Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 1, 5 juin 2018, n° 16/09463

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 2 - ch. 1, 5 juin 2018, n° 16/09463
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 16/09463
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Paris, 13 janvier 2016, N° 13/14946
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Texte intégral

Grosses délivrées

REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 2 – Chambre 1

ARRET DU 05 JUIN 2018

(n° 269 , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 16/09463

Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Janvier 2016 -Tribunal de Grande Instance de Paris – RG n° 13/14946

APPELANT

Monsieur F Y

14 Rue AN-Sauveur

[…]

né le […] à […]

Représenté et plaidant par Me David HARUTYUNYAN de la SELARL ESTRADE, AZAD & HARUTYUNYAN, avocat au barreau de PARIS, toque : E1856

INTIMES

Monsieur AT Z U-AJ

[…]

[…]

[…]

Monsieur AU AV U-AJ

[…]

[…]

[…]

Madame AW AX U-AJ

[…]

[…]

Monsieur A U-AJ

[…]

[…]

[…]

Représentés et plaidant par Me AF AG, avocat au barreau de PARIS, toque : A0829

Madame C X

[…]

[…]

née le […] à […]

Madame D X

[…]

[…]

née le […] à […]

Madame H I épouse X

[…]

[…]

née le […] à […]

Représentées par Me Na-ima OUGOUAG BERBER de la SCP BENICHOU OUGOUAG, avocat au barreau de PARIS, toque : P0203

CREDIT MUNICIPAL DE PARIS pris en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.

[…]

[…]

Représenté par Me Christophe PACHALIS de la SELARL RECAMIER AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : K148

Madame J K agissant ès qualité de représentante légale de son fils mineur Monsieur AH AI X

[…]

[…]

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 20 Mars 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. L M, Président de chambre

Mme Marie-Claude HERVE, Conseillère

Mme Anne LACQUEMANT, Conseillère

qui en ont délibéré

Un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur L M dans les conditions prévues par l’article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme N O

ARRET :

— Contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par M. L M, président et par Mme N O, greffier présent lors du prononcé.

*****

M. F Y, né en 1941, est un collectionneur privé d’oeuvres d’art, en particulier de celles des années 80 de l’artiste P Q, lequel sera connu comme l’inventeur du courant de la 'figuration libre'.

M. Y a ainsi acquis à cette époque :

— auprès de la galerie Yvon Lambert, les tableaux «le Kiki de Katy '' huile sur carton, ainsi que le diptyque «AQ R S» huile sur tissu et « la perte de la smala d’AQ-R-S par l’armée du duc d’Aumale'' huile sur tissu,

— directement auprès de l’artiste, l’huile sur toile roulée 'Tuer dans la nuit de campagne ''.

Mme E U-AJ, maître de conférence à l’université d’Aix en Provence, amie proche de M. Y, a gagé entre les mains du Crédit municipal de Paris (en abrégé le CMP), deux de ces tableaux : «AQ-R S» et «la perte de la smala d’AQ-R-S par l’armée du duc d’Aumale », en garantie d’un prêt d’un an sur nantissement, de 17 000 euros, consenti par cet organisme le 24 juin 2002 et renouvelé ensuite chaque année à son échéance.

Mme U-AJ a ensuite gagé entre les mains du CMP les deux autres tableaux précités du même artiste, «Le kiki de Katy'' huile sur carton et «tuer dans la nuit de campagne '', obtenant, le 9 mai 2003, un prêt sur nantissement de 13 000 euros, renouvelé par les parties chaque année à son échéance.

Mme U-AJ est décédée le […] à l’âge de 43 ans.

M. Y a alors revendiqué la propriété des tableaux gagés entre les mains du CMP.

Une partie des héritiers de Mme U-AJ, s’étant opposée à cette revendication, M. Y a saisi le juge de l’exécution près le tribunal de grande instance de Paris d’une requête aux fins d’injonction de restitution d’un bien gagé et de saisie-revendication, à laquelle ce dernier a fait droit par une ordonnance du 18 février 2013, qui a fait l’objet d’une opposition par MM. Z, A et AU AV U-AJ, Mme AW AX U-AJ, Mme J T, ès qualités de représentant légal de son fils mineur, AH AK X.

