée au Lichtenstein, est propriétaire d’un immeuble situé XXX, à XXX, et dont l’administrateur réside en Suisse, selon la société.

Par acte notarié en date du 3 juin 1993, la société a consenti un prêt à usage (commodat) d’une durée de 30 ans à Monsieur X, conformément à la volonté de son ancien propriétaire, Monsieur A B C.

Considérant qu’elle est redevable de la taxe de 3 % sur la valeur vénale des immeubles possédés en France par certaines personnes morales, au titre de l’article 990 D du code général des impôts (CGI), l’administration fiscale a mis en demeure la société de régulariser sa situation au regard des ses obligations déclaratives, par courrier en date du 25 mai 2011.

La société a déposé les déclarations relatives à l’assiette de cette taxe le 30 juin 2011 et procédé au paiement pour les années 2005 à 2011.

Par courrier du 31 août 2011, l’administration fiscale a adressé à la société une proposition de rectification sur ce chef d’imposition, en procédant à la réévaluation de l’immeuble concerné. La société a formulé ses observations le 18 octobre 2011, l’administration y ayant répondu le 8 novembre 2011.

Un avis de mise en recouvrement a été notifié le 15 février 2012, un dégrèvement partiel étant accordé par l’administration le 6 décembre 2012, pour les raisons suivantes :

d’une part, la conclusion d’une convention d’assistance administrative avec le Lichtenstein, au cours de l’année 2010, ce qui justifie la décharge pour l’année 2011 ;

d’autre part, l’acceptation d’une décote de 20 % pour les années antérieures afin de tenir compte de l’occupation du bien par un tiers.

La société a cependant assigné l’administration fiscale devant le tribunal de grande instance de Paris le 10 janvier 2013, pour obtenir la décharge des droits, intérêts et pénalités demeurant à sa charge.

En substance, la société considère que le commodat accordé à Monsieur X pour la jouissance du bien justifie l’évaluation qu’elle a elle-même retenue, à savoir une décote de 90 % sur la valeur vénale, en raison de l’indisponibilité du bien jusqu’en 2023.

L’administration considère que la décote de 20 % est suffisante, au regard des stipulations du contrat de commodat.

Par un jugement en date du 19 novembre 2013, le tribunal de grande instance de Paris a jugé irrecevables les dernières conclusions de la société dans un premier temps, avant de débouter cette dernière de l’intégralité de ses demandes et de la condamner aux dépens, dans un second temps.

Le tribunal a ainsi retenu :

que l’administration a légitimement fourni des éléments de comparaison par rapport à des biens non occupés, les déclarations remplies par la société ne faisant pas état du prêt à usage ;

que les conditions dudit contrat et les relations entre les parties permettent d’affirmer que l’indisponibilité du bien pouvait être révoquée à l’amiable, ce qui justifie l’application d’une décote de 20 % pour occupation temporaire ;

que l’administration n’a pas précédemment reconnu l’appréciation de la société, quand bien même elle a déjà contrôlé cette dernière sur certaines années antérieures, sans rectification ;

que le caractère délibéré du manquement de la société est établi au regard de la sous-évaluation du bien portée dans ses déclarations, et ce après mise en demeure de l’administration.

La société a interjeté appel de cette décision le 3 janvier 2014.

Dans ses conclusions en date du 9 décembre 2016, la société sollicite de la cour que soit constatée l’indisponibilité juridique de l’immeuble résultant du contrat de commodat valable jusqu’en 2023, justifiant l’évaluation qu’elle a retenue dans les déclarations fournies à l’administration fiscale (décote de 90 %).A titre subsidiaire, elle demande l’application d’une décote de 75 % sur la valeur vénale du bien.

Dans ses conclusions en réplique du 5 décembre 2016, l’administration fiscale demande la confirmation du jugement de première instance dans toutes ses dispositions, et sollicite le rejet des prétentions de la société, ainsi que sa condamnation aux dépens d’appel, et à la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

La clôture est intervenue le 12 décembre 2016.

En raison des dégrèvements intervenus au cours de la phase pré-contentieuse, le présent litige porte sur la somme totale de 151 479 euros, droits, intérêts et pénalités y compris, pour les années 2005 à 2011.

SUR CE,

Sur l’assujettissement à la taxe de 3 % sur la valeur vénale de l’immeuble de la SA Trust San Vitale Il est relevé par l’administration fiscale que la société n’a pas repris dans ses dernières écritures les éléments tendant à contester l’assujettissement à la taxe de 3 % au regard de la résidence suisse de son gérant, l’intimée demandant à ce que l’absence de moyen sur ce point pour contredire la décision des premiers juges soit constatée.

