Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 4, 31 mai 2017, n° 13/20823

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 5 - ch. 4, 31 mai 2017, n° 13/20823
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 13/20823
Décision précédente : Tribunal de commerce d'Évry, 24 septembre 2013, N° 12/00168
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Texte intégral

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 4

ARRÊT DU 31 MAI 2017

(n° , 9 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 13/20823

Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Septembre 2013 -Tribunal de Commerce d’EVRY – RG n° 12/00168

APPELANTE

SA DECATHLON

ayant son siège XXX

XXX

Représentée par Maître Patricia HARDOUIN de la SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

Ayant pour avocat plaidant Maître Alexis GUILLEMIN de l’AARPI GUILLEMIN FLICHY, avocat au barreau de PARIS, toque : D0133

INTIMÉES

XXX

Immatriculée au RCS d’Evry sous le numéro 451 321 335

ayant son siège XXX

XXX

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Maître Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Ayant pour avocat plaidant Maître Béatrice MOREAU-MARGOTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : R156

XXX

Immatriculée au RCS d’Evry sous le numéro 434 212 130

ayant son siège XXX

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Maître Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Ayant pour avocat plaidant Maître Béatrice MOREAU-MARGOTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : R156

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 22 Mars 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Irène LUC, Présidente de chambre

Madame Z A B, Conseillère

Monsieur X Y, Conseiller, rédacteur

qui en ont délibéré,

Un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur X Y dans les conditions prévues par l’article 785 du code de procédure civile,

Greffier, lors des débats : M. Vincent BRÉANT

ARRÊT :

— contradictoire,

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Madame Irène LUC, Présidente et par Monsieur Vincent BRÉANT, greffier auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DES FAITS

La SA Décathlon (ci-après, société Décathlon) est un des leaders européens de la conception, de la protection et de la distribution d’articles de sport.

La SAS Carrefour Hypermarchés (ci-après, société Carrefour Hypermarchés) est spécialisée dans le secteur d’activité des hypermarchés, la SAS Carrefour Import (ci-après, société Carrefour Import) dans le secteur d’activité du commerce de gros.

La société Décathlon estime avoir créé en 2009 un mode de conditionnement spécifique pour un de ses produits, la veste polaire de marque 'Quechua'.

Elle prétend que les sociétés Carrefour se sont très largement inspirées de ce mode de conditionnement pour leurs polaires de la marque 'Tex Sport Concept', et se sont ainsi rendues coupables d’actes de concurrence déloyale et parasitaire.

Le 27 octobre 2011, la société Décathlon a fait dresser un procès-verbal de constat d’huissier constatant la commercialisation des produits litigieux au magasin Carrefour situé dans le centre commercial de Lille.

Par courrier du 31 octobre 2011, elle a mis les sociétés Carrefour en demeure de cesser de commercialiser ces produits.

Autorisée le 31 janvier 2012 par le président du tribunal de commerce d’Evry à procéder à un constat dans les locaux de la société Carrefour Hypermarchés, la société Décathlon a fait diligenter ces opérations les 7 et 8 février 2012.

Par acte du 21 février 2012, la société Décathlon a assigné les sociétés Carrefour Hypermarchés et Carrefour Import devant le tribunal de commerce d’Evry aux fins d’obtenir la cessation des actes de concurrence déloyale ainsi que l’indemnisation de son préjudice.

Par jugement du 25 septembre 2013, le tribunal de commerce d’Evry a :

— débouté la société Décathlon de toutes ses demandes,

— débouté les sociétés Carrefour Import et Carrefour Hypermarchés de leur demande formée au titre de l’article 699 du code de procédure civile,

— dit n’y avoir lieu à l’application de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamné la société Décathlon aux dépens,

— liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 104,17 euros, dont TVA 17,07 euros.

La société Décathlon a interjeté appel de ce jugement par déclaration d’appel du 28 octobre 2013.