Le 24 juillet 2013, M. Y a saisi le tribunal de grande instance de Paris en restitution des 'uvres gagées, au contradictoire des héritiers de Mme U-AJ et du CMP.

Par jugement du 14 janvier 2016, ledit tribunal a :

— débouté M. Y de ses demandes ;

— débouté le Crédit Municipal de Paris de sa demande en dommages et intérêts ;

— condamné M. Y à payer la somme de 1 500 euros aux consorts U-AJ et au Crédit Municipal de Paris au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamné M. Y aux dépens de l’instance qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 ;

— dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.

Le tribunal a considéré, d’une part, que la preuve d’une remise à titre précaire des oeuvres en cause à Mme E U-AJ n’était pas rapportée et, d’autre part, que le caractère équivoque et non paisible de la possession de ces oeuvres par Mme U-AJ n’ était pas établi.

M. Y, qui a interjeté appel de cette décision, demande à la cour, aux termes de ses dernières conclusions du 20 février 2018, de réformer le jugement précité, sauf en ce qu’il a débouté le Crédit Municipal de Paris de toutes ses demandes et, statuant à nouveau, de :

— juger qu’il est propriétaire des quatre tableaux litigieux, objets de la présente instance;

— débouter les intimés, à l’exception des consorts X, de l’ensemble de leurs demandes ;

— condamner les intimés à lui remettre les quatre tableaux litigieux dans le délai de 15 jours à compter de la signification de l’arrêt à intervenir, sous astreinte de 300 euros par jours de retard ;

— l’autoriser à pratiquer une saisie-revendication desdits tableaux en quelque lieu et en quelque main qu’ils se trouvent ;

— condamner in solidum les intimés, à l’exception des consorts X, à lui régler la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, à supporter les entiers dépens de première instance et d’appel et dire qu’ils pourront être recouvrés par Me David Harutyunyan, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

Dans leurs dernières écritures du 19 septembre 2016, Mmes C, D et H X demandent à la cour d’infirmer la décision entreprise en ce qu’elle a débouté M. Y de sa revendication et de condamner les parties succombantes au paiement de la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans leurs dernières écritures du 19 octobre 2016, les consorts U-AJ demandent à la cour de :

— débouter M. F Y de son appel, le déclaré infondé ;

— débouter le Crédit Municipal de Paris de son appel incident ;

— confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris du 14 janvier 2016 en ce qu’il a débouté M. Y de son action en revendication de propriété ;

— en conséquence, constater la possession à titre de propriétaire de Mme E U-AJ des quatre 'uvres litigieuses, juger que les quatre tableaux dépendent de sa succession et doivent y être rapportés ;

— pour le surplus, y ajoutant, condamner M. Y à leur payer à chacun la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens de première instance et d’appel distraits au profit de Me AF AG, avocat, sous son affirmation de droit.

Dans ses dernières écritures du 19 février 2018, le Crédit municipal de Paris demande à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a condamné M. F Y à lui payer la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de première instance, de le réformer en ce qu’il a refusé de juger que toute partie désignée comme titulaire du droit de propriété des objets gagés devra, pour récupérer les biens gagés entre ses mains, le rembourser, tant en principal qu’intérêts et droits, des sommes pour lesquelles les biens ont été laissés en gage et, à défaut, l’autoriser à procéder à la réalisation de tout objet gagé entre ses mains dans les conditions fixées dans chaque contrat de gage concerné et, statuant à nouveau :

— juger que toute partie désignée par la cour comme titulaire du droit de propriété des objets gagés devra, pour récupérer les biens gagés entre les mains du CMP, rembourser ce dernier, tant en principal qu’intérêts et droits, des sommes pour lesquelles les biens ont été laissés en gage ;

— à défaut, l’autoriser à procéder à la réalisation de tout objet gagé entre ses mains dans les conditions fixées dans chaque contrat de gage concerné ;

— vu l’article 1382 du code civil, juger que M. Y l’a trompé en se faisant consentir des prêts sur gage par le truchement de Mme E U-AJ ; en conséquence, le condamner à lui payer la somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

— en tout état de cause, débouter M. Y, les consorts U-AJ de l’ensemble de leurs demandes à son encontre exposées tant en première instance qu’en cause d’appel;

— condamner in solidum les parties succombantes à lui payer la somme de 7 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel dont distraction au profit de la selarl Recamier, représentée par Me Christophe Pachalis, avocat à la cour, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Mme J K, ès- qualités de représentante légale de son fils mineur AH AI X, n’est pas représentée.