L’article 990 D du code général des impôts dispose que les personnes morales, organismes, fiducies ou institutions comparables qui directement ou par entité interposée, possèdent un ou plusieurs immeubles situés en France ou sont titulaires de droits réels portant sur ces biens sont redevables d’une taxe annuelle de 3 % de la valeur vénale de ces immeubles ou droits.

Il convient de relever que dans ses dernières écritures en appel, la société Trust San Vitale ne conteste plus être assujettie à la taxe susvisée au titre de l’immeuble qu’elle possède, situé XXX à Paris, au motif de la résidence suisse de son gérant.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement concernant l’assujettissement de la SA Trust San Vitale à la taxe de 3 % sur la valeur vénale de cet immeuble, ce point n’étant plus discuté en appel.

Sur l’appréciation de la valeur vénale du bien au regard du contrat de prêt à usage

Pour prétendre à un abattement de 90 % sur la valeur du bien, la SA Trust San Vitale s’appuie d’une part sur le contrat de commodat faisant état du droit d’occupation à titre gratuit accordé par Monsieur A B C à Monsieur X jusqu’en 2023, et d’autre part, sur un rapport d’expertise sur la valeur de l’immeuble en date du 2 décembre 2014, qui conclut à l’application d’une décote de 75 %.

Selon la société, les stipulations du contrat (cf. page 6) interdisent au prêteur de demander la restitution du bien avant le terme convenu (2023), par dérogation au cas visé à l’article 1889 du code civil (besoin pressant et imprévu de la chose).

L’administration fiscale retient sur le fond que les stipulations du contrat de commodat instaurent une possibilité de révocation du droit de jouissance sur l’accord exprès des deux parties, ce qui pourrait être considéré comme plus favorable au prêteur que les dispositions de l’article 1889 du code civil, prévoyant un recours juridictionnel pour obtenir la restitution du bien avant le terme initialement convenu.

Ceci étant exposé, il est constant que la valeur du bien soumis à la taxe de 3 % est celle qui peut être déterminée par le libre jeu de l’offre et de la demande, en dehors d’un prix de convenance. A cet égard, il convient de tenir compte des caractéristiques propres du bien, et notamment de sa situation juridique, pour apprécier sa valeur vénale. Ainsi, la valeur initialement déterminée peut donner lieu à l’application d’une décote proportionnelle à l’indisponibilité juridique du bien, c’est à dire un abattement visant à refléter les contraintes juridiques pesant sur l’exercice du droit de propriété dans une optique de vente.

Il convient également de préciser que seule une inaliénabilité absolue, telle une incessibilité légale, justifierait l’absence de taxation en ce qu’elle prive le bien de toute valeur patrimoniale.

Au cas particulier, la nature et les stipulations du contrat de prêt à usage du 3 juin 1993 conditionnent la mesure de l’indisponibilité juridique du bien pour son propriétaire, la SA Trust San Vitale, et partant, le montant de la décote qui peut être appliquée à la valeur vénale de l’immeuble pour en tenir compte.

Il résulte des articles 1875 et 1888 du code civil que le prêt à usage est un contrat par lequel le prêteur (propriétaire du bien) s’oblige à attendre le terme convenu ou la fin de l’usage auquel a servi le bien pour en obtenir la restitution. L’article 1889 du même code déroge à ce principe en lui permettant de solliciter judiciairement la restitution anticipée du bien, au seul motif d’un besoin pressant et imprévu de la chose que le juge apprécie selon les circonstances.

Il s’agit donc d’une indisponibilité temporaire du bien pour le prêteur (propriétaire), qui est de l’essence du prêt à usage, la nature de ce contrat étant que le propriétaire du bien ne peut en disposer librement pendant la durée convenue, ou jusqu’à la fin de l’usage, et dans tous les cas qu’il ne peut en demander la restitution avant ces deux évènements que par la voie d’une action en justice pour un motif exceptionnel.

Au regard des stipulations du contrat du 3 juin 1993, il s’avère que la SA Trust San Vitale, véhicule de la volonté posthume de Monsieur A B C, a consenti la jouissance à titre gratuit du bien immobilier à son ancien compagnon, Monsieur X, alors âgé de 66 ans, pour une durée de 30 ans, soit jusqu’en 2023. Il est également précisé que l’usage consenti est l’habitation du bien à titre principal et que le décès de l’emprunteur avant le terme convenu met fin au contrat.

Le contrat du 3 juin 1993 stipule encore en page 6 que « Le Prêteur s’interdit de demander la restitution des biens prêtés avant l’expiration du terme convenu, quand bien même, il lui surviendrait un besoin pressant et imprévu de ces biens,et ce, par dérogation à l’article 1889 du code civil, sauf accord exprès de l’emprunteur ».