Par conclusions du 3 mars 2017, la société Décathlon demande à la cour de :

— déclarer la société Décathlon recevable et bien fondée en son appel,

— infirmer le jugement du tribunal de commerce d’Evry du 28 octobre 2013 en toutes ses dispositions,

Et statuant à nouveau,

— dire qu’en important et en commercialisant sur le territoire national des modèles de polaires avec un système de conditionnement caractérisé par la réunion des éléments suivants :

/ un bandeau de couleur blanche d’environ 37 cm de long et de 3,8 cm de large,

/dont la largeur de chaque extrémité est cousue au niveau de la couture située à l’intérieur du col du vêtement de manière à former une boucle,

/une signalétique composée de la marque du vêtement, suivie de l’indication du modèle 'homme’ ou 'femme’ et de la taille, est successivement reproduite de manière verticale sur toute la longueur du bandeau,

/l’apposition de deux pictogrammes identiques composés de ciseaux et pointillés invitant le client à découper le bandeau,

/la boucle formée par le bandeau permettant d’y plier à l’intérieur le vêtement en forme de baluchon, les sociétés Carrefour Import et Carrefour Hypermarchés se sont rendues coupables de parasitisme au sens des articles 1382 et suivants du code civil au préjudice de la société Décathlon,

En conséquence,

— débouter les sociétés Carrefour Hypermarchés et Carrefour Import de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

— interdire aux sociétés Carrefour Hypermarchés et Carrefour Import de fabriquer et/ou importer, commercialiser ou exploiter sur le territoire national et ce, sous astreinte de 1.500 euros par infraction constatée (c’est-à-dire par modèle de polaire litigieux fabriqué et/ou importé, offert à la vente ou vendu) à compter de la signification de l’arrêt à intervenir, tout modèle de polaire litigieux,

— ordonner le rappel des circuits commerciaux de tous les modèles de polaires litigieux et ce, aux frais solidaires des sociétés Carrefour Import et Carrefour Hypermarchés,

— ordonner, sous le contrôle d’un huissier de justice désigné à cet effet, aux frais des sociétés Carrefour Import et Carrefour Hypermarchés et sous astreinte de 1.500 euros par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt à intervenir, la destruction de la totalité du stock de produits litigieux en leur possession,

— dire qu’en application de l’article 35 de la loi du 9 juillet 1991, les astreintes prononcées seront liquidées, s’il y a lieu, par la cour ayant statué sur la présente demande,

— condamner solidairement les sociétés Carrefour Hypermarchés et Carrefour Import à payer à la société Décathlon la somme de 407.000 euros en réparation de son préjudice commercial,

— condamner solidairement les sociétés Carrefour Hypermarchés et Carrefour Import à payer à la société Décathlon la somme de 50.000 euros en réparation du préjudice moral résultant, en France, de l’atteinte plus générale portée à la réputation et à l’image de la société Décathlon,

— ordonner la publication du jugement à intervenir dans cinq journaux ou revues, au choix de la société Décathlon et aux frais solidaires des sociétés Carrefour Import et Carrefour Hypermarchés, à raison de 5.000 euros par insertion et ce, au besoin à titre de dommages intérêts complémentaires,

— ordonner également l’inscription par extraits de l’arrêt à intervenir sur la page d’accueil des sites internet www.carrefour.fr et www.carrefour.com, en lettres noires sur fond blanc de type Arial de taille 14, et ce, pendant une durée de 6 mois à compter de la signification de l’arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard,

— condamner solidairement les sociétés Carrefour Import et Carrefour Hypermarchés à payer à la société Décathlon la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner solidairement les sociétés Carrefour Import et Carrefour Hypermarchés aux entiers dépens qui comprendront notamment les frais relatifs aux opérations de constat, dont distraction, pour ceux la concernant, au profit de la Selarl 2H Avocats en la personne de Maître Patricia Hardouin, et ce, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

Par conclusions du 7 février 2017, les sociétés Carrefour Hypermarchés et Carrefour Import demandent à la cour de :

— confirmer le jugement du tribunal de commerce d’Evry du 28 octobre 2013 en toutes ses dispositions, – dire que les demandes formées par la société Décathlon au titre de la concurrence déloyale et parasitaire sont infondées,

— en conséquence, débouter la société Décathlon de ses demandes, fins et conclusions,

— en tout état de cause, condamner la société Décathlon à verser à chacune des sociétés intimées la somme de 20 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— la condamner aux entiers dépens, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur le parasitisme

La société Décathlon soutient que les sociétés Carrefour ont commis des actes de concurrence déloyale parasitaire, constitués par l’utilisation des efforts intellectuels et des investissements d’autrui, l’utilisation de la notoriété et de l’image de la marque d’autrui, et révélant un risque de confusion.

Elle avance que le conditionnement qu’elle a créé présente une valeur économique, étant le fruit de ses investissements et de son savoir-faire, qui a permis l’amélioration de trois aspects principaux de la vente de vêtements : le coût du transport, la mise en place en linéaire et l’essayage par le client, la lutte contre la fraude.