Par ordonnance du 6 mars 2018, le conseiller chargé de la mise en état a rejeté la demande de M. Y lui demandant d’enjoindre à la Société générale de produire les copies recto-verso des 11 chèques émis par Mme E U-AJ, le 25 juin 2002 pour les chèques 291 à 295 et, le 9 mai, pour les chèques 434 à 439.

SUR CE,

Considérant que M. Y, appelant, soutient que :

— éprouvant un besoin de financement pour les expositions qu’il organisait et pour de nouvelles acquisitions, il s’est adressé à une amie proche, afin qu’elle emprunte de l’argent pour son compte auprès du Crédit Municipal de Paris (CMP) ;

— la cohérie avec laquelle cette amie, décédée depuis, a entretenu des relations familiales proches, à savoir sa mère, son concubin, ainsi que ses s’urs utérines (les consorts X), connaissait l’objet de l’opération des deux prêts et le fait que les tableaux étaient sa propriété et a toujours confirmé que les tableaux devaient lui revenir, tandis que la cohérie avec laquelle la défunte n’entretenait aucune relation depuis une quinzaine d’années (les consorts U-AJ) a découvert l’existence des prêts à l’occasion des opérations de succession et décidé de se prévaloir de la règle «en fait de meubles, la possession vaut titre» pour s’opposer à la remise des quatre tableaux ;

— en cause d’appel, il produit plusieurs éléments supplémentaires de preuve qui suffisent à établir que si son amie E était momentanément entrée en possession des quatre tableaux, cette possession était précaire et viciée ;

— il met un point d’honneur à partager sa passion en prêtant les 'uvres de sa collection pour différentes expositions, ce toujours gracieusement ; d’ailleurs, avant 2002 et 2003, date de mise en gage des quatre tableaux litigieux, ceux-ci faisaient régulièrement l’objet de prêts à des musées et municipalités avec d’autres tableaux de sa collection aux fins d’exposition, ce qui dénote l’attention particulière dont ces quatre tableaux faisaient l’objet de sa part ; c’est en collectionneur privé qu’il gérait – et gère toujours – sa collection, mais en aucun cas comme marchand ;

— le profil de son amie était parfait pour un dossier prêt : fonctionnaire maître de conférences à l’Université, elle disposait de revenus réguliers et suffisants, tandis que les siens étaient irréguliers ; il était d’autant plus sûr que les prêts ne seraient pas refusés qu’ils allaient être accordés à E sur le gage d''uvres largement sous-évaluées par le Crédit mutuel pour servir de base de calcul du plafond des sommes accordées ;

— lorsqu’à l’occasion d’un renouvellement du premier contrat, le capital prêté a été diminué de 4 000 euros, c’est lui qui a remboursé directement au CMP l’excédent du capital de 4 000 euros en sus de l’annuité qu’il avait également payée ;

— avant le décès de E, les paiements des annuités étaient faits soit par E, auquel cas

elle se faisait rembourser par son ami, soit par lui qui versait les sommes directement au CMP ; après le décès de E au mois d’octobre 2008, il a poursuivi seul les paiements des annuités directement au CMP et procédé au renouvellement des deux contrats en 2009 et en 2010 ;

— la cohérie U-AJ, qui n’entretenait aucune relation avec elle depuis une quinzaine d’années et ne connaissait pas sa vie, contestait ces faits ; les différents échanges n’ont pas changé leur position, pas plus que la lettre que le conservateur en chef du musée des beaux arts de Caen a adressé au notaire, le 23 novembre 2010, pour attester que le projet de l’exposition de 2011, dont faisaient partie les deux tableaux susvisés, était en préparation avec M. Y depuis plus de deux ans et qu’il avait même été envisagé que les deux 'uvres donnent lieu à publication et reproduction ;