Contrairement à ce que soutient l’administration fiscale, il résulte de la philosophie générale du contrat que cette clause vise à restreindre la possibilité du propriétaire d’obtenir la restitution du bien avant le terme convenu ou la fin de l’usage, en supprimant l’action prévue à l’article 1889 du code civil, qui n’est pas d’ordre public.

L’argument tiré du fait que la clause laisse une possibilité de restitution anticipée plus favorable par l’accord amiable des parties est inopérant en l’espèce car cet accord ne peut intervenir sans la volonté expresse de l’emprunteur.

Ce dernier ayant vocation à habiter le bien jusqu’à son décès ou ses 96 ans, de par les termes mêmes du prêt à usage, c’est donc à tort que le tribunal a estimé qu’il pouvait être déduit de l’économie du contrat et des liens entre les parties qu’un accord pour la restitution du bien interviendrait si le prêteur souhaitait vendre les biens, l’identité des propriétaires actuels de la SA Trust San Vitale n’étant d’ailleurs pas connu.

Il résulte de ces constatations que l’application d’une décote de 20% pour occupation temporaire par l’administation fiscale ne peut suffire à réfléter à sa juste mesure l’indisponibilité temporaire du bien pour la SA Trust San Vitale jusqu’en 2023 ou au décès de Monsieur X, en dehors du cas où celui-ci donnerait son accord exprès pour la restitution du bien, l’administration fiscale n’apportant pas la preuve qu’un tel accord serait susceptible d’intervenir si le propriétaire souhaitait vendre le bien.

En revanche, une décote de 90 ou 75 %, comme le propose l’expert dans le rapport produit par l’appelante, qui représenterait la quasi totalité de la valeur du bien, n’est pas justifiée, ne s’agissant pas d’une inaliénabilité quasi-absolue du bien, mais d’une indisponibilité temporaire d’une durée maximale de 30 ans.

En conséquence, il conviendra de réformer le jugement entrepris sur ce point, l’application d’une décote de 40 % pour tenir compte des contraintes juridiques issues du prêt à usage du 3 juin 1993 d’une durée de 30 ans étant justifiée au regard des éléments développés ci-avant.

Sur les pénalités pour manquement délibéré La société Trust San Vitale indique qu’elle a réévalué le bien à hauteur de 10 % par an pour tenir compte de l’évaluation du marché de l’immobilier, en s’appuyant sur la position implicite de l’administration fiscale dans de précédents échanges.

La société soutient que par voie de conséquence, l’application d’une décote supérieure à celle retenue par l’administration fiscale entraînerait la décharge des pénalités afférentes aux droits demeurant à sa charge, en l’absence d’élément intentionnel caractérisant un manquement délibéré à ses obligations dans la sous-évaluation du bien.

En réponse, l’administration fiscale précise que les échanges qu’elle a pu avoir avec la société quant à ses obligations déclaratives sur les années antérieures ne sauraient valoir confirmation des évaluations retenues par cette dernière, et confirment au contraire qu’elle a agi délibérément après plusieurs mises en demeure et des contrôles restés infructueux pour des raisons de procédure.

Sur ce point, et au regard des éléments développés ci-avant, il conviendra d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a maintenu les pénalités pour manquement délibéré, l’élément intentionnel ne pouvant être caractérisé en l’espèce compte tenu du montant de la décote retenue, supérieure à celle acceptée par l’administration fiscale.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

CONFIRME le jugement rendu le 19 novembre 2013 par le tribunal de grande instance de Paris, en ce qu’il a dit que la SA Trust San Vitale est assujettie à la taxe de 3 % sur la valeur vénale de l’immeuble qu’elle possède en France, indépendamment du lieu de résidence de son gérant ;

INFIRME le jugement pour le surplus, et statuant à nouveau ;

FIXE à 40 % la décote à appliquer sur la valeur vénale du bien situé XXX, à Paris, pour la détermination de l’assiette de la taxe de 3 % due par la SA Trust San Vitale au titre des années 2005 à 2010 ;

DIT n’y avoir lieu à l’application des pénalités pour manquement délibéré à l’égard de la SA Trust San Vitale ;

DÉBOUTE les parties de toutes leurs demandes contraires

DÉBOUTE Monsieur le directeur régional des finances publiques d’Ile de France et du département de Paris de sa demande d’indemnité de procédure ;

CONDAMNE Monsieur le directeur régional des finances publiques d’Ile de France et du département de Paris aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

C. BURBAN E. LOOS

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