Elle ajoute que ce conditionnement participe de son image innovante auprès de sa clientèle, n’est ni banal ni répandu ; ainsi, les sociétés intimées ne peuvent se retrancher derrière ces arguments pour justifier sa reproduction, ni prétendre qu’elle est impérative alors que les acteurs du marché du textile ont adopté divers types de conditionnement, distincts de ce conditionnement.

Elle en déduit que les intimées se sont délibérément immiscées dans son sillage en tirant un profit illégitime de ses investissements, de sa notoriété et de son image, et ont manqué à leur obligation de loyauté commerciale, notamment de distinguer leurs produits de ceux des concurrents.

Elle conteste l’appréciation du tribunal de commerce selon lequel les intimées n’ont pas agi de manière parasitaire en commercialisant leurs polaires avec un conditionnement identique, car le conditionnement litigieux n’est pas invisible et ne laisse pas les consommateurs insensibles, et que la 'valeur économique’ d’un système ou d’un produit ne se caractérise pas uniquement au vu de la perception générée auprès de la clientèle. Selon elle, celui qui est à l’origine d’un tel conditionnement est en droit de s’opposer à son détournement dès qu’il est identifiable, a nécessité des investissements et procure un avantage concurrentiel.

Elle prétend que ce conditionnement présente une valeur économique, fruit des investissements humains, matériels et financiers, et que les intimées ont commis une faute en bénéficiant d’avantages indus du fait de sa reproduction, indépendamment de la perception de la clientèle.

De leur côté, les sociétés Carrefour contestent tout acte de concurrence déloyale et parasitaire.

Elles soutiennent que le conditionnement revendiqué par Décathlon ne constitue pas une valeur économique telle que sa reprise par elles puisse caractériser l’appropriation du travail d’autrui de nature à leur procurer un avantage concurrentiel au détriment de la société Décathlon. Elles relèvent que le conditionnement est banal et fonctionnel, contrairement à ce que tente de démontrer la société Décathlon qui ne peut alors revendiquer de monopole dessus, puisqu’il vise simplement à maintenir plié un produit et à informer le consommateur de la marque et du type de produit, et qu’il est banal car utilisé par de nombreux acteurs du marché. Elles ajoutent que la société Décathlon ne rapporte pas la preuve que ce conditionnement constitue un élément d’identification visuelle attaché à la marque, ni du caractère attractif de ce mode de présentation, ni de l’existence d’un lien réel avec la clientèle de nature à identifier la polaire de la marque 'Quechua'.

Elles soutiennent que la reprise du conditionnement des polaires 'Quechua’ n’entraîne pas de risque de confusion ou de détournement de clientèle au détriment de l’appelante, ce mode de conditionnement n’étant pas identifié par le consommateur comme associé aux seules polaires 'Quechua'. Elles soulignent au surplus les nombreuses différences entre les produits, démontrant qu’elles ont réalisé des efforts de conception et n’ont réalisé aucune économie indue au détriment des sociétés Décathlon.

Enfin, elles soutiennent que la société Décathlon ne justifie pas d’investissements de création, conception, marketing et/ ou publicitaires engagés pour promouvoir la notoriété ou le succès de son conditionnement, et n’est donc pas recevable en son action fondée sur la concurrence déloyale et parasitaire. Elles ajoutent n’avoir pas réalisé d’économies indues au détriment de la société Décathlon, ayant fait appel à un designer espagnol pour créer le packaging de leurs polaires Tex, de sorte qu’elles ont fourni leurs propres efforts humains, matériels et financiers.

Sur ce

Le parasitisme est constitué lorsqu’une personne physique ou morale à titre lucratif, de façon injustifiée, copie une valeur économique d’autrui, individualisée, lui procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements.

Il consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d’une entreprise en profitant indûment de la notoriété acquise ou des investissements consentis, attentant ainsi à l’exercice paisible et loyal du commerce.

Toutefois, eu égard au principe de la liberté du commerce, la seule imitation d’un produit non protégé ne suffit pas à constituer une faute, et la réalisation de produits similaires offerts à la vente, même à des prix inférieurs, s’inscrit dans le jeu ordinaire des rapports de concurrence.