— en 2012, lorsqu’il a fallu payer deux annuités complètes pour éviter une vente aux enchères par le CMP, c’est lui qui a payé, nonobstant le litige qui l’opposait déjà à une partie de la succession, la totalité de la somme de 6 732,40 euros réclamée par le CMP ;

— s’agissant du premier prêt, le fait que les cinq chèques émis par E totalisent un montant important de 13 530,44 euros, qu’ils aient été émis au profit de «F» (nom indiqué sur le talon des chèques), de surcroît le lendemain de l’octroi du prêt et, enfin, qu’il y ait une correspondance parfaite entre le dernier chèque et le montant de la facture d’expertise démontre avec certitude que l’objet de ces 5 chèques était de lui reverser la somme reçue du CMP, en tant que bénéficiaire réel du prêt ; le fait qu’il ne les ait pas encaissés (il avait demandé à E de ne pas remplir l’ordre), afin de les utiliser pour payer ses propres créanciers n’enlève rien au fait que ces éléments sont suffisamment précis et concordants pour établir la preuve que E n’était pas la bénéficiaire réelle du prêt, mais qu’elle l’avait souscrit au profit d’un tiers, lui-même ; à supposer pour les besoins du raisonnement qu’il ait fait don des quatre tableaux à E, cette dernière n’avait aucune raison de souscrire un prêt de ce montant et n’avait aucun besoin de verser les sommes empruntées à un quelconque autre F ;

— pour ce second prêt aussi, E a conservé environ une centaine d’euros et lui a reversé l’intégralité des sommes reçues (déduction faite aussi des frais de l’expertise), en tant que bénéficiaire réel du prêt ; la répétition de l’opération, une année après la première, consistant à faire des chèques au profit d’un certain F, concomitamment à la réception des fonds provenant du prêt obtenu grâce au gage des tableaux de Q, acquis à l’origine précisément par son ami, ne laisse aucun doute sur l’objet des prêts sollicités par E ; si l’on met ces faits en parallèle avec les affirmations de sa mère, de ses s’urs et de son concubin, qui connaissaient l’objet de ces opérations et qui ont toujours attesté avoir su que Monsieur Y était toujours resté propriétaire des tableaux, la démonstration est incontestablement faite de ce que la possession de E avait été précaire et viciée;

— il apporte incontestablement la preuve, au moins pour certaines annuités des contrats antérieures au décès de E, qu’il les a personnellement payées ; il a également payé toutes les annuités postérieures à son décès ;

— il a signé lui-même les contrats lors des renouvellements de contrats, le 25 juin 2004, puis le 13 décembre 2006 ;

Considérant que les consorts X réitèrent leur non-opposition à la revendication mobilière formulée par M. Y et plaident pour la réformation de la décision entreprise ;

Considérant que les consorts U-AJ, intimés indiquent que :

— Mme E U-AJ justifie d’une possession continue, non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire, les caractères de la possession s’appréciant au moment de la prise en possession du bien ;

— leur soeur consanguine possédait les quatre tableaux de P Q, à titre de propriétaire, qualité en vertu de laquelle elle les avait mis en gage en son nom et pour son compte auprès du Crédit Municipal de Paris en contrepartie des deux prêts souscrits par ses soins ;

— c’est en tant que propriétaire des tableaux qu’elle a fait procéder une première fois à l’expertise de deux 'uvres, le 13 juin 2002, puis, le 22 avril 2003, à une nouvelle expertise de deux tableaux du même artiste ;

— elle possédait les 'uvres de manière continue, qu’elle les a gagées en contrepartie des contrats de prêt sur nantissement et de leur renouvellement à son bénéfice et elle s’acquittait du paiement des échéances et des frais relatifs au contrat de ces deux prêts ;

— la possession de ces tableaux était également paisible dès lors qu’elle a été obtenue sans contrainte ni violence ;

— le caractère public de la possession par leur soeur est également établi dès lors que leur gestion était assurée par celle-ci au vu et au su de tous, notamment de l’appelant, tous les documents étant signés par elle ;

— en l’absence de vice affectant la possession, la Cour ne pourra que constater la possession paisible, continue et utile des quatre 'uvres dont s’agit par leur soeur et confirmer le jugement frappé d’appel ;