En l’occurrence, la société Décathlon reproche aux sociétés Carrefour la reprise d’un conditionnement d’un de ses produits, la veste polaire Quechua, se présentant comme une étiquette circulaire longue d’environ 37 cm et large de 3 cm, en taffetas polyester, cousue à chaque extrémité à l’intérieur du col du vêtement de façon à former une boucle, sur laquelle figure une signalétique affichant la marque du vêtement, l’indication Homme ou Femme, ainsi que la taille du vêtement. Elle relève également que cette étiquette présente deux pictogrammes représentant une paire de ciseaux et des pointillés indiquant où couper l’étiquette, et qu’elle forme une boucle permettant de maintenir le vêtement roulé dans cette forme.

Si les sociétés Carrefour font état de différences entre leurs étiquettes et celles de la société Décathlon, elles ne contestent pas avoir proposé à la vente des produits de type vêtements polaires avec une étiquette formant une boucle autour du vêtement et le maintenant en position 'roulé', ainsi au surplus que l’établit le procès-verbal de constat d’huissier du 27 octobre 2011.

Le fait de présenter un produit roulé sur lui-même, retenu dans cette disposition par une bande 'faisant le tour’ du produit, est connu, comme le fait que cette bande formant étiquette mentionne des indications relatives comme la marque, la nature du produit, sa composition ou sa taille (pièces 1 à 3 de l’intimée).

Les sociétés Carrefour justifient qu’un tel dispositif a aussi été utilisé pour des vêtements, en l’espèce des tee-shirts, donc proches des vestes polaires proposées par la société Décathlon. La société Décathlon explique que son étiquette constitue un conditionnement particulier, afin de répondre à trois aspects constitués par le coût du transport, la mise en place en linéaire et l’essayage par le client, enfin la lutte contre la fraude.

Ainsi ce conditionnement répond à des fonctions utilitaires, en l’espèce la réalisation d’économies de transport, un positionnement aisé dans les rayons permettant notamment au client d’appréhender immédiatement les caractéristiques du produit et de le remettre en place après essayage, et l’impossibilité au moment du passage en caisse de faire passer le produit pour un autre avec une étiquette montrant un prix inférieur.

Pour autant, ce choix par la société Décathlon d’une étiquette longue, formant une boucle sur elle-même et cousue au col du vêtement en le maintenant en position roulée, n’est pas imposé par un impératif fonctionnel, résulte d’un travail mené par cette société afin de parvenir à ce résultat, et constitue une valeur économique.

Si les sociétés Carrefour font état de la banalité de la présence d’indications relatives au produit sur le bandeau, ou de pictogrammes invitant à découper l’étiquette, ce n’est pas le dispositif sur lequel la société Décathlon fonde son action – soit l’étiquette formant boucle retenant le produit roulé -, de sorte que les développements des intimées sur cette absence d’originalité de la présentation d’un produit présenté roulé sur lui-même sont indifférents.

Le seul produit versé par les sociétés Carrefour présentant une étiquette ayant le même usage est une veste polaire proposée à la vente par la société Go Sport, et la société Décathlon justifie avoir pris contact par l’intermédiaire de son conseil avec cette société en lui reprochant la reproduction de son étiquette.

Les sociétés Carrefour ne peuvent dénier tout intérêt à l’étiquette 'conditionnante’ de la société Décathlon en soutenant que les avantages fonctionnels sont obtenus par la simple imposition d’un large bandeau maintenant le produit roulé sur lui-même, sans expliquer pourquoi elles ont eu recours à une telle étiquette, et non à l’utilisation d’un large bandeau, dispositif qu’elles utilisaient précédemment.

La société Décathlon produit différentes pièces justifiant des investissements qu’elle a engagés pour la définition et la réalisation de ces étiquettes formant bandeau, notamment l’engagement pendant cinq mois d’un ingénieur packaging, dont la mission était presque exclusivement de procéder à la révision du packaging de la gamme de produits polaires. Elle verse également une facture d’une société Felix du 14 avril 2010 visant notamment en objet 'bandeau polaire’ ; sont également versés des documents internes justifiant des efforts de conception entrepris.

Si les sociétés Carrefour font aussi état des investissements qu’elles auraient engagés, elles présentent des factures en espagnol portant sur le packaging des produits adressés à une société 'centro commerciales Carrefour SA', absente de la présente instance, de sorte que ces pièces sont insuffisantes à justifier des efforts de conception et de mise au point qu’elles auraient engagés.

En l’espèce, il ressort de la comparaison des produits que l’étiquette figurant sur le produit des sociétés Carrefour présente une longueur identique à celle des produits Décathlon, que sa largeur est proche de celle des produits Décathlon, qu’elle est utilisée de la même manière et réalisée dans la même matière, sans que ces caractéristiques ne soient imposées par l’usage.

Dans les deux cas, les étiquettes portent des indications sur la marque du produit, sa taille et le sexe du client visé.

Le fait que cette bande soit l’étiquette du produit (en l’espèce, une veste polaire), attachée à l’intérieur du col du produit ne répond pas à un impératif fonctionnel, et la reprise d’un tel dispositif n’est pas la conséquence nécessaire de la nature du produit conditionné ni ne s’explique par une nécessité technique.

Il ressort par ailleurs des pièces versées par les sociétés Carrefour utilisaient un autre type de bandeau auparavant, plus large et distinct de l’étiquette et ne donnent aucune raison à son abandon pour une étiquette identique à celle de la société Décathlon, ce qui traduit leur volonté de s’immiscer dans le sillage de la société Décathlon et de profiter de ces investissements sur cette étiquette.

Le grief de parasitisme peut être retenu dans la compétition que se livrent des acteurs économiques concurrents, lorsqu’est exploitée au détriment d’un rival, une création qui ne fait pas l’objet d’un droit privatif, sans qu’il ne soit nécessaire de démontrer l’existence d’un risque de confusion.

Les éléments dont l’imitation ou la reprise est invoquée par la société Décathlon ne sont l’objet d’aucun droit privatif et, dans un contexte de libre concurrence, ils sont libres de droit et peuvent être utilisés dans le commerce, sauf faute démontrée générant un risque de confusion (révélant une concurrence déloyale par imitation) ou une captation indue d’investissements (révélant un parasitisme).

En l’espèce, en adoptant le même système d’étiquette que celui mis au point par la société Décathlon, les sociétés Carrefour ont profité des investissements que cette société avait réalisés, et ainsi capté l’avantage économique découlant des efforts qu’elle avait entrepris.

Elles ne peuvent dès lors utilement faire état d’une absence de risque de confusion allégué pour s’opposer aux demandes présentées par la société Décathlon.

Le fait que la veste polaire soit présentée par la société Décathlon sur son site internet en position dépliée ne saurait contredire la valeur économique de cette étiquette, l’internaute ayant besoin pour identifier le produit de le voir déplié.

L’évolution de l’étiquette formant bandeau de la société Décathlon, dans ses proportions comme dans les dessins qui y figurent, révèle l’attractivité de ce dispositif d’étiquette, devenant ainsi un élément identifiant des produits de cette société, dispositif qu’affadit la reprise par les intimées, quand bien même il ne serait pas systématiquement utilisé par la société Décathlon.

Le fait pour les sociétés Carrefour de s’inspirer ou de reproduire sans contrepartie financière une étiquette formant conditionnement, étiquette développée par la société Décathlon et qui a une valeur économique -en ce qu’elle permet des économies de transport, une mise en rayon aisée et de lutter contre la fraude – et qui a nécessité des investissements conséquents, révèle un acte de parasitisme.

En conséquence, le parasitisme sera retenu, et le jugement sera infirmé.

Sur le préjudice

La société Décathlon soutient qu’elle a subi divers préjudices, notamment liés à la banalisation de sa présentation spécifique qui constitue un détournement des investissements qu’elle a engagés pour ce conditionnement. Elle déclare subir notamment un préjudice commercial, les consommateurs étant incités à acheter leurs vestes polaires dans les sociétés Carrefour, qui bénéficient des investissements engagés par elle et profitent ainsi d’avantages concurrentiels.

Enfin, elle déclare souffrir d’un préjudice d’image, la reproduction de son conditionnement caractéristique pour des produits de moindre qualité participant à la discréditer.

Les sociétés Carrefour relèvent que la société Décathlon ne verse pas de pièces pour justifier les préjudices allégués, et contestent sa méthode d’appréciation de son préjudice. Elles relèvent que c’est seulement la présentation des produits qui est contestée, et non l’imitation des produits eux-mêmes.

Elles ajoutent que les ventes qu’elles ont réalisées n’ont pas été déterminées par les seules étiquettes, et que l’appelante ne démontre pas la baisse de vente de ses propres produits.

Elles reprochent à la société Décathlon de ne pas chiffrer les économies qu’elles auraient réalisées, ce d’autant qu’elles soutiennent avoir engagé des frais pour la conception du packaging.