— aucune preuve de l’encaissement par l’appelant des sommes correspondant aux prêts n’est rapportée, l’identité du bénéficiaire des chèques faits n’étant pas démontrée, la seule mention du prénom F étant insuffisante à établir qu’il s’agissait de M. F Y;

— le courrier de la CNP ne fait aucune référence à une possibilité pour le prêteur de verser une

partie du prêt accordé en espèces ; or les sommes figurant sur les chèques dont se prévaut l’appelant ne correspondent pas aux montants des prêts ;

— l’attestation de M. W AA, concubin de leur soeur, en conflit avec eux dans le cadre de la liquidation partage de sa succession, doit être écartée ;

— les versements invoqués par l’appelant ne correspondent pas au montant global des échéances acquittées par leur soeur au profit du CMP ;

— les ayants-droit de Mme E U-AJ ne peuvent recevoir la qualité de «personne autre que l’emprunteur », le transfert de propriété étant de droit dans le cadre d’une succession ;

Considérant que le CMP fait valoir que :

— l’article D.514-22 du code monétaire et financier, aux termes duquel «lorsqu’un objet qui a été remis en gage pour l’attribution d’un prêt est revendiqué par une personne autre que l’emprunteur, cette personne invoquant un vol ou toute autre cause, la caisse reste séquestre de l’objet, lequel ne peut faire l’objet d’une réquisition pour saisie préalable à l’aboutissement de l’instance judiciaire, est opposable tant à M. Y qu’aux ayants droit de l’emprunteur qui viendraient réclamer les objets gagés entre ses mains pour cause de dévolution successorale ;

— l’appelant l’a manifestement trompé sur la destination réelle des fonds consentis, lesquels ne peuvent, selon les règles régissant cet établissement public, servir au financement d’activités commerciales ;

— c’est à tort que le tribunal a jugé que l’appelant n’aurait commis aucune faute au sens de l’article 1382 du code civil, de sorte qu’il est fondé à exciper d’un préjudice moral ;

Considérant qu’il appartient à M. Y, qui revendique la propriété des quatre oeuvres remises en gage au CMP par Mme U-AJ, depuis décédée, de rapporter la preuve que la possession de ces oeuvres par cette dernière n’était pas tout à la fois paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire, de sorte que la règle selon laquelle 'en fait de meubles la possession vaut titre’ ne pourrait pas s’appliquer ;

Considérant que le notaire Me AN-AO, chargé du règlement de la succession de Mme U-AJ atteste qu’aux termes du procès verbal d’ouverture des opérations de succession, dressé par elle, le 20 septembre 2010, il a été consigné les dires des parties, selon lesquelles M. AL W AA (compagnon de Mme U-AJ à l’époque des prêts et des remises en gage litigieux), Mme H I (mère de Mme U-AJ), Melles C et D X (soeurs utérines de Mme U-AJ), déclarent que les tableaux en cause remis en gage sont la propriété de M. F Y et que l’argent prêté par le CMP à Mme U-AJ a été remis

par ses soins à ce dernier ; qu’ils consentent donc à ce que les tableaux soient remis à M. F Y en contrepartie du règlement des deux prêts souscrits par la défunte auprès du CMP ; qu’il n’est pas contesté que cette partie de la famille entretenait avec Mme E U-AJ des relations suivies ;

Considérant que les consorts U-AJ, représentant la cohérie consanguine de Mme U-AJ, contestent cette affirmation et sollicitent que soit établie la preuve de la propriété de ces tableaux ; qu’il n’est pas contesté que Mme E AM-AJ n’entretenait pas de relations suivies avec cette partie de sa famille depuis des années ;

Considérant que M. Y démontre qu’il était encore propriétaire de la toile en deux parties 'AQ R S et la perte de la smala d’AQ R S par l’armée du duc d’Aumale', de la toile 'le kiki de Katy', de la toile 'tuer dans la nuit de campagne’ lorsqu’il les a prêtées, le 2 janvier 2001, pour une exposition à Chateauroux intitulée les Années fauves, s’étant tenue de mars à juin 2001 ;

Considérant que M. Y verse aux débats les talons des chéquiers de Mme AM-AJ, dont son compagnon d’alors, atteste qu’il les lui a remis, faisant état de divers versements en date du 25 juin 2002, de 1 300 euros, 1 700 euros, 2 300 euros, 2 000 euros, 6 230,44 euros, ce dernier portant la mention 'déduire’ ; que ces chèques établis le lendemain du jour où Mme AM-AJ a obtenu le prêt de 17 000 euros mentionnent comme bénéficiaire F ; qu’ils totalisent la somme de 13 530,44 euros ;

Considérant que le CMP remettait à l’époque à ses clients une partie du prêt à hauteur de 3 000 euros en espèces, comme cela était autorisé ; qu’en outre, il est établi que Mme U-AJ a réglé le coût de l’expertise réalisée par le CMP préalablement à la mise en gage des tableaux, pour une somme justifiée de 369,56 euros ;

Considérant que si l’on ajoute la somme payée en espèces, le total des chèques revenant au bénéficiaire F et le coût de l’expertise, on aboutit à la somme de 16 900 euros, très proche de 17 000 euros, M. Y affirmant qu’une somme de 100 euros a été conservée par Mme U-AJ ;

Considérant que M. Y verse par ailleurs des talons de chèques portant la mention 9 mai
-F, respectivement de 1 500 euros, 1 500 euros, 2 500 euros, 500 euros, 1 000 euros et 2 600 euros, soit une somme totale de 9 600 euros ; que le 9 mai correspond à la date du 9 mai 2003, date à laquelle Mme AM-AJ a obtenu un second prêt sur nantissement de 13 000 euros et remis en gage les tableaux 'le kiki de Katy’ et 'tuer dans la nuit de campagne’ ;

Considérant que là encore, si l’on ajoute la somme de 3 000 euros payée en espèces, le total des chèques revenant au bénéficiaire F et le coût de l’expertise, 309,76 euros, on aboutit à la somme de 12 909,76 euros, soit à 90 euros près, le montant du prêt accordé par le CMP ;

Considérant que M. Y justifie par le relevé de son compte avoir réglé au CMP la somme de 5 409,60 euros, le 13 décembre 2006, cette somme correspondant à la différence entre, d’une part, le dégagement du premier prêt de 16 994 euros consenti le 24 juin 2002, pour une somme de 18 409,60 euros et l’engagement de la somme de 13 000 euros, correspondant au prêt alloué le 13 décembre 2006 pour un montant réduit à 13 000 euros (aux lieu et place du premier prêt de 17 000 euros, compte tenu de la dévalorisation du gage telle qu’appréciée par le CMP) ;

Considérant que M. Y justifie que la somme de 1 140,60 euros réglée par E U-AJ, le 22 juillet 2008 au CMP, au titre des sommes dues pour le renouvellement du prêt souscrit en 2003, lui avait été préalablement versée par M. Y par un chèque de banque établi par la Banque postale, le 17 juillet 2008 ;

Considérant que M. Y rapporte la preuve qu’il a réglé toutes les annuités des deux contrats de prêt afférents à leur renouvellement, en décembre 2008 par mandat cash (1 182 euros), en décembre 2009 par chèque de banque (1 274,50 euros), en juillet 2009 par chèque de banque (1 248 euros), en décembre 2010 par chèque de banque (1 229 euros), en juillet 2010 par chèque de banque (1 294 euros), en juin 2012 par chèque au notaire chargé de la succession (6 732,40 euros) ;

Considérant que M. Y produit une lettre de M. AC AD, conservateur en chef du Musée des Beaux-Arts de Caen, adressée le 23 novembre 2010 à Me AN-AO, notaire en charge de la succession de Mme E AM-AJ, confirmant qu’il est en discussion avec M. Y, depuis plus de deux ans, sur un projet d’exposition d’une partie de ses collections au Musée des Beaux-Arts de Caen, l’exposition devant avoir lieu fin 2011 ; qu’il est prévu pour l’artiste P Q d’exposer une bonne douzaine d’oeuvres, dont le diptyque AP R S et La perte de la Smala d’AQ R S, qui pourrait donner lieu à publication et reproduction ; qu’il ajoute que M. Y est connu comme le plus important collectionneur de cet artiste, notamment pour les oeuvres de sa première période de 1975 à 1980, les oeuvres de Q présentées dans l’exposition présentant un intérêt tout particulier ;