Sur ce

Il n’est pas contestable que la reprise par les sociétés Carrefour du conditionnement par l’étiquette des produits de la société Décathlon cause à celle-ci un préjudice, en ce qu’en profitant des efforts engagés pour promouvoir ce conditionnement attaché à l’image de la société Décathlon qui l’a conçu, elle le dévalorise.

Pour autant, s’agissant de son préjudice commercial, la société Décathlon ne peut fonder ses calculs sur la marge commerciale réalisée par les sociétés Carrefour sur les produits en cause, alors que le parasitisme ne concerne pas le produit en lui-même mais l’étiquette le conditionnant.

Ainsi, si tant est que le conditionnement d’un produit participe à la décision d’achat du produit, les ventes de vestes polaires réalisées par les sociétés Carrefour ne sauraient être déterminées en fonction de leur seule présentation, le produit Décathlon étant présenté sur son site à la vente sans ce conditionnement.

La marge calculée par la société Décathlon est celle de la vente du produit Carrefour constitué d’une veste polaire sur laquelle est fixée l’étiquette en cause, laquelle est seule incriminée au titre du parasitisme.

En conséquence, la société Décathlon -qui ne justifie pas d’une baisse de ses propres ventes- est malvenue à chiffrer son préjudice en calculant la marge réalisée par les sociétés Carrefour sur la vente de ces vestes polaires.

Au vu de ce qui précède, il sera apprécié que les sociétés Carrefour ont profité du détournement de l’étiquette de la société Décathlon à proportion de 0,20 euros par produit vendu, soit 0,10 euros correspondant à la perte du chiffre d’affaires de la société Décathlon, et 0,10 euros à la part de bénéfice réalisée par les sociétés Carrefour sur ces ventes résultant de l’exploitation de l’étiquette.

Le procès-verbal des 7 et 8 février 2012 retenant une volume de 119759 produits vendus par les sociétés Carrefour, elles seront condamnées au titre du préjudice commercial au paiement de 23 952 euros.

Par ailleurs, l’utilisation de l’étiquette en cause pour vendre des produits identiques à ceux de la société Décathlon est de nature à lui causer un préjudice moral résultant de la proposition de ces produits avec ce conditionnement dans les magasins des sociétés Carrefour, ce qui est de nature à brouiller l’image de l’appelante.

Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en condamnant les sociétés Carrefour au paiement d’une somme de 10000 euros à ce titre.

Sur les mesures de publication et d’interdiction sollicitées

La société Décathlon ne justifiant pas que les pratiques reprochées aux sociétés Carrefour se poursuivent, et alors que les faits reprochés ne portent que sur l’étiquette de conditionnement des produits et ont été constatés il y a plus de cinq années, il ne sera pas fait droit à sa demande tendant à l’interdiction de la vente de ces produits, ni au rappel des circuits commerciaux et à la destruction.

Il en est de même pour la mesure de publication, les faits ayant été constatés il y a plusieurs années, ce d’autant que la société Décathlon ne justifie pas continuer d’utiliser ce mode de conditionnement.

Sur les autres demandes

Les sociétés Carrefour seront condamnées au paiement des dépens.

L’équité commande de les condamner au paiement d’une somme de 8000 euros, au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

INFIRME le jugement du tribunal de commerce d’Evry du 28 octobre 2013 en toutes ses dispositions,

Et statuant à nouveau,

DIT qu’en important et en commercialisant des modèles de polaires avec un système de conditionnement reprenant celui des polaires proposées par la société Décathlon, les sociétés Carrefour ont commis des faits de parasitisme au sens des articles 1382 et suivants du code civil au préjudice de la société Décathlon,

CONDAMNE in solidum les sociétés Carrefour Hypermarchés et Carrefour Import à payer à la société Décathlon la somme de 23 952 euros en réparation de son préjudice commercial,

CONDAMNE in solidum les sociétés Carrefour Hypermarchés et Carrefour Import à payer à la société Décathlon la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral résultant, en France, de l’atteinte plus générale portée à la réputation et à l’image de la société Décathlon,

DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes,

CONDAMNE in solidum les sociétés Carrefour Import et Carrefour Hypermarchés à payer à la société Décathlon la somme de 8.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE in solidum les sociétés Carrefour Import et Carrefour Hypermarchés aux entiers dépens qui comprendront notamment les frais relatifs aux opérations de constat, dont distraction, pour ceux la concernant, au profit de la Selarl 2H Avocats en la personne de Maître Patricia Hardouin, et ce, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

Le Greffier La Présidente

Vincent BRÉANT Irène LUC

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