Considérant que Mme E U-AJ n’était pas connue pour collectionner des oeuvres d’art, tout particulièrement celles de P Q ;

Considérant qu’il ressort de ce qui précède qu’il existe un faisceau d’éléments suffisamment précis de nature à établir que M. Y a fait conclure par son amie, Mme E U-AJ, qui disposait de revenus réguliers, deux prêts pour lesquels il lui a remis quatre tableaux qui ont servi de gage aux prêts consentis par le CMP ; que Mme U-AJ lui a remis la quasi-totalité des sommes correspondant aux prêts pour lesquels M. Y a continué de supporter l’essentiel des dépenses afférentes à leur renouvellement, avant et après le décès de Mme U-AJ, M. Y AE de disposer d’un pouvoir de direction sur les oeuvres en cause puisque des discussions avancées avaient eu lieu pour que les oeuvres soient confiées au musée de Caen afin d’y être exposées ;

Considérant que la possession par Mme AM-AJ des oeuvres litigieuses apparaît ainsi ainsi pour le moins équivoque, de sorte qu’elle ne suffit pas à lui faire reconnaître leur propriété, laquelle, compte tenu de ce qui a été indiqué supra, est restée celle de M. Y ;

Considérant que, comme le soutient le CMP, M. Y, désigné comme le propriétaire des oeuvres en cause, pourra les récupérer entre ses biens à condition d’avoir remboursé le CMP tant en principal, qu’intérêts et droits des sommes pour lesquelles les biens ont été laissés en gage ;

Considérant qu’il n’y a pas lieu d’autoriser M. Y à pratiquer une saisie-revendication ou le CMP à procéder à la réalisation de tout objet gagé dans les conditions fixées dans chaque contrat, chacune de ses parties restant maîtresse de diligenter telle action qu’elle estimera nécessaire à la préservation de ses droits sans avoir à recueillir l’autorisation de la cour ;

Considérant que le CMP, qui apparaît avoir perçu toutes les sommes auxquelles le renouvellement des contrats de prêt lui donnait droit, ne justifie d’aucun préjudice matériel ; que le fait que Mme AM-AJ ait présenté de façon non exacte les biens comme les siens ne lui a pas occasionné davantage un préjudice moral, de sorte qu’il doit être débouté de sa demande de dommages et intérêts de ce chef ;

Considérant en définitive que le jugement doit être infirmé sauf en ce qu’il a débouté le CMP de sa demande de dommages et intérêts, laissé les dépens de première instance à la charge de M. Y et l’a condamné à payer au CMP une indemnité de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles ; qu’en effet, la procédure est la conséquence de la présentation inexacte dont M. Y est à l’initiative envers le CMP ;

Considérant que M. Y devra régler à la CMP la somme de 1 500 euros pour compenser les frais irrépétibles exposés en cause d’appel ; qu’en équité, il n’y a pas lieu de le condamner à verser des sommes à ce titre aux autres parties ;

Considérant que M. Y doit être condamné à supporter les dépens d’appel,

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

— infirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a débouté le CMP de sa demande de dommages et intérêts, laissé les dépens de première instance à la charge de M. Y et l’a condamné à payer au CMP une indemnité de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles

— statuant à nouveau et y ajoutant :

— juge que les oeuvres litigieuses de l’artiste P Q sont la propriété de M. F Y ;

— dit que celui-ci, désigné comme le propriétaire des oeuvres en cause, pourra les récupérer entre les mains du CMP à condition de l’avoir remboursé tant en principal, qu’intérêts et droits des sommes pour lesquelles les biens ont été laissés en gage ;

— déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

— condamne M. Y à payer au CMP une indemnité de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel ;

— dit n’y avoir lieu à condamnation de M. Y en faveur des autres parties au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel ;

— condamne M. Y à supporter les dépens d’appel, avec possibilité de recouvrement direct au profit de Me AF AG et de Me Christophe Pachalis de la Selarl Récamier, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER, LE PRESIDENT,

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Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 1, 5 juin 2018, n° 16/09463